Lord Esperanza : « Dans la vie je pleure, je partage mes émotions, j’écoute »

Après trois (longues) années de pause, Lord Esperanza sort enfin de l’ombre pour nous dévoiler son nouvel album Phoenix. Nous avons pu en discuter dans les moindres recoins tout en évoquant les ressentis de l’artiste.

©Axel Joseph

La Face B : Salut Lord, comment ça va ?

Lord Esperanza : Ça va super, merci de m’interviewer c’est trop cool. Ça va bien écoute, l’album est sorti il y a bientôt un mois (au moment de l’interview, ndlr).

LFB : C’est justement ma première question, l’album est sorti il y a un mois pratiquement, comment est-ce que tu te sens après la sortie de l’album ?

Lord Esperanza : Je me sens bien. Les retours sont unanimes, j’ai pas eu un retour négatif donc c’est très cool, les retours critiques et médiatiques sont bons, on a eu plein de supers interviews, mises en avant, articles etc et en même temps tout le paradoxe c’est que ça fait trois ans que je bosse dessus donc l’album est fini pour moi, je suis déjà dans autre chose, je fais d’autres chansons, je pense à d’autres choses hors musique…

Pour la plupart des gens l’aventure ne fait que commencer parce que je vais devoir le travailler, une vraie promo d’album ça dure un an entre le moment où il sort et le moment où tous les gens que tu essayes de toucher l’entendent. Pour l’instant c’est vraiment les gens qui me suivent au quotidien qui l’ont reçu, et peut-être la majorité un peu plus large mais il reste encore beaucoup de gens à aller chercher parce que j’ai pas mal d’ambitions donc je pense que c’est encore que le début.

LFB : Est-ce que tu n’as fait que travailler pendant trois ans ? Et est-ce que tu as autant écrit et fait de maquettes qu’avant ou as-tu plus travaillé et re-travaillé les mêmes morceaux ?

Lord Esperanza : Il y a un peu des deux, mais j’en ai fait beaucoup quand même, et il y a un moment où j’ai décidé d’en faire moins et de plus travailler les morceaux que j’appréciais. J’ai quand même essayé de faire plein de trucs à droite à gauche pour essayer de trouver le coeur de ce que j’avais envie de raconter, j’ai aussi pas mal cherché le son en studio, à essayer sur des synthés, de toucher les différentes possibilités, pour la première fois j’ai mis un peu la main à la patte, d’essayer de toucher différents sons etc. Après les chansons qui ont été gardées pour la plupart c’est des versions qui sont minimum quatorze ou quinze, j’ai quand même pas mal approfondi le truc, il y en a certaines qui ont eu plusieurs vies. Pour Jamais assez ou Les Hommes pleurent par exemple, les versions antérieures avaient d’autres prods, c’était d’autres accords, d’autres structures, et après il y en a où c’était la même chose, mais où on a ajouté plein de choses, enlevé des trucs, affiné quoi.

LFB : Dans cet album tu as particulièrement parlé de santé mentale, qu’est-ce qui t’a fait plus te questionner et parler de ce sujet ?

Lord Esperanza : Ça vient du fait que j’ai moi-même été challengé là où je ne l’avais jamais été avant. En vrai je pense que le confinement, le covid a fait ressortir des trucs que je ne connaissais pas. Les crises d’angoisse c’est quelque chose que je n’avais jamais vécu avant donc ça a été particulier, et après je pense qu’il y aussi évidemment le rapport à mon oncle. Il s’est suicidé quand j’avais huit ans, il était schizophrène et ça avait été déclenché par le cannabis, donc les addictions, les maladies mentales c’était des choses que je voulais évoquer, c’est pour ça qu’il y a Caméléon et Les Ombres qui en parlent précisément.

Il y a aussi Invisible mais on va dire que ça évoque plus l’hypersensibilité qui est un truc que je mets un peu à côté parce que c’est pas encore officiel au sens clinique du terme. Par contre je me suis beaucoup reconnu dans les grands traits principaux de l’hypersensibilité qui vont être les nuisances sonores, la complexité à toujours se remettre en question après une discussion, à se demander si on a dit les bonnes choses, c’est un mix entre du manque de confiance et un truc d’ordre purement émotionnel.

