On a fait le(s) Deuil(s) de la Tournée avec Martin Luminet

Si vous nous suivez, vous savez toute l’affection que l’on porte à Martin Luminet. Alors, lorsque sa tournée à pris fin au Printemps, on a décidé de le retrouver une nouvelle fois pour discuter avec lui de ces trois dernières années sur la route. On a parlé de live, d’explorer le territoire, d’adrénaline et de ce qu’une tournée peut avoir comme impact sur la vie d’un.e artiste.

La Face B : Comment ça va, Martin Luminet, pour notre 23ème interview ?

Martin Luminet : Putain, j’avoue, elle a une saveur… Non, ça va très bien. Après ce beau dernier concert, c’est toujours bizarre, tu finis une tournée… Tu t’attends à ce qu’il y ait une sensation de fin, mais comme je fais le nouvel album en même temps, il y a un truc de cycle qui se croise, qui se tue là un peu, donc ça c’est cool, ça reste du mouvement. C’est ce qui fait que je vais bien.

LFB: Trois ans après, tu as un recul particulier ?

Martin Luminet : Pas du tout. Je pense encore à la soirée. J’ai trop aimé ce concert. Franchement, en vrai, je n’ai pas du tout de recul parce que je pense qu’il y a une partie de moi qui n’a pas envie d’acter la fin de la tournée. Parce que moi, tout s’est tout construit là-dessus. L’album s’est construit là-dessus. C’est parti de l’EP. L’album s’est construit sur la tournée. J’ai rencontré les gens du public grâce à la tournée. J’ai rencontré mes partenaires grâce à la tournée. Je ne sais pas comment dire. Il y a des constructions de carrières qui se font via les réseaux sociaux. D’autres qui se font via la radio. Et d’autres qui se font via la tournée. Il n’y en a pas une qui est mieux que les autres, il faut juste trouver sa bonne place. Et moi, c’était la place que je rêvais d’avoir. Et trois ans de tournée, c’est assez fou pour un premier album. Et j’en suis très, très fier. Franchement, je suis trop heureux de ça. Pour moi, c’est une marque de bonheur, en tout cas.

LFB : Ce qui est intéressant, justement, c’est ça. C’est que tu as commencé… Mars 2022 ? Fin de Covid. Concert assis. Avec un EP qui n’était pas encore tout à fait sorti. Et en fait, oui, j’ai l’impression que la carrière de Martin Luminet s’est construite en parallèle de cette tournée.

Martin Luminet : Je pense que t’en vois aussi. Vous en voyez des artistes qui sont tout le temps en tournée ? Moi, je trouve que c’est là où il y a le seul moyen de rendre cet art vivant. C’est de ne pas figer avec simplement des sorties, des sorties de singles, de la promo, que ça reste vivant, que les morceaux évoluent aussi grâce à la scène et qu’il y ait aussi une chance de laisser, enfin de se laisser la chance que des gens puissent venir et surtout revenir. Et quand quelqu’un revient, je trouve que c’est encore plus fort, ça veut dire beaucoup. Et pour moi, on s’était toujours dit ça avec Marion (Richeux), ma manager, c’est qu’on aimerait bien construire la carrière. Enfin, on s’était focussé là-dessus en disant on construit une carrière sur la tournée parce que c’est là où on sera le plus épanoui, c’est là où on vivra un peu chaque jour différemment et on sera surtout à la rencontre des gens. Et je pense qu’à la sortie du Covid, c’était hyper important de voir du monde, de retrouver du lien parce que tout le monde a essayé de faire des choses pendant le Covid, pendant le confinement. De faire de la musique, de faire des lives Insta, de faire des trucs comme ça. Mais rien ne remplace le lien physique, direct et la disponibilité aussi de te rendre disponible pour une soirée, d’être face à des gens qui partagent les mêmes émotions que toi. Donc moi, c’est sûr que c’était très, très important de retrouver ce lien très vite. Et une fois que tu y as regouté, tu ne peux plus le lâcher.

