C’est sous un vent glacial, encore empreint des flocons des heures passées que nous débarquons au Trabendo. Nous sommes le 1er avril et c’est le printemps. C’est le moment de retrouver l’une de nos salles favorites, croiser les têtes habituelles et échanger sur le concert à venir, A Place To Bury Strangers.
Première partie: Lunacy
Bien que la salle ne contienne que quelques âmes esseulées, la première partie débute. Il est 19h45. Entre lo-fi et minimal synth, Lunacy, silhouette encagoulée un brin effrayante se présente à nous, seule sur scène avec ses machines, tout de noir vêtue. Ainsi, l’ambiance est posée. Son deuxième album, Echo In The Memory, est sorti le jour même, sous le nouveau label d’Olivier Ackermann, Dedstrange. Et la veille on pouvait entendre en single son remix de My Heart Is Bleeding, du groupe tant attendu ce soir-là.
Entre les lumières rasantes et éblouissantes, l’homme nous emporte dans son univers, sombre et festif, un avant-goût d’A Place To Bury Strangers. La salle se remplit doucement. A notre droite, dans la fosse, nous pouvons apercevoir les trois membres, un sourire jusqu’aux oreilles, qui le bombardent de photos. Il est sans doute trop tôt pour que nous profitions pleinement du set, qui reste néanmoins parfaitement exécuté.
A Place To Bury Strangers
Crédit photos: Céline Non
Enfin, lorsque le trio américain d’A Place To Bury Strangers déboule sur scène, la salle est bondée. Il règne dans l’air une étrange atmosphère, une sorte d’impatience à peine maîtrisée, palpable et électrique. La foule est impatiente, ça se sent, ça se voit. Ils sont venus nous présenter leur sixième album See Through You, sorti le 4 février dernier.
Mais pour celles et ceux qui ne les ont jamais vu en concert, le choc est immense. Même quand on ne s’attend à rien. En effet, c’est impossible d’être prêt face à cette bourrasque de folie qui nous soulève et nous emporte, nous faisant dévier de notre chemin, de nos pensées et de nos corps. C’est le déluge, et il n’y a qu’à voir le sol de la salle une fois le concert terminé pour s’en rendre compte. Des verres amoncelés et cassés, des restes d’effets personnels. Autoproclamé groupe le plus bruyant de New York, il porte par conséquent bien son nom.
Combien de temps dure le set ? Qu’ont-ils joué ? Aucune idée. Happés par l’ambiance et la musique, nous perdons toute notion de temps et de réalité. Ce qu’il faut en revanche noter et préciser c’est qu’A Place To Bury Strangers, n’est pas adapté à un public qui serait asthmatique ou bien épileptique. Le Trabendo n’est qu’un immense écrin de fumée, une machine diabolique qui déverse des slaves de vapeur à mesure régulière. Les lumières sont elles, stroboscopiques. Des flashs parsèment les musiciens et il est bien difficile pour les photographes d’exécuter à bien leur travail. Impossible donc de distinguer la scène, son voisin, ses mains. Tandis que Let’s See Each Other retentit, nous pensons à ce dispositif. A ce brouillard inquiétant et compact. Se concentrer sur la musique. Uniquement sur la musique. Voilà le but de ce concert, de ce show. Vivre l’expérience à fond.
Crédits photos: Eva Duc et Céline Non.
Dès le début, nous voilà submergés. En ouverture, Hold on Tight et déjà un public déchaîné, qui pogote et prend ainsi possession de l’entièreté de la fosse (à regretter que cela soit fait sans aucun respect des personnes autour).
Ils enchaînent les morceaux, sans parler. C’est parfait, nous n’en avons pas besoin. Très rapidement, ils s’échappent discrètement pour venir près de nous et jouer dans un coin sombre de la salle. Le public tourne le dos à la scène et fait face au son, sans savoir vraiment d’où celui-ci provient. C’est une sensation connue, celle des free party dans les vieux hangars désaffectés, en plein hiver, avec le froid qui mord la peau et fait claquer les dents. C’est cette sensation-là qui prédomine, quand la batterie de Sandra Fedowitz devient caisse de résonance, amplifiant tous les sons, tandis que la basse de son époux John ne cesse de nous hanter.
Il paraît qu’Olivier Ackermann casse sa guitare dès le début; on ne sait pas car on n’y voit rien. Par moment, on l’aperçoit néanmoins saisir des lampes et les faire tournoyer au-dessus de sa tête, dans une sorte de transe dont il ne se défera jamais vraiment.
Crédit photos: Eva Duc
Finalement, l’expression « mur de son » n’a jamais aussi bien portée son nom. C’est en effet une déflagration, une percée des tympans, de l’air vicié. Tandis que la boule à facettes scintille et nous propulse dans un autre imaginaire, la scène n’est que distorsion, les morceaux s’étirent et dilatent le temps, pour un effet fuzz infini. Puis, Lunacy monte sur scène pour un ultime rappel avec eux. Nous découvrons enfin son visage et ses cheveux blonds vénitiens.
En définitive, un concert qui restera gravé dans nos têtes. A vivre de toute urgence donc.
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Pour lire notre chronique de See Through You, c’est ici.
Crédits photos: Eva Duc et Céline Non.