Mais je pense que c’est surtout des thématiques que j’avais en tête depuis longtemps mais que je n’avais pas évoquées avant parce que je me sentais pas prêt et pas assez mature. Et il y a encore des trucs que j’ai gardés, par exemple la chanson sur mon oncle à part entière n’existe pas encore. J’ai évoqué des choses, ce sont des hommages indirects mais je pense que je la ferai dans mon prochain album et que là je serai prêt à la faire mais j’ai encore un truc à digérer, comprendre et chercher tout simplement.

LFB : Puisque tu écris sur des choses plus intimes, est-ce que l’écriture est devenue un processus plus douloureux, est-ce que tu as plus de pression à parler de ces sujets-là ?

Lord Esperanza : C’est sûr que ça doit être plus douloureux, parce que comme j’étais dans un truc moins intime à l’exception de quelques morceaux comme Château de sable, il y avait quelque chose dans l’absolu qui était moins personnel. J’évoquais plein de choses qui me tenaient à coeur mais qui parlaient moins de moi, et je pense que j’ai eu un peu plus besoin d’aller vers moi et peut-être que finalement j’en ressortirai. En tout cas ça a été beaucoup plus complexe oui, parce que puisque c’était une dimension un peu plus introspective c’est compliqué de réussir à trouver les bons mots pour symboliser trois minutes de vie. Je pense à la chanson sur ma maman, trois minutes trente d’une vie c’est difficilement conciliable et résumable comme ça, même dans un roman ou dans un film on y arrive pas parce qu’une vie c’est des nuances, c’est des paradoxes, c’est subtil.

D’ailleurs j’ai pris un axe qui est assez mélancolique parce que je voulais évoquer les moments les plus forts et les plus tristes, parce que je sais aussi que j’ai un amour pour les chansons avec des phrases fortes et des émotions, et j’ai un rapport à la création qui est de moins en moins pudique. Ça veut dire que ça peut peut-être parfois mettre des personnes mal à l’aise, dans le sens où ça peut faire revivre des trucs un peu deep, mais en même temps il y a une dimension cathartique et exutoire qui est intéressante. Je sais que parfois je suis un peu plus animé par l’envie de laisser une belle chanson avec des phrases fortes quitte à ce que ça mette parfois les gens un peu mal à l’aise, plutôt que de me censurer et d’arriver dans un résultat un peu en demi-teinte.

Je sais que je suis fasciné par les oeuvres qui sont radicales et qui photographient des moments et des époques avec parfois de la violence, parce que c’est aussi ça la vie. En l’occurrence sur ma relation avec ma maman j’aurais pu aussi dire que j’ai reçu de l’amour, qu’on est parti en vacances et que j’avais des beaux moments avec elle mais je trouvais ça moins intéressant de le raconter.

LFB : Ton nom de scène est Lord Esperanza, tu as souvent fait des références à la royauté que ce soit dans Roi du monde ou Courroné, et cette fois tu as fait Roi sans couronne, est-ce qu’on peut voir ça comme un changement de personnalité ? Est-ce que c’est la volonté de ne plus forcément vouloir être le premier (ce que tu prônais dans tes textes avant avec tout ce qui était egotrip) mais juste peut-être partager de la musique, comme tu le dis d’ailleurs dans le morceau avec « Cette fois c’est pour l’amour de l’art, rien à foutre si vous ne me validez pas » ?

© Nathan Saillet

Lord Esperanza : Tu as tout dit (rires). La réponse est dans la question. Là c’était un peu une « destitution », un truc où je m’amuse un peu, c’est vraiment des kiffs pour les 1% de gens qui vont remarquer ce genre de détail mais ça m’amuse de le faire. Moi-même en tant qu’auditeur j’aime bien quand il y a des messages cachés, quand les artistes nous laissent des pistes comme ça à explorer et qui sont libres aussi d’interprétation. Oui en tout cas ça me parle ce que tu dis. Et après le fait de revenir avec Roi sans couronne sur cet album c’est un peu un moyen de dire que j’ai laissé de côté l’egotrip.

