L’Impératrice : “On avait besoin de retrouver ce côté festif, coloré et lumineux que l’on avait avant Matahari”

Il y a peu, sa majesté L’Impératrice dévoilait son second album remède aux cœurs brisés : Tako Tsubo. Un album à l’éclectisme musical assumé, fait de nuances de bleu, d’émotions sincères et de lumière. Et c’est d’ailleurs à l’occasion de cette sortie que nous sommes allés à la rencontre de notre sextet parisien adoré pour parler couleur du spleen, de ces choses qu’on nous impose et de la nécessité de se montrer impudent face aux tracas du quotidien. Retour sur cet échange.

La Face B : La sortie de votre second album est presque imminente (interview réalisée le 4 mars, ndlr). C’est toujours une étape fatidique pour les artistes, davantage quand le premier a connu un certain succès. Appréhendez-vous l’accueil et les retours qui seront faits de ce disque ?

Charles : Non, on n’a pas la même pression que pour le premier album. On s’est fait kiffer sur ce disque, ce n’est pas effrayant.

David : On a plutôt hâte même !

Charles : Oui, on a vraiment hâte. Ça fait longtemps qu’il est prêt, je pense qu’on a besoin de le sortir pour passer à autre chose.

Flore : La peur était plutôt avant car il y ce step du deuxième album où il faut que tu restes un peu dans la même veine que ce que tu as fait avant.

David : Il y a ce truc d’identité un peu

Flore : Voilà, il faut garder ton identité tout en proposant quelque chose de nouveau, aller plus loin que le premier album. Le stress était donc avant, lorsque l’on était en période de composition. On est contents de ce que l’on a fait et on veut le défendre cet album.

LFB : En avril dernier, vous sortiez Fou, premier single de Tako Tsubo. Un morceau qui se présentait comme solaire et léger, tout le contraire du contenu de Matahari qui est un album de la nuit et solitaire. L’idée était-elle de créer une forme de rupture avec ce que vous aviez fait avant ?

Charles : Globalement, l’idée était en effet d’annoncer une rupture et de faire un truc beaucoup plus diurne que nocturne. On avait besoin de retrouver ce côté festif, coloré et lumineux que l’on avait avant Matahari. Fou était un bon morceau pour annoncer ça, autant dans l’instrumentale que les paroles.

Flore : Et il y a cette volonté pour Tako Tsubo d’être en général plus léger, plus solaire, plus décomplexé mais on ne voulait pas faire ça au détriment d’une superficialité, d’une naïveté. L’idée c’est que ce soit des morceaux plus festifs mais qu’il y ait quand même une profondeur supplémentaire par rapport à Matahari, que ce soit au niveau du texte mais aussi au niveau instrumental. C’est un album sur lequel on s’est permis beaucoup plus de ruptures dans les morceaux, on n’a pas fait de compromis et on s’est autorisés des choses qu’on ne se serait pas autorisés sur Matahari musicalement.

LFB : La pochette de votre album, illustrée par Ugo Bienvenu, met en avant trois mystérieux personnages avec ce visage toujours partiellement découvert. Que représente-t-elle concrètement ?

Charles : Elle illustre les trois Moires, le mythe de ces trois divinités qui décident du destin, des hommes et des dieux. Je ne me rappelle plus de leur noms mais voilà ce que ça représente. C’est une idée d’Ugo qui a voulu illustrer ça et c’est supposé symboliser un peu ce dont on parle dans l’album, avec cette rupture dans la continuité, cette paire de ciseaux et ce fil coupé. C’est tout un ensemble de symboles capillotractés.

Flore : L’idée était de donner un visage un peu humain, même si les Moires ne sont pas vraiment des humains, à cette idée de rupture brutale, à ce syndrome du cœur brisé, cet espèce d’arrêt cardiaque lié à une émotion. Et ça c’est quelque chose qui est difficile à représenter car tu ne vas pas faire un piège à poulpes sur une pochette d’album. L’idée d’Ugo était vraiment bien car ça a permis une relecture plus humaine et très pop de ce concept.

LFB : Lors de notre dernière interview, vous aviez dit que la création de cet album avait été grandement influencée par votre tournée outre-Atlantique. C’est nécessaire pour vous de vous imprégner de tout ça ? De ces voyages, de l’énergie de votre public, de ces rencontres etc ?

