Rencontre avec Ménades

Au printemps dernier, on avait rencontré Ménades lors de leur passage à l’Aéronef. Comme on a un sérieux problème de temporalité, on a laissé l’interview de côté. Comme le quintette s’apprête à repartir sur les routes de l’Europe, on s’est dit que l’occasion était idéale de partager avec vous cet entretien autour de leur premier album, Sur Leurs Cendres.

Ménades // l’Aéronef, Lille // 11.04.25

La Face B : Salut, comment ça va ?

Eva Bottega : Très bien, super bien. Trop content de jouer à Lille et trop content de refaire un concert avec les Limiñanas. C’est notre quatrième maintenant.

LFB : Votre release party s’est bien passée ?

Eva Bottega : Ouais, c’était super.

Max Rezai : Un peu trop bien.

François Couac : On descend à peine, c’était il y a 48 heures, on redescend à peine.

LFB : Et c’était complet !

Eva Bottega : Ouais, c’était complet et le public était trop chaud, c’était super.

LFB : Vous avez sorti votre premier album cette année, mais ça fait plusieurs années que vous tournez sur le projet, je me demandais si c’était quelque chose de nécessaire pour vous de bien se connaître en tant que groupe et musiciens avant de sortir un album ?

Eva Bottega : Je pense qu’on a pu faire cet album parce que justement ça fait plusieurs années qu’on joue ensemble et à la fois c’était nécessaire de bien se connaître et en même temps, je pense que ça nous a fait aussi mieux nous connaître enfin on s’est aussi redécouverts chacun.

François Couac : Les dernières années aussi on avait fait des petits EP. Et là, les membres du groupe, il y en a certains qui ne sont plus en groupe maintenant aussi. Il y a eu des nouvelles personnes qui sont arrivées. Du coup, il a fallu aussi qu’on intègre des nouvelles personnes à chaque fois et qu’on retrouve le truc, qui allait assez vite d’ailleurs. Mais c’est vrai qu’il y avait le cap un petit peu de se dire, OK, vas-y, maintenant, fin d’album, on est sûr de nous, on a trouvé les gens, on va le faire. C’est vrai qu’il y avait un peu cette recherche aussi de changement de membres à des moments qui ne permettait pas forcément d’avoir le temps de se concentrer sur la production d’un album.

LFB : J’ai l’impression que comme vous avez un peu figé Ménades entre guillemets sur une espèce de stabilité de groupe, ce qui vous a permis aussi de passer à une étape supérieure.

Eva Bottega : Oui. Puis aussi, on a commencé à être résidents au Point Ephémère. Et je pense que c’était un peu la première fois qu’on avait un vrai espace de travail dédié, hyper agréable et tout, dans lequel on prenait beaucoup de plaisir, enfin dans lequel on prend beaucoup de plaisir à bosser.Et je crois aussi que la composition de l’album s’est fait là-bas et c’était cool d’avoir un point d’ancrage avec des groupes ici qu’on aime bien en tout cas.

Des fois, on a envie à quelque chose, de faire des co-auditions très matérielles finalement, comme avoir un lieu où le faire, plutôt que d’une envie, ah tiens si on faisait un album, enfin l’envie de faire un album, elle a un peu toujours été là. D’abord, les conditions matérielles, les moments et l’endroit pour pouvoir le faire, c’est ce qui va faire la différence.

LFB : Oui, d’avoir un lieu qui permet la création.

Eva Bottega : Oui, vu qu’on compose à cinq, en fait, c’est quand même bien quand on a un lieu, parce qu’on ne peut pas trop le faire dans nos chambres (sourire). Il faut changer une chambre à soi, comme Virginia Woolf, il faut faire un studio à soi.

François Couac : Oui, c’est vrai que c’était plus simple là. On n’est pas toujours ensemble quand on compose, mais c’est vrai que le travail de chaque chanson est fait ensemble et là on a fait un mois et demi, deux mois, à faire le plus de jours possible. On se voyait tous les jours, on retravaillait tout.

