Manon David Club : « Cette musique déborde d’envies »

Echappée en solitaire après des années de Groupe Obscur, Manon David s’est formé un Club avec Charly Saulay et Vincent Audusseau. Un premier EP au nom engageant Wonder Jazz est sorti en décembre sur l’incontournable label Midnight Special Records. En sept chansons, elle tisse un univers qui lui est propre – oscillant entre chanson, pop, jazz et funk. Nous sommes allés à sa rencontre pour parler musique (et tissus).

La Face B : Bonjour Manon, comment vas-tu ?

Manon : Ça va très bien. Je suis contente d’avoir sorti cet EP. Ça fait un an qu’on le prépare, alors ça fait du bien que cela sorte.

La Face B : Après de nombreuses années passées au sein du Groupe Obscur, tu as monté ton propre projet. Qu’est-ce que cela change ?

Manon : C’est assez différent. Le Groupe Obscur a commencé en 2012. Cela fait un moment. Depuis, j’ai pas mal changé. C’est comparer deux périodes de ma vie assez lointaines. Ce qui change… Je ne peux pas dire que c’est de porter le projet toute seule parce que je ne suis jamais tout seule. Aujourd’hui, je joue avec deux musiciens. Ce qui change… c’est peut-être dans la prise de décision, le fait d’avoir quelque chose de plus assumé. Que tout ne soit pas décidé de manière collégiale comme cela se passait avec le Groupe Obscur où l’on réfléchissait sur tout à cinq. Là, il s’agit plus de me questionner sur ce dont j’ai envie et d’assumer les choix que je fais. C’est la grosse différence. Après, il a beaucoup d’autres différences, ne serait-ce que sur le style musical.

La Face B : Et les difficultés auxquels tu pourrais te retrouver confronter en ayant ton propre projet en termes de compositions. Réussir à prendre du recul ou autre.

Manon : J’avais à cœur d’écrire mes chansons, mes textes, mais comme je disais je n’avais pas – et je pense aussi à la scène – envie de jouer toute seule. Comme je suis bassiste, je ne me vois pas jouer sans batterie. Et si je compose effectivement toute seule, on a réarrangé toutes les chansons de l’EP à trois. J’ai fait la trame, ensuite Charly [Saulay] et Vincent [Audusseau] ont complètement été libres de réinterpréter des parties. Et du coup, ils ont apporté beaucoup. Les chansons leurs ressemblent aussi. J’amène les idées, j’écris, mais ensuite ils se les réapproprient.

La Face B : Et c’est le côté Club de Manon David.

Manon : Complètement.

La Face B : Cela relève peut-être de la trivialité ou de l’évidence, mais la musique de Manon David Club apparaît plus solaire que celle du Groupe Obscur, moins complexe.

Manon : Ce n’est pas conscientisé, mais j’avais sans doute envie d’explorer d’autres choses. Quant à la complexité, on va dire que c’est un autre genre de complexité. Cette musique déborde d’envies. Avec le recul, je m’aperçois qu’elle est nourrie de plein de choses y compris du passif avec Groupe Obscur. C’était la fin d’une aventure très forte avec toutes ces années partagées ensemble.

Et puis il y a eu le Covid, cette phase de rien. Je pense que cela a mijoté. J’avais envie de faire de la musique. On était frustrés par cette période bizarre. Ça m’a laissé le temps d’écouter d’autres choses, de me remettre à la basse et finalement cela a explosé dans quelque chose de différent. C’est très dynamique. J’avais vraiment beaucoup d’énergie à mettre là-dedans.

Effectivement, elle est plus solaire, remplie d’envies. J’avais plein de choses à y mettre. Je ne dirais pas qu’elle est dans l’urgence, mais il y avait cette envie de jouer. Cela se ressent dans l’énergie, dans les tempos, la dynamique. Il fallait que cela sorte !

La Face B : Justement, si on te demandait de caractériser ton style musical, comment pourrais-tu le décrire. On pourrait parler de Wonder Jazz comme se nomme ton EP ?

