Marc-Antoine Perrio : Nage(s)/Sel, plongée en eaux troubles

Voilà plus de dix ans que Marc-Antoine Perrio fait vibrer la scène parisienne de ses riffs rageurs ou mélancoliques… Passé par le jazz avec House of Echo, l’ambiant avec Setter, le rock avec Filago et plus récemment la pop avec Retriever (NDLR : dont nous allons vous parler très bientôt), il accompagne également de grandes voix comme celle de Kyrie Kristmanson et se fait dénicheur de talents pour produire des artistes se lançant en aventure solo comme Elise Preys (ex Hollydays). Rencontre avec un artiste polyvalent dont le premier EP Nage(s)/Sel paru le 3 décembre 2021 va vous entraîner… sans doute bien plus loin que ce que vous ne l’imaginez.

Crédits : Mickaël Gaspar

La Face B : Hello Marc-Antoine ! Bravo pour l’EP ! Après une écoute attentive, j’ai comme l’impression qu’il diverge assez de tes projets précédents et parallèles… Pour la première fois, non seulement tu prends le micro, mais en plus c’est en français ! Est-ce une manière de t’affirmer dans un style qui t’est propre, né d’une impérieuse nécessité de t’exprimer en ton nom ?

Marc-Antoine Perrio : Alors, quelque part oui… Mais tout s’est fait très naturellement !

Même s’il est certain que j’ai cherché à m’approprier quelque chose en montant un projet solo, à la base je n’avais pas pour intention de chanter en français, ni même de chanter tout court ! Je suis juste parti de l’envie d’écrire des chansons.

Peut-être dans l’idée de les donner à interpréter à quelqu’un d’autre, mais finalement, comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, j’ai réalisé que tout allait plus vite et ça s’est fait comme ça… Quant au français, il y avait ce champ d’exploration infini offert par ma langue maternelle et une fluidité qui collait avec le propos…

La Face B : Tu peux me parler de l’univers visuel que tu as choisi pour habiller tes chansons ?

Marc-Antoine Perrio : J’ai beaucoup travaillé avec un super pote, Mickaël Gaspar, qui est comédien, metteur en scène et réalisateur. Il est aussi à l’origine de la création de l’un des plus grands festivals de cinéma européens, au Portugal. C’est un véritable esthète et un super artiste avec un vocabulaire graphique très poussé. On a fonctionné comme un binôme.

Pour la base de l’univers, on a été piocher tant dans le cinéma expérimental que chez Harmony Korine, ou de clip d’artistes comme Pink Siifu…

Comme on avait peu de moyens, on voulait quelque chose d’assez simple mais de très esthétisant, qui marche bien avec les chansons. Finalement notre travail rejoint l’esthétique de certains films des années 90 où c’est quand-même très caméra au point. C’est ce qu’on voulait. On travaille sur du plan, sur de la couleur…

La Face B : Et concernant l’écriture, voir la poésie, comment ça marche quand on est musicien ? Le processus de rédaction précède-t-il la naissance des mélodies, ou les deux te viennent de concert ?

Marc-Antoine Perrio : C’est assez complexe chez moi. Quand j’écris un morceau, je réécris généralement beaucoup, et les mélodies, et les textes. Quelques fois les deux me viennent en même temps, mais le plus souvent, tout part de la mélodie et d’un rythme.

C’est souvent une pulsation qui vient engager le processus de création.

Concernant le temps passé, c’est assez paradoxal : certains morceaux comme Amer mettent énormément de temps à se livrer, et d’autres comme Tenter ont été assez rapides dans l’écriture.

La Face B : Un peu comme un écrivain persuadé que l’histoire préexiste au récit, alors même qu’il en est le créateur ?

Marc-Antoine Perrio : Ouais y a un truc un peu comme ça, où tu es traversé. Il faut aussi savoir aussi que je fais tout moi-même, la prod, les instru… Sauf sur Incendies où j’ai fait poser des violons, des violoncelles et de la flûte, mais j’ai vraiment tout écrit, tout composé. Et quand tu travailles à 360, ça prend du temps, en fait … Et puis il y a ce truc un peu chelou : pour Tenter, j’ai tout entendu dans ma tête. J’entendais ce beat-là, les instru, les voix… Je fais beaucoup de rêves où j’entends tout en fait, notamment les morceaux finis – parfois même des tracks de ouf ! C’est quelque chose qui remonte à mon enfance où je rêvais de la manière dont je jouerai quand je serai plus avancé, plus loin… Il y a une véritable préséance dans certain rêves avec la musique – évidemment ça ne m’arrive pas tout le temps, mais pour ces morceaux-là, oui.

