Comme lors d’une soirée improvisée, La Face B a discuté par téléphone avec Mansfield.TYA. Au programme, nous avons parlé du lien entre musique et ésotérisme en invoquant la mélancolie, des duos mystiques et des familles magiques. Et cela pour la double sortie d’un nouvel album intitulé Monument Ordinaire et d’un nouveau label Warrior Records.
La Face B : Salut Mansfield.TYA, comment allez vous ?
Mansfield.TYA : Ça va et toi ?
LFB : Ca va, merci. Mais au fait, qui êtes vous ?
M.T : On est un groupe de musique superbe et on évolue depuis plus de vingt ans dans le paysage français.
LFB : Vous êtes de retour avec un album, qui tranche musicalement, avec un fond électro assez violent, cognant, un esprit peut être plus dansant aussi, des airs de rave par rapport aux précédents albums. Est-ce qu’il y a artistes, ou des projets, qui ont pu nourrir cet aspect ? Je pense par exemple à Kompromat.
M.T : On est pas d’accord avec toi. Mansfield est un projet qui a vingt ans, qui a évolué au début autour du violon et de la voix. L’assise a toujours été changeante. Les trois derniers albums sont beaucoup plus électro avec une boîte à rythme. C’est une transition qui s’est faite de manière assez fluide, pas tranchée, par rapport aux autres disques.
Rebeka Warrior : Par contre, oui. Il y a des influences de la cold wave et de Kompromat. Par rapport à l’évolution de Mansfield c’était la suite logique.
LFB : Est-ce qu’il y a un évènement qui a pu rendre évident la composition de Monument Ordinaire ?
M.T : Malheureusement non. L’époque est ce qu’elle est, la pandémie est pour tout le monde. On a pas pu composer cet album ensemble. On a dû faire avec de nouvelles méthodes. Le seul truc qu’on peut faire c’est de s’adapter et faire comme on peut. Alors, on a fait comme on a pu.
LFB : Pourquoi ce titre ?
R. W. : C’est Théo Mercier – qui a fait la pochette – qui l’a trouvé. Car en écrivant les chansons, on avait pas assez de recul. Lui a eu le recul nécessaire pour le nommer. Il a bien résumé puisque la réalisation de l’album a été monumentale, des choses assez lourdes pour nous à traiter. En même temps, c’est tout à fait ordinaire de sortir des disques, de faire des hommages. Les deux mots collaient parfaitement.
Carla : On aimait bien cette association de mots qu’on attend pas forcément ensemble. C’est un peu à l’image de Mansfield, un drôle d’équilibre, assez surprenant.
LFB : Ca revient au paradoxe, à l’oxymore, qui vous caractérise : la poésie, le baroque mais en même temps la punk, l’électronique. D’ailleurs, est-ce que des écrivains, poètes ou philosophes qui ont pu influencer certains titres ?
R. W. : Énormément, il y a beaucoup Thomas Mann, d’auteurs allemands, de littérature et de philosophie japonaises. C’est assez germano-japonais.
Carla : On en parlait tout à l’heure. J’ai abordé cet album en choisissant une page dans chaque livre que je lis. On puise le plus de nos inspirations dans ce qui est littéraire.
LFB : Aussi, on vous entend chanter dans d’autres langues que le français, comme l’ italien. Pourquoi ce choix ?
R.W. : Puisque Carla a des origines italiennes. Puis j’aime bien chanter dans d’autres langues, car je n’ai pas les mêmes mélodies, ni les mêmes intonations. C’est comme changer d’instrument. L’italien est une langue qui est déjà apparue dans d’autres disques, par exemple avec La Notte.
Carla : Quand on s’est rencontrée, j’étais à Rome. Ça a toujours été là.
R.W. : J’aimerai bien le prochain en russe !
LFB : Il n’ y a pas de limites !
M.T : Pas de limites, no limite. On est totalement libre !
LFB : En parlant de liberté, il y a une prise de liberté partagée avec d’autres artistes. Car on retrouve plusieurs duos, notamment avec FanXoa des Bérurier Noirs. Un groupe dont vous avez repris le titre Les Rebelles. Est-ce que c’était une manière de boucler la boucle ?
M.T : Non, c’est un travail en cours, on ne va pas s’arrêter là… Boucler la boucle ça voudrait dire que c’est fini. Ce serait trop dommage. Fanfan est quelqu’un de génial, de très créatif. On a fait que le début du parcours, avec les Rebelles. Il a une écriture qui est très incisive. C’est fatalement, génialement, écrit !
LFB : … Et pour ce qui est de votre duo avec Odezenne ?
M.T : On est ami avec Odezenne depuis un moment, on se fréquente régulièrement. Vis-à-vis de nos écritures, ça nous a semblé naturel car ce sont des garçons très sensibles.
LFB : C’est assez intéressant car l’écriture d’Odezenne semble plus ancrée dans la réel, alors que la votre dans quelque chose de plus abstrait, presque mystique.
R.W. : Tu dis vrai mais je trouve qu’ils sont plus ancrés dans le réel tout en ayant une porte qui laisse la possibilité de s’évader. Chez nous, l’écriture est complètement mystique. Je pense que leur manière d’écrire me touche vraiment.
