Lucie Antunes – Carnaval : « J’ai vidé ma valise et j’ai commencé mes morceaux avec rien »

Un peu plus de trois ans après son premier album, Sergeï, paru en octobre 2019, Lucie Antunes revient avec un nouvel opus, Carnaval. Avec l’énergie et la détermination qu’on lui connaît, Lucie a pris le parti de redéfinir les lignes directrices de ses compositions tout en préservant la nature et l’essence de ses créations. Celles qui font qu’un morceau de Lucie Antunes sonne Lucie Antunes.  

Carnaval sonne plus pop, plus fou. Constitué de 11 titres à découvrir comme autant d’instants fugaces. Car dans son nouvel album, Lucie Antunes célèbre la vie.

Nous sommes allés interroger Lucie pour appréhender, avec elle, le chemin qu’elle a suivi lors de la conception de Carnaval.

La Face B : Bonjour Lucie, depuis notre dernière interview (en octobre 2020), il s’est passé beaucoup de choses. Tout d’abord des concerts annulés – le deuxième confinement allait tomber trois semaines plus tard – et puis un renouveau avec le Sergeï Ensemble que tu as constitué et le Collectif Scale qui est venu compléter votre dispositif scénique.

Lucie Antunes : C’était une très belle expérience de pouvoir travailler la scénographie et puis de monter un ensemble. C’était génial.

La Face B : Le Sergeï Ensemble perdure encore aujourd’hui ?

Lucie Antunes : Oui, l’ensemble est un collectif. D’ailleurs, Francky [Franck Berthoux qui est présent à nos côtés en début d’interview] en fait partie. Je les appelle régulièrement pour monter des projets quand on me sollicite pour faire de la DA musicale. Ce qui va être le cas aux Sœurs Jumelles. Je les réinvite à chaque fois parce que l’on sait jouer ensemble.

La Face B : Et pour les souvenirs, même si vous n’étiez que trois sur scène lors de ce concert du Mama en octobre 2021, tu avais complètement retourné la Cigale. Il s’était passé quelque chose de particulier lors de cette date. Est-ce qu’elle a impulsé quelque chose ?

Lucie Antunes : Oui, je m’en souviens bien. Ça m’a surtout procuré une grande joie. Après je mets toujours autant d’énergie dans mes concerts. Mais là, c’est vrai qu’il y a eu un truc magique, fort, très très fort. C’était la première fois que l’on jouait avec le Collectif Scale en trio. Tout était nouveau. C’était fou et magique. Mais je n’ai pas eu d’impulse après cela.

La Face B : Il y a eu le concert commun avec Léonie Pernet – concert boule noire 6 octobre 2020 – qui a travaillé sur ton album en tant que réalisatrice. Comment s’est passée cette collaboration ?

Lucie Antunes : On a adoré collaborer toutes les deux pour l’album et c’était magnifique. Elle a apporté beaucoup. Même la première version du premier morceau qu’elle m’avait envoyée comme essai était déjà géniale. C’était une collaboration magnifique. On s’est tout de suite très bien entendues. Léonie a été vraiment à l’écoute et, en plus, elle a fait ce tout ce que l’on attend d’un réal.

La Face B : Quand est-ce que ce travail en commun avec Léonie a débuté ?

Lucie Antunes : L’été dernier. Mais, c’est vrai, on avait déjà joué ensemble. Par contre, en studio, on n’avait encore jamais collaboré. C’est devenu une évidence. Et oui, il y aura un futur. C’est certain !

La Face B : Dernièrement, il y a eu un concert et une résidence à l’IRCAM. Ça t’a apporté quelque chose ?

Lucie Antunes : ça a été très intéressant de pouvoir travailler dans ce cadre et le résultat a été vraiment bien. Ils se sont vraiment pris la tête sur la spatialisation. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut faire dans le cadre de nos concerts de musiques actuelles parce qu’on n’a pas les installations qui permettent de la reproduire. Et pour ça, ça a été une expérience assez incroyable.

La Face B : Tu as dû adapter tes compositions ?

Lucie Antunes : Oui, il y a eu un truc spécial. On a dû rallonger beaucoup de parties justement pour pouvoir répondre à la demande de l’IRCAM : pouvoir célébrer cette salle et la mettre en valeur. [l’Espace de Projection de l’IRCAM dont la particularité est de posséder une acoustique modifiable en temps réel avec des temps de réverbération pouvant passer de 0,5 à 4 secondes. Elle venait de rouvrir après 14 mois de travaux]

https://www.youtube.com/watch?v=iij4mmW2fds

La Face B : Entre ton premier album – Sergeï – et celui qui va sortir – Carnaval – tu as fait beaucoup évoluer ton projet.