LFB : Mais ce qui est marrant c’est que tu as une économie de tournée qui a augmenté aussi au fur et à mesure où t’es passé de première partie dans certains lieux à tête d’affiche, où tu as pu ajouter un batteur, ajouter une scénographie au fur et à mesure et j’ai l’impression qu’il y a un truc fluide et sain presque qui s’est construit justement de pas vouloir aller trop vite non plus…

Martin Luminet : Ouais et grave. Et puis il y a aussi le truc de moi j’aime bien ne pas mentir au public et vraiment montrer qu’un artiste ça évolue, ça change, ça bouge quoi, ça évolue, ça veut pas dire que ça va vers le mieux. Dans tous les cas, il y en a qui vont te reprocher d’avoir trop changé ou quoi que ce soit. Pour moi, un parcours artistique c’est quelque chose qui n’est jamais figé qui doit être dans un total questionnement de soi et être sûr de ses fondations et de pouvoir avoir de la liberté. Pour moi le seul moyen de le montrer publiquement c’est d’être sur scène et que le public ait accès à ça. Donc c’est pour ça que c’était aussi assez amusant pour nous de commencer la tournée en première partie de manière très réduite, après avoir la scéno, amplifier aussi la durée de set et de raconter une vraie histoire et d’avoir un truc où vraiment tu peux laisser le public un peu témoin de ton évolution. Et ça je trouve ça hyper touchant parce que tu crées un lien beaucoup plus fort, j’ai l’impression. Parce qu’il y a des personnes qui, au sein de la même tournée, te disent « Ah, on était là il y a un an et demi dans tel lieu, on t’avait vu et on trouve ça vachement bien avec les nouveaux arrangements, avec un musicien en plus. ». Et ça crée une histoire, on a une vraie histoire.

LFB : Oui, c’est fort. Tu as des trucs aussi où tu vois des morceaux qui étaient sur la scène évoluer de manière complètement différente et qui vont venir sur l’album, tu vois, un morceau comme Silence où tu ne savais pas quoi en faire et qui, à mon avis, la scène t’a donné aussi des clés de construction de ton album.

Martin Luminet : Ouais, clairement. Il y a des chansons qui se sont terminées sur scène, qui ont existé grâce à la scène. Silence, c’est le cas. Et même Époque, même Monde, tu vois, où il y a eu la réédition. Entre-temps pendant la tournée, on s’est inspiré de comment on les jouait sur scène pour les mettre dans l’album réédité. Parce que pour nous, le temps de la scène, c’est aussi un temps de composition, c’est un temps d’arrangement. Puis c’est là où on passe plus le temps à faire de la musique, mine de rien. On pourrait demander à plein d’artistes que tu croises, la chose que l’on fait le moins, c’est de la musique chez nous. On est toujours en train de réfléchir à ce que l’on va devoir mettre en place, en comme, en ceci, en cela, ou à potasser sur nos chansons, à réfléchir… Mais pratiquer de la musique au sens propre, au sens strict, c’est assez rare, et c’est pourtant la chose qui nous fait le plus de bien. Être sur scène, c’est des vrais moments de création, c’est des vrais moments de composition, d’arrangement. Il y a des morceaux qui ont été bouleversés, qui ont trouvé leur vérité grâce au public. Parce qu’on les avait composés de telle sorte pour l’album et on s’est rendu compte que sur scène, ça ne tenait pas la route. Pour moi, une vraie chanson, elle est terminée quand elle arrive sur scène, quand elle arrive dans les oreilles de quelqu’un et quelqu’un te dit « Ouais, ok, ça me touche. ». Parce que là, il n’y a pas d’artifice, d’arrangement, il n’y a rien. Il y a tout de vérité pure. C’était cool aussi de vivre cette évolution.