LFB : C’est marrant parce que c’est une question que j’allais vous poser après, donc j’y reviendrai. Ce que je retiens à l’écoute de l’album, au-delà des thématiques dont on peut-être reparlera après, c’est que d’un point de vue musical, il y a une espèce de tension, une espèce de fureur qui sont très live finalement et je me demandais justement comment vous avez réussi à figer cette énergie pour laquelle vous étiez déjà reconnus en concert sur l’album, sans la trahir.

Eva Bottega :  Je pense que ce qui fait beaucoup, c’est que l’on a enregistré l’album et il a été mixé par notre ingé son live aussi, Kevin Heuzé. Donc je pense que c’était un peu la bonne personne, vu que ça fait super longtemps qu’on bosse avec lui et qu’il voit comment on fonctionne en live, c’était un peu la bonne personne je pense pour retraduire ça dans l’album. Et après je crois que globalement les tracks en soi parlent d’elles-mêmes.

François Couac : Il y avait ce truc, c’est qu’on sait qu’à chaque fois qu’on parle de nous, on parle souvent sur le live et on n’avait pas encore réussi justement à le retranscrire dans un CD. Et là, c’était vraiment surtout  un des points majeurs où on s’était dit dès le début, il faut qu’on arrive à retrouver cette énergie et ce son qu’on a, parce que c’est notre son, ce qui nous représente. Et c’est vrai que pour l’instant, les deux premiers EP qu’on avait faits, on les avait faits avec d’autres personnes. On ne va pas rejeter ces enregistrements-là, mais on sentait, même nous à l’écoute, qu’il y avait encore un décalage entre ce qu’on faisait et ce qui se passait sur scène. Et c’est vrai que là c’était un des points assez primordial de l’album, d’arriver à retranscrire ce truc-là, cette fureur un peu de live, mais sur un disque.

LFB : Mais tu vois c’est intéressant, un groupe comme Idles par exemple, je ne sais pas si c’est encore le cas, mais sur les premiers albums, ils faisaient par exemple que 3 prises de chaque morceau ensemble avant de choisir la prise. Je me demandais si c’était comme ça aussi que vous avez travaillé, à savoir tous ensemble dans la même pièce ou est-ce que vous avez séparé les enregistrements.

Eva Bottega : C’était du piste par piste en vrai. Globalement, à chaque fois, on était tous là au studio et on avait quand même beaucoup répété les tracks.Déjà, il y en a pas mal qu’on avait joué avant d’enregistrer.

François Couac : On avait fait des maquettes au Point Ephémère, entre nous, en plus, sans l’ingé son. Derrière, on s’est fait un petit mix à nous pour avoir au moins l’idée pour balancer ça aussi à l’ingé son et après ce qu’on a fait c’est que j’ai fait des prises à la batterie et au kick et il me semble que tout le monde n’avait pas du kick derrière mais qu’il y avait ma batterie, il y avait ce côté où la batterie au kick donc ça fait une base et tout le monde vient dessus et de fait, on arrive à retrouver quand même le côté un peu plus live où ça bouge des fois un peu sur la batterie mais c’est ce qui fait la track aussi.

LFB : Du coup ce que tu parlais, on parlait d’un point de vue collectif, moi ce que j’ai trouvé intéressant dans l’album et que certaines personnes pourraient reprocher aussi, c’est que je trouve qu’il y a une vraie volonté d’exploration musicale, de ne pas se cantonner à un style de musique ou à un genre mais que chaque morceau représente une identité et je trouve des fois aussi souligne le propos du texte à travers la musique en fait. Je me demandais si c’était volontaire et comment vous l’aviez travaillé ?

Dauphin Gallo : En tout cas, il me semble qu’on aurait du mal à se cantonner à un style vraiment précis et à vraiment ne faire qu’une chose. On a tous trop d’influences et de passion pour plein de styles musicaux différents pour vraiment ne faire qu’une chose et parce que malgré nous, j’ai l’impression.Je pense qu’on a essayé de faire que l’unité de notre album repose sur quelque chose qui serait un esprit commun, une sensation commune, mais pas forcément une identité de style qui tourne autour du rock de manière générale, mais peut-être qu’effectivement on retrouve des thèmes communs dans les textes, qui vous parle aussi de faire une autre unité, même quand l’unité n’est pas ce qu’elle est.

