Deux mois avant le festival de Dour, on a rencontré un de ses programmateur.ice.s, Mathieu Fonsny. Il nous a expliqué l’évolution du festival, comment il a su s’inscrire dans la large offre actuelle et comment il a su pérenniser ce qui a fait son succès. A Dour, on parle musique et expérience de vie, des composantes essentielles qui ont également balisées cette entrevue.
LFB : Enchanté Mathieu, pour faciliter la suite de la discussion est-ce que vous pouvez m’en dire un peu plus sur votre parcours et le rôle actuel que vous occupez au sein du festival de Dour ?
Mathieu Fonsny : J’ai d’abord commencé par le journalisme, il y a plus ou moins 20 ans. J’ai très vite monté des soirées qui s’appelaient Forma.T à l’époque de Justice et Ed Banger (début des années 2000, ndlr). On organisait des soirées à Liège (d’où Mathieu est originaire, ndlr), Bruxelles et Paris et petit à petit le collectif grandissait. C’est là que Dour nous a proposé de s’occuper d’une scène en 2006.
Après, entre 2006 et 2013 on avait une soirée et c’est en 2013 que j’ai commencé à m’occuper de l’intégralité de la programmation du festival. D’abord avec quelqu’un qui s’appelait Alex mais qui est parti et maintenant on est principalement trois : Clara qui s’occupe aussi de la presse internationale et Clément. En plus, on a quelques consultant pour des styles spécifiques comme le dub, la drum’n’bass mais aussi pour les lumières et écrans de la Balzaal (scène entourée par des écrans, ndlr).
LFB : Quand on parle de Dour, une des premières choses qui nous frappe, c’est l’éclectisme de la programmation. Comment fait-on pour rester constamment si ouvert ?
MF : D’abord, on est nous mêmes des curieux. Je suis amateur de pleins de musiques différentes, je vais à pleins de concerts. Ce qui m’intéresse c’est d’écouter des sous-cultures et des sous-genres et d’aller creuser derrière, pas de simplement écouter le/la chef.fe de file.
Le but c’est de ramener un maximum d’influences à Dour pour les festivaliers qui sont, je l’espère, aussi curieux que moi. Ce qui fait qu’un fan de rap peut se retrouver à aimer de la techno, et inversement par exemple.
En fait, j’ai l’impression que l’on fait tous partie d’une communauté où l’on est éveillé, curieux et mélomane.
Mon travail pendant l’année va constituer en ça, la découverte de pleins de nouvelles choses aussi bien musicales qu’humaines et après de les ramener à Dour tout en les faisant cohabiter avec des têtes d’affiches qui peuvent rassurer. La conjoncture actuelle donne l’impression que l’on doit rester dans une zone de confort. Rien que sur Spotify, on a des playlist faites sur-mesures, les festivals deviennent de plus en plus uni-genre. Nous on décide de faire l’extrême inverse.
LFB : Paradoxalement, j’ai aussi l’impression que les frontières entre les styles n’ont jamais été aussi floues, ce qui rend les gens curieux et c’est ce que Dour représente à merveille.
MF : C’est aussi ce sur quoi on mise. On est sur que les gens vont se balader et que même s’ils sont venus pour aller sur la Balzaal (scène dédiée à la musique électronique, ndlr), ils vont, au fil du festival se balader et découvrir d’autres scènes et donc d’autres styles musicaux.
On pense vraiment que ce sont des gens ouverts. La plupart ont accès à tout facilement avec internet et c’est aussi ce qu’on essaye de leur proposer à Dour.
Je n’aime pas le mot « alternatif » parce que ça voudrait dire que c’est en marge de quelque chose, mais on dit qu’on fait de la musique alternative. Au moins on sait qu’on parle le même langage que les festivaliers et on ne les trahit pas. Un artiste comme winnterzuko (présent sur l’édition 2023, ndlr), et ce n’est pas le seul, représente bien ça avec un mélange de musique emo de rap kické et d’instrumentales électroniques.