Je n’y reviendrai pas parce que ça m’a amusé jeune, en fait c’était un bon moyen pour avoir plein d’essais de mots, d’allitérations et d’assonances. Mais dans le fond à l’époque j’y croyais un peu, pas dans le sens premier degré mais dans le sens où ce que je racontais c’était un peu une armure, vu que je n’avais pas beaucoup confiance en moi je me racontais ça, et en même temps j’avais une espèce de flamme au fond de moi qui me poussait à m’auto-dépasser et à faire de plus en plus de chansons et de clips etc.

Mais aujourd’hui moi ça me fait chier l’egotrip en tant qu’auditeur, à part quand c’est hyper bien fait par un Alpha Wann, sur deux ou trois chansons ça va me faire un kiff, mais même dans son egotrip il y a des phrases subtiles, des phrases plus conscientes, des phrases émotionnelles, il y a quand même un truc où il y a de la demi-teinte, de la mesure et de la nuance. Un album entier d’un mec qui va te dire qu’il a la plus grosse ça va pas être le truc qui va le plus m’amuser, et donc forcément en tant que « créateur » ça me fera chier aussi.

LFB : Dans cet album tu parles énormément de toi, de ta vie et de tes proches, tu te confies beaucoup, est-ce que pour toi parler de tes sentiments c’est quelque chose de naturel ou quelque chose que tu n’arrives à faire qu’en musique, est-ce que finalement tu es un homme qui pleure ou tu gardes tout à l’intérieur ? (Référence à « Les Hommes pleurent », ndlr)

Lord Esperanza : Non, pour le coup je parle beaucoup depuis longtemps, je n’ai jamais eu trop de rapport pudique aux émotions. Je crois que j’ai de la chance parce que j’ai grandi avec des figures féminines qui m’ont autorisé ça, qui m’ont donné une vision de la masculinité qui n’était pas que celle virile et cinématographique d’un Rambo ou d’un James Bond. Après je pense aussi que c’est plutôt l’inverse, la musique a nourri ça, parce que j’avais la possibilité de m’exprimer. Même si c’était des débuts, j’écrivais dès douze/treize ans donc il y a toujours eu un truc où je pouvais m’exprimer. Ça m’a beaucoup aidé à trouver ce que j’avais envie de raconter. Et dans la vie je pleure, je partage mes émotions, j’écoute. C’est marrant parce que mes proches me disent que c’est rare d’avoir une écoute comme ça. Les vies des gens m’intéressent, les destins, les histoires. Peu importe le contexte, chaque sensibilité a un truc à apporter, et vu que mon métier c’est quand même de raconter des histoires, de choper des émotions et de les vulgariser, j’essaye d’être toujours à l’affût.

C’est pour ça que les gens me disent que je suis toujours à l’écoute, certes mais en vrai c’est que je suis curieux, ça m’intéresse vraiment et en même temps ça va me nourrir. Tu vas me dire une phrase et je vais trouver la formulation belle, c’est un truc constant de tous les instants, c’est ça qui est beau et qui est peut aussi être très fatigant parce que vu que c’est un métier-passion, un dimanche à 15h t’es aussi dans tes angoisses, dans ton stress, faut cloisonner l’égo pour réussir à ne pas se définir que par le FOMO (Fear of Missing Out) et les réseaux sociaux.

C’est hyper bizarre comme métier, d’un coup tu sors un album, pendant des mois tu reçois tous les jours des messages d’amour, tu fais des interviews où tu parles de toi, de ta vision etc, et après c’est fini et on se revoit au prochain ! (Rires) Après il y a aussi les tournées, c’est cool mais je chéris la chance de réussir à rester plus ou moins stable. C’est pas toujours le cas, mais j’ai conscience pour en parler autour de moi que c’est un truc qui est difficile à trouver, et je pense que le fait d’avoir vécu ça jeune me permet d’avoir un peu de recul.

