Lescop : « C’est un album qui parle d’affranchissement et de liberté »

S’il a mis en silence son projet solo pendant ces huit dernières années, celui que l’on connait sur scène sous le nom de Lescop est loin d’avoir chômé. Entre une relance de la formule groupe avec Serpent et ses premiers pas au cinéma où il s’est glissé dans la peau de François Daniel, un dessinateur de BD pour la comédie de Nine Antico Playlist aux côtés de Sara Forestier, Laetitia Dosch et Pierre Lottin, le garçon fait son grand retour avec Rêve parti, un album très inspiré de ses années 1980 chéries dans lequel il partage le micro avec des figures féminines (Laura Cahen, Izïa Higelin et Halo Maud). Le rendez-vous parisien est prévu le 4 avril à La Cigale, en attendant nous avons convenu d’une rencontre dans les bureaux de Wagram.

© Céline Non

La Face B : On va commencer par une question toute simple : comment ça va ?

Lescop : Ça va bien, un peu crevé, mais… C’est une grosse journée. (NDLR : Quelques jours auparavant, Lescop faisait sa release party, le lendemain de notre rencontre il jouait au Ground Zero)

LFB : Alors, on a compté à peu près, ça fait presque 10 ans que tu étais en silence. Il y a eu Serpent, mais tu avais déjà expérimenté le groupe avec Asyl. Comment t’est revenue l’idée de refaire un groupe, pour après revenir sur un projet en solo ?

Lescop : Ouais, un peu moins quand même. Je suis revenu à ce je savais faire avant, tu vois. J’avais envie aussi de retrouver un peu une énergie, d’écrire ensemble, que la pression soit un peu diluée et ne soit pas entièrement sur moi. Et de faire partie d’une bande, d’un collège, quoi, que ce soit un peu collégial. Et c’était une bonne chose. Lescop était devenu, après mon deuxième album, un projet qui me mettait trop de pression à moi, trop centré sur moi. Et j’avais besoin de diluer la tension.

LFB : Pendant ces huit ans, tu as expérimenté d’autres arts, le cinéma, le théâtre… Est-ce que tu peux me raconter un peu comment tu as vécu ces autres expérimentations artistiques ?

Lescop : Très bien, écoute… C’est le premier métier que j’ai appris, acteur. J’ai fait le conservatoire (NDLR : Conservatoire de Bordeaux). Je m’était destiné plutôt à ça. C’était une bonne chose pour moi de revenir à ça, de revenir aux mots des autres. Tu vois, d’incarner les pensées des autres et la créativité des autres avec ma voix, mon corps. J’en avais besoin. J’avais hyper envie d’être dans un projet, de travailler, d’être à fond dedans, mais sans avoir l’impression d’être moi à l’origine de tout. J’avais besoin de réapprendre à m’approprier un projet. Parce que j’ai l’impression d’avoir perdu un peu, après mon deuxième album, le mode d’emploi par rapport à ça. Et je l’ai retrouvé en m’appropriant les projets des autres. Et j’ai appris comment m’approprier le mien, me réapproprier le mien.

LFB : Sans faire de la numérologie, je me suis amusée à faire un petit calcul… Tu viens d’avoir 45 ans. 4 + 5 = 9. C’est symbolique de la fin de cycle, de la naissance. Tu parles beaucoup de l’idée de renaissance, résurrection dans cet album. C’est une belle coïncidence ou c’était presque travaillé ?

Lescop : Non, ce n’était pas travaillé. Ce n’était pas voulu, mais effectivement, oui. Il y a une part de renaissance, de reconstruction de moi à travers cet album. Et je pense qu’à travers tous les albums, il y a une part de construction. Mais celui-là, particulièrement, en ce qui me concerne. C’est une histoire de réappropriation. La marque, Lescop, je dis marque parce que c’est ce que c’était en train de devenir. C’était devenu assez lourd. Parce que Lescop, c’est moi qui écris des chansons et qui les chante. Oui, c’était devenu un peu une marque parce que mon entourage de l’époque voyait ça comme ça. Et comme quelque chose qui était, qui avait été créé par eux alors que c’était créé par moi parce que je suis, je suis, moi. Et donc, il fallait, voilà, remettre l’église au milieu du village, quoi.

