Ce 21 juillet 2022, La Maroquinerie était composée à 50% de sueur et 50% de bonheur. La salle mythique parisienne accueillait le duo anglais Blood Red Shoes, pour un concert maintes fois reporté en raison de la crise sanitaire. Pas d’inquiétude, le public était bel et bien au rendez-vous pour cette soirée qui s’annonçait sold out. Effusion de corps et d’émotions pour un live éclatant et captivant, où guitare et batterie ont résonné plus fort que jamais.
En préambule de ce report, je crois qu’il faut parler de ce qui se trame dans nos vies. Je crois qu’il faut dire je. Partir de soi pour que ça vous parle, à vous.
Je suis sortie de ce concert en colère, avec cette rage poisseuse dont je n’arrive plus à me défaire. Parce qu’au nom du rock énervé et bruyant, je me fais écraser. Parce qu’au nom de cette folie bienheureuse consistant à récupérer les baguettes de Steven, je me fais piétiner. Je n’existe plus. Je ne suis plus qu’une tâche sur leur chemin. Une simple femme, après tout. Je suis habituée à me faire toute petite, à rentrer dans les coins et recoins, à ne pas parler trop fort ni trop longtemps.
Alors, tandis que la salle avoisine les 40 degrés, je me retrouve agglutinée contre des corps moites et fermes. Et quand je suis propulsée violemment contre le dos de la personne devant moi, une femme m’invite à monter avec elle sur la marche pour m’extraire de cette masse menaçante. Parce qu’encore une fois, c’est à moi de fuir. C’est à moi de faire un pas de côté.
Tandis que les rues ne m’appartiennent pas, que mon corps est sans cesse scruté, que ma parole est coupée et que mes sentiments sont minimisés, le live est mon repère. La salle de concert, mon refuge. Jusqu’à maintenant, je crois que je faisais fi de tous ces comportements, je fermais les yeux, pour me concentrer sur la musique et les émotions qu’elle me procure.
Aujourd’hui, je n’ai plus envie de me taire. Et ça tombe bien, parce que je ne suis pas la seule.
Avec moi, il y avait ma collègue photographe, Céline. Qu’on a bousculée, qu’on a refusé de laisser passer alors qu’elle avait son pass photo. Est-ce que ces hommes ont agi de la même manière avec ses homologues masculins ? Je ne crois pas. Alors qu’elle est là pour travailler, dans une légitimité sans faille, Céline est sortie, elle aussi, de ce concert énervée. Sauf qu’elle souhaite faire une pause, parce qu’elle est usée. À cause de toutes ces micro-agressions que l’on subit, quotidiennement.
Si Céline est fatiguée et que je le suis aussi, je ne plierai pas. Je refuse de sacrifier mon bonheur et mon insouciance sur l’autel de la connerie masculine.
Alors tant pis si j’y laisse des cheveux, des marques sur le corps, de la colère déposée le soir sur un message vocal WhatsApp. Tant pis si je suis obligée de commencer un report de concert par une mise au point sur ce que nous subissons chaque jour.
Ce jeudi soir donc, je me dirige avec une vive impatience vers La Maroquinerie, pour enfin entendre en live Blood Red Shoes. Groupe que j’avais découvert pendant mes études de cinéma à Montpellier (ça date.). Je les avais perdus de vue depuis leur dernier album, GHOSTS ON TAPE. Album qui reste dans mon top 5 de l’année 2022, tellement je l’aime. J’ai d’ailleurs écrit une lettre à Laura-Mary et Steven, pour leur dire tout le bien que je pensais d’eux et de ce bijou. (lire ici)
Tandis que la salle se remplit rapidement, je tourne la tête et vois des connaissances, repère des visages familiers. Des trentenaires impatients, des cheveux gris. Blood Red Shoes attire une foule hétéroclite, des fans de la première heure aux nouveaux passionnés. La salle affiche complet ce soir-là, pour le duo venu tout droit de Brighton.
Première partie : GLU
Nous découvrons ici le projet solo de Michael Schuman, bassiste de Queen of The Stone Age et leader de Mini Mansions, groupe psychédélique pop. Projet révélé début avril sur les réseaux sociaux et avec uniquement deux titres en écoute, nous attendions le musicien avec une vive curiosité. Il a produit et joué chaque instrument que l’on entend.