Mais bon, j’ai encore beaucoup de chemin à faire parce que c’est difficile de ne pas se définir par ton métier (surtout avec une notoriété publique), il faut aussi avoir conscience que ta valeur n’est pas que dans les chansons que tu fais ou le regard des autres, mais aussi l’humain que tu es, les bonnes actions que tu fais, ta bonne relation avec ta famille, tes amis etc. Vu que je me suis défini par mon métier très jeune, c’est difficile d’émettre des barrières parfois.

LFB : Dans Phoenix il y a une musique qui s’appelle Château de cartes qui parle de ta maman, et dans Drapeau Blanc déjà il y avait Château de sable qui parlait de ton papa. Dans les deux cas on retrouve cette notion de château considéré comme fort ou solide, et en même temps les deux châteaux que tu as choisi peuvent se briser très facilement, pourquoi ce symbole pour tes parents ?

Lord Esperanza : Je pense qu’à nouveau la réponse est dans la question. Je trouve que pour décrire la parentalité, la métaphore du château marche bien parce que c’est des figures fortes, avec lesquelles on a grandi comme des repères et parfois des forteresses. Quand on est enfant parfois on va se réfugier dans nos parents suite à la violence du monde extérieur, aux premières déceptions à l’école, qu’elles soient scolaires, amicales ou amoureuses, et en même temps c’est aussi l’enjeu en tant qu’enfant de dissocier la figure du parent de l’adulte, parce que ton père ou ta mère c’est aussi des gens qui ne sont pas que tes parents, ils ont aussi une vie.

C’est intéressant de dé-corréler les deux, de se demander si par exemple on rencontrait nos parents dans une soirée au même âge que nous, est-ce qu’on aurait été potes ? C’est ce truc de dissocier les deux, moi j’ai eu un rapport complexe dans certains moments de ma vie avec mes parents donc je me posais cette question. Même si je sais pas si ça existe, si j’avais eu une relation sans vague et uniquement un truc tendre et d’amour avec mes parents, peut-être que je n’aurais pas fait ce métier, que je ne me serais pas posé ces questions là. En même temps je ne me plains pas parce que ça a fait de moi qui je suis aujourd’hui et ils ont fait comme ils ont pu. Et après on rentre dans de la thérapie freudienne de base mais en vrai c’est fascinant parce qu’un métier où tu choisis d’être applaudi et d’être rassuré sur l’amour que te portent les gens, c’est qu’il y a quand même une dimension névrotique à un endroit.

Ça peut être sain, mais tous les mauvais exemples de gens qui ont eu de la notoriété et qui deviennent des divas, ça pour le coup ça devient malsain parce que c’est pas réfléchi avec amour et bienveillance, c’est un truc où l’ego prend le dessus. En tout cas ce qui est sûr c’est qu’il y a un endroit névrotique qui ne fonctionne pas, et après tu peux faire en sorte de te poser des questions pour le rendre sain et accepter que c’est ton chemin. En tout cas tu cherches des réponses à un endroit ça c’est sûr.

LFB : J’ai remarqué qu’il y a de nombreuses références à tes projets précédents, pour n’en citer que quelques-unes il y a « j’ai déjà dit, jsuis pas rappeur suis artiste » dans Roi sans Couronne et le fait d’avoir fait Noir partie 3, est-ce que tu dirais que tu es quelqu’un de nostalgique, parce que je trouve qu’on dirait que d’un côté tu avances, et de l’autre tu es toujours un peu obligé de faire des références au passé ?

Lord Esperanza : C’est intéressant. En vrai je dirai que je suis nostalgique du moment (rire). Je suis un grand nostalgique. C’est pas qu’au sens du passé, quand je passe un bon moment je peux déjà le regretter une heure après. C’est difficile de mettre des mots dessus mais en fait je crois que je suis connecté au temps qui passe, à la finitude de nos corps et de nos vies, donc parfois ça m’arrive de me mettre dans un sentiment de mélancolie qui peut aussi un peu être réconfortant parce que les instants ne durent jamais. Je pense que c’est pour ça que tous les humains veulent prolonger le plus possible les moments de bonheur, en vrai il y a mille exemples de ça dans l’humanité.

