Les soleils incandescents de Sarah Maison

A l’identité kaléidoscopique, Sarah Maison revient avec un disque au travers duquel elle s’affirme autant prêtresse-magicienne que déesse ou diva orientale. Soleils, porte bien son nom, comme un porte-bonheur qui apporte clairvoyance, joie et lumière. C’est un EP qui pourrait presque prendre la forme d’une carte tirée, annonçant renouveau, bon présage et protection. Un objet qui trouverait sa place sur une table de velours bleu, entre un tarot de Côte d’Azur, une khmasa – main de fatma – des pierres précieuses et une amulette.

Illustration : Camille Scali

Une voi.e.x bien ancrée

On savait bien dès l’écoute de son premier EP homonyme que Sarah Maison possède une identité musicale bien marquée, notamment par son intimité. Aux confins des origines paternelles du Cantal avec une influence de la chanson à texte. Avec des mots tant travaillés, sérieux, que sensuels et légers. A en croire un certain humour dans le titre L’Eté qui ne serait s’en rappeler l’ironie d’Alain Bashung. La poésie hante l’album et ce n’est pas un hasard si l’artiste rendait hommage à Léo Ferré avec La Souterraine. Par ailleurs, c’est aussi – et surtout – ses origines maternelles marocaines qui ressurgissent. A l’oreille, on reconnait des airs de divas ou de princes orientaux : empruntant des airs de raï à Warda, le souffle de Fairuz ou encore le funk entrainant d’Ahmed Fakroun. Ou même d’autres compagnons de la nouvelle scène française, on pense alors au groupe Mauvais Oeil.

Accompagnée de son complice Hedi Bensalem, l’artiste compose un disque entre les deux rives, les deux continents. Et ce dès le premier morceau. Les Astres et les éléments est titre prenant, saisissant. Les premières notes sont profondes, il y a comme le bourdon d’un orgue qui résonne. Les sonorités sont élévatrices. Puis, des cordes viennent nous chatouiller les oreilles, les reins, comme pour nous prendre dans les bras et nous apporter une bonne nouvelle. En un claquement de doigts, clappement de mains, l’éveil est là. On se laisse alors porter par les mélodies et la voix sensuelle de Sarah Maison. Le son de flûte est envoutant, au point qu’on se prendrait presque pour un serpent dansant autour d’un bâton. La chanteuse nous confie des mots profonds, sincères : « il y a des mots qu’on oublie pas » que l’on devine chargés d’amour. Il y aussi une attente qui plane : « J’attendrai le soleil levant, les astres et les éléments, j’attendrai pendant longtemps que tu reviennes. » Pourtant, qui semble être sereine, comme portée par l’intuition ou peut-être le destin.

Soleil joyeux et rayonnant

Ce qui frappe au travers de Soleils est toute la lumière, toute la joie et l’enthousiasme qui nous traversent en l’écoutant. Comme un rappel à la couleur jaune qui ornent l’univers graphique de l’artiste. Symbole de bonheur, de chaleur. Ne serait-ce qu’à l’écoute de L’Eté, ode à l’amour et la sensualité. Les paroles touchent aux sens, on pourrait presque affleurer du bout des doigts « le velours de la djellabah » invoquée. Le morceau prend une forme très intime et confidentielle, comme s’il s’agissait d’une lettre : « Si un jour on t’avais dit qu’un jour tu pleurais, tu l’aurais fait quand même. Dis-moi. » Avec une dose de sincérité, d’authenticité comme d’humour. Sarah Maison menaçant de « gifler » ceux qui s’opposent à cet amour, à grand coup de « wallah » ! Des aspects représentés dans un clip réalisé par Romain Winkler (E.Daho, Odezenne, Baptiste W Hamon). De par la sensualité, les courbes qui ondulent d’un corps masculin, ou encore, l’autodérision par les exagérations de Sarah Maison, la diva d’or.

Des émotions qui scintillent également avec clairvoyance, par le titre A la clarté du jour. Les sonorités pop sautillent, des chabadabada chantonnent, créant tout de suite une atmosphère légère et printanière. Car c’est bien le retour du soleil, la renaissance, qu’évoque la chanteuse. Un amour qui refleurit, deux amants qui se retrouvent, comme pour se réapprivoiser tels deux oiseaux blessés : « A la clarté du jour, je redécouvre mon unique amour » Bien qu’un léger doute semble subsisté, le goût aigre-doux du souvenir : « Dans un halo de lumière où tu apparais sans cesse, devant mes yeux, joie et tristesse se mélange. » Pourtant, avec lucidité, il semble vite effacé : « Mon cœur se fend en milles morceaux quand me domine mes vieux egos. » Amour guidé, par l’âme, amour sincère. Et là, tout s’éclaire dans le regard d’un amant qu’on devine pétillant : « une évidence dans tes yeux, qui me touche, qui rend heureux. »; tout se libère : « Cet esprit là est mon ami, une dernière fois je le salue, je n’en ai plus besoin. »

Illustration: Camille Scali

L’illumination

Il y a quelque chose de presque vibratoire, transcendant, dans la musique de Sarah Maison. Comme s’il s’agissait d’une illumination, que la vérité refaisait peu à peu surface. Par exemple, il y a des morceaux plus lents, laissant à l’auditeur le temps de pénétrer le message caché. On pourrait penser, tout d’abord, à J’avais pas compris. Le rythme retombe, le titre prend la forme du balade avec des cordes autant ondulatoires que tendues renvoyant à un certain Western Arabisant. Avec lenteur, patience, quelque chose d’incompris se révèle et se dénoue. D’une voix légère, portée par la musique comme par le souffle du vent, la chanteuse enlève le voile d’un mystère : « Je n’avais pas compris… » qu’elle garde pour elle tel un secret : « …que c’était toi, qui… »

Par ailleurs, on pense au titre énigmatique et éponyme de l’album, Soleils. Les images y sont pourtant claires. On voit se dessiner sous nos yeux le désert chaud du Sahara, bercé par la caresse du chergui, ou encore, la ville de Chefchaouen comme un camaïeu, un aplat de bleu. Couleur de sagesse, de vérité et protection chez les Egyptiens. Au-delà d’une certaine vérité, c’est quelque chose d’abstrait que décrit Sarah Maison, presque métaphysique. Il est question d’astres, d’étoiles et de planètes, venant former un cercle reliant ce titre au premier. En nous comparant à des « météorites« , elle pourrait laisser supposer que nous ne sommes que de passage, que nous filons tout droit, en se laissant guidé par les planètes et le destin. En d’autres termes, et pour reprendre avec justesse un texte de Feu! Chatterton : en se laissant filer, glisser, ou porter les éléments, que se soit le sable ou le vent. Afin de trouver, enfin, la paix et l’apaisement.

Telle une médium, Sarah Maison parvient à retranscrire le monde sensible au travers de son disque Soleils. Mais peut-être est-ce là le rôle des artistes et poètes, être des voyants ? Permettre de voir, d’entendre, de sentir ou de ressentir les choses imperceptibles, les émotions autant que les signes du hasards, ou plutôt du destin.

Soleil, le dernier EP de Sarah Maison, est sorti le 19 mars grâce à Muzul Productions