LFB : Ca aide d’avoir son partenaire de studio en tournée avec toi parce que tu vois il y a des artistes qui ont des gens en tournée qui ne sont pas les mêmes dans ce studio et les gens avec qui ils composent ou qui travaillent alors que là l’avantage c’est que t’as Ben avec toi partout tout le temps…

Martin Luminet : Quand on compose, on réfléchit à la scène, on se dit tiens ce morceau il nous fait vibrer parce qu’on se l’imagine sur scène. A ce moment-là on se dit bah ce morceau on le garde. Et à la fois, quand on est sur scène, il y a eu quelques moments pendant la tournée où on a eu des idées d’arrangements, de petits trucs pour de futurs morceaux, parce qu’on était en balance, en train de faire ceci, en train de faire cela, et que aussi, je pense qu’on a évolué musicalement en parallèle, vu qu’on était en tournée ensemble, on a vraiment évolué ensemble, ça c’était cool, ce n’était pas genre on se donne rendez-vous dans trois ans et on voit où on en est, on a tous les deux évolué côte à côte, et ça c’est musicalement très riche.

Humainement, c’est très fort aussi de pouvoir se dire que tu fais trois ans de tournée avec des gens que tu adores. Dont Ben fait partie, mais comme toute l’équipe. Ça, c’est très, très bien parce que tu passes plus de temps avec les membres de ta tournée qu’avec tes proches. Donc il faut absolument qu’humainement, ça se passe bien. Sinon, tu es malheureux.

LFB : On va en parler de la vie privée après. Mais il y a un truc que j’ai aussi trouvé très intéressant quand j’ai pris un peu le fil. C’est un truc que Terrenoire va faire aussi, d’explorer justement le territoire et de ne pas se concentrer sur des métropoles.

Martin Luminet : Ça parle aussi de notre vie privée, c’est que la tournée c’est aussi des bons prétextes pour voir des endroits que tu ne verrais jamais dans la vie, que tu n’as pas le temps, que tu ne t’accordes pas le temps et tu tombes sur des territoires vraiment fabuleux, avec des histoires très fortes et des histoires souvent qui sont faites par les personnes qui y habitent, donc c’est assez poignant.

Et de par ces rencontres-là, ce n’est pas moi qui décide la tournée ou qui décide, mais c’est vrai que Théo (Avril), notre booker, je crois qu’il est très attaché à ça, à se dire, tiens, la musique qui est créée à Paris, entre guillemets, elle ne doit pas rester à Paris. Ce n’est pas un barème de vérité, Paris. On voit très bien qu’il y a beaucoup de projets qui peuvent très bien marcher à Paris et pas marcher ailleurs, et d’autres, des projets qui marchent partout en France, et quand ils arrivent à Paris, ils sont dans l’anonymat le plus total.

C’est une petite déformation spatio-temporelle, quand même, Paris. Et moi, je sais que je ne viens pas de Paris, j’ai grandi à la campagne, à côté de Lyon donc pour moi, il faut mettre des concerts dans des endroits où on n’en voit jamais.

Quand on était au concert de CMAT ensemble, j’ai trouvé ça trop bien dans ses remerciements. Elle a remercié les gens d’être là. D’autant plus qu’à Paris, chaque soir, tu peux voir 20 concerts. Si tu regardes, tu as 20 concerts. Et tu as choisi quand même d’aller la voir, elle. Et donc, je me dis, ça, c’est une vraie marque de chance et de joie qu’on peut avoir quand on vient à Paris et que c’est complet, tu vois, qu’on fait un concert à Paris et que c’est complet. Et à la fois, il ne faut pas oublier qu’il y a des territoires en France qui n’ont pas 20 concerts par soir, qui ont un concert par mois quasiment. Et il faut être là.

Qu’il n’y ait pas de creux qui s’amplifie entre Paris et le reste de la France parce que sinon ça va devenir encore plus un microcosme d’un point de vue entre soi, intellectuel, culturel. Et ce n’est pas ce qu’on veut. Parce qu’à la fin on est étonné même d’un point de vue électoral quand les votes, d’un point de vue national, ne ressemblent pas aux votes des grandes villes. Mais c’est parce qu’on ne parle plus assez. Les grandes villes se parlent entre elles. Et puis, le reste de la France, on ne leur parle pas trop.

