King Krule aka Archy Marshall nous revient avec le magnifique Man Alive! et nous plonge une fois de plus dans son univers gritty et lunaire art rock / post punk à frontière du jazz, avec toujours ce côté rugueux, imparfait qui rend ses compositions addictives. Comme dans son album précédent The Ooz, on y ressent la douleur et la tension, même si sur Man Alive! la dense noirceur est ponctuée par des notes presque optimistes. Il faut dire qu’entre les deux albums, plus précisément à la moitié de la conception de Man Alive!, Archy Marshall appris qu’il attendait son premier enfant et fit le choix d’habiter à la campagne la moitié du temps, changements importants qui ont fortement influencé le paysage musical de l’album…
Cela faisait deux ans depuis la sortie de The Ooz (album nominé au Mercury Prize) lorsqu’une mystérieuse vidéo de King Krule est apparue sur le net en novembre 2019, avec quatre morceaux inédits : Perfecto Miserable, Alone, Omen 3, (Don’t Let The Dragon) Draag On, et Energy Fleets. L’intention n’était pas très claire au début, s’agissait-il d’un nouvel album ? La vidéo annonçait seulement une tournée pour 2020. Celle-ci intitulée Hey World! réalisée par Charlotte Patmore, la compagne du musicien, montrait celui-ci en pleine campagne, jouer au milieu d’un champ enneigé ou devant les cheminées fumantes d’une usine industrielle, en pleine nuit ou devant un vaste ciel de soleil couchant. Le film arty de 16 min avait pour caractéristique que la plupart des morceaux y étaient/sont joués live et par Archy Marshall seul. Les morceaux épurés y sont intenses et essentiels…
L’annonce officielle de la sortie de Man Alive! est arrivée quelques mois plus tard et était accompagnée de la vidéo de Don’t Let the Dragon (Draag on), version enregistrée en studio cette fois, premier single officiel et autre teaser de l’album à venir. Il s’agissait de la première vidéo écrite et réalisée par Archy Marshall. Le film tourné en une seule prise en noir et blanc nous faisait découvrir à la fin l’artiste sur un bûcher en train de brûler (pour/par son art ?). Le morceau est très lent et très introspectif. Sur des beats espacées et des samples bluesy le chanteur murmure. On y entend « self-medicate », « how did you get this low » (« soigne-toi », « comment as-tu pu descendre si bas ? »)… Le musicien s’est livré plusieurs fois dans la presse sur ses tendances dépressives, et ce morceau bien sombre en est une incantation.
Le second single sorti le 5 février, Alone, Omen 2, est un des/ sinon le titre/s phare de l’album avec ses délicates notes de guitare ponctués d’accords écorchés, des samples extra-terrestres sur une batterie jazz. La vidéo montre Marshall au milieu d’une foule dense qui se disperse pour le laisser seul. Dans une autre séquence du clip, on le voit super sapé (costume bleu ciel, lunettes de soleil preppy), la « star » face à des mirroirs sans fin schizophréniques. Mais si les mots “Don’t forget you not alone” (« N’oublie pas que tu n’es pas seul ») scandés peuvent être compris de différentes façons, ce morceau fait partie des « highs » de l’album. À la sortie du morceau, King Krule déclarera : “I felt like I had gotten out of a dark place, and I was on a high. I appreciated the depression… but I also liked how I felt better in the here and now.” (« Je sentais que j’étais sorti d’un endroit sombre, j’étais de bonne humeur. Je reconnaissais la dépression… mais j’aimais aussi le fait de me sentir mieux dans le moment et le lieu présent. »
Cellular le troisième single sortie quelques jours avant l’album ouvrira celui-ci. C’est un savant mélange de guitare électrique à vif, samples psychédéliques, rafales de saxophone, beats et voix, pour un son post-punk/ jazzy/gritty unique au musicien londonien. Il est question de réseaux et de connexion qui se coupe…
Et enfin l’attente fut fini : Man Alive! est sorti ! Le tout est un diamant pur, brut et abrasif avec Comet Face, instrumentalement cacophonique et se situant à Peckham Rise à Londres où Marshall a longtemps habité, Stoned Again, où sa voix passe du style hip hop au grunge avec des râles et des grognements, des morceaux sombres rêveurs avec The Dream, balade lunaire, et des allusions à sa paternité prochaine, Airport Antenatal Airplane. L’album nous rend au cœur de la mélancolie créatrice de son auteur et si Man Alive! garde noirceur et rugosité, l’album sonne (un peu) plus optimiste que ses prédécesseurs. Le vinyle, dont le musicien a confié la direction artistique à son frère Jack Marshall tourne en boucle sur nos platines…