Dans notre esprit, l’enfance et la musique sont fortement liées, l’un nourrissant l’autre et inversement. Cet été, entre la France et le Québec, on est allé à la rencontre d’artistes qu’on affectionne pour discuter avec eux de leur rapport à la musique dans leur enfance et de l’enfance dans leur musique. Des conversations souvent intimes et qui débordent parfois. Pour ce sixième rendez-vous, on repart à Petite-Vallée à la rencontre de Louis-Jean Cormier.

La Face B : Est-ce que tu te souviens de tes premiers souvenirs musicaux ?
Louis-Jean Cormier : Je me souviens de plusieurs petits souvenirs, mais tu sais, est-ce que ces souvenirs qui semblent être très clairs dans notre tête sont si précis et si représentatifs de la réalité de ces années-là ? Non. Mais j’ai quand même eu la chance de… Je vais faire une réponse un petit peu à développement, mais j’ai eu la chance de naître dans un foyer où la musique était très très présente, et dans laquelle il y avait beaucoup de professeurs de musique ou de gens qui aimaient passer le savoir aux autres. Ça fait que j’ai commencé mes premiers balbutiements de piano classique à l’âge de deux ans.
C’est à ce moment-là que… Mes parents m’avaient enregistré une petite cassette de moi à deux ou trois ans qui composait déjà des petites pièces instrumentales.
La Face B : Et du coup, cette pratique de l’enfance, c’est toi qui l’as décidée ou est-ce qu’on t’a mis devant un piano sans te demander ton avis?
Louis-Jean Cormier : C’est un peu une question sans réponse parce que je devais probablement démontrer un certain intérêt, mais au final, est-ce qu’on ne fait pas aussi des trucs par mimétisme puis par l’envie de faire comme ses parents ou ses frères et sœurs? Ça s’est fait, je pense, dans une totale inconscience.
La Face B : Du coup, le fait d’avoir fait partie d’un foyer très musical, c’est quelque chose qui inconsciemment, finalement, a dû t’orienter dans ce choix-là.
Louis-Jean Cormier : Ça, c’est sûr que… Tu sais, cette fameuse expression qu’on répète souvent à la Astérix et Obélix, d’être tombé dans la marmite quand on était petit. C’est très vivant chez moi, cette affaire-là.
C’est comme si j’ai eu la chance, à un très jeune âge, d’absorber, on va dire ce terme-là, tout le côté académique de la musique, le côté théorique, etc. Donc, en faire un espèce de bagage, mais c’est un bagage chiant un peu, tu sais, à apprendre. Puis de pouvoir… Je pense que dans toute forme de processus de carrière musicale, ce bagage-là est nécessaire et il est nécessaire de passer à l’étape d’après, c’est-à-dire désapprendre un peu tout ça, laisser tout ça de côté et travailler vraiment par instinct.
Donc ça, je serai toujours reconnaissant envers mes parents et la grande famille pour m’avoir permis d’absorber ce bagage-là très clair.
La Face B : Justement, est-ce que tu as vu une évolution dans tes goûts musicaux de l’enfance à l’adolescence ? Et surtout, est-ce que tu as l’impression que tes goûts musicaux et ta façon d’envisager la musique s’est figée à un moment ou est-ce que c’est quelque chose qui est toujours en évolution ?
Louis-Jean Cormier : C’est vraiment toujours en évolution. Je ne veux pas faire des grandes généralités, mais je suis comme tout le monde passé à travers toute forme de… plusieurs styles musicaux et influences, coups de cœur.
Je pense que généralement, ça coïncide avec la vie sociale, avec son apprentissage de la vie, son cercle d’amis. Les crises que tu vas traverser à l’adolescence vont t’amener vers des trucs des fois plus sombres, ou revendicateurs, quand tu deviens un petit collégien intermondialiste. Ça me semble être un parcours très normal, ce que j’ai traversé.
Je pense que chaque individu a ce genre de parcours-là. Il y a des mélomanes, moi je me considère comme un mélomane qui aime panoplie, une palette très diversifiée de styles musicaux. Il y a des gens qui disent, moi je suis un amateur de country, et ça va le rester.
C’est correct, il n’y a personne qui gagne ou qui perd là-dedans. Je suis tellement amoureux de la musique en général, que je vais verser une larme en écoutant du Beethoven, et je vais verser une larme en écoutant du Antonio Carlos Jobim. Ça sera peut-être toujours un rapport à l’émotion. Quel genre d’émotion est véhiculée par la musique, par rapport à ce que tu as envie de vivre. Des fois il y a de la musique matinale, il y a de la musique de soirée, il y a de la musique de route, tout ça j’aime.
La Face B : Justement, à quel moment dans ton parcours, tu as su que c’était la musique que tu voulais faire comme un projet de vie ?