LFB : C’est une fracture comme ça.

Martin Luminet : Et la culture, pour moi, c’est un pont indispensable. Donc, aller jouer n’importe où, c’est même ce qu’on veut. Et moi, je sais qu’avec Théo, je lui ai toujours dit, tant que tu nous fais jouer, c’est super. Va nous faire jouer dans des lieux où personne n’ose s’aventurer. C’est ce qu’on veut et c’est à chaque fois des rencontres assez fortes. Dans la tournée on a fait vraiment des salles déjà des tout petites salles et puis aussi des petites salles où il n’y avait pas grand monde certains soirs parce qu’il n’y a pas une vie culturelle très forte et c’était quasiment nos concerts qui nous ont le plus marqué. Ça te marque d’autant plus. Tu as une vraie rencontre, tu as un vrai truc.

Je sais que je suis assez attaché à ça quand je fais des actions culturelles avec des organismes comme les Francofolies et tout qui justement se battent pour aller mettre de la culture devant des publics qui sont empêchés de par leurs conditions sociales ou de par leur histoire ou de par leur éducation. à se dire bah tiens tu vas jouer dans un endroit où on n’a pas l’habitude d’avoir cette musique-là c’est aussi un acte je trouve assez fort et assez social.

LFB : Est-ce que tu as l’impression qu’il y a des territoires qui étaient plus sensibles à ta musique que d’autres ?

Martin Luminet : Ce n’est pas pour te faire plaisir mais le Nord quand même… (sourire). Je trouve toujours dans les petites villes quelque chose d’assez fort. Je crois que je ressors à chaque fois d’un endroit avec une bonne leçon qui ressort de chaque endroit.

Des grandes villes t’en tirent des très bonnes leçons parce que tu dis tiens ils sont venus alors qu’il y avait beaucoup d’offres à côté. Ca c’est hyper touchant. Dans les petites villes, tu en tires une très bonne leçon parce qu’il y a des personnes qui sont venues sans te connaître et je trouve ça hyper beau. Le geste de venir voir sans connaître c’est un truc qu’on ne connait plus ici à Paris, tu ne vas plus voir un concert que tu ne connais pas. Tout est tellement cher.

C’est du luxe. Et la culture, ça coûte cher. Donc, il y a toujours un truc à apprendre. Mais c’est sûr qu’il y a des territoires qui ne vibrent pas pareil. On n’a jamais été déçus. Parce que la dernière fois, on se remémorait un peu tous les endroits. On n’a jamais été déçus. Enfin, je sais que dans le Nord, il y a un truc, on y est retourné 3-4 fois. Et à chaque fois, c’était bouillant. C’est assez étrange.

LFB : Oui, c’est vrai. Moi, je t’ai vu. Je t’ai vu quatre fois dans le nord.

Martin Luminet : Grand Mix, Bulle Café, Bivouac et Oignies.

LFB : Ce qui est marrant, c’est que les gens reviennent. Un concert, c’est un spectacle, mais c’est quand même quelque chose qui est assez cadré, où les choses se répètent et où tu finis par un peu connaître les choses par cœur. Je trouve ça intéressant de voir des gens qui reviennent.

Martin Luminet : C’est la grande joie quand tu revois des visages. des personnes qui te disent qu’ils reviennent, qu’ils sont revenus avec deux amis en plus, que leurs amis qu’ils ne connaissaient pas ont bien aimé, ont passé un bon moment. Et ça, je trouve ça trop beau. Quand ta musique devient un prétexte pour que les gens se réunissent, ça fait du bien. Je sais que quand je traîne des amis, voir des concerts, c’est vraiment que j’aime profondément l’artiste. Et je trouve ça trop beau.

LFB : Tu vois, CMAT je ne connaissais pas du tout.

