Mathieu Boogaerts , Grand Piano : « la meilleure façon de me connaître, c’est d’écouter mes chansons »

Neuf albums et quelques années plus tard, nous retrouvons avec Grand Piano un Mathieu Boogaerts tel que nous l’avons toujours aimé. De grandes « petites » chansons qui, par leur authenticité vraie, nous touchent dès la première écoute pour ensuite ne plus nous quitter. Ritournelles de ses sentiments ou impressions du quotidien que l’on fait nôtres tant elles nous paraissent universelles.

Photographie de Mathieu Boogaerts dans les escaliers de Tôt ou Tard, entouré d'exemplaires de son dernier album, Grand Piano
Crédits Photos : Manou Milon

De l’émouvant Faut pas que j’oublie au radieux C’est beau la vie, Grand Piano renferme douze pièces sincères et spontanées qui égrainent tous les sentiments. Douze chansons attendrissantes et réjouissantes que l’on prend plaisir à découvrir et à redécouvrir à chaque écoute. Car leurs apparentes simplicités n’ont d’égal que la profondeur des émotions qui bouillonnent en lui.

Quelques jours après la sortie de Grand Piano, nous avons retrouvé Mathieu Boogaerts dans les locaux de Tôt ou Tard, la maison de disque qui le suit depuis son album 2000.


La Face B : Comment allez-vous ?

Mathieu Boogaerts : C’est difficile de répondre à cette question parce que cela dépend des heures, des jours. C’est rare que j’aille bien longtemps, tout comme il est rare que j’aille mal longtemps. Globalement, je vais bien.

En fait, le jour où je suis sorti du mastering, je me suis senti immensément mieux que la veille. Car, une fois que je commence la production d’un disque, je dors mal. Je suis vraiment anxieux. Il y a un truc qui n’est pas fini. Et donc, sortir du mastering est pour moi un immense soulagement. Comme, je l’imagine, pour les lycéens qui finissent leurs bacs.

Sorti de cela, tout ce que je peux aborder, c’est un cran en dessous en termes d’anxiété. Le disque est disponible depuis vendredi dernier, nous sommes mercredi, et je n’ai que de bons échos. Et même si j’en avais des mauvais, ce ne serait pas grave parce que l’idée du disque n’est pas forcément que les gens l’aiment. Comme je suis très content du disque, je me sens en phase avec lui. L’idée qu’il soit aujourd’hui dans la nature m’épanouit.

La Face B :  C’est vrai que c’est un très joli album.

Mathieu Boogaerts : Merci. Et même, ce qui est surtout satisfaisant, c’est que je sais pourquoi je l’ai fait. Et d’un coup, tout prend sens. Les gens l’écoutent. Peu, beaucoup, je ne sais pas trop. On verra. Mais en tout cas, le « contrat » est honoré !

La Face B : Naïvement, la première chose à laquelle on pense lorsque l’on découvre le titre de votre dernier album – Grand Piano – c’est qu’il ne correspond pas vraiment à l’image que l’on se fait de Mathieu Boogaerts avec sa guitare. Et on se dit qu’il y a autre chose, que le piano n’est pas celui auquel on pense.

Mathieu Boogaerts : Trouver un titre d’album, c’est toujours compliqué pour moi. Si cela ne tenait qu’à moi, il n’y aurait pas forcément. J’écris mes chansons une par une. Le système fait qu’on les vend par douze, donc je les réunies. Cela étant, il y a une cohérence intrinsèque qui se crée, car elles sont produites au même endroit, au même moment. Elles ont une facture commune. Mais trouver un titre, pour moi, ce n’est pas évident. Chaque chanson a son propre propos. Mais, je me prête à ce jeu.

Quand il est question de trouver un titre, j’ouvre mes oreilles, mes yeux, et j’attends un truc qui me paraisse évident. Quand je suis tombé sur ce mot, je ne sais plus à quelle occasion, je me suis dit : « Ah, ça j’aime bien ». Sans trop savoir pourquoi. « J’ai un truc qui me plaît ».

Je l’ai validé parce qu’en général je me laisse aller. Si je le sens, c’est que c’est celui-là. Je ne vais pas commercer à tergiverser. A posteriori, je me dis que je dois aimer ça parce que – comme je l’ai écrit dans la bio – c’est un peu un oxymore. Dans « Grand » ; il y a quelque chose d’âgé, de solide, de large, de lourd. Et puis, dans « Piano », il y a quelque chose de doux, de nuancé. C’est l’idée de ce que je me fais de ce disque.