LFB : Tu as appelé cet album Rêve Parti. Avant même de me concentrer sur les morceaux, beaucoup de journalistes ont fait l’allusion à l’idée de rave party, mais j’y ai vu quelque chose de l’ordre du romantisme noir et une sorte de désenchantement. Est-ce que c’est quelque chose qui t’a inspiré un peu aussi de se dire, Rêve Parti, ça évoque quand même une certaine nostalgie et pourtant, c’est pas du tout ce que je veux questionner ?

Lescop : Oui. C’est marqué de ça. Il y a une part de ça. Il y a une part de mélancolie dedans. Mais il y a aussi une part de sortir d’un rêve. Parce que des fois, les rêves, on les subit un petit peu, quoi. C’est comme quand tu te réveilles et que ça te sort d’un rêve qui était pas très agréable, quoi. Et j’aurais pu dire Cauchemar Parti, mais il n’y avait pas le jeu de mots. Mais qu’il soit bon ou mauvais, il y a un moment où un rêve, c’est un rêve. Et il faut en sortir. Il faut se confronter au réel et il faut s’ancrer dans le sol. Il faut s’approprier les choses, être à l’initiative de ses propres gestes, de ses propres mouvements. Et c’est ce que j’ai fait. Et cet album, il raconte ça. Il raconte la réappropriation de moi-même et une reconstruction. C’est un album qui parle d’affranchissement et de liberté aussi. Même s’il parle beaucoup de dépendance et de relations toxiques et de comment se sortir de ça.

LFB : Tu t’es entouré de femmes qu’on qualifie aujourd’hui de fortes, voire féministes. Explique-moi un peu ce choix de t’entourer d’elles (Izïa Higelin, Laura Cahen, Halo Maud, Ovidie). Dans cet album, tu parles à un moment donné de la masculinité toxique, la masculinité au sens large…  Est-ce que c’était le meilleur moyen d’avoir le recul et d’avoir cette vision féminine de la masculinité autour de toi ?

Lescop : Je ne parle pas de masculinité toxique. Tu parles de quoi ? De la chanson Les garçons ? Pour moi, ce n’est pas un morceau qui parle de masculinité toxique. Cette chanson, elle a plus d’empathie que ça. Ce n’est pas une dénonciation.  C’est une manière de dire que derrière la version virile de la masculinité, il y a une fragilité. Et qui ne s’exprime pas. Et que c’est peut-être dommage qu’elle ne s’exprime pas. Mais l’album parle par ailleurs de relations toxiques. Mais ce n’est pas nécessairement avec des hommes.

Parce que je n’ai jamais été fan de l’idée… Je  ne sais pas comment le formuler mais…  Comme on disait autrefois, le sexe faible. Cette idée-là, c’est représentatif d’une époque et d’une façon de voir les choses qu’on a remis en question. Et tant mieux. Souvent, on continue de considérer un peu tout ce qui est féminin comme plus fragile, plus proche de la douceur, de la fragilité. Et les hommes, plus proches de quelque chose de dur, de la force. Alors qu’en fait, c’est beaucoup plus complexe que ça. Les femmes et les filles de mon entourage ont toujours été des femmes… De poigne, quoi. Qui se prennent en main. Ma mère, comme ça. Ma meuf est comme ça. Mes amies sont comme ça. Les filles avec qui j’ai envie de collaborer sont comme ça aussi.

On a tout intérêt à sortir de ce schéma qu’on appelle patriarcat, tu vois. Mais qui est, en fait, pour moi, un enfermement généralisé, de tout le monde. Y compris des hommes.

LFB : Quand tu as écrit ces chansons en duo, tu les pensais déjà avec ces personnalités-là ou c’est venu en cours de route ?

Lescop : Ça dépend. Halo Maud, dès ma démo, je me disais que ça serait bien de le faire avec elle. Et puis, Izïa, Laura (Cahen), ça s’est fait pendant le processus d’enregistrement. Je me suis dit, ça serait bien. Cette chanson La plupart du temps…Au départ, je la chantais tout seul.