Louis-Jean Cormier : C’est ça, c’est une très bonne question, parce que je pense qu’il n’y a pas d’événement précis. C’est comme si ça a toujours été une certitude.
Ça sonne prétentieux, mais je vais le dire. Je donne le mérite à mes parents, à la grande famille, à mon cousin Alan qui a créé le festival de la chanson de Petite Vallée. Il m’a appris mes premiers accords à l’âge de 8 ans.
Quand je passais mes étés à Petite Vallée, je venais chaque été voir Pierre Flynn faire son test de son, Michel Rivard… on dirait que je savais que j’allais faire ça. Je ne me suis jamais posé la question concrètement.
La Face B : Justement, maintenant que tu es un artiste accompli, quelle part d’enfance tu continues à faire exister dans ta musique ? Est-ce qu’il est important justement de garder une part de pureté et de naïveté dans la création ?
Louis-Jean Cormier : Absolument, absolument. En fait, à la base, je pense que la musique c’est un jeu. Ça doit être agréable, ça doit être rempli de surprises. Et en même temps, la création doit être un jeu aussi.
Pour moi, la création est devenue dans les dernières années beaucoup moins cérébrale, beaucoup moins intellectuelle et beaucoup plus intuitive. Laisser la place à l’espace-temps, à vider son esprit. C’est pratiquement une pratique zen.
Et s’il n’y a rien qui apparaît, attends encore un petit peu plus. Dès que tu précipites ton intellect à vouloir construire quelque chose, ça va toujours être moins bon que si ça traverse le corps. Je crois à cette vision philosophique que les idées existent dans le même champ énergétique vital qu’on a, qu’on est, dans lequel on est.
Et que tu sois dans une prédisposition pour être capable d’attraper l’idée plus que de dire, c’est mon idée, j’aime l’idée, je suis un créateur d’idées. Donc c’est vraiment ça. J’essaie le plus souvent possible d’avoir cette impression que c’est quelqu’un d’autre qui a écrit la nouvelle chanson qui est apparue en cinq minutes.
La Face B : Tu dissocies un peu.
Louis-Jean Cormier : Oui, et en plus il faudrait le faire, parce qu’au final, je pense qu’il n’y a aucune idée, dans toute forme d’idée, des coups de génie d’Albert Einstein aux chansons des Beatles, qui devraient être possédées par quelqu’un qui disait, là je me tire dans le pied parce que je pourrais dilapider toutes mes royautés de droits d’auteur, mais les idées devraient être un peu comme le territoire. C’est déjà un peu étrange de dire, je possède un territoire.
Dans la vie, sur un grain de sable qui se perd dans un univers en expansion, dire ça ici c’est à moi, c’est complètement absurde. Les animaux n’ont pas ça. Un peu quand même, ils pissent autour du territoire. Ils marquent leur territoire.
La Face B : Mais du coup, est-ce que dans un monde de la musique qui est malheureusement très adulte par moment, est-ce que c’est compliqué de garder une part de tendresse et d’émerveillement ?
Louis-Jean Cormier : Je dirais que c’est un des médiums ou des domaines de la vie où c’est le plus facile de garder l’émerveillement. Contrairement à la politique ou la comptabilité, le jeu de la musique, laisser place à l’apparition d’idées, mais aussi en temps réel de jouer devant des gens qui apprécient le contact de la scène avec le public, je pense que c’est un des domaines dans notre société d’aujourd’hui où il y a encore le plus d’amusement et de vision d’enfance.
La Face B : Est-ce que tu protèges du côté un peu business ?
Louis-Jean Cormier : Oui et non, je n’ai pas de peur. J’essaie de ne pas avoir de peur par rapport aux acquis, par rapport aussi à gagner sa vie. On dirait que je me suis libéré.
Ça va paraître un peu prétentieux ou même un peu méchant, un peu hautain par rapport à la jeune génération qui commence. Etre dans la position d’un artiste de la relève aujourd’hui, ça a toujours été une position très délicate, très difficile. Même dans le temps, on avait d’autres formes de défis.
On ne pouvait pas faire des TikToks à tous les jours. On espérait être couvert par des journalistes et avoir monté une revue de presse, un dossier de presse. L’idée d’une certaine forme de lâcher prise sur la protection, la peur de sa carrière, la page blanche.
On parle souvent de ça. Où est-ce que je m’en vais ? Est-ce que je suis devenu un has-been ? Tout ça, j’ai fait un gros travail psychologique. J’ai tout libéré.
Je suis dans une zone de manifestation des expériences de la vie, de la visualisation de ce qui pourrait m’arriver de beau. Ça fonctionne super bien. J’ai l’impression qu’une grande majorité de la vie, de la population… En fait, je ne sais pas moi.
On est dans une entrevue philosophique, je dois le dire. C’est l’humanité qui n’a peut-être jamais appris à desserrer les fesses, à dire qu’il arrivera ce qui arrivera. Quand tu l’essaies pour vrai, ça fonctionne généralement.
