Malgré des parcours en solo, l’appel du travail en groupe n’a jamais quitté le trio bruxellois L’Or du Commun. Ils font leur retour avec le projet Avant La Nuit, à cette occasion nous avons discutés avec Primero et Swing de leurs parcours respectifs mais également en groupe et bien évidemment de l’album qui vient de sortir.
LFB : Comment vous sentez-vous avant la sortie du projet ?
Primero : En vrai, on est enthousiaste à fond. Ça fait un bout de temps que l’on travaille dessus. Il a été reporté une fois ou deux pour différentes raisons. C’est un projet qu’on a travaillé pendant longtemps, ça fait presque deux ans et demi qu’on est pas revenus, depuis Sapiens. C’est clair que là, nous sentons que la date est proche, c’est excitant d’avoir lâché le premier single, d’avoir eu les retours du public, de sentir que les gens sont là, c’est cool.
Swing : Ouais, à fond.
LFB : Justement avec ce premier single et la découverte de la pochette réalisé par Romain Garcin, j’ai l’impression qu’il a eu une évolution dans votre esthétique, je me trompe ?
Swing : C’est cool ce que tu dis ! En tout cas, c’est notre envie de passer un step à chaque album, que ça soit en terme visuel ou musical. Tu parlais du clip de Négatif, on l’a fait avec Lenny Grosman, un gars qu’on connait bien parce qu’on a déjà pu bosser avec lui sur Prison Vide. Il avait déjà fait un clip pour le projet précédent.
Clairement, on voulait revenir avec une imagerie forte et des choix clairs et assumés.
Primero : En plus, dans le thème de l’album qui est Avant La Nuit ou même dans le titre du morceau Négatif, ce sont des titres qui donnent des perches pour pouvoir s’amuser visuellement. Ce fait, en plus du fait qu’on ait eu plus de moyens financiers ont fait qu’on a pu aller plus loin dans le visuel et s’amuser. C’est cool si cela se ressent.
LFB : En parallèle de ce projet, vous avez tous un parcours en solo. Cela vous a-t-il permis de savoir vers où emmener votre musique au sein du groupe ?
Swing : Ouais, peut-être. En tout cas, ce qui est sure c’est que ça a une influence positive. Ça permet d’être plus clair sur les musiques qu’on aime, qu’on veut faire, ce genre de choses. Puis ça nous permet aussi de rebooster sa confiance en soi parce que faire quelque chose en solo, tu ne dois pas compter sur les autres donc le fait de pouvoir après avoir un regard positif sur ce travail là, ça a des répercussions sur la suite.
Primero : C’est un peu comme San Goku dans la salle du temps, tu pars un moment t’isoler, faire tes dents, te confronter à toi-même, à tes choix. Je pense que dans un sens, ça forge et quand tu reviens dans le groupe, tu as une attitude plus sur de toi, plus professionnelle, plus précise. Dans ce sens, ça sert le groupe, c’est sur.
LFB : Du coup, il y avait vraiment un besoin de vivre une vie professionnelle en dehors du groupe ?
Swing : Ouais, quand même.
Primero : Il y a des choses que tu ne peux pas dire ou pas dans la forme que t’aimerais quand tu es en groupe. Car le groupe sous-entend les concessions et les compromis aussi avec tout ce que ça a de bien. Mais quand tu veux aller à fond dans une piste ou parler d’un sujet qui est vraiment personnel et pouvoir l’aboutir, le terrain en groupe n’est pas toujours le plus propice. En vrai, l’idéal c’est d’avoir les deux, de pouvoir profiter des avantages de l’un et des avantages de l’autre en switchant. Rien que pour le scène, il y quelques choses avec le groupe qui est particulier et tu peux ne pas t’y retrouver en solo.
Swing : En fait, cela permet d’apprendre énormément parce que tu peux pas compter sur les points forts des autres. Parce qu’évidemment à trois, on a pas tous les mêmes skills. Il ya des choses que les autres font mieux et quand je dis ça, ce n’est pas uniquement en terme de musique ou d’écriture, ça peut être faire un poste Instagram, s’occuper des réseaux sociaux, faire des arrangements, avoir des idées là-dessus. Quand tu es en groupe, tu as parfois tendance à laisser les gens qui font un peu mieux le faire à ta place alors que quand tu es solo, toutes ces places là tu dois les prendre. Donc, tu apprends énormément aussi. Tout ça après, permet de quand il faut se concentrer sur un projet de groupe, de venir avec d’autres choses.
LFB : Maintenant, on va parler un peu plus du projet. Sur le tracklisting, on peut retrouver des invités avec qui vous avez l’habitude de travailler, c’était important pour vous de revenir « en famille » ?