La Face B : Un oxymore qui caractérise bien vos chansons. Souvent un pas de côté pour voir les choses avec un autre angle.

Mathieu Boogaerts : C’est l’angle qui est le mien. Pour moi, ce n’est pas d’un autre angle. C’est mon rapport à la vie, à ce monde qui se formule en chansons. Je ne prétends pas que ce soit la meilleure façon, mais c’est la mienne. Je n’ai jamais réfléchi à comment j’allais procéder, je me laisse aller. Pourquoi je chante comme ça plutôt qu’autrement ? Pourquoi c’est ce mot que je valide et pas l’autre ? Je ne sais pas. Je me laisse aller et je crois en ce que je fais.

Une dernière chose par rapport au titre, je pense qu’un titre doit s’imposer. Jusqu’à il y a peu de temps Grand Piano cela voulait dire piano à queue en anglais, un grand piano. Maintenant, les gens qui écoutent ce disque vont associer le son des chansons à ce nom. Cela va devenir un autre Grand Piano. Il y aura Grand Piano – piano à queue – et Grand Piano – ce disque. Comme pour le groupe Police. Je ne sais pas si c’est Sting qui s’est dit « Ah, les gars, on va appeler ce groupe Police ». « Ah bon, c’est bizarre… ». Sans être anti-police, je ne vois pas le rapport entre la police et le rock. Et puis, finalement, quand je vois un disque de Police, je ne pense pas du tout à Police Secours ou à Police Machin. Même chose pour Téléphone. La liste est longue.

Grand Piano, je m’en fous si au départ cela évoque autre chose, il prendra un nouveau sens. J’avais fait un disque il y a longtemps, qui s’appelait Michel [Michel est le quatrième album studio de Mathieu Boogaerts sorti en 2005], ce n’est pas Michel Galabru, ce n’est pas Michel Serrault, ce n’est pas Michel Platini, c’est Michel le disque.

La Face B : Et Grand Piano est aussi aujourd’hui le nom donné au groupe.

Mathieu Boogaerts : Oui, c’est plus anecdotique. Je trouvais marrant qu’il y ait un nom de groupe parce que c’est une façon de nous souder. J’ai réfléchi à plusieurs noms pour m’arrêter à celui-là. Il va s’appeler Grand Piano.

La Face B : Cela apporte un sentiment de continuité. Sincérité et spontanéité font partie de l’essence de vos chansons. Comment faire pour qu’elles puissent encore opérer avec force année après année ?

Mathieu Boogaerts : La sincérité, c’est certain parce qu’elle est le postulat de base. Je ne vois aucun intérêt à faire un disque s’il n’est pas sincère. Si mon voisin fait un disque qui ne l’est pas, il fait ce qu’il veut. Je ne lui en veux pas. Mais me concernant, je ne fais un disque que pour être sincère. Et la meilleure façon de me connaître intimement, c’est d’écouter mes disques plutôt que de me connaître dans la vie.

Quant à la spontanéité, elle est à l’origine de chacune de mes chansons. Je n’ai jamais le projet d’une chanson. Je ne peux pas me dire : « J’ai envie d’écrire une chanson sur ça ». Ça ne marche pas comme ça. Je passe beaucoup de temps à jouer de la guitare, de manière très gratuite. Et puis, parfois, au fil de mon improvisation, je tombe sur un truc que j’aime bien. « C’est marrant, ça ». Et très vite je m’y attarde et cela convoque chez moi des mots. Je me mets à les chanter. Là, c’est très spontané. C’est un lâcher-prise total. Et parfois, dans ce flux qui arrive, il y a une connexion entre une phrase et la mélodie qui va me toucher et faire vibrer en moi un souvenir, un sentiment.

Là, j’ai le début de la chanson. C’est spontané. En revanche le temps entre ce moment et la chanson terminée, est beaucoup moins spontané. Il y a des heures de travail où je suis derrière ma guitare à chercher à me reconnecter avec ce premier jet. En fait, je cherche à être spontané, mais je n’y arrive pas forcément tout le temps. Finalement, l’idée est que, quand on écoute la chanson, elle nous paraisse évidente, pour moi et donc pour les autres. Mais cette évidence là, c’est énormément de temps et de patience.