J’avais une première version tout seul. Puis je me disais, ça parle de séparation. Et je me disais, tiens, ça serait bien d’entendre l’autre… l’autre versant de la colline, quoi. Que ce soit comme une question-réponse. On fait un couplet chacun.

Et puis, Laura… Ça s’est fait à distance, dans un premier temps. On l’a contactée, on lui a envoyé la chanson, elle nous a envoyé tout de suite un truc. La façon dont elle s’appropriait mes mots, emmenait le texte autre part. Enfin, ça résonnait différemment. Ça s’est fait comme ça. Et puis, c’est chaque chanson a son histoire.

LFB : Je vais revenir sur des personnes qui t’ont beaucoup influencé. Et je pense notamment… Il y a 10 ans, on a perdu Daniel Darc, on a perdu Laurent Sinclair en 2019, est-ce que, dans cet album, qui sonne vraiment années 1980, Taxi Girl, notamment Exotica, est très très influencée. Est-ce qu’il n’y aurait pas un hommage un peu déguisé ?

Lescop : C’est marrant, c’est la deuxième fois qu’on me dit ça aujourd’hui. Non, pas conscient, en tout cas. Mais, de toute façon, Taxi Girl, ça fait partie de mon ADN. Et ça fait partie du type de musique que j’ai toujours défendu. J’ai quelque chose en commun avec cette scène-là. La disparition des deux, là… Mais peut-être que le fait qu’ils ne soient plus là… Ça change mon rapport à eux. Laurent Sinclair, je ne l’ai pas connu. Mais… Daniel, oui.  Je sais pas, j’en sais rien. C’est difficile à dire, mais les hommages… Oui, c’est un hommage, mais c’est pas un hommage conscient. Je n’ai pas cherché à me dire, tiens, je vais faire un hommage à Taxi Girl. Mais, voilà, comme ça fait partie de moi, je pense que, assez naturellement, dans la façon d’écrire les morceaux, il y a quelque chose qui ressemble à ça, parce que je ressemble à ça.

LFB : Je vais revenir sur ce que je disais sur les sonorités 80 en te demandant, tu peux te dire que je suis jeune et que ce n’est pas de ma génération, mais je me rends compte qu’il y a une sorte de retour dans les années 1980. Est-ce que ce n’est pas un genre, et là, plus toi, comme tu l’identifies aujourd’hui, qui est intemporel, finalement, et que tu participes, avec ta musique à toi, à cette intemporalité-là ?

Lescop : Oui, moi, je pense que c’est un genre qu’on appelle New Wave, mais bon, je ne sais pas, c’est faute de mieux, parce qu’il n’est plus très new, ce genre. Mais en tout cas, oui, il y a une façon de faire les chansons. Pour moi, c’est quelque chose qui continue. Ce n’est même pas un hommage. Des fois, on me demande ça. Est-ce que, oui, vous faites un hommage, une référence aux années 1980 ? Oui, ça a commencé dans ces années-là, mais c’est comme aujourd’hui, on peut chanter du rock’n’roll sans se dire qu’on fait un hommage aux années 1950. Et c’est juste que tu continues de jouer une musique qui est née à ce moment-là. Et moi, je la fais, cette musique, avec les outils d’aujourd’hui. Et je pense, ma part de modernité.

LFB : Avec l’IA aussi ? (sourire)

Lescop : Non, non, non, c’est moi. Ça aussi, ça fait deux fois aujourd’hui qu’on parle d’IA. Non, pour moi, l’IA, ce n’est pas un outil pertinent pour écrire une chanson. Je ne vois pas bien l’intérêt. Enfin, je veux dire, qui a besoin de l’intelligence, qu’elle soit artificielle ou pas, ce n’est pas avec de l’intelligence que tu écris un morceau. Oui, tu écris avec le cœur. Et ça, un robot ne pourra jamais en avoir.

Donc, pour moi, ce n’est pas un outil pertinent ni intéressant, en tout cas, en ce qui me concerne. En ce qui concerne mon métier à moi. Je ne vois pas trop… Le problème, c’est que je pense qu’aujourd’hui, on croit qu’on peut tout résoudre avec des chiffres, avec des raisonnements et des algorithmes. Et ça ne marche pas comme ça. Enfin, tout ne marche pas comme ça.