Swing : Ça vient pas nécessairement d’une envie. Fin ça vient d’une envie, mais ça s’est imposé doucement. C’est-à-dire qu’on s’est pas dit que pour cette album c’était important de revenir en famille mais manifestement c’est ce qui est arrivé.
Primero : En fait, on a eu pleins d’idées en voyant le paysage musical actuel qui a autour de nous. On s’est demandé quelles collaborations pourraient être intéressante mais finalement vu qu’on est entouré d’artistes très proches et qu’on a fait notre projet un vas clos spontanément ces gens-là se sont retrouvés dessus et on s’est pas vraiment posés de questions. En fait, c’est très bien comme ça et l’album tient debout.
Peut-être que plus tard on aura l’occasion de faire des collaborations plus surprenantes quoi que Lous and The Yakuza soit déjà une collaboration surprenante. Mais je pense que ça se fera toujours spontanément et avec un lien humain d’abord.
LFB : Elle s’est faite comment cette connexion avec Lous and The Yakuza ?
Primero : Comme pour les autres, en fait, spontanément. C’est juste que c’est une personne qui fait partie de notre groupe, mais je pense que le public en était moins conscient que pour Roméo Elvis qui est aussi là depuis longtemps. J’ai beaucoup fréquenté Lous ces derniers temps et elle a eu accès à toutes les maquettes quand on revenait de résidence. Et elle a particulièrement aimé la vie d’une maquette et très vite on s’est dit qu’on allait le faire ensemble, vu que ça nous parlais à tous.
LFB : Ces choix d’invités appuient un terme récurrent de votre musique, c’est votre attachement à Bruxelles et même à la Belgique. Quel rôle cette ville ou ce pays ont-ils pu avoir dans votre développement ?
Swing : Ça c’est une grande question ! C’est un peu difficile à dire, déjà on est tous différents. Moi je n’ai pas grandi à Bruxelles, donc je l’ai vécu comme la ville où j’ai pu me développer artistiquement. En tout cas, c’est là que ma musique est née, c’est pour ça que j’estime être un artiste bruxellois. Dans les faits, je suis né à Bruxelles. Mon père est bruxellois mais j’ai passé la majorité de mon enfance en Wallonie, dans le Hainaut, à Soignies. J’allais à Bruxelles pour voir mes cousins. Je voyais ça comme un endroit où il avait des rencontres à faire, il s’y passait des choses, il y avait plus de cultures. En tout cas c’est comme ça que je voyais cette ville quand j’y allais étant plus jeune.
Primero : Après Loxley et moi, on a grandi dans le sud de Bruxelles. Dans une commune où ça vivait pas mal pour les jeunes. Il y avait des infrastructures, une maison des jeunes, un skatepark, des parcs. Ce qui fait qu’on était pas souvent à la maison, on était pas trop des gosses d’appartements. On était vachement dehors toute la journée à rencontrer les gens du quartier. Très vite on a eu une communauté, avec des gens qui faisaient de la musique, du graphe,…
C’est un peu notre berceau, là qu’on faisait nos premières soirées, nos premiers open-mic. Je crois qu’on est un peu venu à la musique comme ça, avec l’effet de groupes aussi. Dans ce sens là, ce que nous a offert Bruxelles a été favorable. Comme tout artistes et personnes, lorsque tu crées, t’as envie de revendiquer tes origines, là où tu t’es construit et ce que ça t’as apporté.
LFB : En ce moment, on parle de nouveaux beaucoup des artistes belges. Vous qui avez connu cette première vague d’intérêt pour la Belgique, comment vous l’avez vécu ?
Primero : Ça a été très progressif. On a jamais vraiment arrêté de travailler. On avait un peu la tête dans le guidon. On a juste ressenti qu’ils se passaient quelque chose mais sans trop se poser de questions. Il fallait juste qu’on fasse ce qu’il fallait, ce qu’on aimait faire. Effectivement on nous proposais un concert en France, puis deux concerts en France, des invitations par-ci par-là. On réfléchissait pas on y allait et clairement ça a été déterminant parce qu’aujourd’hui on en vie. Mais on a pas non plus philosopher là-dessus.