François Couac : Même dans les styles, c’est vrai qu’il y a des morceaux comme Reckless, par exemple, qui peuvent surprendre par rapport à ce qu’on a toujours fait, mais qui, pour nous, c’était des évidences. Quand on s’est retrouvé à le composer, on s’est dit, en fait, justement, il y a le sens. Comme disait Dauphin, on vient de plein de styles. Il y a ce sens, en fait. Et pourquoi, justement, s’empêcher de le faire alors que ça nous parle autant que par exemple Une balle de plus qui va être une chanson hyper rentre dedans.

Il y a le travail aussi de la voix pas mal, dans les maquettes on s’est pas mal intéressés aussi à essayer de pousser encore plus la voix avec la musique en fonction du texte et du sens de la voix et de pas juste avoir une voix qui se pose sur une musique ou inversement une musique avec une petite voix plus pop où on s’en fout, il faut juste la mélodie mais vraiment d’avoir, de mettre tout le monde au même point et que même la voix devienne un instrument et que tout soit poussé, tout est ensemble et s’il faut que ça aille dans un style parce que ça correspond plus, on se mettait pas de barrière aussi là-dessus, il y avait vraiment le truc pour le morceau et pas pour le groupe. Et si ça marche pour le morceau, c’est une nouvelle facette de Ménades.

LFB : Il y a aussi l’idée, si on regarde le côté mythologique qui va avec le nom Ménades, il y a aussi l’idée d’Hydre. C’est-à-dire que Ménades, au final, c’est un corps, mais avec vos cinq têtes, avec vos cinq influences qui se réunissent ensemble. Peut-être que si vous faites de la musique séparément, ça n’aura rien à voir avec ce que vous pouvez faire sur ce projet.

Eva Bottega : Je crois qu’effectivement, comme disait Dauphin tout à l’heure, il n’y a pas vraiment un truc prédéfini où on se dit on va faire ça. Pareil pour les paroles. Moi, je sais que les thématiques qui m’inspirent à partir desquelles j’écris, elles sont pas prédéfinies non plus ou vraiment pensées au préalable. Enfin il y a un truc un peu, oui, mutant du fait d’être tous ensemble un peu dans la même pièce et ça prend forme un peu comme ça. Une sorte de monstre.

François Couac : On nous parle souvent de la mythologie autour du nom et de l’hydre. Je n’avais pas pensé à ça.

LFB : Mais c’est marrant parce que finalement le nom, il porte aussi une idée d’ironie qui est très présente dans votre musique aussi, parce que MENADE finalement, si tu regardes dans le sens strict, il y a cette idée un peu de groupie d’un dieu, de soumission alors que vous c’est tout l’inverse de ce que vous faites dans votre musique.

Ambre Tholance : C’était plutôt des accompagnatrices comme un backing band que des groupies et là où elles sont rigolotes et assez ironiques aussi c’est qu’elles faisaient de la musique, elles chantaient, elles faisaient du tambourin, mais elles ont découpé en morceaux le dieu de la musique.Elles ont déchiqueté Orphée et elles l’ont bouffé, je crois.

Eva Bottega : C’est plus des furies que des groupies, je pense.

LFB : Faut bien récupérer l’inspiration quelque part…

Ambre Tholance : Même si elles étaient musiciennes, elles ont dégommé le dieu de la musique. Et il y a de l’ironie là-dedans aussi. Détruire de la musique en…

Eva Bottega : En la dégommant.

Ambre Tholance : En dégommant ses règles.

LFB : Ouais, il y a un côté d’insoumission qui va bien aussi avec votre musique. D’ailleurs, je trouve que le titre de l’album est hyper intéressant parce qu’il y a aussi cette idée de renaître et de donner quelque chose de meilleur sur un truc qui a cramé justement.

Eva Bottega : Ouais, essayer de ne pas être nihiliste ou fataliste, mais peut-être en créer à partir des débris et de l’apocalypse.