C’est une question de karma, d’ouverture du cœur. En tout cas, je suis très sensible à ça.
La Face B : Si tu devais choisir 3 morceaux qui t’ont accompagné dans ton enfance et ton adolescence et qui continuent de t’accompagner aujourd’hui ?
Louis-Jean Cormier : Il y a une chanson qui m’accompagne aujourd’hui parce que j’ai un spectacle de reprises où je flirte un peu avec des chansons d’époque.
Une chanson de Gilles Vigneault qui s’appelle Gros Pierre, dans laquelle il y a un personnage féminin qui s’appelle Laurelou, la trop belle Laurelou. Il y a quelque chose d’hyper nostalgique parce que mon père était un collègue de classe à Gilles Vigneault. Il a eu une chorale.
Mon père dirigeait des chorales de son vivant, il était plus jeune. Sa chorale s’appelait Laurelou. Ça représente vraiment un pan de mon enfance.
Une chanson qui date de 1974-1975. Je ne me rappelle plus exactement. Je suis né en 1980, mais dans la maison familiale, il y avait les vinyles de Vigneault, de Leclerc, etc.
Très rapidement, je me suis mis à écouter de la musique de partout. Comme un jeune guitariste qui reçoit une guitare, c’est sûr que les Beatles apparaissent très vite. Led Zeppelin, Pink Floyd, etc.
La musique de Harmonium était vraiment très présente dans ma vie. Ça a été un déclic pour moi, la chanson De la chambre au salon sur le premier album de Harmonium. J’ai répété cette chanson et j’ai fait comme… Comment dire ? Ça a été comme une révélation. Là, j’ouvre un dossier de mise en bouche. Il y a quelque chose qui m’intéresse avec l’idée de la mise en bouche.
C’est drôle parce qu’on se parle de français à québécois, mais il y a des manières d’écrire des chansons pour que la mise en bouche se fasse naturellement. Il y a aussi une manière dans l’adresse de l’interprétation, une manière d’interpréter la chanson avec une certaine forme d’adresse, qui va être très sensible. Ça peut devenir quelqu’un qui articule trop, qui surjoue comme au cinéma, et quelqu’un qui va marmonner.
J’étudie beaucoup ça ces temps-ci. Serge Fiori, qui est devenu mon grand ami plus tard, avait une manière de chanter qui était tout à fait naturelle, québécoise. L’idée de la mise en bouche, pour moi, ça se décrit souvent par… Il y a des gens qui parlent aux gens et qui chantent.
Quand ils chantent, ils ont un accent complètement différent. Ce n’est pas mal ou bon. Il y a des gens qui sont la même personne.
Moi, je me considère, étant un peu comme Serge Fiori, la même personne que je chante ou que je parle. Il n’y a pas de déclic complexe de personnage. What you see is what you get.
La Face B : Si tu devais choisir un de tes morceaux, à toi ou de ton groupe, pour faire découvrir ta musique à un enfant ?
Louis-Jean Cormier : Ma musique à un enfant, forcément, il faut que ce soit divertissant. Je ne sais pas, je dirais… Aïe, aïe, aïe ! C’est difficile ! Pour faire découvrir ma musique à un enfant… Dernièrement, j’ai fait une chanson, je vais vous parler de celle-là. C’est une commande, c’est pour un grand regroupement qui s’appelle La chanson à l’école. C’est pour faire rentrer les chansons dans les écoles primaires.
Et tous les enfants du Québec, en fait, une grande majorité des enfants du Québec doivent chanter la chanson. Puis à chaque année, c’est un auteur-compositeur différent. J’ai écrit une chanson qui s’appelle Les doigts en cœur. Puis c’était vraiment pour… Ça, je pense que c’est une belle chanson pour faire découvrir mon univers à quelqu’un.
La Face B : J’ai une dernière question. Si un enfant vient te voir et qui te dit qu’il a envie de devenir musicien, qu’est-ce que tu lui dirais ? Qu’est-ce que tu lui conseillerais ?
Louis-Jean Cormier : Je lui conseillerais ce que je conseille à tout le monde ces temps-ci. Essaye de le faire le plus possible avec autre chose que ta tête.
Essaye de penser le moins possible. D’être vraiment plus dans l’instinct. En fait, la tête est souvent le pire ennemi de l’homme en général.
On en parle souvent dans les sports, comme le golf ou le tennis, des trucs comme ça. Mais c’est vrai dans toutes les sphères de la vie. N’essaye pas de construire, quoi que ce soit avec ton mental.
Souvent, les jeunes artistes vont me dire « Comment t’as créé, t’as décidé ton identité artistique ? » Je leur dis toujours « Essaye pas de dire moi, je suis un chanteur à chapeau ». Ça ne marche pas. L’identité va venir d’elle.