Charles : Bien sûr, c’est vital même. On a réalisé à quel point notre musique pouvait voyager avec nous, parler à d’autres et je crois que ça a été déterminant dans notre façon d’envisager cet album. Dans le fait qu’il y ait plus de morceaux en anglais, des sonorités moins franco-françaises dans l’harmonie, les arrangements, la façon dont on mélange les genres car il y a beaucoup plus de soul et de hip-hop dans ce disque. Et tout ça est lié à nos premiers amours mais aussi a fait d’avoir découvert ce public outre-Atlantique

LFB : La période actuelle va-t-elle alors beaucoup influer sur la suite ?

Charles : Nécessairement, parce qu’on sort un album sans pouvoir le défendre en tournée donc ça va être plus difficile, il va falloir faire plus d’efforts, se battre un peu plus. Il y a des albums qui sortent tous les jours et on n’est pas le groupe le plus connu de la Terre non plus donc si on veut que cette musique existe et dure un peu, il va falloir montrer qu’on est là. Et sachant que le live est notre première arme, il va falloir faire sans donc je ne sais pas si ça va être déterminant pour la suite mais ça va jouer.

LFB : Tako Tsubo gravite autour du bleu et ses nuances. Une couleur qui est rappelée sur la pochette et dans vos morceaux (Hématome, Anomalie Bleue, Submarine). Le bleu est-elle la couleur que vous associez d’emblée à ce syndrome du cœur brisé ?

Flore : C’est une bonne question. C’est vrai que c’était aussi la couleur de Matahari mais peut-être qu’on a alors juste changé la nuance en passant du bleu foncé, bleu nuit pour Matahari à ce bleu ciel, un peu brilliant pour Tako Tsubo.

Hagni : Je crois qu’on est très bleu en général.

Charles : C’est la couleur de la musique puis on communique souvent en couleurs entre nous. Le bleu est un dénominateur commun dans les émotions qu’on veut transmettre dans les musiques.

Flore : C’est peut-être un peu exagéré ce que je dis mais en anglais c’est aussi une émotion, quand on dit I’m blue ça veut dire que l’on est un peu mélancolique et c’est un sentiment qu’on aime bien nous aussi. C’est à la fois une couleur qui évoque des choses joyeuses et puis ça peut être cette couleur de la mélancolie et du spleen. C’est une couleur qui colle bien à l’album et je ne sais pas si on arrivera à se dégager de cette couleur un jour car elle nous colle un peu à la peau, et aux cheveux. (rires)

LFB : Au-delà de l’éclectisme musical assumé de ce disque, il y a également une multitude de couleurs et d’émotions qui le traverse. L’écriture des textes de cet album a-t-elle été complexe ?

Flore : Oui, ça a été assez difficile de se relancer car je n’avais pas envie de réécrire les textes comme le premier album où il y a des textes dont je ne suis pas très contente aujourd’hui. J’avais écrit en faisant beaucoup plus attention aux sons qu’au sens et c’est vrai que là je ne voulais pas faire la même erreur ou du moins ne pas utiliser le même processus donc du coup, j’ai eu beaucoup de mal à me lancer dans les textes. Et finalement, j’ai travaillé avec Fils Cara qui m’a beaucoup aidé sur deux morceaux de l’album que sont Fou et Hématome. Finalement, le fait de travailler avec lui et de voir son processus d’écriture très différent du mien, instinctif où il arrive vraiment à associer le sens et le son, chose que je pensais carrément dissociées avant, ça m’a énormément aidé sur tous les autres morceaux de l’album. Le processus a été assez long et difficile mais je suis plus contente de ce que j’ai pu faire sur cet album, les morceaux ont un vrai sens, une vraie profondeur, les textes sont plus intimes car je parle de choses personnelles, il y a plus d ‘émotions et je crois que ça se ressent dans le chant.

LFB : C’était important pour vous d’apporter cette plume externe au projet ?

Flore : C’est quelque chose que l’on avait essayé de faire sur Matahari, on avait écrits les textes ensembles avec Charles et essayé de travailler avec d’autres gens, on avait vraiment lancé pas mal de pistes, il y a des gens qui avaient essayé d’écrire avec nous mais on n’a jamais réussi à trouver de binôme qui fonctionnait. C’est quelque chose que je ne pensais pas pouvoir faire, j’ai essayé avec Marc (Fils Cara) car j’aimais bien sa façon d’écrire et puis parce que même humainement c’est une personne dont je me sens assez proche.