François Couac : En plus, on s’est posé la question pour le nom de l’album en dernier. En fait, on l’appelle comment  On ne sait pas. Et quand sur l’ensemble, on est arrivé à une idée, c’était devenu évident même pour les tapes, pour les chansons, pour tout ce que ça disait.

Eva Bottega : C’était le titre un peu le plus représentatif.

LFB : Qui va bien avec la pochette aussi.

Eva Bottega : Ce qui est marrant, c’est que quand on a fait une tournée aux États-Unis en octobre-novembre, au moment où on était pour l’élection de Trump et on parlait beaucoup de ce titre, de sur leurs cendres et de ce qu’il veut dire à ce moment-là. Et on le disait à notre public à ce moment-là, c’est une chanson et en français, donc vous n’allez pas forcément la comprendre, mais c’est une invitation à danser sur les cendres du vieux monde et des vieux fachos, de tout ce qui nous entrave en ce moment particulièrement. Et c’est marrant parce qu’à ce moment-là, je ne sais même pas si on s’était arrêté sur sur leurs cendres pour le nom de l’album. J’ai l’impression aussi qu’à cette période-là, ça nous tenait particulièrement à cœur aux Etats-Unis de parler de ça, de cette destruction un peu joyeuse qui reste finalement dans l’album.

LFB : Oui, parce qu’il y a un côté très hédoniste malgré tout, qui est présent dans l’album aussi, même s’il y a des sujets qui sont très sérieux. Il y a quand même aussi cette volonté de se foutre un peu de ces choses-là. Un titre comme Good Partner, par exemple, si tu le prends au premier degré, il est complètement stupide, mais quand tu l’écoutes, tu comprends bien…

Ménades : Pour le coup, il est très ironique, ouais. Et après, il y en a d’autres qui sont plus sérieux, mais je pense qu’il y a… Enfin, oui, il y a toujours une sorte de… de volonté de quand même retrouver de la puissance.

LFB : Oui, c’est ça, de renouvellement de ce type. Parce que c’est toi qui écris les paroles, c’est ça ?

Eva Bottega : Ouais.

LFB : Est-ce que tu as l’impression que tu pourrais écrire sur des choses qui ne te concernent pas ? Parce que j’ai l’impression que malgré tout, tous les textes, ils ont un impact quand même, un truc qui n’est pas superficiel du tout.

Eva Bottega : Mais, comment ça qui me concerne pas ?

LFB : C’est-à-dire, c’est des sujets qui t’impactent ou qui rentrent en collision même indirecte avec ta propre réalité et qui se transforment en œuvre poétique ?

Eva Bottega : En fait, j’espère que c’est possible de créer à partir de soi et que ça puisse avoir un impact pour d’autres, que ce ne soit pas un truc très clos. J’espère que c’est le cas dans les tracks. Souvent, quand j’écris, c’est à partir de choses très proches et où j’y mets une certaine intimité. Mais j’espère que ça résonne de manière un peu plus universelle, que ça ne reste pas un truc purement perso.

LFB : Vous, est-ce que vous avez un droit de regard sur les textes ?

Dauphin Gallo : Il y a une espèce de confiance en Eva et sa plume. Parfois, on parle de choses comme le titre.

Eva Bottega : Je crois que globalement en fait on se respecte tous assez dans les trucs qu’on fait quoi j’ai l’impression que c’est assez rare que quelqu’un dise à l’autre ah non tiens on ne fait pas enfin du coup il y a toujours une discussion c’est jamais non on fait ce que tu es en train de faire, tu ne feras jamais ça, tu vas faire ce que j’ai décidé. Et concernant les paroles, c’est vrai que sinon, non, en fait, souvent, j’écris pas vraiment quand on est tous ensemble, avant ou après.

François Couac : J’ai même le souvenir des maquettes qu’on avait fait ensemble au Point Ephémère, où quand on faisait les voix, il y a eu des moments où justement, je lui ai dit, en fait, qu’est-ce que tu chantes ? Parce que moi, derrière la batterie, avec tout le son, je ne me rends pas forcément compte de toutes les paroles.

Eva Bottega : C’est vrai que des fois, vous découvrez les textes à la fin.