© Céline Non

LFB :  Il y a dix ans, tu faisais La Cigale. Tu reviens à La Cigale. Ça te fait quoi d’y revenir ?

Lescop : Eh bien, je suis super content. Justement, c’est un geste aussi de reprendre la même salle, un peu pour reprendre cette place. C’est une salle avec laquelle j’ai un affect particulier. Parce que c’est la première grande salle que j’ai faite à Paris. Et oui, c’était un geste aussi de dire, je vais recommencer. Parmi les premières dates de ma tournée, ce sera là. Et je vais replanter le drapeau Lescop.

LFB :  On va revenir sur une chanson qui t’a propulsé ; La Forêt. Elle est évoquée à deux reprises dans Radio et de manière avec dérision dans le clip d’Exotica, où tu fais chanter Félix Moati et qui la massacre complètement. Est-ce que tu penses qu’elle aurait eu le même écho aujourd’hui si tu l’avais sortie maintenant ?

Lescop : Je ne sais pas. Je ne peux pas savoir. Déjà, on ne l’aurait peut-être pas faite pareille aujourd’hui. Mais je pense que c’est une bonne chanson. De toute façon, on en aurait fait quelque chose.

Mais après, tu sais, les tubes, c’est des alignements de planètes. C’est des alignements de conjonctures qui font qu’à un moment, tu as la bonne chanson au bon moment par le bon chanteur. Et voilà. Je ne peux pas répondre à cette question.

Je n’en sais rien du tout. Et en plus, pour moi, elle n’a pas lieu d’être parce que, de toute façon, La Forêt est sortie au moment où elle est sortie. Et elle est aussi représentative d’une époque et de ce que j’avais dans la tête à ce moment-là…

LFB : Est-ce que tu as des découvertes à nous faire partager que tu aurais eues en 2023, que ce soit dans le cinéma, la littérature, le théâtre… ?

Lescop : Allez, je vais essayer de faire un de chaque.

Un des coups de cœur récents en littérature de 2023, c’est Constance Debré. J’ai lu tous ses bouquins. Je les trouvais vraiment super. Et je trouve qu’il y a vraiment une urgence… Tu sais, Céline disait, quand tu écris il faut mettre sa peau sur la table. Je trouve qu’elle… On ne peut pas lui enlever ça. Elle a mis sa peau sur la table. En musique, il y a plein de trucs. Non, mais je crois que, vraiment, un album qui m’a accompagné et qui date un petit peu, mais après, enfin un artiste, en fait, qui m’a accompagné vraiment pendant tout la gestation de cet album, c’est Alex Cameron. Tous les albums mais le premier parce que c’est le premier il est plus minimal, c’est plus dépouillé et on s’en est beaucoup inspiré : Jumping the shark.

Après le cinéma, il y a un film qu’on a vu avec ma meuf et on s’est dits « waouh » : Chien de la casse !

J’ai vachement aimé Babylon qui m’a bien fait marrer, c’était très audacieux comme film. D’oser le mauvais goût, c’est un mélange de sophistication et de mauvais goût et de grossièreté, tant d’orfèvrerie dans la grossièreté… Il y a des scènes quand même qui sont incroyables ; la scène où elle dégueule partout, elle est ouf cette scène ! Je trouve ça hallucinant et en même temps il y a des scènes qui sont sublimes la scène du début ; incroyable ! Et en même temps, d’oser cette espèce de fantasmagorie, de côté grand spectacle, ça m’a vraiment plu.

Au théâtre, Frères et Sœurs de Minyana mis en scène par Laurent Charpentier. J’aime beaucoup Minyana, j’avais bossé avec lui quand j’étais au conservatoire et j’avais une amie (Pauline Lorillard) qui jouait dans la pièce et je trouvais vraiment super.

LFB : Bon, on est en février et le temps que ça sorte ça sera toujours à l’ordre du jour, qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour 2024 ?

Lescop : Une longue tournée, pleine de vie, de vivre pleinement ces retrouvailles avec le public, avec les gens, avec les concerts, tout ça et que l’album puisse vivre le plus longtemps et le mieux possible. Et puis voilà santé, bonheur, subventions tout quoi !

Crédits photos : Céline Non