LFB : L’écosystème des festivals est de plus en plus important et surtout en Belgique. Comment on s’inscrit dans ce marché ?
MF : D’abord il y a un historique, Dour a plus de 30 ans et s’est forgé une réputation de prescripteur là où les autres se basent sur les mêmes têtes d’affiches, nous on en pas vraiment besoin. On pense aussi en terme d’expérience de festival. A Dour ce n’est pas juste les noms les plus importants qui font vendre des tickets, c’est l’ambiance, les rencontres, le camping, se balader. On a l’impression d’être une communauté entière. Pour les gens qui viennent d’une petite ville et qui ont l’impression d’écouter des choses différentes que les gens qu’ils côtoient, ils se retrouvent entourés de 50.000 personnes qui réfléchissent comme eux. C’est comme ça qu’on arrive à trouver notre place dans cet écosystème et à la garder. On ne veut pas trahir nos festivaliers, on veut trouver l’équilibre entre tous les genres pour garder cette proposition qui est différente des autres.
LFB : Par exemple, l’année passée, il y avait Aphex Twin en tête d’affiche qui est une pointure dans son domaine sans être ultra-mainstream, ça représente ce qu’est Dour ? Ce n’est pas aussi rassurant de voir que le public se bouge toujours autant pour cette formule et reste curieux ?
MF : Ce qu’on essaye de faire, c’est que les gens se sentent bien. Des gens qui ne se connaissent pas mais qui ont le même gout pour le musique se retrouvent à camper ensemble, à faire la fête ensemble pendant 5 jours. Ca nous permet de créer une communauté de gens qui sont des mélomanes et des curieux.
LFB : En plus de ça, il y a aussi l’aspect « à la belge », ça reste convivial malgré l’ampleur que ça a pris.
MF : On est belge, on le fait à la belge ! Nous on mange des frites et on a pas besoin d’en faire de trop.
Après on a aussi nos petites structures comme les assises en bois, le Rockamadour et d’autres petites scène plus confinées où tout le monde peut se sentir chez lui.
On a pas trop besoin de paillettes. On a un espace VIP mais il est majoritairement occupé par les gens des alentours qu’on invite.
Notre ADN a été fait comme ça, à la cool ! Et même si cette communauté à grandit, elle se porte bien, tout le monde vieille les uns sur les autres.
LFB : C’est vrai que j’ai vu très peu d’incivilité sur le site du festival.
MF : On est très soucieux de ça. Bien évidemment il y a quand même de la répression sur certaines choses mais on a de la chance que les gens se contrôlent eux-mêmes. Il n’y a pas de débordements.
J’aime la communauté de Dour, je m’y sens bien, je m’y sens chez moi. Je découvre encore un milliard de choses.
Mon moment préféré à Dour c’est quand les portes ouvrent le mercredi, je vais me positionner et je vois les gens qui arrivent avec un sourire qui veut tout dire. Ça fait un an qu’ils n’ont pas vu le site du festival et ses éoliennes et là ils rentrent et je vois tout ce que j’ai fais pendant un an prendre forme.
On aime aussi les surprendre en cachant des petites surprises par-ci par-là.
LFB : Le fait que le camping se trouve à côté du site du festival accentue encore plus cette impression de « micro-ville ». Au final Dour c’est une expérience entière.
MF : C’est ce qu’on essaye de proposer : quelque chose de différent tout en ayant des moments forts. Ça laisse l’occasion aux gens d’aller découvrir et de chiller devant des artistes qu’ils ne connaissaient pas forcément.
Au lieu d’être matraqué dans un seul système, il y a un milliard de possibilités qui s’ouvrent aux festivaliers. Ça leur permet aussi de sortir de leurs zones de confort et de ne pas aller voir que ce qu’ils ont déjà vu mais d’aller se balader pour découvrir de nouvelles choses. On imagine ça un peu comme un parcours que les gens pourraient suivre pour aller voir des choses qui sont à la fois différentes mais qui gardent un dénominateur commun : si tu es un kiffeur, tu vas aimer.