Swing : Non mais on l’a vécu comme une chance. Parce qu’on a eu pleins d’opportunités grâce à ça et comme Primero l’a dit, c’est vrai qu’on a sauté sur la moindre opportunité qui nous a été donné, de se produire en France, de rencontre des artistes français. Clairement on a eu cette chance, mais parfois c’est difficile de savoir le pourquoi du comment il y a des phénomènes de mode et que ça devient stylé d’être un rappeur belge. Je pense qu’il y a pleins d’acteurs qui ont participé à ça. Je pense qu’on y a participer, d’une certaine manière parce qu’à partir du moment où tu fais de la musique en Belgique et que tu fais des concerts en France quelque part tu participes à ça. Ce qui a lancé ça, je pense que c’est Stromae, l’équipe belge de football, François Damiens. Il y a eu une petite étincelle, après le feu il faut l’entretenir, y mettre des petites brindilles et là tout le monde y a participer. Que ce soir des Roméo Elvis, des Caballero, des Damso, des Hamza,…
Primero : Et tout ceux qui sont restés dans l’ombre aussi que nous on écoutait quand on était petit, sur nos MP3 et qui ont pas forcément percer mais qui nous ont donnés envie de faire de la musique.
Swing : Oui, oui, des James Deano par exemple
Primero : James Deano, Ghandi, il y en a pleins.
LFB : On va rentrer dans les thématiques du projet maintenant. J’ai vite eu l’impression qu’il y avait un besoin de sortir un projet, c’était quelque chose qui était dans vos têtes depuis longtemps ?
Primero : C’est marrant peut-être qu’ils tombent au moment par rapport à ce qu’il raconte, c’est possible. En soit, nous ça a toujours été haut-de-là du besoin, une envie de sortir un projet. A partir du moment où on était libre et disponible on ne se posait même pas la question d’enchainer, on reprenait. Ça a été le cas pour ce projet ci aussi. En vrai, il sort seulement maintenant mais il a été amorcé dans la foulé de Sapiens. Je pense qu’effectivement, on l’a reporté plusieurs fois pour différentes raisons et là on sentait que c’était le moment opportun. C’est peut-être à ce niveau là que ça se ressens.
LFB : Comme tu as dit, j’avais cette impression que les thèmes abordés collaient bien à la situation actuelle.
Swing : En fait, c’est un peu les deux. C’est un projet qui a majoritairement fait avant et il y a une partie qui a été fait pendant.
Primero : Il est un peu teinté de ça aussi.
Swing : Oui, mais en tout cas je pense aussi que parfois on peut facilement avoir cette impression. On fait des liens avec des choses et c’est ça qui est beau aussi dans la musique, c’est assez personnel et je pense que quand tu vis quelque chose tu peux interpréter des mots d’une autre manière que si tu le vis pas ou si tu vis une autre situation, les mêmes mots peuvent résonner différemment mais fortement aussi. Alors je pense que oui au regard de la situation sanitaire, certaines phrases que nous avions écrit avant ça ont pris un autre sens parfois même plus fort.
Primero : Au final, on aborde quand même des thèmes universels, des choses que tout le monde ressens. Tu peux faire un morceau sur la solitude et tu l’aurais sorti il y a deux ans au moment où quelqu’un s’est fait plaqué et se sent un peu seul, il va se prendre le morceau avec cette résonance là. Puis, aujourd’hui, dans ce contexte où des gens se retrouvent en confinement peut-être parfois seul chez eux vont se prendre ce même morceau avec cette résonance là. C’est juste qu’on parle de sentiment universel au final.
Swing : Je pense que même, au final, c’est vraiment ça, des sentiments universels. C’est clair que dans une situation comme on a connu où on est enfermé chez soi, évidement c’est propice à la réflexion et au recul. Tu vas regarder en arrière sur un tas de sujets. C’est pour ça que je pense qu’il y a quelque chose d’actuel mais si t’analyses la musique qu’on faisait avant, on a toujours eu ce regard là et cet angle. C’est vrai qu’il est devenu encore plus parlant avec ce qu’il se passe.
Primero : Franchement, cette crise elle te fais ressentir un tas de choses. Les gens ils doivent se poser des questions en terme de carrière, en terme de relations parce qu’il y a des gens que tu peux plus voir, les relations avec tes parents, les relations de couples qui deviennent compliquées quand t’es H24 dans le même espace,…
Swing : L’incertitude par rapport à l’avenir.
Primero : Tout ça, qui en un coup revient en package et je pense qu’effectivement, sortir un album dans lequel tu livres toute ces choses, ça résonne à fond avec cette période.
LFB : Du coup c’est un projet qui vous a mis du temps à mettre en place ?
Swing : En fait, en terme d’agenda on pourra dire que oui car c’est le projet qui a mit le plus de temps à naitre depuis un précédent projet. Mais dans les faits, je suis pas certains.
Primero : Non, c’est juste qu’il a été ponctué par d’autres choses, par deux projets solos, une période de covid. C’est toutes des choses qui ont marquées des pauses…
Swing : Une longue tournée aussi.