Lucie Antunes : Oui et c’est une recherche de trois ans. Avec au début pas mal de ressentis négatifs, car ce que je faisais ressemblait beaucoup à ce que j’avais toujours fait. Et puis j’ai été poussé par mes partenaires – Cry Baby et Infiné – qui eux savaient où je souhaitais vraiment aller. On a fait équipe là-dessus pendant plusieurs mois. Je leur ai fait écouter des choses qui étaient au demeurant bien, mais pour lesquels même moi je n’étais pas convaincue. Je n’allais pas à un autre endroit. Ma volonté pour ce deuxième album était de faire autre chose. Et cela prend du temps parce qu’il faut essayer, puis réessayer. Il faut encaisser le fait de ne pas y arriver de suite. Il y a les doutes et la vie.

Et puis un jour, je suis partie à La Rochelle dans un cadre magnifique avec très peu de choses. J’ai vidé ma valise et j’ai commencé mes morceaux avec rien. Tout le contraire de ce que je fais d’habitude. D’habitude, je commence avec des polyrythmies et j’en mets dans tous les sens. Là, j’ai vraiment travaillé sur la composition. Je me suis dit – et c’est ce que Stéphanie et Alexandre de CryBaby/Infiné m’avaient conseillé – qu’il fallait que cela sonne piano-voix. J’ai compris tard ce qu’ils voulaient me dire : « Se concentrer sur une composition voix ». Pas que sur des trucs très complexes.

Et ça a été une grande libération parce que j’avais juste ma voix. Je me suis mise à faire des trucs à la Meredith Monk, et après rajouter un synthé et des plugins. Je me suis obligé à garder des codes de la Pop que je ne connaissais pas – couplet/refrain/couplet/refrain/pont – mais en le faisant à la mienne. Voilà, et tout cela a donné Carnaval. J’étais hyper contente de vider ma valise et de recommencer presque à zéro.

La Face B : C’est vrai que cela crée une rupture. La première écoute est surprenante – ce n’est pas à quoi je m’attendais – et puis rapidement on adhère et l’on est conquis.

Lucie Antunes : Je comprends. Et c’est ce que ça fait souvent. Je suis complètement d’accord avec l’idée que certaines personnes soient vraiment surprises. En prenant l’exemple de Caribou que j’adore, chaque album est très différent. Dans un des derniers, il y a un morceau qui s’appelle Never Come Back qui sonne comme de la dance des années 2000. J’étais méga surprise au début et puis je me suis dit que c’était génial, car ils utilisent les outils actuels. Je trouve cela vraiment intéressant de faire plusieurs albums qui n’ont rien à voir les uns avec les autres, mais sur lesquels on retrouve toujours leur ligne directrice. 

La Face B : Les voix présentes dans ton album semblent désincarnées – mécaniques.

Lucie Antunes : Je voulais vraiment travailler les voix à la Mederith Monk. Pouvoir explorer des voix traitées et pas juste la voix telle qu’elle existe. J’aime toujours aller plus loin. C’est ce qui est aussi intéressant dans le processus minimal. Se concentrer sur une chose et l’explorer à fond.

La Face B : On y retrouve aussi un jeu de voix comme pourrait le faire un enfant avec son côté spontané et son imaginaire.

Lucie Antunes : Oui, il y a vraiment ce truc-là. Spontané, enfantin, très intuitif. 

La Face B : Et puis pour la composante pop, Mais – que l’on entend d’ailleurs en ce moment sur Fip – me fait penser à un vieux morceau d’un duo entre Lavilliers et Nicoletta – Idées Noires – pourtant très éloigné de ton univers sonore.

Lucie Antunes : Ça ne m’étonne pas parce que j’ai vraiment utilisé les codes de la Pop avec des thèmes qui reviennent.

La Face B : Maintenant que tu es sorti pour Carnaval de la phase studio, tu vas le présenter sur scène. Qu’est-ce que cela va donner ?

Lucie Antunes : Il faut venir le voir le 13 avril. Je ne peux pas dire.

La Face B : Le passage studio-scène est-il complexe à mettre en œuvre ?