Des gens qui partent en boîte de nuit et qui font les after de l’after de l’after c’est aussi un moyen de maintenir leur paroxysme, leur moment de joie et c’est illusoire de penser ça parce que les moments de joie sont éphémères. Je ne les juge pas, je suis le premier à le faire. Si je vais voir un très bon film au cinéma, parfois je me dis que je veux en revoir un tout de suite mais non. La vie c’est des nuances, c’est subtil, et ce qui va créer le moment de joie du moment de cinéma par exemple c’est aussi le fait après de s’ennuyer pendant deux heures et de retourner au cinéma la semaine d’après.

La valeur des choses prend du sens dans ces endroits-là. Après non les références ce n’est pas tant de la nostalgie, c’est plus des clins d’oeil de kiff. J’aime bien les suites de morceaux, j’aime bien le concept d’univers, pour moi ça contribue à plonger l’auditeur et en tant que spectateur ou auditeur d’artistes, j’apprécie le fait que je sois guidé et qu’on me prenne par la main, qu’on m’impose un décor.

© Hugo Lardenet

LFB : Tu as une voix assez exceptionnelle, tu peux tenir des notes assez longtemps, est-ce que tu as du prendre beaucoup de cours de chant pour arriver à ce résultat ?

Lord Esperanza : J’en ai pris un peu et j’ai surtout beaucoup tourné, et en fait c’est en pratiquant que je me suis entrainé. Je découvre encore plein de nouveaux trucs, avec de la technique pour le coup, avec des cours de chant, genre les voix de tête etc, il y a des trucs fascinants. Même par exemple je ne chante pas encore avec le ventre et j’ai beaucoup de choses à apprendre là-dessus parce qu’il y a des techniques respiratoires qui permettent d’avoir des caisses de résonance encore plus grandes, et j’adore chanter en vrai.

LFB : Justement, tu es quelqu’un qui donne beaucoup de ta personne sur scène, tu communiques beaucoup avec ton public, est-ce que tu as une préférence entre la scène et le studio ?

Lord Esperanza : C’est complémentaire mais en vrai vu qu’on est tout le temps dans des algorithmes et dans des écrans, qu’on est interposé par des réseaux sociaux, je trouve ça cool d’avoir des moments de vie où on se rencontre, donc j’adore les concerts en vrai. Je me sens à ma place en fait, et c’est rare que je me sente à ma place dans ma vie. Même en studio je doute beaucoup, enfin tu me diras hier j’étais en promo, j’ai fait quarante-cinq minutes de live et une chanson sur deux je me demandais si c’était bien. J’ai toujours une voix qui me juge, et c’est pour ça que j’en parle dans l’album.

C’est quelque chose que j’avais jamais trop évoqué parce que j’avais besoin de maturer là-dessus pour me mettre un peu plus à nu. En tout cas je suis bien sur scène, j’ai l’impression que ma quête de sens est nourrie, que je suis là pour un partage énergétique, pour créer de l’évasion, pour donner des moments aux gens et en recevoir. C’est pour ça aussi que c’est parfois hyper douloureux de quitter la scène, parce que c’est un tel moment d’euphorie. Et paradoxalement on n’est pas fait pour ça, pour recevoir comme ça des foules qui crient. Je pense que ça peut être sain mais je me surprends parfois à l’intérieur à être galvanisé parce que c’est impossible de ne pas l’être.

Le concert de Candlelight par exemple c’était un moment hors du temps, avec les bougies, le lieu, le piano qui a trois siècles et mon ami qui a tout composé, avec qui j’ai passé des moments extraordinaires, et puis je suis un émotionnel donc quand tout se mélange comme ça à la fin juste je pleure. Ça m’a surpris mais ça m’a prouvé que j’avais encore plein de choses en moi à lâcher, c’est pour ça que je pense que le chemin est encore très long.