Je savais déjà tout ce que je voulais, en termes de mélodies, de pulsations, de tonalités. Tout ce qui allait entrer en ligne de compte, en fait. Et après en seconde strate, je retravaille tout. Je peux passer une semaine sur une phrase, et pareil sur une ligne, je vais énormément éprouver la matière, pour lui donner du relief, une histoire…

Parce que j’ai du mal à me contenter facilement, aussi. C’est symptomatique de ma façon de faire. Ce projet par exemple a mis du temps à naître. Trois ans. En fait avant ça, j’avais un EP de cinq titres prêt, masterisé, mais qui n’est jamais sorti. Je le trouvais trop timide, alors que j’avais passé quand même un an à le faire. Mais je ne m’étais pas trouvé à ce moment-là. La porte d’entrée de Nage(s)/Sel, ça a été Blood Orange entre autres, où j’ai véritablement découvert que c’était cette chaleur-là que j’avais envie d’avoir dans ma musique. Ça m’a réconcilié avec des sons de mon enfance et de mon adolescence.

La Face B : Justement, l’album est dominé par des accents G-funk, avec un côté un peu pop parfois, groove qui vient illuminer un propos parfois grave ou tortueux. Cet album, c’est un peu un projet rêvé qui manierait le mélange des genres avec virtuosité ? Ou une somme de tout ce que tu as emmagasiné d’envies de mettre en musique au fil des ans ?

Marc-Antoine Perrio : Le côté G-funk, c’est directement hérité de mon enfance et mon adolescence avec l’envie de traduire ça d’une façon que personne ne fait. Pour le côté tortueux, ça m’intéresse vraiment de jouer sur des angles différents. Dans ce que j’entends, en tous cas en ce moment, je trouve qu’on perd un peu tant en profondeur qu’en double-sens dans les paroles, et je suis attaché à ce truc-là vraiment, pas cryptique mais symboliste. J’ai envie d’opérer quelque chose qui fait une belle fusion.

La Face B : À propos de symbolisme, Daho, dont on va forcément te parler, il y a une référence ?

Marc-Antoine Perrio : Alors, pour le visuel, oui, la pochette d’Amer, faite par Jules Magistry, s’inspire de loin de l’une de celles de Daho ! Mais sinon c’est marrant, c’est pas du tout quelqu’un que j’ai beaucoup écouté, je l’ai découvert sur le tard.

J’ai davantage grandi avec Laurent Voulzy, Chamfort, Cabrel ou Sheller – oui il y a deux écoles, chez moi c’était plus Voulzy que Souchon dans le radio-cassette – même si j’adore les deux !

Il faut savoir que j’ai aussi une influence de musique brésilienne, et la façon que Chico Buarque a de chanter par exemple, très rectiligne, très simple, presque désincarnée, m’a influencé quand j’ai commencé à chanter, même si ensuite j’ai vraiment gagné en confiance et ai trouvé ma voix. En tous cas, s’il y a un timbre ou une diction qui rappelle Daho, ce n’est pas du tout intentionnel (rires) !

La Face B : Certains titres expriment un empêchement, une délicatesse dans ta façon d’aborder l’exercice périlleux des relations sentimentales. Est-ce que c’est la trentaine ?

Marc-Antoine Perrio : Haha je ne sais pas si c’est ça, j’ai plutôt voulu me glisser dans la peau de quelqu’un d’autre, créer des morceaux à la première personne mais fait à partir de gens autour de moi. J’avais vraiment envie de parler de moi mais à travers de ce que je pouvais imaginer de quelqu’un d’autre. C’est un exercice d’autofiction. Par exemple dans Tenter, c’est certes quelque chose que j’ai vécu à mon échelle, mais que j’ai pris aussi à plein de gens qui m’entourent. À l’inverse, dans Mentir, je ne me reconnais pas forcément dans ce personnage-là c’est plutôt par ce texte que je dénonce ce genre de comportement.

Incendies c’est à propos de quelqu’un qui sait plus où regarder, qui est dans un déséquilibre constant et qui, sur ce fil-là, a toujours le désir de se hisser. C’est une chanson sur la frustration, en fait.

La Face B : J’ai trouvé qu’il y avait justement une maturité étonnante, avec une acceptation des blessures contrebalancée par quelque chose de très à fleur de peau. C’est un parti-pris de partir de tes parts d’ombre pour les parer d’une instru vraiment solaire, de riffs aériens… Il y a une dichotomie qui est recherchée ?

Marc-Antoine Perrio : En fait c’est marrant parce que j’ai eu une discussion le week-end dernier avec un chilien, et on a beaucoup parlé de musique sud-américaine. On était tombés d’accord là-dessus et je crois que c’est véritablement ce qui me plaît dans la musique, c’est le contraste. C’est ce qu’on retrouve dans par exemple dans la saudade, où une musique heureuse va avec une chanson triste et inversement. Je crois au contraste, je crois à l’opposition.

C’est ce qu’il y a de plus important dans la musique je crois. Cette tension-là. C’est ça qui dégage l’émotion, c’est l’axiome. Et c’est quelque chose qui se révèle dans les mots, dans l’harmonie. Et ça en devient presque fractal dans la façon de composer, avec les couleurs, les rythmes, les timbres.

Y a quelqu’un qui parle très bien de ça c’est Mark Hollis de Talk Talk, qui disait que la musique n’est que contrastes. Quand t’écoutes sa musique, elle peut avoir une quiétude apparente et du trouble, le contraste n’a pas nécessairement quelque chose d’évident, il peut être extérieur comme intérieur : je fonctionne vachement sur ce plus et ce moins.