LFB : Vous dites utiliser la voix comme instrument mais pourtant, la voix de Flore semble ici davantage mise en lumière, moins en retrait qu’auparavant. Quelle est la raison de ce changement ?

Hagni : Je crois que ça dépend vraiment des auditeurs car ce qui est assez intéressant c’est que des retours qu’on a eu de l’album, c’est un peu moitié moitié. Il y a des gens qui justement nous disent qu’il y a plus de place pour la voix, qu’on l’entend plus et d’autres qui trouvent que l’instrumentation est plus mise en avant et que l’équilibre se fait bien. J’ai l’impression que ça dépend de l’approche qu’on en a.

Charles : Moi je pense que ça dépend de l’arrangement. On a appris à laisser de la place à la voix et à composer avec aussi. Dans notre façon de fonctionner en général, c’est toujours l’instru qui arrive d’abord et les mélodies ensuite et là on a pris ça en compte, on a vraiment essayé de faire en sorte qu’il y ait toute la place possible. Parfois on a même modifié des parties pour que la voix respire mieux, pour que ce soit plus cohérent. Ça c’est une première chose et la deuxième je pense que c’est aussi une question plus technique de mix où la voix ressort avec un vrai traitement, où il y a plus d’affect. Sur le premier album c’était très dissocié alors que là il y a vraiment un tout, ça a été le gros du mix de ce disque, d’inclure la voix et la faire résonner avec tout ce qui se passe autour, de créer une fusion.

LFB : Au contraire de Matahari qui était plus lunaire, Tako Tsubo se présente comme un album ancré dans la réalité, dans l’époque actuelle et ses défauts. Dans l’ensemble, est-ce qu’il manifeste un ras-le-bol général ? Un ras-le-bol de cette quête perpétuelle de la perfection, du bonheur et de la réussite ?

Charles : Il y a de ça bien sûr, il y a un peu de cynisme, des constats, de l’observation. C’est mon ressenti sur ce disque. Je ne dirais peut-être pas un ras-le-bol mais une observation cynique de choses qui nous entourent, qui sont là au quotidien, qu’on nous impose un peu et que plus personne ne voit.

Flore : Je ne sais pas si peut parler d’un ras-le-bol effectivement. Il y a de ça dans certains morceaux mais le truc important dans Tako Tsubo c’est aussi de se dire qu’on fait partie de ça, que c’est quelque chose qu’on assume aussi. Un morceau comme Hématome qui parle de ce rapport avec les réseaux sociaux et comment ça peut transformer et empirer pas mal de situations comme une rupture amoureuse par exemple, montre qu’on est victimes de ça aussi, on ne s’en cache pas car l’idée n’est pas de dire qu’on est au dessus de tout à montrer les défauts des gens du doigt. On s’inclue là-dedans, on veut donner de la poésie à tout ça, en faire des chansons. Même Peur des filles qui est le morceau le plus politique de l’album est très cynique et ironique.

Charles : Ça rappelle surtout des grandes fragilités, d’où le titre Tako Tsubo. Tous les morceaux mentionnent ça.

LFB : Pour parler un peu de vos clips, celui de Fou est le premier de l’Impératrice dans lequel on vous voit tous à l’écran. Est-ce synonyme d’une évolution dans votre rapport à l’image ?

Charles : Je crois que c’est avant tout une stratégie marketing dans laquelle on nous a happé sans qu’on s’en rende compte. Car se mettre en avant, ce n’est pas un truc que j’aime faire personnellement.

David : Pas au premier degré en tout cas.

Charles : Oui, voilà et là il y a du second degré ici donc pourquoi pas, tant qu’on s’amuse.

Flore : C’était plus un concours de circonstances, car en l’occurrence dans Fou on trouvait ça drôle de faire le backing band du défilé de miss car c’était décalé, notamment avec ces instruments qui n’avaient rien à voir avec ce qu’on fait, on se foutait un peu de notre gueule à vrai dire. Et pour Peur des filles, ça aurait été un peu bizarre que ce soit d’autres gens que nous.