François Couac : Et je lui dis genre, qu’est-ce que tu chantes ? Parce que là, en fait, du coup, on pourrait peut-être aller même encore plus dans l’interprétation par rapport à ce que tu es en train de dire. Je me suis rendu compte d’énormément de paroles et de trucs où j’étais en mode ah mais c’est ça en fait ! Parce que moi j’entends beaucoup de notes et ça devient un instrument. Pour moi derrière la batterie, surtout, je ne sais pas pour les autres mais moi j’entends un peu moins. En plus, il y a les enceintes qui ne sont pas du tout dans ma gueule donc j’entends pas tout. Mais c’est vrai que même des fois, c’est au moment de l’enregistrement où on se rend compte des fois de la précision du texte.Chacun son instrument et c’est un instrument aussi à part entière. Et comme dit Dauphin, on lui fait confiance aussi sur sa plume.

Dauphin Gallo : Même, je dirais qu’on aime ce qu’elle fait.

François Couac : Alors, je n’irais pas… (rires)

LFB : Est-ce que tu vois une différence entre l’écriture en français et l’écriture en anglais ? Même dans l’interprétation parce que j’ai un peu l’impression des fois qu’il y a moins de retenue dans ton interprétation en anglais que sur certains titres en français par exemple.

Eva Bottega : Je pense qu’en anglais il y a une sorte de distance vu que ce n’est pas ma langue maternelle qui peut-être à des moments me permet de dire des choses plus intimes parce qu’il y a plus de distance. Bizarrement c’est plus difficile en français, je trouve, d’assumer. Enfin, quelque chose qui est peut-être plus de l’ordre, d’une certaine vulnérabilité ou fragilité. En français, ça me semble être plus compliqué pour moi. Souvent, les chansons en français ont un peu plus un truc peut-être plus révolté ou plus une sorte d’ode à quelque chose de plus politique. Et en anglais, ça traverse des trucs peut-être plus intimes.

Ménades // l’Aéronef, Lille // 11.04.25

LFB : Je sais que vous n’aimez pas qu’on parle de musique politique, du coup j’ai préparé une question un peu différente. Est-ce que le meilleur compliment qu’on ne puisse pas faire à votre musique c’est de dire qu’elle ouvre des portes de réflexion chez les personnes qui l’écoutent ?

Eva Bottega : Nous, c’est pas qu’on n’aime pas parler politique, parce qu’on est tous politisés, et c’est hyper important pour nous de porter quand même certains messages et de faire partie de certaines choses. C’est juste la volonté de ne pas être entièrement limitée à ça aussi. Et après, si ça ouvre à la réflexion et à la révolte, tant mieux. C’est bien de réfléchir, mais c’est bien aussi

François Couac : J’espère dans un sens, mais dans un sens, peut-être mon côté hyper pragmatique, je me dis, les gens qui nous écoutent, j’ai l’impression qu’ils sont déjà dans cette phase-là et que c’est plutôt les gens qui ne nous écoutent pas qui devraient peut-être pas nous écouter forcément nous, mais peut-être se renseigner, peut-être commencer à s’ouvrir un petit peu à ce genre d’idée. J’ai l’impression que notre public et les gens qui vont nous écouter, c’est les gens qui sont grosso modo, un peu dans les mêmes idées.

LFB : Tu peux pousser un peu plus, enfin, je le vois parce que j’habite Paris aussi, sur les concerts de rock à Paris, même sur des trucs où tu as des textes féministes et où tu as un truc très politique, tu as quand même un public masculin qui est très très con. Il faut le dire.