Lucie Antunes : Assez, je ne veux pas faire un truc qui ressemble au studio donc ça prend du temps. Et du temps en 2023, on n’en a pas. Là on est en préparation de résidence. Cette résidence en vue du live commencera lundi [pour un concert programmé jeudi]. Pour moi, monter un live prend beaucoup de temps, beaucoup d’énergie, beaucoup de répétition. Et encore une fois, le temps se fait rare.

La Face B : Et comme tu aimes bien mélanger les arts, prévois tu-d’associer à ton live d’autres formes d’expression que la musique, de la danse, de la scénographie.

Lucie Antunes : Pareil, j’ai envie de te dire de venir le 13 avril. Je ne peux pas trop en parler pour l’instant. Je ne peux pas encore dévoiler tout.

La Face B : Après ta release au CentQuatre le 13 avril, tu vas enchaîner d’autres dates.

Lucie Antunes : Oui, il y aura le Printemps de Bourges et pas mal d’autres concerts qui s’organisent.

La Face B : Tu auras également une date à l’automne à la Philharmonie, la Nuit Chamanique

Lucie Antunes : Ce n’est pas lié à l’album Carnaval. Il s’agit d’une carte blanche que la Philharmonie m’a invité à faire. Et j’ai proposé que ce soit une Nuit chamanique. J’invite plein de gens différents et ce sera assez spontané.

La Face B : Que peut-on te souhaiter ?

Lucie Antunes : Que peut-on me souhaiter ? Que ce live soit réussi ! J’ai mis beaucoup d’énergie dedans et il a été laborieux à monter. J’espère qu’il va être à la hauteur de l’énergie que j’y ai mise. Là aujourd’hui, c’est ce qu’il faut me souhaiter ! J’ai toujours une certaine exigence dans ce que je fais. Alors il faut que j’arrive dealer avec cela !


Et qu’a donné le concert de Lucie Antunes au CENTQUATRE pour la sortie de son album Carnaval ?

Déjà l’établissement de la Ville de Paris – véritable pépinière culturelle – dont on pensait connaître tous les recoins, nous a dévoilé une magnifique et immense salle, l’Atelier 4 (une jauge de 930 places en configuration debout), quasiment pleine pour fêter la sortie de Carnaval.

Yagé a ouvert le set de manière explosive avant d’enchainer sur un It’s Amazing impressionnant. Car si l’on avait déjà adoré les morceaux en studio, on les redécouvre sur scène. Ce qui surprend peut-être le plus c’est l’omniprésence des voix. Certains effets que l’on pensait produit digitalement le sont en réalité par les voix. On ne s’y attendait pas. Et à cet exercice, Clémence Lasme et Louise Botbol, qui accompagnent à la basse et aux claviers Lucie Antunes et Franck Berthoux, excellent. Transformée en automate d’horloge, Louise oscille mécaniquement entre chœur et cloches tubulaires.  

Les titres s’enchaînent avec énergie, on sent la tension ressentie par les musiciens, évoluer vers un état euphorique. Le plaisir de jouer est bien présent sur scène. Côté salle, emportés par les flots musicaux et le rythme de sa grosse caisse, le temps devient plastique et nous transporte vers un ailleurs.

Climax assumé du concert, Carnaval – on est là pour fêter la naissance d’un album – se déchaine et devient le lieu de tous les excès. Rejoints sur scène par Léonie Pernet et de nombreux danseurs, le morceau qui a donné le nom à l’album se métamorphose en un joyeux bazar exutoire.  

Nous espérions l’extraordinaire, nous avons eu le flamboyant. Lucie Antunes déploie sur scène une énergie impressionnante. S’il vous est donné la possibilité de la voir en concert, ne la loupez pas !     

Elle parvient à fédérer largement autour et au-delà de sa musique. Et ce n’est pas si étonnant que cela, car si son projet est singulier et sans concession, il n’en est pas moins sincère et engageant. Lucie Antunes pourrait bien être la belle surprise de l’année 2023. En tout cas, nous le lui souhaitons.

Et comme le chante Lucie Antunes, Faites-vous des bisous !

Setlist – Release Party Carnaval 104 Aubervilliers – 13 avril 2023
Yagé
It’s Amazing
Mais
Jacob
Vivant.e.s, Pt. 1
Hoho
Carnaval
Faites-vous des bisous
Láska
Vivant.e.s, Pt. 2
1er Rappel
Vous êtes parfait.e.s
LNM
2e Rappel
Improvisation avec Léonie Pernet