Carla : Je pense qu’il ne faut pas figer les choses. Dans Le Couteau, il y a cette phrase : « J’ai des milliers de symboles qui s’envolent. Je la trouve hyper forte, riche, dans tout ce qu’elle évoque de manière concrète ou abstraite. »
LFB : En parlant de collectif, il y a eu la formation d’une nouvelle famille derrière cet album, avec la création du label Warrior Records. Qu’est-ce que vous pouvez m’en dire ?
R.W. : C’est une maison de disques qui a pour but de développer des artistes en manque de visibilité. Pas mal de prod, de femmes dans la musique un peu parallèle, des choses qui ont du mal à trouver leur place dans la musique populaire aujourd’hui. Ca nous paraissait important de fonder une maison, une famille. Puis d’être autonome pour la sortie de notre disque.
« Arrêter de dire qu’artiste est une profession, c’est une vocation. On a pas le choix. (…) Puis, donner une place à des propos plus personnels, plus intimes. »
Rebeka Warrior
LFB : Mansfield.TYA est aussi un projet multiple. Au sens où il n’y a pas que la musique mais aussi d’autres médiums (comme les clips, l’univers graphiques, la scéno). Avec qui avez vous collaboré et comment se sont fait les choix artistiques ?
M.T : Sur la pochette, on a travaillé avec Théo qui avait déjà fait la pochette de Corpo Inferno. Pour le live, on a préparé les concerts avec une scéno de Jean-Maxence Chagnon, qu’on a rencontré avec Kompromat.
LFB : Ca donnerait quoi si les salles venaient à rouvrir ?
M.T : (Rires) C’est assez proche du théâtre de marionnette japonais. Un découpage très net des ombres avec des couleurs projetées. Ca nous va assez bien, ce n’est pas grandiloquant mais c’est très précis. L’ambiance est adaptée à chaque chanson. Je trouve que c’est assez singulier.
Pour les clips : On a bossé avec Nicolas Medy, qui a fait Auf Wiedersehen. C’est un clip à la Laurent Boutonnant, époque Mylène Farmer. Il est en train de préparer une suite. En attendant, on est en train de prépare un clip qui illustre Une danse de mauvais goût. Et pour prépare la sortie de l’album, on a fait des petites vidéos, des stèles.
LFB : On ressent une ligne directrice, quelque chose de l’ordre du sacré dans l’image clip, dans les mots mais aussi dans la manière de chanter, qui presque fantomatique, qui s’éloigne un peu comme des âmes perdus, des orgues et des résonnance comme si on était dans une chapelle. Pourquoi cette identité sacrée ?
R.W. : J’ai pas dévié d’un iota mon propos depuis vingt ans, je suis vraiment dans la musique ésotérique. Il n’y a pas de différence entre la musique et la vie, tout est mystique, tout est ésotérique. Pour mois c’est essentiel d’être dans cet état d’esprit, et ce n’est pas quelque chose qui changera.
Carla : Je pense qu’on a toujours eu cette affection pour le côté répétitif, le côté un peu mantra de la musique. C’est comme ça qu’on peut parfois répéter un mot ou rester sur une boucle. Ce sont des musiques qui tout de suite font référence à des choses essentielles, communes à différentes cultures. Le côté religieux, il y a aussi le violon et toutes les influences classiques, les cantates, les passions de Bach. Les sonorités ont un e référence religieuse aujourd’hui sans être dans une démarche religieuse.
LFB : Est-ce que la musique est pour vous une forme de spiritualité ?
R.W. : La différence est poreuse entre spiritualité et religieux mais même entre faire de la musique et vivre. Il n’y a pas de réelle différence entre le fait de vivre et de le retranscrire au sein de la musique. C’est un mouvement très sincère et naturel.
LFB : Par ailleurs, l’album est marqué par une idée de mouvement, on est comme pris dans une sorte de tourbillon musique, un univers de tourmente. Une transe qui nous pousserait presque à danser, crier. Est-ce que faire une musique transcendantale est intentionnée ?
M.T : C’est pas intentionné, c’est obligatoire ! Il y a ce truc d’avoir des moments de communions, de danse, de folie qui font parti d’un équilibre vital.
LFB : A part retrouver cet équilibre vital, que peut-on vous souhaiter pour la suite ?
M.T : D’arrêter de dire qu’artiste est une profession, c’est une vocation. On a pas le choix. Quand on entend que c’est pas essentiel, ça nous donne envie de nous jeter par la fenêtre ! (Rires)
Et puis donner une place à des propos plus personnels, intimes. Car il y a quand même une tendance à lisser la musique, ce qu’on peut dire, ce qu’on peut exprimer. Il y a toujours ce côté mélancolique en nous et qui n’est pas toujours négatif en soi. Au contraire. On nous fait bien comprendre que la mélancolie, c’est pas vendeur. C’est une forme de liberté d’expression, une expression plurielle. On a envie d’exprimer pleins de choses. Ce n’est pas une revendication en tant que telle mais cela fait parti d’un sentiment collectif.