Manon : J’avais le titre en tête avant tout. J’avais trouvé une série de pin’s dans un vide grenier avec « Wonder Reggae », « Wonder Jazz », « Wonder Rock ». On se les ait réparti et j’avais gardé celui de « Wonder Jazz ». Je l’ai eu sur ma veste pendant longtemps. Et je me suis vraiment toujours dit qui si je sortais un truc, il s’appellerait « Wonder Jazz ». Et ce, avant même l’apparition de ces influences.

Ensuite, c’est vrai qu’il y a plein de genres musicaux différents dans cet EP. Mais je pense qu’il a une essence très Pop que j’avais déjà avec le Groupe Obscur. J’aime écrire des chansons. J’ai une culture de la chanson – pas forcément dans le sens variété française – mais dans l’écriture même. C’est ma culture Pop. Et puis comme je me suis remise à la basse. J’ai écouté pas mal de jazz, de jazz-rock ou du funk, pour justement les jouer. Et tout cela s’est mélangé.

En faisant de la basse, j’ai commencé des compos et ça a teinté le reste. Je me suis laissé porter par cela. Ensuite, en les sollicitant, Charly et Vincent ont ramené leurs propres couleurs. Vincent a une culture jazz très forte en lui. Ça a teinté l’EP dans les solos, les harmonies. Charly a une frappe super énergique et a ramené un côté parfois drum & bass. Tout cela vient de ce mélange.

Pour autant je n’ai pas l’impression que ça va pour autant dans tous les sens. Ça a peut-être besoin d’être canalisé. Et je pense que c’est aussi le rôle d’un premier EP sert aussi à ça. Il permet de préciser, plus finement, là où on veut aller. Il a une essence Pop teintée de cet esprit parfois un peu jazz, parfois un peu funk.

Et pour les paroles en français, c’était aussi le cas dans le Groupe Obscur. Là, cela parait peut-être plus intelligible. Avec le Groupe Obscur, c’était plus mystérieux.

La Face B : Ton album à l’écoute reste très homogène, si cela peut te rassurer. Il peut y avoir des notes de piano, la batterie et surtout la basse qui donne à tes chansons des teintes assez particulières. On a beaucoup parlé musique, mais tu as aussi une structure narrative qui est bien présente, des histoires que tu racontes. Ce qui fait nous demander par quoi tu commences lorsque tu écris une chanson. Une mélodie, une ligne de basse, un thème qui te vient à l’esprit. Comment cela s’orchestre ?

Manon : C’est très variable. Cela dépend vraiment des chansons. Ce que je constate c’est que selon l’ordre dans lequel je la compose, la chanson va souvent prendre une direction ou une autre. Par exemple, si j’ai d’abord un texte et que je l’harmonise ensuite on va aller vers une forme plus de « chanson ». Tout va s’articuler autour du texte. C’est le cas dans Chanson de la fin ou dans Manteau de nuit. L’arrangement apparaît d’une manière plus évidente car il est sous-entendu par le texte.

Inversement, pour d’autres j’ai commencé par l’harmonie ou la ligne de basse. Dans Ricky Lee, la ligne de basse constitue la trame du morceau. Je pense que cela s’entend. Et si je mets le texte à la fin, c’est difficile de le mettre en valeur. Je vais avoir une mélodie un peu plus alambiquée.

C’est donc variable et c’est bien que ce le soit. Cela m’éloigne d’un systématisme. Mais, je n’y réfléchis pas trop. Cela vient comme ça. Les idées viennent souvent en marchant ou en faisant complètement autre chose. Je m’enregistre beaucoup sur mon téléphone. J’ai plein de pistes de brouillons que je réutilise. Cela donne parfois quelque chose ou parfois rien. Je crois que c’est assez classique des gens qui écrivent de la musique.

La Face B : Un premier EP, cela représente un aboutissement ou un ressort pour continuer ?