LFB : Tu as trois feats sur l’album avec des artistes qui te tiennent à coeur, pour lesquels tu as toujours eu beaucoup d’admiration, est-ce que tu as encore des gens sur la liste des personnes avec qui tu rêves de faire un featuring ?

Lord Esperanza : Je l’ai beaucoup dit, mais Stromae pour moi c’est la référence absolue. Sinon j’ai des noms en tête qui sont plus accessibles, mais qui sont donc moins des rêves mais plus des projets. Par exemple Bekar j’ai écouté son album j’ai beaucoup apprécié, c’est un mec que je connais depuis longtemps, je l’avais invité sur le Planet Rap de Drapeau blanc donc ça peut se faire. Un mec comme Zamdane aussi avec qui j’avais collaboré à l’époque sur Noir remix, on échange parfois. Ça c’est des noms que j’aime bien.

Après c’est pas que dans le rap, il y a une meuf dont j’apprécie beaucoup le travail, c’est Zaho de Sagazan. C’est plus pop, c’est entre Stromae et Christine and the Queens, c’est frais. De Pretto j’adore aussi. Et pour revenir à Stromae il y a un truc qui est peut-être plus accessible, c’est qu’il fasse des prods, comme il avait fait pour Disiz en 2017 avec Splash par exemple. Ce serait déjà pour moi extraordinaire d’être en studio avec lui. Mais par exemple hier j’étais en promo avec Oxmo Puccino, je devais faire un live et il me manquait une chanson pour que ça fasse quarante-cinq minutes, donc on a repris une de ses chansons iconiques des années 90 qui s’appelle L’enfant seul en piano voix avec mon pianiste qui l’a apprise sur le moment, et je m’y attendais pas du tout mais j’étais hyper ému, en même temps c’est une légende.

Ça a fait que typiquement j’aimerais bien l’inviter, il y a aussi des surprises, des rencontres que la vie crée et où en fait je me surprends. Christine and the Queens j’adore aussi, très frais, Billie Eilish, James Blake, Sonlux aussi en plus accessible, qui ont travaillé avec Woodkid avec qui j’ai travaillé aussi… Il y a d’autres artistes qui sont des gros noms mais comme c’est pas l’univers du rap c’est plus accessible parce que eux ça peut les intéresser d’aller vers le rap. Il y a quand même pas mal de noms mais le jour où je serai en studio avec Stromae, je crois qu’au fond de moi je serai guéri d’un truc, tu vois l’expression « je peux dead si… », c’est exactement ça.

LFB : Est-ce que tu as des objectifs, pas forcément en terme de chiffres parce que je sais que tu y portes pas énormément d’attention, mais en terme de salle par exemple ?

Lord Esperanza : Les chiffres j’en suis sorti oui, ça a longtemps été un sujet. C’est pour mon bien que je fais ça, parce que si je me définis que par les chiffres c’est terrible. Après c’est un bon moyen d’avoir un thermomètre, de prendre la température de ma « carrière », c’est quand même un reflet concret de la réalité, de ce qui se passe. Je vais pas dire que je ne regarde pas les chiffres c’est faux, je regarde de temps en temps, mais c’est juste que j’essaye de ne pas être obsessionnel sur ce truc. J’ai des amis qui ont Spotify artiste et qui regardent tous les jours les streams etc. Les réseaux sociaux aussi peuvent être omniprésents. Si tu regardes Instagram avant de te coucher un samedi soir en tant qu’artiste et que tu suis que des créateurs de contenus, des artistes, t’as un truc de FOMO qui se crée.