La Face B : Il y a le premier jet et l’après. On sent le travail qu’il y a pu avoir à trouver les mots justes, les bonnes rimes qui se répondent, le rythme qui structure la mélodie pour que le tout relève simplement d’une évidence.

Mathieu Boogaerts : C’est comme une équation que j’essaie de résoudre. La solution existe, je le sais. Je suis assez confiant quand j’écris parce qu’un disque, pour moi, c’est vraiment deux choses : un répertoire puis une production.

Constituer un répertoire c’est très long. Je peux y revenir cinquante fois, mais je sais que je vais finir par y arriver. En s’acharnant, on arrive toujours à résoudre l’équation. C’est comme si on disait à un mathématicien qui cherche une formule, il peut y passer dix ans de sa vie. Il sait que cette formule existe, mais il n’arrive pas à l’établir.

Après la production, c’est une autre paire de manches. C’est que là, j’ai ma chanson qui est « parfaite » pour moi. Quand je la chante, elle est aussi simple que le premier jet, mais elle va jusqu’au bout. Il va falloir que la production, donc sa fixation, surtout, ne la gâche pas. Il faut que je la mette en valeur et pas que je crée de la confusion. Ce sont des milliards de questions. Batterie, pas batterie. Quel groupe ? Studio ? On commence par des maquettes ou on fait d’abord du live ? On fait une répète ? Est-ce qu’on rajoute… la voix, je chante lundi ou vendredi ? Je garde ma voix du matin ? Des milliards de trucs.

Et moi, je suis très, très long. Je reviens, j’efface, je doute… C’est un processus presque sans fin qui m’est beaucoup angoissant parce que cela implique de l’argent, du temps, des gens alors que la phase d’écriture, je la passe tout seul avec ma guitare. Si ça prend des mois, tant pis c’est chez moi.

Alors que le studio, on le réserve pour le lundi. C’est le studio n°12 avec le musicien n°17 et la prise n°15. Il y a des choix, des arbitrages à faire sans arrêt. Ça m’est très difficile.

La Face B : Ce sont des choses dans les choix que vous pourriez anticiper ?

Mathieu Boogaerts : Non, pas vraiment. Déjà, il y a un choix intellectuel qui se fait. Est-ce que je veux faire ça en live, en rere [re-recording]. Tout seul ou… Ce sont des choix et puis, après, en fonction du choix, on contacte telle personne. On va visiter tel studio. Et puis, une fois que l’on a validé ça, on se met à jouer dans le studio et là c’est « Oui, non, non, oui, mais… » On se laisse aller en prenant soin d’être le plus sensible possible et le plus réactif.

C’est comme un metteur en scène devant son comédien qui tourne son film. « Non je ne l’ai pas. Plus triste… Plus gai… » Il a son film en tête et il sait qu’il va devoir coller avec telle séquence au montage. Est-ce que la lumière est bonne ? Est-ce que le costume est le bon ? Est-ce le bon acteur ? … Ce sont des milliards de trucs. D’ailleurs, le cinéma me fascine. Je vois le temps que je prends et ce que cela sollicite chez moi de produire un disque. Un film c’est fois cinquante.

La Face B : Un tournage, c’est une armée qui se met en mouvement.

Mathieu Boogaerts : Et réussir à garder le propos, la cohérence et d’avoir du style. Le metteur en scène est un chef d’orchestre. J’adorerai faire un film. Mais je pense que j’en mourrais [Rires]. Non, mais c’est vrai !

Photographie de Mathieu Boogaerts dans les escaliers de Tôt ou Tard, entouré d'exemplaires de son dernier album, Grand Piano. Sa tête disparait dans un carton.
Crédits Photos : Manou Milon

La Face B : En tout cas, pour la chanson, vous réussissez à toujours très bien retomber sur vos pieds.