Martin Luminet : Oui, mais bon, t’as quand même, toi t’as la curiosité, t’es venu et tout. Mais c’est sûr que tout le monde ne peut pas avoir cette curiosité d’un point de vue financier, ou même d’un point de vue information. On sait pas, c’est vrai qu’il y a des concerts, qu’il y a ça qui passe. Et nous, en plus, on se dit qu’il y a 20 concerts par soir à Paris, mais 20 concerts dans le style qu’on écoute. Si on s’intéressait à d’autres musiques, à d’autres genres de musique, à d’autres propositions, il y en aurait 150. Et ça aussi, nous, on est très cloisonnés dans ce qu’on écoute.

LFB : Il y a quand même des questions qui se posent quand tu tournes pendant 3 ans c’est les conséquences sur ta vie personnelle et sur ta vie privée même amicale ou des choses comme ça. Est-ce que tu as une sensation parfois de sacrifice ou d’avoir perdu des choses ?

Martin Luminet : Ca a été un sujet au milieu de la tournée. C’était un vrai sujet intime. c’est que tu ne sais pas ce que tu as perdu. Tes amis ne t’en voudront jamais de beaucoup travailler, de t’amuser, d’être heureux, de réaliser à bout ton rêve. Mais moi, je me suis posé la question au bout d’un moment.

C’est pourquoi faire un métier qui te passionne si ça ne te rapproche pas des gens que tu aimes profondément ? Et ça, ça m’a coûté. Parce que vis-à-vis de ma famille, j’ai ma grand-mère, j’ai ma sœur, j’ai mes parents, j’ai des petits cousins qui grandissent, j’ai des amis qui ont des enfants, j’ai des amis. Et au bout d’un an, je me disais, putain, il y a eu un moment dans l’année où je disais plus non que oui aux invitations. Et c’est très dur et surtout que je n’aime pas ça, d’un point de vue personnel. Je sais que je peux être assez ours dans le fond mais j’ai besoin de mes amis pour vivre. C’est vraiment un truc, c’est vital. Ca ne sert à rien de vivre ça tout seul de vivre de la musique c’est pour vivre tout seul ça ne sert à rien.

J’ai de la chance déjà de tourner avec des amis que ce soit Ben, Rémi, d’avoir Marion, toute l’équipe. on est devenus vraiment très amis sans se forcer et ça c’est assez beau. C’est un beau hasard de la vie de se dire tiens les gens avec qui tu parles le matin, ils te fascinent, tu discutes de sujets assez forts. Tu n’as pas le côté tiens ça m’éloigne de mes proches et en plus je passe du temps avec des gens qui ne m’inspirent pas trop. Donc ça déjà c’était une petite part de consolation.

Je pense qu’il faut aussi arriver à redresser la chose. Je pense que les proches comprennent et ne t’en veulent jamais. et c’est marrant parce que le moment où je me suis dit ça je me disais putain je passe plus de temps sans mes proches qu’avec. J’étais passé à Lyon pour je ne sais plus quoi. Je suis allé voir ma soeur et puis je lui parle de ça. Je lui dis que ça me pèse un peu d’être aussi heureux dans la musique mais de pas arriver à le partager avec mes amis, avec mes proches. Et c’est trop marrant parce que le soir où je lui en parle, on avait promis de se faire un petit resto tous les deux. On traverse Lyon. Elle m’emmène je ne sais pas où. Je me suis dit pourquoi on marche si longtemps alors que d’habitude on se fait un petit resto en bas de chez elle. On marche super longtemps. On arrive dans un bar tout vitré. On rentre dans le bar. J’ai dit putain c’est fou, il y a mon pote Hugo et puis il y a ma pote Chloé. Et puis je regarde et je tourne la tête et en fait avec mes parents et deux trois copains ils m’avaient organisé une petite fête surprise. C’est marrant, c’est tombé à point nommé au moment où je me posais la question d’est-ce que je déçois pas un peu tout le monde aussi à vivre tout ça dans mon coin ? Ca m’a fait un bien fou. et je me suis rendu compte que j’avais des proches assez remarquables. Donc ça m’a un peu sauvé tout ça.