Pendant trente minutes, il dévoile face à nous un répertoire naviguant entre la pop et le hip-hop, où des chœurs féminins prennent place et se mêlent merveilleusement à des solos de guitare particulièrement beaux. Sa voix de velours nous charme, sans pour autant laisser une trace indélébile. On saluera toutefois la prise de risque, celle de passer juste avant Blood Red Shoes, et seul, de surcroît.
Blood Red Shoes
Crédits photos : Céline Non
Lorsque Blood Red Shoes fait son entrée, il est 21 h pile et l’ambiance est déjà électrique. Tout de suite l’urgence, tout de suite, la frappe. Le set s’ouvre avec Elijah extrait de l’album Get Tragic (2019), un titre planant et entêtant. Ils poursuivent avec deux autres morceaux issus de cet opus, Bangsar et Howl. À cet instant, je repense à leur annonce sur les réseaux sociaux, à leur souhait de refaire des vieilles chansons et je me dis : « oups, je ne vais pas beaucoup entendre GHOSTS ON TAPE ce soir ». Eux, c’est ma première fois et je sens que je vais être décontenancée, vite.
Pour ce début de concert, deux musiciens les accompagnent, James aka Button Mash et Dan aka The Mothership. S’ils rajoutent un brin de profondeur et de nappes de synthés aux compositions, la salle entière semble quand même se demander pourquoi ils sont là. Et ça tombe bien, puisqu’ils disparaissent rapidement pour nous laisser (enfin) seuls avec notre duo préféré.
Laura-Mary Carter et Steven Ansell entonnent maintenant des morceaux des premiers albums, tels que It’s Getting Boring By The Sea, Don’t Ask ou encore Light It Up, que j’attendais avec une vive impatience. Et je n’ai pas été déçue. Le public est là, plus énervé et défoulé que jamais. Les slams s’enchaînent et la fosse se transforme en pogo géant. Si la guitariste se fait discrète, Steven n’aura de cesse de nous apostropher, nous gratifiant régulièrement de » it’s fucking awesome « . Face à lui, à quelques centimètres à peine, je peux voir son sourire radieux et son énergie décuplée. Je ne regrette pas un seul instant de m’être positionnée de ce côté-là de la scène.
Crédits photos : Céline Non
Le set se poursuit avec An Animal et Black Distractions avant que les deux musiciens additionnels, James et Dan reviennent pour MURDER ME et SUCKER de GHOSTS ON TAPE, que j’adore mais qui s’avèrent moins forts que les autres morceaux. En revanche, lorsque God Complex surgit, mes sens sont en émois. La voix de Laura-Mary, les accords et la mélodie si mélancolique me transportent. Instant de grâce.
Le concert touche à la fin, on le sait, on le sent. Steven parle en français, tout le temps, et nous rappelle combien à Paris, nous sommes trop cools. Nous transpirons allègrement, portés par cette ambiance enflammée. I AM NOT YOU retentit, pour mon plus grand bonheur. Un titre révolté, pour les paumés et les inadaptés, porté par la rage de vivre de ce batteur hors de contrôle. Blood Red Shoes nous salue avant de quitter la scène, pour ce qui me semble être une éternité, sous les applaudissements nourris et constants de la foule.
Crédits photos : Céline Non
Lorsqu’ils reviennent, à deux, c’est pour nous offrir I Wish I Was Someone Better, morceau emblématique extrait de Box of Secrets (2008). Pouvait-on rêver mieux ? Non. Steven martèle ses futs tandis que Laura-Mary remplit l’espace de guitare saturée. Steven chante, s’époumone, face à un public en délire. Nous voilà, là, à crier aussi fort que lui « I wish I was someone better ». Et pour la seconde fois de la soirée, il se met debout sur sa batterie et fait monter la température de la salle d’environ 1000 degrés.
Finalement, ils concluent avec Colours Fade, une longue plage obsédante, de l’album Fire Like This, enregistré en 2010. Steven chante « colours all fade to grey » tandis que Laura-Mary, en chœurs, nous rassure et nous enveloppe. « Falling through ». Baisser la garde et plonger à travers ce concert. Glisser tête la première au sein de ces nappes éthérées, de ces mots torturés et libérés. Se laisser happer par cette frappe dantesque et ces accords ingénieux et incisifs. Oublier le temps d’un instant le quotidien acéré pour se concentrer sur cet instant partagé.
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Crédits photos : Céline Non