Mathieu Boogaerts : C’est gentil, mais c’est beaucoup de souffrance. Surtout la production. L’écriture, c’est long. Il faut être patient. Parfois, je m’acharne sur un couplet. Je ne l’ai pas et puis, un jour j’ai une idée et je repars sur un autre truc. Là, je ne souffre pas trop. Mais la production est toujours une souffrance pour moi parce que, comme je suis très indépendant de nature, produire c’est impliquer d’autres gens, de l’argent, et en ressentir une culpabilité. Comment je vais lui dire qu’il faut refaire une cinquième prise alors qu’il est déjà sympa de m’en faire quatre.

Et puis, il y a tellement de possibilités. Avec l’ordinateur, on peut tout faire. Tout ce que l’on a enregistré, on peut le mettre à l’envers, à l’endroit, le raccourcir, le ralentir, rajouter des trucs… On met une réverb et, tout d’un coup, ce n’est plus du tout le même son. C’est sans fin. Trouver une justesse et la tenir jusqu’au bout c’est compliqué.

La Face B : Avec en tête le cadre original que l’on s’est fixé au début ?

Mathieu Boogaerts : Oui et non. Parce qu’il faut savoir en sortir aussi. Forcément, en studio, on est surpris. « Je vais prendre tel batteur ». Et puis, quand il se met à jouer, ce n’est pas du tout ce que l’on recherchait. Il y a tellement de paramètres entre l’acoustique de la salle, la batterie, le micro. Ce n’est jamais ce que l’on a pu imaginer.

La Face B : L’âme même d’un morceau peut évoluer entre le moment où on l’a conçu et celui où on l’enregistre ?

Mathieu Boogaerts : Pour l’âme même d’un morceau… Je compare ça à du théâtre où le texte serait figé, mais pour lequel il pourrait y avoir plusieurs mises en scène. Si on prend cinq metteurs en scène pour la même pièce, on ne pourra pas dire que l’une est mieux. Ce sont des écrins différents. On peut le faire en mode très minimaliste, avec une scène blanche et tout à imaginer. Ou alors avec des super décors. Il n’y en a pas un qui est mieux que l’autre. Une fois que ma chanson est finie, son âme est là pour l’éternité. Mais la chanson sera tributaire de la lumière que je mets dessus. Est-ce que je mets une lumière blanche ? Plusieurs couleurs ? Est-ce que je mets des ombres ? Des perspectives ? Je l’éclaire comme je veux, mais cela reste la même chose.

Mais La production doit avoir sa cohérence et son évidence. Peut-être à l’exception de la dernière chanson du disque, C’est beau la vie, les autres chansons n’ont pas eu la facture finale que j’avais imaginée le premier jour de studio. Entre-temps, il s’est passé beaucoup de choses.

La Face B : C’est vrai que le disque fourmille de détails dans sa production. Beaucoup de percussion aussi. On est moins comme sur le disque d’avant – En Anglais – qui est davantage lofi.  

Mathieu Boogaerts : Je voulais qu’il y ait plus de persona qu’avant. C’est pour cela qu’il s’appelle aussi Grand Piano. Il a un côté un peu emphatique.

La Face B : Votre album débute avec Faut pas que j’oublie et se finit avec C’est beau la vie. Que se passe-t-il entre les deux morceaux ?

Mathieu Boogaerts : Quand j’écris des chansons, je ne sais pas si elles seront sur l’album en huitième ou cinquième position. Mais, un moment donné, il faut les ordonner. C’est très compliqué parce qu’il y a plein de paramètres à prendre en compte. Là, je me suis dit que ce serait bien que de commencer par Faut pas que j’oublie. C’est une chanson désespérée, mais qui formule un nouvel espoir. Le décor c’est une fenêtre et la nuit qui tombe. « J’espère que demain matin… ». Et je trouvais assez évident qu’elle ait une connexion avec la chanson qui fait « Ce matin, je me réveille… »

Et entre, il y a dix autres chansons qui formulent un sentiment, un truc qui a été un jour convoqué par un accord de guitare. Ce sont les chansons qui me sont arrivées spontanément depuis quelques années. C’est un peu une photo de ce dans quoi je suis. Mais, je manque de recul aujourd’hui pour dire vraiment ce que c’est. En général, c’est en écoutant des disques que j’ai faits que, quelques années après, je me dis : « Tiens, je parlais de ça ». Là, je ne m’en rends pas trop compte. Un peu, mais peut-être moins que quelqu’un qui le découvre.

La Face B : Et lorsque l’on juxtapose les morceaux sur le disque, il y a une structure narrative qui se crée ?