LFB : C’est marrant que tu parles du côté ours, c’est que tu peux te perdre aussi là-dedans. Au-delà de la tournée, tu vois, dans ce milieu-là, tu peux… A trop sortir, à trop être… Mais c’est aussi, j’ai l’impression, tu vois, en plus de la tournée, t’as aussi cette idée de surreprésentation dans le monde de la musique qui n’était pas forcément avant, où tu dois être présent sur le terrain, être vu…

Martin Luminet : Exister par ton art ne suffit pas. Et c’est horrible. Normalement, on ne devrait pas faire plus. Je veux dire, on fait de la musique, c’est déjà beaucoup. Tu vois, on se démène déjà pour faire ça. Il faut en plus que ton image prenne le relais, que tu sois omniprésent, que tu plaises à tout le monde autant que faire se peut parce que… Il suffit qu’un soir t’aies pas été trop souriant ou pas assez drôle et on va dire ah putain il est devenu relou. Ou alors depuis qu’il tourne beaucoup il est plus du tout à fond avec les gens et j’ai l’impression qu’il y a un truc de sur-sollicitation alors que le truc central c’est la musique et c’est aussi là où peut-être des fois des gens peuvent se perdre à oublier de faire de la musique et à plus être dans la représentation à vouloir être partout et pas assez avec eux-mêmes.

Je crois que ce truc-là, je l’ai abandonné assez vite parce que je me suis fait des copains rapidement en arrivant à Paris. Et il y a eu aussi le Covid. Et tu sais qui y reste, tu vois, qui reste dans tes copains, dans tes amis. Et ce n’est pas tellement une question de fréquence de comment on se voit. Tu sais que quand tu revois quelqu’un, il y a un lien qui est toujours là. On se pose des questions. On s’intéresse toujours à l’autre. Et moi, dans la musique, je sais que j’ai des amis qui sont trop bien dans la vie. Je n’ai pas besoin de nouveaux amis dans la musique. Il y a des gens que j’adore. Il y a des gens avec qui j’ai lié une amitié très forte. Mais quelque part, c’est du hasard et je n’ai pas besoin d’amis dans la musique. Je suis très heureux que ce soit mon métier. Mais je ne confonds pas métier et vie sociale. Ce n’est pas toute ma vie.

LFB : On en parlait justement à CMAT. Est-ce que ces gens-là, si tu n’étais pas dans le monde de la musique, est-ce que tu serais ami avec eux ?

Martin Luminet : Exactement. Et ça, moi, comme tout le monde, je pense que je l’ai questionné à un moment. Et ça m’a permis de renforcer mes liens avec mes amis, de me dire qu’il ne faut pas tout oublier. La musique, c’est un métier extraordinaire parce que tu vis des émotions fortes et que c’est rare aussi dans les métiers de vivre des émotions fortes.

Il y a beaucoup de métiers où on s’ennuie, il y a beaucoup de métiers où on subit. Et pour autant, ce n’est pas parce que ce métier te donne ça que tu dois tout lui donner et que tu dois t’abandonner à ça et oublier qu’une vie saine, c’est avoir des amis, c’est avoir des gens hors de la musique aussi parce que ce n’est pas toute la vie la musique. Et si c’était toute la vie, ça serait grave parce que vu les comportements qu’il y a dans la musique, tu n’as pas envie que ce soit ça la société.

LFB : On a un peu menti parce que la tournée n’est pas vraiment finie.

Martin Luminet : Tout ça est un mensonge (rire).

LFB : Non mais c’est marrant parce que tu pars dans quinze jours au Québec, on parlait d’explorer le territoire et là, c’est encore plus le cas. Est-ce que tu vois l’impact qu’a ta musique là-bas et quelle différence tu as l’impression en tant que français qui s’expatrie ?

Martin Luminet : Il y a un vrai côté curiosité parce que je pense que nous ça fait trois ans qu’on tourne en France et là-bas on n’y est que périodiquement, on est venu une fois l’an dernier pour une date et là on revient. Il y a un côté assez curieux, je pense que là-bas le projet est assez nouveau pour tout le monde. On sent qu’il y a de la curiosité et ça c’est toujours plaisant parce que tu vas à la rencontre de nouvelles personnes. Et puis moi j’aime beaucoup la façon dont la scène québécoise est très très focus sur l’objet artistique et pas tellement la restitution ou l’emballage de l’objet artistique.