Manon : Je suis super contente qu’il sorte. Je trouve que cela pose les bases de quelque chose, pour moi, pour nous trois. Après, ce n’est pas un aboutissement. C’est pareil pour tout le monde, il existe un décalage entre le moment de la composition et celui de la sortie. Ce sont des temps qui sont complètement fragmentés et qui ne correspondent jamais à un même état d’esprit. Cela fait à peu près deux ans que j’ai écrit les chansons. Là, je suis déjà complètement ailleurs. Ce que je voudrais, c’est retourner en studio tout de suite. Il est vrai que je suis assez impatiente comme personne. Donc, je suis super contente et j’ai envie de remettre le couvert !

La Face B : Tu fourmilles de compositions et d’idées ?

Manon : Carrément, et c’est ce qui alimente le projet. Maintenant, c’est bien de les méditer et que cela n’arrive pas tout en bloc. C’est bien qu’un morceau ait besoin d’être digéré. C’est comme cela que l’on fait surtout dans une époque où il y a beaucoup de choses qui sortent et où beaucoup de choses ont déjà été faites. Même si il n’est pas facile à l’accepter, le temps est nécessaire. Si on veut faire quelque chose de bien, c’est comme ça.

La Face B : Ton EP a été enregistré au studio Nocturne de Midnight Special records

Manon : Oui, en octobre dernier, on est allés enregistrer là-bas avec Vincent Audusseau, Charly Saulay et Johan Dargel. On a enregistré toutes les batteries, tous les claviers, toutes les perçus. Ensuite on est revenu à Rennes. Johan Dargel et Quentin Bodin – qui ont mixé – ont également un studio près de Rennes où l’on a enregistré les basses et les chants. Wonder Jazz a donc bénéficié d’un partenariat de studios !

La Face B : Et durant ton passage au studio de Midnight as-tu eu l’occasion de jouer avec Victor Peynichou (qui dirige le label). Il me semble qu’il fait de la basse également.

Manon : Non, on n’a jamais joué ensemble. Victor que ce soit avec moi ou avant avec le Groupe Obscur est très discret. On a vraiment carte blanche. Et c’est trop bien. Il est toujours là, mais en étant très respectueux de ce qui se passe. Il va nous donner toute sa confiance et ça, c’est trop bien. Par contre c’est vrai, on n’a jamais jammé ensemble.

La Face B : Il y aura des occasions pour !

Manon : On a le temps.

La Face B : On a parlé musique et si tu utilises des matières sonores pour tes chansons, tu couds également des pièces de tissus. D’où te vient cet attrait pour ces textiles qui font vivre – sur toi, en décor de scène, en pochette de disque.

Manon : J’adore me costumer et ça a toujours été le cas. Lorsque l’on a commencé avec Groupe Obscur, c’est arrivé dès le premier concert. Je me suis dit qu’il fallait que l’on se costume. Un concert, c’est important, c’est un spectacle ! Ensuite, c’est devenu un invariant. On s’est enlisé comme ça [Rires]. Ça a été une évidence et c’est devenu un constituant du groupe. Pour moi, c’est quelque chose que j’adore. C’est vraiment un plaisir.

Et puis j’imagine toujours mon plateau, comme quand je vois un concert en tant que spectatrice. Si les gens sont costumés, ça va vraiment me happer. J’imagine l’image du plateau, l’esprit du show. Je cite souvent Prince dont je suis super fan, comme à peu près 100% de la population mondiale. Je trouve cela généreux, festif, poétique. C’est en totale fusion avec la musique. Il y a une sorte d’engagement total envers ce que l’on fait. C’est difficile de ne pas adhérer parce que c’est sincère.

Et je suis ravie que mes comparses aient toujours accepté de mettre les costumes. C’est aussi un engagement de leur part. Ça, c’est génial. C’est aussi une marque de courage. Aujourd’hui, les choses originales, hors cadre, ne sont pas toujours les bienvenues. On vit dans une époque assez frileuse en termes de prises de risques. J’ai envie de choses différentes et tous ceux qui le font ont du courage. C’est super important pour moi !

Manon David Club au Point Ephémère (26 fév 2022) – Crédits Photos : Thomas Bader

La Face B : Je t’avais vue au Point éphémère et c’est vrai que lorsque vous arrivez sur scène, il y a un effet « waouh » qui nous transporte. Les couleurs (orange, brun, violet) et les motifs (géométriques) sont issus des années 60/70. Ce sont des tissus que tu chines ?