Mathieu Boogaerts : Non. Quand j’ai fait le choix de l’ordre, je sais forcément que les textes vont résonner entre eux. Je sais que l’on va écouter la chanson 3 en ayant en tête le texte de la chanson 2 qui est passée juste avant. Parfois, je ne peux pas juxtaposer des chansons parce qu’elles sont trop proches ou lointaines. Mais il y a aussi le rythme, le tempo, la tonalité, l’arrangement. Je suis très content de moi, mais j’ai quand même passé des heures à le faire [Rires]. Et, je ne cherche pas à prendre les gens par la main du début du disque jusqu’à sa fin en leur disant « Je vais vous raconter ma vie dans cet ordre-là ». Chacun se l’approprie comme il le souhaite. Mais pour moi, dans cet ordre-là, il n’y a pas de conflits entre les chansons.

La Face B : Il y a pas mal de chansons sur le temps qui passe. Est-ce pour vous troublant de se voir vieillir ou plutôt grandir ?

Mathieu Boogaerts : Je suis très à l’aise avec les chiffres, les proportions, les statistiques, les pourcentages. Je suis très à l’aise avec ça et j’en ai même besoin. De tous mes copains, si on a une discussion sur la circonférence de la terre, la distance des étoiles, l’histoire, la chute de l’Empire Romain, je suis celui qui est imparable, qui connaît tous les trucs. Donc, j’ai bien conscience que j’ai 54 ans et qu’en gros, si ma vie était une semaine au ski (on arrive le samedi et on repart le samedi), là j’en serais au jeudi après-midi [Rires].

J’ai pleinement conscience que j’ai vécu déjà une grande partie de mon existence. En l’occurrence, la chanson Ma Jeunesse est sur le fait d’être stressé par rapport à ça plutôt que de vivre l’instant présent. De penser au temps qui passe. C’est un défaut de beaucoup de gens d’être anxieux de l’avenir ou nostalgique du passé alors que l’on devrait vivre au présent.

Après, à 54 ans, j’ai l’impression d’avoir parfois fini ma vie tellement j’ai l’impression d’avoir fait de trucs. J’ai rencontré plein de gens, j’ai fait le tour du monde, j’ai fait plein de concerts, j’ai eu plein de femmes. J’ai l’impression d’avoir une vie bien remplie et d’avoir profité de plein de trucs. Et puis, quelquefois j’ai l’impression de ne pas avoir commencé. « Oui, mais, donc et alors ?» Et finalement de ressentir la sensation d’avoir toujours couru après quelque chose sans l’avoir trouvé. En ce sens : « ne pas avoir commencé quelque chose ». C’est un peu le propos de la chanson Ma Jeunesse. Ce n’est maintenant ou jamais !

La Face B : Et si vous pouviez échanger avec le Mathieu Boogaerts d’il y a trente ans, qu’est-ce que vous lui diriez ?

Mathieu Boogaerts : Je ne sais pas. Spontanément, cela ne me vient pas. Je me dirais « Profite de l’époque où le climat était ‘normal’ ». Une époque que nous ne connaîtrons plus, ni nous ni nos enfants.

La Face B : Et dans les chansons présentes sur le disque, il y en a une pour laquelle vous avez une tendresse particulière ?

Mathieu Boogaerts : Il faut que j’aime chaque chanson autant l’une que l’autre. C’est comme si j’avais des enfants. On ne peut pas dire que l’on préfère un enfant à un autre. Les chansons – quelques soient leurs propos, quelques soient leurs structures – un moment donné, il faut que je les aime au point de vouloir les mettre sur un disque. Il n’y a pas une chanson que j’aime plus que les autres. Après, dans la production, il y en a certaines que je peux trouver plus réussies dans leurs formes. Ma Jeunesse, est particulièrement réussie dans sa production. Mais je suis content globalement du disque. Dormir, aussi…

La Face B : J’aime beaucoup la structure évolutive que l’on retrouve dans votre chanson Dormir.

Mathieu Boogaerts : Et puis l’arrangement est assez ambitieux. Il y a pas mal de monde sur cette chanson. Et j’aime bien comment tout ce monde-là vit.

La Face B : Dans les chansons on retrouve beaucoup de sentiments. C’est par la chanson qu’ils peuvent le mieux s’exprimer ?