En terme de salle il y a le Trianon que je fais en fin d’année qui est cool, sinon l’Olympia c’est un projet, ça me ferait vraiment plaisir, après c’est gros aujourd’hui pour moi. Après je suis partagé, d’un côté j’ai envie de faire une musique large, généreuse, qui parle aux gens et qui leur permettrait l’évasion, de parler de sujets qui me tiennent à coeur et faire voyager les gens… Mais d’un autre côté je pense que comme tout artiste j’ai peur du succès et que ma vie ne m’appartienne plus, que je ne puisse pas être tranquille dans la rue. Je crois que je suis en train d’accepter l’idée aussi que ce que j’ai c’est déjà beaucoup en vrai. Après on a tous besoin en tant qu’artiste et humain on a besoin de se challenger, et j’espère quand même grandir avec cet album, mais il y a un juste milieu entre tout ça.

LFB : Qu’est-ce que faire de la musique représente pour toi ? Est-ce que c’est plutôt un jeu, un challenge, un exutoire, quelque chose de sérieux…?

Lord Esperanza : C’est un peu tout ça à la fois en vrai. C’est un travail, c’est vraiment mon métier donc je le prends avec beaucoup de rigueur et d’exigence. Après c’est un jeu parce que quand tu cherches des mélodies, des toplines avec les fameux yaourts tu es en impro, en freestyle, et c’est très beau. C’est un être humain qui se lâche, qui s’autorise à créer et à sortir des sons, c’est particulier quand même. Et après c’est aussi beaucoup d’angoisse parce que beaucoup de rigueur donc on a envie que le titre soit parfait mais parfait pour quoi, pour qui, selon qui ? Et c’est aussi un exutoire je pense, mais je sais pas c’est un peu cliché ce truc de « j’écris et ça me fait du bien ».

LFB : Tu dis dans Roi sans couronne « j’ai attendu dix ans avant d’atteindre ma forme finale », mais qu’est-ce que c’est ta forme finale ?

Lord Esperanza : Je pense que j’en suis plus proche maintenant qu’il y a dix ans par essence parce que j’ai huit/dix ans d’expérience, six ans vraiment de métier, et en même temps il me reste mille trucs à comprendre, à découvrir. La forme finale ce serait la même chose que maintenant en un peu mieux, je pense que quand Phoenix aura un an de vie je pourrai te dire ça, et en même temps chaque album tu te remets un peu en question et tu re-questionnes ça. Pour moi la forme finale en vrai ce serait un peu plus d’audience, j’aimerais bien faire l’étape de l’Olympia comme je te disais, ce serait déjà un kiff, et en même temps c’est paradoxal parce que je me connecte quotidiennement au fait qu’il y a plein d’artistes que j’ai rencontrés y’a 4/5 ans qui font plus de musique aujourd’hui. Je suis quand même toujours là, à continuer de faire des albums, à avoir des gens qui me suivent, qui m’ont attendu, donc je suis hyper connecté à la gratitude, c’est hyper paradoxal.

Mais de ma génération il y a plein de gars qui subsistent par d’autres moyens, il y a des artistes avec qui j’ai fait des feats à l’époque qui sont plus du tout là-dedans. Donc je me dis que c’est déjà génial d’être toujours là, de ne pas avoir été juste un moment de mode. Je pense que si tout va bien, parce que j’ai la chance d’avoir créé un lien fidèle avec les gens qui me suivent, parce que je me livre dans mes chansons et parce que je suis généreux sur scène, et pour mille raisons, je serai toujours dans la musique. Je ferai d’autres trucs à côté, parce que j’ai envie d’aller explorer les univers du cinéma, de l’écriture, de la littérature, ça me fascine et c’est des challenges autres, mais je pense que je continuerai la musique et je pense que j’aurai toujours l’opportunité d’en faire une économie, je le souhaite en tout cas.

LFB : Qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?

Lord Esperanza : En vrai c’est un peu cliché mais la santé. J’ai été challengé récemment par des petits trucs qui se sont avérés bénins mais qui m’ont fait quand même très peur, ça a contribué un peu à me créer des angoisses. Après continuer à créer des chansons, être entouré de personnes merveilleuses, continuer de faire des choses hors-musique comme aller dans les prisons qui me permettent de trouver du sens autre que juste dans « ma vie, mon oeuvre, ma carrière artistique », ça reste un peu limitant parfois.

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