Lothar – Distorsion, tempête sur les microsillons

Il est des projets qui naissent et murissent dans l’ombre. Lothar est un de ces projets. Initié dans ces moments de complicité, en studio ou en live, où Nathan Herveux collaborait en tant que faiseur de sons – derrière sa console d’ingénieur du son ou en collaboratif en travaillant sur les arrangements – avec Grand Blanc, Bagarre ou encore Polo et Pan.

Ce sont ces instants de connivence qui ont fait naitre un premier EP fin 2018. Lors de sa release au Pop-Up du Label, Benoît de Grand Blanc officiant alors à guitare/chant et Mus de Bagarre à la batterie accompagnaient sur scène Nathan avant que celui-ci ne reprenne l’entièreté du projet.

C’est un projet qui a évolué, bercé par ses multiples inspirations et que Nathan a affiné en lui conférant une entité propre. Des prémisses très teintées coldwave du premier EP, le son de Lothar évolue ensuite vers un univers héroïco-fantaisie-lyrique – partageant par certains aspects celui de Pion – en moins décalé et fallacieusement mystique.

Lothar au Pop-Up du Label (13 janvier 2018) – La Boule Noire (17 juin 2019)

On retrouve dans le nom de Lothar sans doute des racines géographiques et historiques qui se nourrissent de la Lotharingie – au moyen âge le royaume de Lothaire II – dont la capitale Metz se trouve être aussi le pays d’origine de Grand Blanc et de Nathan.

Mais surtout Lothar, fait référence à la tempête qui a semé le chaos en France et en Europe à la fin de l’année 1999 au point que le bug de l’an 2000 qui faisait alors les titres des journaux et murissait les plus grandes craintes s’est complètement volatilisé.

L’intensité de cette bombe météorologique a surpris et nous a désorienté par son côté inéluctable. Rien ne pouvait la freiner. On retrouve ce côté implacable dans la ligne éditoriale et les chansons du projet de Lothar. Face aux forces brutes et implacables de la nature (tempête, éruption volcanique,) nous ne pouvons rien faire mis à part Être prêt à l’affronter et apprendre à être résilients.

L’allégorie est belle. S’apercevoir que l’on ne peut pas tout maitriser, que pour continuer à avancer qu’un lâcher-prise peut s’avérer nécessaire. De cette résignation assumée nait un sentiment étrange de fascination.

Crédits Hélène Mastrandreas

Les morceaux de Lothar sont faits d’autant de confrontations avec des éléments qui nous dépassent.

Avant la sortie de son album Distorsion, Nathan nous avait distillé avec Vésuve, Être prêt ou encore Cinéma quelques item qui faisaient la part belle à cette folie furieuse des éléments. Mais l’avantage d’un format long, celui d’un album, est de pouvoir proposer dans le séquençage des morceaux qui le composent, une organisation permettant d’aller plus loin dans la présentation de ce que l’on a voulu partager. Les morceaux – à l’apparence disparate – se trouvent alors liés par une logique qui fait que l’on a l’impression de se trouver face à un tout. Un peu comme les pièces d’un puzzle qui une fois regroupées deviennent collectivement signifiantes.

Être prêt qui ouvre l’album donne le ton d’un discours qui nous accompagnera tout au long de notre écoute, s’organisant entre des moments faussement calmes – comme ceux que l’on imagine ressentir dans l’œil d’un cyclone – et des moments où le tempo devient syncopé – ceux où le sentiment de crainte reprend le dessus. Avec son flow intériorisé et saturé Nathan égraine un texte où l’on évoque un abandon, entre renoncement et acceptation forcée.

Pourtant cette teinte sombre n’est pas la seule couleur présente dans l’album. Un équilibre entre les morceaux graves – de résignation – et ceux plus légers – faits d’espoir – s’organise au fur et mesure que les pistes se déroulent.

Contre-poids à Être Prêt, comme pour nous donner le temps de reprendre notre respiration, Dans le noir est une douce balade faite d’amour et d’entraide avant que Cinéma nous fasse replonger du solidaire au solitaire. Dans le décor d’un huis clos post apocalyptique, un tempo rapide, aux beats entêtants, martèle un paysage musical fait d’un seul bloc. Musique et phrasé saturé, omniprésents, occupent chaque silence de l’espace sonore.

De ses multiples expériences, Nathan a tiré autant de sources d’inspiration qui constituent aussi sa signature sonore. Océans, fable écologique comporte des envolées lyriques que n’auraient pas reniés Polo & Pan « Je suis une goutte d’eau dans un océan de sable ». De même on ressent dans Distorsion – qui donne son titre à l’album – les vibrations des ondes coldwave des débuts de Grand Blanc.

Pour autant son style lui est propre fait d’une rythmique efficace et d’énergies contenues. Un dépouillement apparent constitué de multiples détails qui se fondent dans la ligne musicale. L’angoissant Bourdon – tout seul sur mon chemin si seul et si bien – se pare de breaks ingénieux. Les chemins sonores des morceaux de Lothar ne sont pas linéaires et savent suivre de multiples trajectoires. Vésuve est à ce titre sans doute le morceau le plus construit de l’album. Une mise en scène faite de petites touches, une tension qui monte crescendo avant de se retrouver dans les volutes d’une mélodie arabisante – hypnotisés comme peut l’être le serpent par son charmeur.

Cette tension atteint sans doute son paroxysme avec Partie de toi où cette locution revient telle une incantation. Les mots se mélangent, rebondissent se répondent en écho.

Pour clore l’album les deux derniers morceaux apportent un retour vers une certaine forme de sérénité. Une longue montée instrumentale pour Burin qui se teint d’un sentiment d’espoir que prolonge Azazel avec son électro-pop éthéré et son discours moins fataliste.

Tout au long de Distortion, Lothar nous transporte dans un monde dystopique où l’allégorie portée par l’image de la tempête nous revient sous de multiples formes – en tant qu’éléments naturels ou catastrophes déclenchés par l’Homme – telle une uchronie qui se déroulerait dans des univers intemporels.

Lothar s’appréciant aussi en live, ne manquez surtout pas son set prévu le 18 août 2021 dans le cadre de l’incontournable Take Me Out : Supersonic Hors Les Murs, sur la terrasse du Trabendo dans le parc de la Villette à Paris. Le mois d’août s’annonce chaud et tempêtueux sous les latitudes parisiennes. Laissez-vous porter par Lothar.

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