Mathieu Boogaerts : Oui, comme je disais, la meilleure façon de me connaître c’est d’écouter mes chansons. Une chanson, c’est court. Il y a peu de signes, peu de mots. Donc, on synthétise ce que l’on ressent, en quelques couplets. Chaque mot est pesé. Il y a une densité qui me plaît. Formuler en plein de petites pièces, de petites œuvres, pour cerner les sensations que j’ai ou les rapports au monde que je pourrais avoir. Les chansons sont vraiment sentimentales. Je suis incapable d’écrire sur quelque chose qui ne me touche pas.

Mais, en tant que spectateur, je pourrais apprécier une chanson « Around the world, around the world… ». Ça ne veut rien dire, mais il y a un charme, un son, un gimmick. Et même si je n’aime pas forcément ce morceau, je pourrais l’aimer. Mais, me concernant, si j’écris une chanson, il faut forcément que cela soit du sérieux. Mais sérieux ne veut pas dire négatif. On peut formuler la joie, le désir. Pour moi, il faut que cela soit quelque chose d’important.

La Face B : Si vous étiez au travers de vos chansons, un collectionneur. Qu’est-ce que vous collectionnerez ?

Mathieu Boogaerts : Des sentiments peut-être. Quand la chanson arrive, lorsque je gratouille et qu’une phrase sort, cela fait tout de suite écho à un sentiment. C’est comme si j’en avais 200 et que la chanson fait écho au sentiment n°14 qui est « Le fait de regretter, mais qu’en fait... » ou encore « Le désir, mais le désir… ». En fait, il n’y a pas 200 sentiments. Il y en a peut-être seulement 10, mais les nuances que l’on y apporte les multiplient. Cela étant, je ne prétends pas d’avoir plus de sentiments que qui que ce soit. N’importe qui dans le métro n’a pas ni plus ni moins de sentiments que moi. Mais j’éprouve comme un besoin ou un désir profond de les cerner et de les formuler.

La Face B : Et écouter d’anciens morceaux vous replonge-t-il dans les états d’âme que vous aviez au moment où vous aviez conçu les chansons ?

Mathieu Boogaerts : Quand j’écoute les anciens morceaux, il y a deux choses que j’écoute, une chanson et une production. Quand j’écoute l’album 2000 qui a une vingtaine d’années, les premiers trucs que j’entends sont un son, ma voix. J’ai l’impression de voir une vieille photo de moi avec ce que cela peut comporter de gênes et de charmes.

Et puis, quand je prends ma guitare et que je chante une chanson de cette époque-là, cela me projette tout de suite dedans. Il n’y a pas une chanson que j’ai écrite avant dont je ne peux pas épouser le propos aujourd’hui. C’est bizarre, parce qu’une chanson écrite à 20 ans, à 54 ans, je peux encore l’incarner.

Il y a une chanson de mon premier disque Super « C’est super, je cours le long du port… » C’est une chanson contemplative structurée par l’entrain qui lui est propre. Quand je chante cette chanson aujourd’hui, je ne pense pas au moment où je l’ai écrite, mais je l’extrapole à aujourd’hui. Je peux aujourd’hui – encore – avoir envie de courir le long port. Et si ce n’est pas un port, ce sera autre chose. C’est le Mathieu d’aujourd’hui qui court, ce n’est plus celui de vingt ans, mais je peux toujours la chanter. Cependant, quand j’écoute le Mathieu de vingt qui la chante, je vois un jeune homme, cela ne me cause plus. Je parle de l’enregistrement. Il est dépassé.

Photographie de Mathieu Boogaerts dans les escaliers de Tôt ou Tard, entouré d'exemplaires de son dernier album, Grand Piano
Crédits Photos : Manou Milon

La Face B : Vos chansons sont intemporelles, comme celles de Dominique A ou de Philippe Katerine. Ce sont des chansons que la scène française émergente n’a pas de mal à se réapproprier. On peut citer par exemple l’album des ritournelles parues chez La Souterraine en 2016. Comment l’expliquez-vous ?