C’est l’objet artistique, de quoi tu parles, comment t’en parles, mais pas tellement ce que tu incarnes, à quoi tu ressembles. Il y a vraiment un truc. Et je trouve qu’il y a une diversité beaucoup plus forte là-bas. Il y a une tolérance beaucoup plus forte aussi. J’aime beaucoup jouer là-bas parce que t’as une vraie écoute de la vraie profondeur des choses. Quel sujet on parle, comment on en parle, et pas tellement dans quelle posture t’en parles. Et ça, c’est cool.

Après, il y a d’autres sujets qui me traversent quand je vais là-bas avec ce contexte politique. Nous, on est un pays qui vit des atrocités sociales. Eux, ils sont en train de vivre aussi des grands bouleversements. Ca va être assez passionnant de voir comment l’art réagit face à ça. Là où moi je trouve qu’en France, l’art selon les disciplines, c’est plus ou moins discret face à des grandes aberrations politiques, sociales.

J’ai vraiment hâte d’arriver sur le continent là-bas américain et voir comment les artistes canadiens, qui sont justement eux en plus en tenaille avec le pouvoir mercantile des américains. Il y a pas longtemps un gars qui gère une société de pizzeria qui en fait sur un plateau télé avec des artistes, je ne sais pas si je le restitue exactement bien mais en fait un ou une artiste a dit voilà c’est hyper dur de de survivre avec nos métiers parce qu’il n’y a pas d’aide. Et puis, il y a des fois, c’est précaire. Et comment est-ce qu’on fait pour survivre en tant qu’artiste au milieu de ça ? Et le gars a dit, mais attendez, nous, on se pose moins de questions. On n’est pas des ouin-ouin. Nous, quand on ouvre un magasin qui ne marche pas, on ferme le magasin et on ouvre un autre truc. Et le gars, il vend des pizzas.

LFB : En fait, il n’a même pas réagi à la radio mais dans une vidéo dans le taxi en mode TikTok dans sa bagnole en mode les gars vous vous demandez pourquoi ça fonctionne pas. Posez vous les bonnes questions…

Martin Luminet : Peut-être que vous faites de la merde et que ce n’est pas rentable. C’est vrai que cette La réflexion autour de la rentabilité des choses, on le voit en France avec les hôpitaux, les écoles, on se dit « Attends, il faut que des établissements qui n’ont pas vocation à être rentables deviennent rentables. ». J’ai peur que ce poison, ça l’est déjà dans la musique. Parce qu’il y a de moins en moins, comme dans la société de classe moyenne de la musique, tu as vraiment des gens qui vivent très bien ou des gens qui vivent très mal.

LFB : Et puis tu as surtout des labels qui ne font plus de développement. Mais c’est un autre sujet, tu vois, l’importance des réseaux sociaux et du fait que t’as l’impression que pour être un artiste, il faut absolument que t’as un petit tip-off sur TikTok maintenant.

Martin Luminet : Exactement. Ouais, jusqu’au moment où TikTok sera remplacé par autre chose et qu’on oubliera qu’en fait, ce qui traverse les siècles, c’est la musique, ce ne sont pas les médias. Je veux bien admettre que ça aide certaines choses, mais ça aide pas à faire des bonnes chansons, les médias. Qu’il soit d’internet, papier, média d’opinion ou quoi que ce soit, ça n’a jamais aidé à faire des bonnes chansons. Ça a aidé des chanteuses et des chanteurs à exister. Ça n’a jamais aidé à faire des bonnes chansons. Donc ça, c’est vrai que c’est un truc où, quand tu vois qu’une partie de l’industrie se met à courir après ça, on se met un peu la tête en envers.

