Mannequin Pussy : une voie vers le sacré avec I Got Heaven

Le quatuor américain de riot girrrl Mannequin Pussy est de retour avec un quatrième album, I Got Heaven, entre le punk contestataire et la pop ouatée. Produit par John Congleton (Death Cab for Cutie, Tegan & Sara), c’est un disque qui s’écoute d’une traite : pour la richesse sonore, le propos et les mélodies définitivement galvanisantes.

Crédit : Ian Hurdle

Dès la première écoute de cet album, j’ai été subjuguée. La voix de Marisa Dabice, qui me rappelle parfois celle de Dana Margolin de Porridge Radio. Cette facilité déconcertante à passer de la pop un peu garage au punk viscéral. Des hymnes en tête, des cris à entendre et surtout le plaisir à partager ensemble ces pistes. Le groupe sera d’ailleurs de passage en France pour deux belles dates : le 4 juin à Petit Bain (Paris) et le 5 juin à l’Aéronef (Lille).

Il faudrait alors tenter de définir ce qui se passe dans nos oreilles. Une avalanche de sentiments, soufflés par un vent rock, punk et shoegaze. Un vent fort, qui secoue nos équilibres mais réchauffe nos pensées. Les coupables ? Colins « Bear » Regisford à la basse et au chant, Kaleen Reading à la batterie et aux percussions, Maxine Steen à la guitare et aux synthétiseurs et enfin Marisa Dabice à la guitare et au chant.

Depuis leur premier album en 2014, le groupe originaire de Philadelphie s’intéresse à l’humain. Comment prendre soin les un.e.s des autres ? Et surtout, qu’est-ce que ça signifie ? La pochette d’I Got Heaven dévoile une figure féminine, nue, les cheveux longs avec à ses côtés un cochon. Deux figures dans la nature devant un ciel orageux mais poudré. Est-ce que la femme protège l’animal ? Est-ce qu’elle l’emmène vers la mort ? Le groupe joue intentionnellement la carte de l’ambiguïté et déclare : « Nous devrions vraiment être les bergers et les protecteurs de tout ce que nous avons et du monde dans lequel nous vivons ».

Cet album évoque la solitude, celle qu’on choisit, celle qu’on chérit. Être une femme et ne pas avoir besoin d’un homme. Les animaux sont sacrés et respectés et les références au feu et à la sainteté perlent à travers ces dix titres. Pour Dabice, chanteuse et guitariste, essayer de faire quelque chose de beau dans un monde aussi insensible et méchant, c’est finalement un acte radical : « La philosophie de ce groupe a toujours été de rassembler les gens. »

Se réunir, en commençant par eux. Pour cet album, le groupe a décidé d’écrire ensemble à Los Angeles, là où Dabice composait avant seule, à la maison. Une collaboration on ne peut plus être réussie, où Maxine Steen, le nouveau membre, a grandement participé.

En onze titres, Mannequin Pussy, déploie la richesse de son répertoire. Entre les pleurs et la douceur, entre la joie infinie et la solitude inexorable.

L’album s’ouvre avec le morceau qui lui donne son nom : I Got Heaven. Instantanément une petite voix qui semble s’amuser avant que les mots explosent :

I went and walked myself / Like a dog without a leash / Now i’m growling at a stranger / I am biting at their knees / And if i wanted it, you really think i’d wait for the permission? / For protection and assurances that all would be delivered?

Couplets agressifs et refrain rêveur, Mannequin Pussy libère la parole et le regard. La colère par la musique au sein d’un mélange de sacré et de profane. Ainsi, dénoncer l’hypocrisie chrétienne et ceux qui se servent de la religion pour accomplir des actes inimaginables.

Après ce cri de guerre envers l’église, c’est aux hommes que le quatuor s’adresse dorénavant. Loud Bark c’est l’assurance que nous, femmes, nous ne plierons jamais. Les coups, les insultes, le sexisme, la misogynie. Mannequin Pussy c’est la force, la rage, la résilience. Le collier qu’on refuse de serrer autour de son cou, les morsures qu’on inflige à ceux qui essaient de s’approcher un peu trop près. Inévitablement, mon morceau préféré. “I want to walk around at night while being ignored”. Quelques mots, si simples, qui parlent à toutes les femmes. Un timbre de voix si doux qui s’accorde aux riffs de guitare avant que la colère prenne le dessus, avant qu’une main non désirée passe sur une cuisse. Alors, l’explosion, les yeux qui crient et “A Loud Bark / Deep Bite” qui résonnent. Magnifique.

Comment redescendre ? Peut-être en écoutant Nothing Like, l’amour sous pop avec des airs de psyché. Ou I Don’t Know You qui se dessine à pas feutrés et raconte l’histoire d’un crush. Cette rencontre inopinée dans un lieu commun qui ouvre le champ des possibilités et l’envie d’en savoir plus sur la personne. Les percussions, caressées, et les mots qui semblent chuchoter tandis que les synthés en fond dressent le décor imaginaire et que la basse nous ramène dans le présent. Dabice précise : « Sur cette chanson, j’ai changé l’accordage à la dernière minute, ce qui a transformé la chanson, mais tout le monde savait instinctivement quoi faire ».

Sometimes nous emporte vers une pop énergique, mise en avant par la basse effrénée. Le refrain et les chœurs nous plongent au sein des années 90 tandis que Dabice hurle ses pensées au sein d’une ambiance cotonneuse.

Et alors que nous sommes déjà au milieu de l’album, Mannequin Pussy distille ça et là des touches de punk, voire de métal avec notamment OK ? OK ! OK ? OK ! , Of Her et Aching. La première a des airs de The Offspring et aboie. Chacune raconte la vie, ses accrocs et ses jolis pas. On y célèbre les parents, et plus particulièrement les mamans et les sacrifices qu’elles font pour que nous ayons une vie sereine et apaisée.

Et alors qu’on se rapproche douloureusement de la fin, Softly s’offre à nous. Un titre aux couleurs shoegaze qui se déchire vers les dernières notes, tandis que la chanteuse se libère de quelques mots : « What if one day I don’t want this anymore?”. Une première fois, doucement. Une seconde, également. Et enfin, une dernière avec les tambours en fond et sa voix qui susurre et s’écrase.

Finalement, Split Me Open conclut cet album, entre douceur et vive énergie. Et lorsque Dabice clame : « Nothing’s gonna change!?”, il y a sans doute un peu de Dana Margolin (Porridge Radio) avec nous. Alors, on célèbre une dernière fois les corps, ceux qui désirent trop mais qu’on doit ériger en temple. Car, chaque jour ils nous aident à avancer, à supporter le poids, l’usure et le temps. Sans jamais nous juger, nos corps nous protègent des altérités.

Avec I Got Heaven, Mannequin Pussy embrasse le punk et la pop et réconcilie le ciel et la terre. C’est un album qui n’a pas peur des mots ni des idées et qui adoucit autant qu’il embrase.

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