Mathieu Boogaerts : Je n’en ai aucune idée. Sans prétention mal placée, quand je finis une chanson (je ne parle pas de sa production) elle existe pour l’éternité. C’est comme une recette de cuisine. Le mec qui a inventé la tarte Tatin, une fois qu’il l’a inventé, tout le monde peut la faire, même si c’est à sa manière. Ma chanson, je sais qu’elle est solide. Elle est devenue quelque chose. Quelque part je trouve normal d’être repris. Et j’aimerais l’être plus.

Dans les bals d’été, ils reprennent du Goldman, pourquoi ne reprendraient-ils pas mes chansons. Je suis plutôt déçu qu’ils ne le fassent pas plus. Je serai plus satisfait de voir une de mes chansons reprise lors d’un bal que reprise par une scène un peu underground et Parisienne. Cela me fait plaisir, c’est certain. Mais ce serait un gage de satisfaction de savoir ma musique devenue plus populaire. Je ne sais pas pourquoi mes chansons ne sont pas reprises chez Nagui le samedi quand il fait son émission, ou à la Star Academy

La Face B : Et dans les classes d’école ?

Mathieu Boogaerts : Cela m’est arrivé, il y a eu plusieurs fois des instituteurs qui m’ont contacté en dehors de tout cadre officiel. Cela me fait plaisir, car je me sens vraiment chansonnier. Je produis des chansons. Tout le reste, la pochette, l’esthétique… C’est secondaire, même si j’y attache de l’importance. S’il ne devait rester qu’une chose, ce serait ce que vous avez vu lors de release party. Moi avec ma guitare. Ça, c’est le truc de base. Après, on met des diamants et d’autres trucs.

La Face B : Pour vous accompagner sur scène, vous êtes bien entourés avec des musiciens comme Vincent Mougel, Elise Blanchard, Jean Thévenin.

Mathieu Boogaerts : Oui, ils sont super. Franchement, j’ai un groupe de folie. Trois musiciens excellents avec beaucoup de style. De bons musiciens-techniciens, il y en a plein. Mais eux ont beaucoup de style. Et, je crois qu’ils adorent jouer avec moi. On est hyper content, on s’entend hyper bien, on se marre. Quand j’ai monté ce groupe, les planètes se sont alignées.

La Face B : Pour les concerts, la tournée va bientôt commencer. Vous allez reprendre le concept des concerts aléatoires ?

Mathieu Boogaerts : Je ne sais pas encore, mais je pense que oui. Avec, quand même, des rendez-vous qui structureront le concert, par quoi commencer, par quoi finir. C’est très gai de faire ça parce que cela rend chaque concert différent. Cela nous met un petit supplément d’implication parce que l’on doit s’adapter. Ce n’est pas routinier.

La Face B : Et pour finir, que peut-on vous souhaiter ?

Mathieu Boogaerts : Que Donald Trump ###### ! Sinon, à titre personnel, ce serait d’arriver à jouir de l’instant présent. D’être moins anxieux, d’être plus dans la joie. Ce que je tends à faire et que j’arrive parfois. Je pourrais vous dire, je désire le succès, je désire… Mais finalement, cela ne relèverait que d’une projection sur le futur. En fait, le salut vient du « maintenant tout de suite », sans penser à demain. C’est ce que vous pouvez me souhaiter.

La Face B : C’est l’alchimie qui opère lors des concerts.

Mathieu Boogaerts : Oui, tout à fait. Même si ce serait mentir que de dire que 100% des concerts ont été vécus intensément. Il y en a où je doute, où je n’ai pas envie, où j’ai un problème technique. Mais globalement, je mets tout en œuvre pour que le concert soit un moment de pur laisser aller. Ça a été le cas de ma série de concerts à l’Archipel. Il y a eu des moments très forts.


Mathieu Boogaerts en configuration Grand Piano sera sur les routes à partir de fin février (Montpellier le 28 février, Aix en Provence le 1er mars, Paris [Théâtre de la Ville – Sarah Bernhardt] le 7, Cenon le 13, Chelles le 14, Saint-Lô le 15, Brest le 16, Riom le 21, Villeurbanne le 22, Blois le 28, Saint-Sauveur-en-Puisaye le 29, Lille le 24 avril, Rouen le 25, Nevers le 26, Rambouillet le 29, Besançon le 30, Pace le 21 mai, La Rochelle le 10 juillet). D’autres dates se rajouteront sans doute. On s’y voit ?

Pochette de l'album Grand Piano de Mathieu Boogaerts

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