Manon : Ce sont des vieux tissus assez typiques. Aujourd’hui, c’est difficile de trouver du bon tissu ou alors il est très cher. Pour le clip, je cherchais des gros motifs pour avoir ce côté impactant à l’image. Et en fait ça ne se fait plus trop. Il y a beaucoup de petits motifs. Il a fallu aller chercher autre chose. En plus, j’adore chiner. C’est agréable. Et puis pour les couleurs, c’est vrai qu’elles ont un côté « J’ai besoin d’autre chose ». Je t’en parlais pour la musique. Se réinventer c’est se donner la possibilité d’aller complètement ailleurs. Même pour moi, dans mon style vestimentaire je suis très souvent habillée en noir. Je le suis toujours, la new-wave est ma culture fondamentale. J’avais un peu le kit qui allait avec. Aujourd’hui c’est un peu n’importe quoi au niveau des couleurs. Je ne suis pas dans la demi-mesure.

La Face B : Le fait de jouer le ton sur ton entre les décors et les costumes, apporte un effet caméléon qui te permet de te dissimuler.

Manon : Lorsqu’on a fait les premiers costumes pour le Point Ephémère. J’avais de côté un rouleau de tissu dont je ne savais pas quoi faire. On avait beaucoup de métrage, ça a été l’occasion et le prétexte. Mais je n’avais pas choisi le motif. Il était là et je l’avais depuis quelques années. J’aime bien me dire que la contrainte amène des choses intéressantes. Et à postériori, il en émane une image assez poétique. On est en perpétuel renouvellement. Alors l’idée d’avoir ce fond qui change et moi qui change en même temps et d’avoir cette possibilité illimitée de changement mais toujours en conservant un même principe, cela me plait beaucoup dans la cohérence de l’ensemble. La musique change tout le temps elle aussi. Elle a 1 000 influences. Ce principe de costume l’illustre parfaitement.

La Face B : Le travail du tissu s’immisce même sur la pochette de ton disque.

Manon : La pochette est brodée. C’est Marine Chandellier – qui est de Rennes – qui l’a brodée entièrement à la main. Et quand je dis entièrement, ça veut dire qu’il n’y a même pas un petit espace qui ne soit pas brodé. Au format du vinyle, le recto comme le verso. C’est vraiment un travail titanesque et je suis super contente de ce qu’elle a fait. Je trouve cela magnifique. Original et très beau.

La Face B : Pour revenir sur les contraintes et ton clip sur Manteau de Nuit que tu as filmé à l’envers avec une synchro labiale inversée. Cela m’a complètement impressionné. Tu as procédé comment ?

Manon : C’était fastidieux. Je l’ai mise à l’envers et l’ai exportée comme ça. On ne change jamais vraiment. J’aime bien les jeux de langage. Là, c’était parfait. Ca m’amuse vraiment. Si ce n’est pas de l’obscurien, ça aurait pu. Je l’ai réécrite comme ça et je l’ai apprise par cœur. On dirait du breton d’ailleurs, c’est assez marrant. Apprendre un texte qui ne veut rien dire, c’est long !

La Face B : Et tes prochaines actualités ? Une release est prévue à Paris.

Manon : On a quelques dates. On va jouer à Paris, à Rennes aussi. Il y aura quelques dates dans la région. On essaie de trouver une tournée pour avril. Des nouvelles compos également. J’aimerais bien réenregistrer quelque chose en 2024. On tourne un clip en février. Il y a un autre live qui va sortir. Enfin, il y a plein de trucs dans la valise. Mais ma priorité serait de faire des concerts. Ce serait génial de trouver quelqu’un qui soit intéressé pour faire tourner ce projet. J’ai envie que ça joue en live !

La Face B : Pour finir, que peut-on te souhaiter ?

Manon : Un petit tourneur, ça serait super. Sinon, un maximum d’exposition. J’ai envie que les gens entendent ce que l’on a fait avec tout cette joyeuse équipe. On a bien travaillé et je serais super contente que ça rayonne un peu. C’est déjà pas mal ce qui se passe.