Je suis heureux d’aller au Canada ! Je trouve que c’est une scène et un public qui est passionnant. Moi j’aime cette musique-là. donc je suis super heureux d’aller là-bas. Tu sais mon amour pour Ariane Roy, Lou-Adriane Cassidy et Les Trois Accords, je n’en parle même pas. Mon guilty pleasure d’enfance.

LFB : Toi aussi, tu aurais aimé être hawaïenne, c’est ça ?

Martin Luminet : Oui, exactement ! (rires)

LFB : Quelle affaire ! J’ai une dernière question dont tu as déjà plus ou moins répondu. Est-ce que, vu que là on fait le deuil du live, est-ce que tu as l’impression que le live c’est une drogue dure dont tu as du mal à te passer ?

Martin Luminet : C’est bien le deuil du live ! Ca peut être un très bon titre de chronique.

LFB : C’est le titre de l’interview.

Martin Luminet : Ce n’est pas du tout une drogue dure pour deux raisons. je trouve que comparer des bonnes choses à des drogues c’est un peu les réduire. parce que je sais que la drogue il y a un côté un peu éphémère. il y a un côté fort

LFB : L’adrénaline d’un concert c’est 1h20 et tu peux te retrouver vide.

Martin Luminet : Oui exactement. mais moi je pense que peut-être c’est comme ça aussi que je me prévaux de ce blues-là. mais c’est que je me dis pour moi un concert ça se vit pas juste l’heure et demie où tu joues c’est tout la manière dont tu y vas la manière dont tu prépares ta date. et parce que je sais pas j’ai toujours J’ai plein de copains et copines qui me disent « Ah putain, moi après les concerts, je suis déprimé et tout. ». Et moi, je me dis « Mais moi, j’ai pas envie d’être déprimé après un concert. ». Je trouve qu’il n’y a rien de pire que d’être déprimé après un concert. Si un truc te fait autant de bien que de mal, il faut te poser des questions. Et puis surtout, je pense qu’il ne faut pas croire que pendant une heure et demie, tu es un dieu et quand tu rentres à l’hôtel, tu es une merde. En fait, il y a un juste milieu. C’est que tu n’es ni un dieu sur scène, ni une merde à l’hôtel. C’est un travail et une forme de constance.

Et je pense que pour moi, ce n’est pas une drogue, c’est plutôt un truc de sport d’effort. Je le vis plus comme un sport. Un marathon ou même un championnat de foot. C’est-à-dire que tu prépares tes matchs. Tu as les répètes, tu prépares tes matchs, tu as des matchs toutes les semaines, tu as des gros matchs, des gros matchs, des gros matchs, des gros matchs. A la fin du match, ce n’est pas ta vie qui s’arrête jusqu’au prochain match. Tu as tout un suivi, tu as tout un truc. Ça a un impact quand même sur ton hygiène de vie, sur ton alimentation, sur tes sorties. Tu vois, pour moi, la tournée, c’était aussi ça. Tu te mets un peu en mode guerrier pour ça. pour être toujours à la hauteur, que la personne qui vient te voir en début de tournée ou à la fin de la tournée te trouve toujours en forme. Parce que sinon, il n’y a rien de pire qu’une fin de tournée où tu es complètement à la ramasse.

Donc je ne comparerais pas ça à une drogue parce que je n’aime pas les drogues déjà. Et pour moi, il y a un truc qui infuse plus qu’une drogue. Je le vivrais plus comme un film qui te marque. Tu vas voir un film au cinéma, il te marque. Il y a un truc, tu rentres chez toi, le film, ne t’a pas abandonné. Si c’est un bon film, il ne t’a pas abandonné. Tu rentres avec l’énergie du public chez toi et tu ne te sens pas orphelin de ce truc. Tu te dis juste, tiens, ce truc-là est venu se loger en moi. Et puis, la fois d’après, il viendra se loger à autre chose. C’est pour ça que je n’ai pas le blues, ça m’a tellement nourri.

LFB : Et puis, dans un an, tu repars !

Martin Luminet : Et on repart, voilà et dans six mois c’est reparti.

Crédit Photos: David Tabary

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