Margaux Nicoleau (Biches) : « montrer que c’est possible de faire différent »

Le Biches Festival c’est ce week-end. Pour en savoir plus, on est allé poser quelques questions à sa directrice, Margaux Nicoleau.

La Face B : Salut Margaux, comment vas-tu et comment te sens-tu à quelques jours de cette 9e édition du Biches Festival ?

Margaux Nicoleau : Comment je me sens ? Assez excitée et impatiente qu’enfin tout ce travail réalisé aboutisse et vivement le 14 pour profiter de la super programmation.

LFB  : Puisque l’été commence aux Biches, est-ce que tu t’es renseignée sur la météo et est-ce que tu peux nous promettre la présence du soleil en spécial Guest pour cette année ?

Margaux Nicoleau : Puisque l’été commence au Biches, il va falloir attendre une semaine, avec les aléas de la météo, on va surtout promettre des beaux concerts, des sourires et du beau temps en pagaille. On n’est jamais sûr de rien, mais en général il y a un microclimat sur la Ferme de Rai, donc venez nombreux et on va avoir chaud cette année encore une fois.

LFB : Plus sérieusement, comment est-ce qu’on pense une édition au Biches, comment on organise un festival à la fois défricheur, grand public et accessible comme vous le faites depuis bientôt 10 ans ?

Margaux Nicoleau : C’est un savant mélange entre beaucoup de musique, toute l’année on écoute des sons, on va à des concerts. Nous on est des passionnés de musique et de concerts donc la volonté c’était surtout de pouvoir voir un maximum de groupes en concert.

On s’efforce d’aller un peu partout, dans les grands rendez-vous français, que ce soit le MaMA Festival, les Trans Musicales de Rennes, le printemps de Bourges, pour découvrir des talents.

Et d’être un peu « dans les petits papiers » des artistes, de suivre leur évolution, souvent ils ont plusieurs projets donc il faut suivre le mercato des artistes et où ils travaillent, avec qui ils travaillent pour être au début de nouvelles aventures comme ça a été le cas il y a quelques années avec Thérapie Taxi, parce qu’on connaissait un des musiciens dans un autre groupe. Donc c’est important de les connaître de plus près.

Et puis au-delà de l’artistique c’est un grand travail de logistique de production, donc on a une bonne équipe de bénévoles puisqu’on est à 95% bénévoles dans l’équipe, je suis la seule salariée de l’association. Et puis on a vraiment de la chance d’avoir des bénévoles fidèles qu’on fait monter en compétences chaque année, qui deviennent des responsables. C’est une grande famille le Biches, il y a une vingtaine de personnes à l’année qui travaillent et plus de 200 pendant le festival, c’est surtout une super aventure humaine.

LFB : On parle de plus en plus de « slow festival », pour des festivals qui pensent l’expérience festival différemment et qui s’ouvrent aussi à d’autres vecteurs que la musique et à mettre l’écologie au centre de sa réflexion. Cette idée, elle colle parfaitement au BICHES non ?

Margaux Nicoleau : Ça a toujours été vraiment dans nos valeurs intrinsèques depuis le début de l’aventure puisqu’en 2016 on avait déjà des gobelets, des toilettes sèches, trouvé des moyens de transport en commun pour rendre le festival le plus accessible possible de la gare. Mais c’est vrai qu’on avait tendance à le faire sans pour autant en parler. Maintenant on a pris un peu de hauteur et la volonté est vraiment de communiquer sur toutes ces actions et d’être un peu un nouveau modèle de festival.

On ne réinvente par la roue mais à notre échelle on peut montrer que c’est possible de faire différent, d’utiliser des produits de saison, des circuits courts, d’avoir des prestataires locaux. La technique est d’Alençon, ils sont de l’Orne, à côté de chez nous. Quand il y a une compétence sur le terrain on prend le plus près, ça n’a pas de sens au vu des coûts de transport aujourd’hui de prendre plus loin. On a quand même un gros chantier, c’est qu’on a changé de site depuis 3 ans maintenant, pour se rapprocher de la gare. Ça a été vraiment un gros changement mais on en est très contents d’être à la Ferme de Rai, à 5 minutes de la gare. C’est un festival qui pense et qui fait attention à l’environnement dans lequel on est notamment parce que la ferme est un lieu qui nous est prêté et qu’on a envie de le rendre aussi propre qu’il nous a été mis à disposition.

Ça parait assez évident et ça commence à être porté par de plus en plus de festivals. Ce qu’on ressent c’est qu’à notre échelle, comme on est petit, on peut tester des choses, améliorer, optimiser pour que ça devienne le modèle de tous pour les grosses machines notamment. Avec une programmation 100% française aussi pour les mêmes raisons, pour éviter l’avion, les transports. Il y a tellement de talents sur le territoire, il faut profiter de la richesse de notre pays et de valoriser la région Normandie sur les bonnes propositions du terroir, cette année on aura le pâté en croûte normand, les fromages AOP de Normandie, le cidre à la pression, le burger au camembert, l’idée c’est de profiter d’un terroir pour le valoriser. Et les gens en redemandent en général, donc on est plutôt contents.