Hagni : Je pense aussi qu’on l’a plus facilement accepté avec tout le chemin qu’on a parcouru. Et même si ce n’est pas notre kif de se mettre en avant, il y a un truc qu’on prend, qu’on doit assumer et quand c’est dans un délire particulier on se dit pourquoi pas.

David : Quand il y a une pointe d’humour, j’aime bien.

Charles : Le fait qu’on soit dedans reste du premier degré, les gens nous ont identifiés donc c’est c’est important de laisser ces marqueurs, ces repères.

LFB : Vous avez toujours défendu être un groupe de live. Est-ce quelque chose que vous avez voulu accentuer avec cet album qui semble bien plus adapté à ce format que son prédécesseur ?

Charles : On ne s’en rend jamais trop compte avant qu’on joue les morceaux et surtout, ce qui est important, c’est de tester le public, de voir comment il réagit. Car en général on joue les morceaux tels quels sauf si spontanément on a une idée d’arrangement différente. Et en fonction de la réaction du public, on retravaille le truc. Ça n’a pas été trop réfléchi, d’autant plus qu’il n’a pas été produit de façon live contrairement à Matahari car parfois tu as deux basses qui jouent ensembles, des trucs impossibles à reproduire ou alors il faudrait être douze sur scène. Mais en tout cas, dans l’écriture, dans l’arrangement, on s’est rendu compte que c’était beaucoup plus facile à jouer et à défendre parce qu’il peut-être mieux fait, plus cohérent et mûr.

David : Parfois on pouvait commencer à répéter des anciens morceaux en live et se rendre compte que la version avec tel tempo, tel instruments, ne rendait pas du tout comme on voulait, pas avec la même puissance donc on essayait un peu de changer l’arrangement sur le coup. J’imagine que pour ces morceaux du deuxième album vont sonner un peu plus facilement grâce à l’écrémage des arrangements.

LFB : La tracklist de l’album se termine avec cette reprise poignante de Michel Berger. Pourquoi avoir choisi ce morceau ?

Charles : C’est vraiment un morceau méconnu de Michel Berger. À la base, on l’avait repris pour un hommage qu’on lui a rendu à l’EMB Sannois, une SMAC qui a accueilli énormément d’artistes et qui nous avait demandé pour leurs dix ans de faire un hommage à Michel Berger, où on réinterprétait et réarrangerait des morceaux avec pleins d’artistes. Il y avait Eddy de Pretto, Juliette Armanet, Clara Luciani, Tim Dup etc. Et Flore a alors chanté Tant d’amour perdu qui est un morceau que j’affectionne particulièrement dans sa discographie parce qu’il est moins connu, il a quelque chose moins mainstream que ce que l’on peut entendre chez lui. C’était amusant de le reprendre en version hip hop tout en sachant l’amour inconditionnel qu’il avait pour la musique américaine. Il s’avère que le thème et le titre marchent très bien dans le propos de l’album. Et pour l’anecdote, c’était vraiment un des derniers morceaux où il y avait ce dialogue caché avec Véronique Sanson quand ils s’écrivaient par morceaux interposés.

Flore : Et étonnamment, on nous l’a dit hier, ce morceau résonne plutôt assez avec 2020 et c’est fou. Un an de confinement, tant de moments disparus dans le temps qui passe, c’était assez cohérent au final.

LFB : Enfin, avez-vous des coups de cœur à partager avec nous ?

Achille : Il y a un morceau qu’on a beaucoup écouté qui s’appelle The Shade of the Mango Tree de Luiz Bonfa, un très beau titre.

Flore : J’ai adoré I May Destroy You de Michaela Coel, un de mes plus gros chocs récemment. C’est une mini-série très très forte, dure mais essentielle.

Achille : On attend le single d’Anderson .Paak et Bruno Mars qui sort bientôt.

Flore : David Numwami aussi, fan ultime. Et en bouquins, il y a un essai que j’ai lu il y a pas longtemps qui s’appelle Maquillée de Daphne B., une québécoise. C’est hyper intéressant et assez poétique sur notre rapport au corps et aux artifices.

Hagni : J’ai adoré le jeu vidéo The Last of Us 2 qui est sorti l’année dernière, très proche du cinéma, très bien conçu.

© Crédit photos : Théo Gosselin & Inès Ziouane.