Il y a deux ans et demi, en plein marasme du COVID, Bolivard nous invitait à une séance de psychanalyse musicale avec Dr Bolivard. Un premier effort qui, à travers la dualité de deux personnages barrés, le soignant et le soigné, permettait au musicien d’explorer des sentiments intérieurs et de chercher à répondre à cette question aussi simple qu’insoluble : « Qui Suis-Je ? ». En 2023, le monde ne va pas beaucoup mieux et Bolivard délaisse la blouse pour le costume trois pièces. Désormais, l’idée est encore plus ambitieuse : » Qui Sommes Nous ? ». Réponse en 20 minutes et 7 titres réjouissants avec M.Bolivard.

Le monde va mal, le monde se délite et le monde a besoin d’un sauveur. Au milieu de ce marasme ambiant, un héros s’élève, il nous veut du bien, il enchaîne les grandes phrases et les sourires ultra-bright pour nous charmer, cachant dans son dos une main et une manche de chemise tachée de sang. M.Bolivard se présente à nous, assénant en moins de trois minutes une litanie d’inepties qui ferait passer Maxime Piccinini pour un être sain d’esprit. Le tout sur une rythmique dingue, qui nous ferait presque oublier l’enfer de ces idées de développement personnel, puisque nous sommes trop concentrés à danser.
Tout M.Bolivard se tient dans ce morceau éponyme : une écriture acérée, absurde, et qui utilise la première personne pour amplifier l’effet de folie générale, le tout associé à une recherche toujours plus précise et impressionnante de la mélodie et des harmonies, ainsi qu’à une thématique ouverte sur un monde qu’on ne peut pas sauver, et dans lequel on ne peut malheureusement que vivre.
Ce monde que Bolivard nous présente aurait de quoi être effrayant si il ne nous paraissait pas si étrangement familier. Dès Bolivard News, on ne peut s’empêcher de sourire face à cette accumulation de catastrophes, tirées à l’extrême pour mieux présenter notre quotidien, le tout s’enchaînant sur un beat aussi sombre que monstrueux qui s’évapore au moment du climax.
Ici, on est plus chez Brett Easton Ellis période American Psycho que dans le Dr Jekyll et M. Hyde de Stevenson, tout simplement car la sociopathie derrière le masque de bonté est absolument assumée et n’est en aucun cas un élément subi. Tous les personnages que nous rencontreront dans M.Bolivard sont aussi hilarants que humainement détestables, à l’exception sans doute du héro de Je Danse.
Avec sa guitare rythmique et son côté presque autobiographique, le morceau est une sorte d’adieu au personnage présent dans Dr Bolivard. Le morceau est une ode aux inadaptés nocturnes, à ceux qui aiment la musique mais pas forcément les clubs et qui se noient dans les substances alcoolisées pour se trouver une prestance.
Psychopate débarque et multiplie les positions. Le morceau est lui aussi foncièrement dansant et se joue en trois actes rappés, présentant trois personnages aussi victimes que bourreaux, perchés sur l’arbre de leur certitude et sur le bien fondé de leur façon de vivre. C’est là que tient toute la réussite de Bolivard : il ne juge jamais vraiment. En incarnant ces caricatures, en les faisant vivre, il leur donne une âme et les rend presque appréciables. L’utilisation de la première personne y est pour beaucoup, puisqu’elle crée cette connivence et lui permet de s’autoriser tout et absolument n’importe quoi.
Le morceau s’accompagne d’un pendant instrumental, Psychoville. Placé évidemment au milieu de cette histoire, le morceau permet de rappeler que Bolivard est aussi un très grand créateur d’ambiances, nous entraînant ici dans les bas-fonds de cette ville où vivent ses héros, amenant de nouveaux éléments organiques avec l’apparition de cuivres, en plus de l’inévitable guitare, présente sur tous les morceaux.
Après la découverte de M.Bolivard débarque sans doute le morceau le plus dingue, hilarant et réjouissant de l’album : Rêve Party. Une sorte de cadavre-exquis sous psychotropes et au beat imparable, qui nous traîne dans des bribes de rêve. Un vrai morceau de bravoure qui nous secoue et nous entraîne de surprise en surprise à la découverte d’une dame de Pôle Emploi agressive, d’un cheval qui rit et de la barbe de Wejdene.
Comme un générique de fin, Tout le monde est une sorte de réveil en gueule de bois. Le morceau joue à fond sur la dualité, comme si les personnages présent à Psychoville finissait par découvrir qu’ils n’ont rien d’exceptionnel et d’unique et qu’ils sont fait de sang et d’os, comme leur camarades de jeu. On pourrait ainsi citer Tyler Durden dans Fight Club, autre grand moment de nihilisme à l’américaine : » Vous êtes la merde de ce monde, prête à servir à tout« .
Alors, est ce que M.Bolivard va sauver le monde ? Sans doute pas. Mais avec ce nouvel épisode, Bolivard nous offre une bouffée d’oxygène et d’humour bien salvatrice. Une musique qui pense, qui danse et qui surtout, ne se prend jamais au sérieux.