On essaye aussi de proposer de vrais shows. Que ça soit en musique électronique ou dans le rap, on ne sait jamais trop dans quel format l’artiste peut jouer. Par exemple le format showcase où l’artiste ne vient performer que 15 minutes et laisse le reste du temps à son DJ, on essaye d’éviter. On essaye de digger pour avoir chaque année des moments un peu légendaire.
LFB : Si vous deviez nous donner une petite anecdote dans la conception du line-up de cette année, ça serait laquelle ?
MF : Il y en a plusieurs…On est content d’avoir Arca parce qu’elle est très très rare, elle ne fait que 4/5 dates cet été je crois. C’est quelqu’un de très pointu qu’il faut rassurer. Ce n’est pas une histoire d’argent, c’est surtout un besoin de lui faire sentir qu’elle sera bien.
Elle peut aussi bien jouer dans un centre d’art que dans un squat ou encore dans un festival comme Dour. Il a fallut argumenter pendant longtemps pour l’avoir.
Sinon, des anecdotes on en a toujours. Ça peut être, par exemple, un artiste qui vient pour jouer mais reste aussi sur le camping durant les cinq jours de festivals.
LFB : C’était un peu pareil l’année dernière avec la venue d’Aphex Twin qui était une de ses rares apparitions sur scènes en Europe de l’été.
MF : Oui, ça aussi, ça a pris du temps, plusieurs années même. Il fallait qu’il tourne et là il avait quelques autres dates de prévues en Europe. Puis, il a fallut le convaincre. On a de la chance que grâce à son agent, il y a une relation de confiance qui a pu s’installer. On a défendu beaucoup de projets que ça soit chez Warp, Ninja Tunes,… ce qui faisait qu’il savait où il mettait les pieds.
J’ai eu une fois l’occasion d’aller à Coachella et il était programmé avec notamment SOPHIE et Arca et il n’y avait pas tellement de monde. En plus ils jouaient dans le quatrième chapiteau alors qu’à Dour ce sont des têtes d’affiches.
LFB : Il y a plusieurs organismes aussi qui viennent égayer la programmation de Dour comme Kiosk Radio ou Grünt. A quel moment on lache une partie de sa programmation à d’autres entités ?
MF : C’est des gens avec qui on a une histoire et qui pense comme nous. Jean (Morel, fondateur de Grünt, ndlr), ça fait des années qu’il vient à Dour, il réfléchit comme nous, c’est pareil pour Lefto ou Amelie Lens.
Après, tout se construit en discutant ensemble. Par exemple, Berwyn qui va jouer sur la scène de Grünt, c’est suite à une discussion qu’on a eu avec Jean où il m’a dit qu’il avait enregistré une session avec lui. Du coup, ça avait du sens de le mettre sur cette scène.
LFB : Si vous deviez nous conseiller de ne pas louper un concert lors de cette édition 2024, ça serait lequel ?
MF : D’une manière générale je dirais : venez les yeux fermés et baladez vous pour découvrir des choses ! D’une manière plus précise, comme j’ai dis, on est fier d’avoir Arca. Je suis content que James Blake vienne, c’est quand même quelqu’un qui fait des choses pour la musique : il produit pour beaucoup de rappeurs américains mais il fait aussi de la musique indie qui est vraiment cool. Je pense aussi à Four Tet, puis tout ce qu’on peut offrir en rap français ou même en artiste plus expérimentaux.
Il faut venir, ne pas avoir peur de se laisser aller, de parler avec ses voisins et de suivre leurs conseils. Avoir un programme, c’est bien mais on peut aussi le changer en cours de route.
LFB : Pour conclure, comment voyez-vous l’avenir de la programmation de Dour à l’heure actuelle ?
MF : On va rester hyper ouvert à tout ce qu’il se fait en essayant de programmer le plus tôt possible les styles de demain.
Pour en savoir plus sur Dour, c’est par ici.