Primero : … C’est tous les moments pendant lesquels on a du mettre le projet en stand-by. Ils nous ont permit aussi d’avoir du recul sur ce qui était déjà fait. On y est revenu de façon ponctuelle. Je pense que si tu rassembles le moment où l’on travaille sur l’album il n’y a pas forcément plus de temps que sur Sapiens ou les autres. Mais tous ses événements qui ont ponctués le processus ont fait que ça fait deux ans et demi.
LFB : Vous parliez de vos tournées, sur le titre C’est dingue ont peut entendre le bruit d’un public, est-ce que ça vous manque ?
Swing : Ouais, je pense que c’est un maigre mot de dire qu’on à hâte. Je pense que nous quand on a commencé à faire le groupe, on faisait de la scène sans avoir de chansons. Donc ça end it long sur l’importance qu’ont les concerts pour nous.
Primero : On est un groupe de la scène.
Swing : On s’est construit là-dessus, ça fait partie de nos vies de partir presque tous les week-ends, en tout cas une fois par semaine depuis presque sept ans. Clairement, d’un coup le fait de ne plus avoir ça, ça crée un vide. C’est étrange honnêtement.
Primero : Même en termes de promotions, on a toujours promu notre musique via la scène, avant même les médias. Cette journée promo, c’est une façon de promouvoir qui est normal, nécessaire et chouette mais ils nous manquent cette partie scène. Après, par contre, ça nous a permis d’être plus en studio, d’être plus sur la création et de recréer le manque. Il y a eu une période où l’on tournait énormément. Parfois quand tu fais trop et que tu laisses pas d’espace entre les concerts, tu peux perdre une certaine magie, une certaine hâte. Je pense que là on a totalement retrouvé ça avec cette période où ça nous brule dans les jambes. Donc, quand ça sera possible, ça va être vraiment particulier, on va le ressentir fort.
LFB : J’ai aussi l’impression que votre parcours revient à plusieurs moments sur le projet. Quel regard portez-vous sur ce parcours ?
Primero : Je pense qu’on est avant tout fier et reconnaissant. Je pense que la réussite c’est particulier, c’est un alignement de planètes entre le moment auquel t’arrives, ce que tu proposes, l’entourage que t’as, il y a toutes ces choses-là. Je pense qu’aujourd’hui, en regardant en arrière, on a beaucoup travaillé, mais on a aussi un entourage formidable avec qui on travaille toujours aujourd’hui, des opportunités folles. On est juste super reconnaissant et admiratif pour ce qui a pu être mis en place et on espère juste que ça continue.
C’est beau en vrai, on se rend compte que c’est pas donné à tout le monde cette chance. Nous on a fait des études, des jobs étudiants mais on a persévéré dans notre passion et aujourd’hui on gagne notre vie avec ça et les personnes qui travaillent avec nous c’est pour la plupart des amis d’enfance. On sait que c’est un schéma pas courant, du coup on en est hyper content.
LFB : Du coup, c’était important pour vous de faire le point sur les années qui se sont écoulées ?
Primero : C’est pas calculé.
Swing : Je sais pas si c’est important mais en tout cas on l’a fait. C’est un peu un peu de vue journalistique de voir les choses dans ce sens là mais dans la création c’est jamais aussi simple. Parfois on se rend compte qu’on a juste besoin de parler d’une chose.
Primero : Comme Caballero l’a très bien dit, on est des vomisseurs. C’est juste que l’on vit des tas de choses au quotidien et que l’on se penche sur une feuille. Même si on a une idée de thématique ou d’autres choses, je pense qu’il y a des éléments qui sortent dans nos phrases, qu’on a pas forcément prévu et qui sont juste ce qu’on a digéré des derniers événements. Je crois que l’on ne calcule pas toujours à quel point on va être nostalgique sur quelque chose, ou à quel point on va mettre l’accent sur autre chose. Ça ça vient un peu malgré nous. Donc, peut-être que ce projet on avait inconsciemment envie de faire des regards en arrière et de faire le bilan. Mais c’était pas calculé ou conscient.
LFB : Pour terminer, qu’est ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite ?
Primero : Pleins de pognons (rires). Non c’est une blague évidemment Je pense qu’on peut nous souhaiter d’être épanoui dans ce qu’on entreprends, que ça soit dans la musique ou comme pour Loxley qui s’oriente plus vers la réalisation de documentaire et de la radio. Nous souhaiter que cet album voyage comme il se doit et qu’on crée un lien encore plus fort avec les gens qui nous écoutent. Voilà, je pense que c’est déjà pas mal.
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