LFB : En parlant d’écologie, elle entre aussi en compte dans la création de la programmation non ? C’est un choix fort de ne choisir que des artistes français ou frontaliers. Vous accueillez aussi pour la première fois un Stand-up sur la transition écologique justement.

Margaux Nicoleau : La volonté, c’est effectivement de valoriser les talents émergents et les talents français. Souvent on parle de grosses têtes d’affiche partout, nous on est partis sur un autre créneau, d’essayer d’être défricheur. On a assez de talents en France pour présenter cette belle scène française et limitrophe parce que parfois on a des Belges, des Suisses, mais ce n’est pas loin et ils prennent le train, ils ne viennent pas en jet privé. Et aujourd’hui, s’ouvrir à des nouvelles formes d’art comme le stand-up. On a aussi une exposition qui sensibilise aux enjeux de la transition écologique, on est ouvert à toutes les formes d’art qui peuvent mettre en avant nos valeurs, nos grands enjeux et surtout faire passer un bon moment aux festivaliers. Au-delà de la musique, un festival c’est tout un week-end, il faut être réactif et donner envie, et l’humour ça peut être un bon moyen de faire passer des sujets plutôt « sensibles » ou qui peuvent décourager, voire être parfois un peu donneurs d’ordres. Mais la volonté au Biches c’est toujours d’avoir plutôt des solutions, des alternatives optimistes et donc l’humour c’est un bon axe pour tout ça.

LFB : L’ancrage territorial est aussi un élément fondateur du festival, dans le choix des artistes, de la nourriture et des boissons proposées sur le festival ou dans vos collaborateurs. Créer un écosystème le plus sain possible c’est l’ADN du BICHES ?

Margaux Nicoleau : On essaye au maximum ce n’est pas forcément évident l’idée c’est de trouver le bon modèle avec toutes les personnalités des uns et des autres, de trouver les personnes qui ont les mêmes valeurs que nous, qui ont la même façon de travailler, qui sont sur le territoire, proche de chez nous, entre l’Aigle et la Ferté-Fresnel, à côté de Rai.

On essaye de travailler au maximum avec des personnes bienveillantes, qui ont les mêmes valeurs que nous, qui ont envie de défendre cette nouvelle scène, ces engagements forts au-delà de la musique et donc, petit à petit, on arrive à avoir une super équipe, on est ravis de pouvoir fidéliser les équipes et pouvoir renouveler avec toute la belle équipe du Biches.

LFB : La journée du samedi, de 10h à 18h, est accessible gratuitement. C’est important pour vous de laisser une porte ouverte à un public qui ne viendrait pas forcément en festival et de pouvoir ouvrir cette expérience au plus grand nombre ?

Margaux Nicoleau : On a toujours voulu rendre le festival un maximum accessible, les prix augmentent énormément donc ce n’est pas toujours évident de faire un festival complètement gratuit, mais c’est important pour nous d’ouvrir la culture à un public qui serait moins acquis et avoir cette mixité de populations et le côté intergénérationnel.

On aime qu’il y ait des enfants, des petits-enfants, des grands parents, des jeunes adultes, des ados, des étudiants, des chômeurs… que toute cette population se mélange, se rencontre, échange et participe à une aventure commune, en ça c’est une volonté forte d’avoir une partie du festival gratuite. Il y a une programmation de qualité pendant la partie gratuite, la volonté ce n’est pas d’être un festival un peu moindre mais plutôt d’ouvrir en journée, les horaires s’y prêtent bien et ensuite repasser en payant le soir. Si on peut convaincre quelques personnes de rester, parce que souvent les gens ont un a priori qui peut être négatif s’ils ne connaissent pas, donc c’est l’occasion de montrer qu’un festival c’est pour tout le monde, toutes les populations, peu importe le genre, le style, la couleur de peau, on essaye d’être le plus inclusif possible.

LFB : Pour parler de la programmation, ce que je trouve fascinant c’est que chaque année, tu arrives à trouver la star de demain avec 6 mois d’avance. Il y a eu November Ultra, l’an passé il y a eu Zaho de Sagazan ou YOA et cette année on peut mettre une pièce sur Aliocha Schneider ou DITTER. Est-ce qu’il y a une certaine fierté à être en amont des tendances ?

Margaux Nicoleau : On essaye, c’est un parti pris, ça ne marche pas à tous les coups mais la volonté c’est d’être un peu en avance effectivement, d’être avant-garde c’est pour ça qu’il faut aller à plein de concerts dans l’année et essayer aussi de trouver la bonne année pour le bon groupe. Donc c’est un savant mélange et puis, oui, on est plutôt fiers et contents, parfois ça ne sert pas trop nos propres intérêts sur le moment parce qu’ils ne sont pas connus donc ça attire moins de monde pour l’instant mais j’ai le sentiment qu’avec les années les gens nous font confiance et sont contents d’aller découvrir les pépites de demain et de savoir qui va marcher l’année d’après. Il y a Aliocha qui commence à être connu et reconnu, parce qu’il faut aussi quelques noms pour voir un peu plus grand pour attirer plus de monde, mais on est contents d’être devenu un passage obligé dans la carrière des artistes en développement.

