L’artiste ruthénois a tracé sa route, loin du pays de Soulages. À l’occasion de la parution de son audacieux premier album, « Ailleurs », mûri trois ans durant, nous avons croisé Lombre, le temps d’un échange intense sur son rapport à l’art, la création et une masculinité à fleur de peau. Rencontre.
La Face B : Voilà 6 ans déjà que tu as livré ton premier EP au public. Un 2e EP plus tard, tu reviens avec un album. Qu’est-ce qui a changé en 6 ans dans ton rapport à l’écriture, à toi et à ton public ?
Lombre : Beaucoup de choses ont changé, mais je ne sais pas si ce terme est le mieux choisi, je parlerais plutôt d’évolution. En tous cas, c’est vrai que depuis le début du projet, j’ai eu à cœur de comprendre cette nécessité d’écrire, qui est une éternelle quête… Je pense que sur l’album, il y a un côté plus universel, car mon écriture, à la base, était très introspective.
La Face B : C’est un décentrement, du coup, lié à l’envie d’aller vers quelque chose de plus vaste ? Dans tes chansons, tu parles d’amour, de rupture, d’évolution personnelle, mais aussi de sujets plus politiques… Y a-t-il pour toi un devoir d’engagement dès lors qu’on revêt le costume d’un personnage public ? Je pense par exemple au fait que tu abordes dans tes chansons le thème du réchauffement climatique, ce qui, il est vrai, relève du grand écart…
Lombre : Alors, c’est vrai que sur l’aspect politique, je me limitais on va dire, c’était d’ailleurs le seul aspect sur lequel je le faisais puisque j’essaye généralement de ne rien m’interdire. Mais là, c’est vrai que ce soit de la couleur des morceaux ou de leurs thèmes, j’ai essayé de faire quelque chose qui me ressemble. Et pour le morceau dont tu parles, cette conscience-là est essentielle pour moi, et même sans les relier à aucune action militante d’un parti en particulier, je pense que c’est important de la rendre audible. (Hésite). J’ai mis du temps, quand même, pour savoir si je la mettais dans le disque ou pas, j’appréhendais un peu les retours, mais finalement je me suis dit que c’était primordial, surtout dans la situation d’urgence climatique qui est la nôtre, de porter ce propos.
La Face B : D’accord… D’ailleurs, comment se déroule le processus de composition ? Tu signes les textes, qu’en est-il des prod’ ?
Lombre : Je signe tout en fait, la seule chose, c’est que j’ai pour la première fois co-écrit un texte avec un auteur qui s’appelle Laurent Derechef. Pour la musique, n’étant pas musicien à la base, je m’entoure de professionnels tout en essayant de conserver une unité et un lien d’entente dans le travail qui nous permet d’avancer dans la même réflexion. Mais sur l’album j’ai toujours été en studio au moment de la création des morceaux, en étant partie prenante des choix et de la direction artistiques, même sans être moi-même derrière les machines. Du coup, on retrouve Léo Bouloumié sur pas mal des prod’, j’ai aussi fait deux morceaux avec un comparse parisien assez connu, et le reste avec Clément Libes. C’est une équipe, on va dire, bien huilée ! Je pense qu’on a réussi à vraiment se trouver sur le plan de la musique que ce soit pendant les sessions d’écriture ou de création, et franchement j’en suis ravi parce que c’est pas si évident d’arriver à trouver un aussi bel équilibre entre textes et musique.
La Face B : En attendant de découvrir cet opus sur scène ce soir, on s’interroge… de qui t’es-tu entouré pour cet album, où certains titres sont très mélodiques et riches en terme d’harmonies ?
Lombre : Sur scène on est trois, j’ai pas encore le quatuor à cordes (rires). Il y aura donc Florian à la guitare et aux machine, Fabien à la batterie et moi à la voix, la nouveauté avec ce spectacle-là, c’est l’ajout d’un ingénieur son et lumière, qui permettent de dessiner un univers de façon plus aiguisée !
La Face B : Super ! Je me posais la question, à propos d’univers… Est-ce difficile d’être un artiste de spoken word aujourd’hui en France, où ce style est l’apanage de quelques groupes très identifiés – je pense notamment à Fauve ? Tu as d’autres influences dont tu souhaiterais nous parler, d’ailleurs ?
Lombre : Alors, le spoken word, justement, j’en suis content, parce que j’écrivais des textes un peu rap, mais que j’avais envie d’avoir quelque chose de plus personnel, et c’est vrai que Fauve m’a vraiment fait changer de vision.
Le côté egotrip du rap, je m’en suis affranchi pour basculer dans quelque chose de plus théâtralisé, dans les textes comme dans la performance, et finalement je trouve que c’est plutôt intéressant. On est pas tant que ça à œuvrer dans ce style-là et ça permet aussi de se faire une identité et une place spécifique, ce qui aurait été plus compliqué en restant dans le rap.
Après, tout ça se nourrit effectivement de multiples influences, de chorégraphes, parce que j’ai eu la chance d’avoir un papa qui, en plus d’adorer aller voir des spectacles de danse, avait une compagnie de théâtre amateur et écoutait énormément de choses ! C’est quelqu’un de passionné par le spectacle vivant et c’est vrai que tout ça fait pleinement partie de mes influences. Pour la musique, je ne me suis jamais cantonné à quoi que ce soit, donc je citerai autant Grand corps malade que Ben Mazué…
Et puis il y a quelque chose de très visuel chez moi, je ne m’interdis rien. J’ai une écriture plutôt rare, qui n’arrive pas tous les jours, elle est spontanée, et au moment où elle arrive, me parvient complète dans le sens où j’en rejette peu de choses pour essayer d’en préserver l’authenticité. J’aime garder la maladresse du propos qui peut aussi nourrir quelque chose de beau et d’instinctif !
La Face B : Cœur à vif, textes introspectifs… dirais-tu que ta musique s’inscrit dans une nouvelle masculinité, entre sensibilité, déconstruction d’un virilisme toxique et révolte contre l’ordre établi ?
Lombre : C’est la première fois qu’on me pose cette question, et j’en suis très content. J’ai toujours eu, de puis l’enfance, une sensibilité qu’on pourrait plutôt qualifier de féminine. Et ça ne m’a jamais desservi, bien au contraire ; je pense que pour toucher à un domaine artistique, quel qu’il soit, il faut une forme de sensibilité et de déconstruction. Après, c’est une position qu’il me tient à cœur de mettre en lumière car cette déconstruction m’a permis entre autre d’en arriver-là où je suis – par exemple, en sortant de huit ans de football pour en faire trois ans de danse ! Et je sais que c’est quelque chose qui m’a beaucoup servi, malgré la difficulté à débuter là-dedans, justement parce que stéréotypes etc. !
La Face B : Quelles sont tes envies pour l’année à venir ?
Lombre : Mon désir, c’est que cet album fasse son bout de chemin. J’ai mis trois ans à le construire, ce qui est aussi un parti-pris à une époque où on fait croire aux artistes qu’il faut qu’ils envoient un morceau par semaine au risque d’être oubliés ! J’espère que ça va porter ses fruits et pouvoir être défendu durant les années à venir tout en étant toujours en accord avec mon ressenti ! C’est ce qu’on peut me souhaiter, je pense !