LFB : Cette envie d’être défricheur, c’est aussi l’ADN du BICHES. Comment découvres-tu les artistes que tu programmes ?

Margaux Nicoleau : On écoute beaucoup de musique sur les plateformes de streaming, on nous recommande aussi beaucoup de musique donc ça prend un certain temps de défricher tout ça, mais c’est hyper intéressant. Surtout on va voir beaucoup de live, parce que le but c’est d’aller tout voir en live, on est passionnés des concerts, c’est important, c’est pas forcément évident avec une vie de famille, essayer de concilier un peu tout ça, mais on s’arrange pour partager nos soirées et aller voir tout ce qu’on programme et d’aller même en voir plus parce qu’il faut faire une sélection donc ça prend toute l’année. Mais on faisait déjà ça avant d’être des programmateurs du Biches, c’est vraiment une passion d’aller découvrir les talents et on va à certains rendez-vous pro comme le Bis, les Trans… J’ai remarqué ces dernières années qu’il faut faire les choix de plus en plus tôt pour que ce soit encore accessible pour nos moyens. On commence la programmation d’année en année de plus en plus tôt.

LFB : Cette année encore, la programmation est musicalement très éclectique, ce que j’apprécie particulièrement. C’est nécessaire pour toi de casser les barrières et de proposer une programmation aux sonorités les plus larges possibles ?

Margaux Nicoleau : Oui, nous on écoute des choses très variées, au départ on a fait quelque chose qui nous plaisait à nous en se disant qu’il y allait forcément avoir des gens qui allaient suivre. On aime bien la chanson française, l’électro, la pop… à plein de découvertes, on s’y connaît beaucoup moins en rap, donc on fait peut-être pas un festival pour les si jeunes que ça mais il y a des trucs hyper intéressants en rap aussi, cette année avec Swing, après c’est vrai qu’on s’y connaît moins mais on essaye d’être très éclectique et pouvoir faire découvrir de nouvelles choses à des gens qui pensent n’aimer qu’un seul style de musique, qu’ils s’ouvrent à d’autres styles.

LFB : Qui sont tes petits chouchous dans la programmation de l’année 2024 ?

Margaux Nicoleau : Ce n’est pas évident, de faire des choix. En fait en vrai les petits chouchous c’est tous ceux qu’on a choisis parce qu’il y en avait bien plus avant, là c’est déjà la short list. Donc j’avoue que je n’arriverai pas trop à dire, je ne me positionne pas cette année, je les aime tous autant.

LFB : Pour terminer, en parallèle du festival, vous avez lancé le Biches Club. Peux-tu nous en dire plus sur cette expérience et sur l’importance de créer un endroit plus inclusif et égalitaire ?

Margaux Nicoleau : Effectivement, on a créé le Biches Club, ça date déjà de 2022. On est assez fier.e.s d’avoir créé ce collectif. La volonté c’est de donner la place aux femmes et aux minorités de genre puisqu’on est sous représenté.e.s, c’est compliqué et on veut se créer un endroit bienveillant pour s’entraider, se dire que c’est possible de vivre de sa musique, de sa passion, se donner des bons plans, se partager des conseils, créer son propre réseau, puisque c’est assez évident que les mecs font plutôt ça entre eux, mais si on peut aussi le faire à notre niveau, c’est trop important.

Depuis qu’on a créé le Biches Club, il y a eu beaucoup de sororité, plein de projets en commun, plein d’évolutions pour les artistes donc on est hyper fiers. Il y a une super promotion cette année de 8 artistes qui sont en développement et qui ont besoin de conseils, de l’expérience du Biches Club qui est de 3 résidences par an dans les SMAC de Normandie.

Et souvent, il y a aussi la distance, on se rend pas forcément compte, ça a l’air évident quand on le dit mais quand on le vit, on est un peu tous et toutes excentré.e.s et finalement, de se retrouver, pendant 3 jours en résidence donc on vit ensemble, ça crée forcément des liens et des collaborations et du travail en commun par la suite donc c’est hyper enrichissant. On a beaucoup de retours positifs, c’est très encourageant.

Cette année c’était un appel à projet, il fallait postuler pour être dans la sélection, on a eu plus de 30 candidatures juste sur la Normandie, tous les styles musicaux et on a du faire un choix de 8 accompagnés, ce n’était pas évident parce qu’il y avait beaucoup de niveau, tout le monde était vraiment super. On a évidemment donné des conseils à ceux qu’on n’avait pas pris pour les orienter vers d’autres programmes. Là, on sort d’une résidence à la Luciole en début de semaine qui s’est très bien passée avec une coach scénique et vocale et c’était incroyable, le bon état d’esprit, la bienveillance, l’entraide, les rencontres.

Crédit Photo : Titouan Massé

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