Eva Bottega :Peut-être qu’on est toujours dans une sorte de bulle où on part du principe que tout le monde est féministe, mais effectivement, ce n’est pas le cas. Des fois, on se rend compte que ce n’est pas le cas. Par exemple, la dernière fois, on a joué à Bordeaux… Non, c’était à Toulouse. Il y a deux dames qui sont venues me voir à la fin du concert qui avaient la soixantaine et qui nous disaient qu’elles n’avaient jamais vraiment vu des meufs sur scène qui ont l’air un peu vénères. Elles disaient que ça leur semblait assez délirant qu’après avoir passé des années à faire plein de concerts de rock et de punk, elles n’avaient jamais pu vraiment s’identifier pleinement. Même si elles allaient voir plein de concerts qui les inspiraient, c’était globalement, constamment que des mecs sur scène ou des frontmen pour le rock en particulier. Parce que c’est aussi un style de musique quand même profondément masculin et genre qui a été construit sur des bases virilistes un peu à gerber. Mais oui, quand on a des retours comme ça, c’est vrai qu’on se dit, ah ouais, putain, en fait, c’est vrai que c’est… C’est un milieu un peu vide, quand même, par rapport, enfin, en termes de recommandations.

Ambre Tholance : Et des fois, tu peux avoir l’impression qu’il y a des gens qui n’écoutent pas vraiment les paroles et que ça nous est déjà arrivé après un concert où Eva qui dit des choses quand même clairement féministes, qui dénonce des comportements violents, misogynes ou tout ce que tu veux. Et quand, après le concert, on se prend une petite remarque, il était là juste devant, il n’a pas écouté le man. Et en fait, c’est vrai que ce serait génial que ça puisse éveiller des réflexions et que peut-être qu’il y en a un dans le lot qui est juste à sa huitième bière et qu’il ne capte rien du tout et qu’il voit des gonzesses qui se dandinent devant lui. Mais peut-être qu’il y en a un à côté qui voit les gonzesses qui se dandinent et se dit genre, ah tiens…

Eva Bottega : Elle veut me péter la gueule. (rires)

Ambre Tholance : Elle va me péter la gueule et peut-être que je vais être tranquille…

LFB : Elle va me foutre sa basse dans les dents et je vais m’arrêter.

Eva Bottega : Mais oui, ça serait cool de générer un peu de réflexion, de remise en question.

Max Rezai : Surtout que j’ai un souvenir d’Amyl and the Sniffers à l’Elysée Montmartre, je me suis trouvé dans le pogo au milieu, mais c’était l’horreur de beauf, mais j’étais halluciné. J’étais vraiment avec que des mecs torse poils, qui se mettent des coups de coude. De fait, il n’y avait aucune meuf qui avait osé aller devant, j’étais un peu en mode chelou.

LFB : Mais c’est souvent ça. Moi, je le vois parce qu’à travers les photographes de l’équipe où il y avait beaucoup de photographes féminines dans l’équipe et le nombre de concerts de rock où elles se font emmerder parce qu’elles veulent se mettre au premier rang pour faire strictement leur travail alors que si c’est un mec on va le laisser faire mais dès que c’est une meuf on la bouscule ou on se permet de lui donner des conseils. Ou des photographes qui ont moins de talent que ces nanasèlà, parce qu’ils sont des mecs qui pensent qu’ils ont le droit de donner leur avis en fait c’est fatigant mais effectivement c’est pour ça que je te dis les pistes de réflexion c’est aussi voilà et il y a de plus en plus de groupes en France même si on ne les fait pas trop tourner mais il y a quand même cette volonté aussi de laisser le devant de la scène à des groupes féminins et qui ont des choses à dire et qui peuvent faire réfléchir les gens.

François Couac : Dauphin a testé, on a fait une date en Italie, elle a testé à la fin. Malheureusement, les Italiens ne parlent pas tous hyper bien anglais, donc ils n’ont pas trop compris l’idée. Mais à un moment, elle a dit, bon, il y a un groupe qui fait ça, ça pourrait être pas mal. Depuis tout à l’heure, on voit qu’il y a beaucoup de nanas qui sont au fond. Et là, vous êtes tous devant en train de pogoter. En fait, on va faire un truc. Mais alors, vous vous poussez et puis c’est girls tout devant. Il y a quatre meufs qui sont venues. Dès les premières notes, le pogo est parti. Elles se sont faites éjecter.

C’est un peu dommage quoi. Ça peut être compliqué par moment. Moi je sais que j’ai fait des concerts aussi comme Max où je me retrouve des fois dans les pogos et les mecs ils sont comme ça en plus. Mais en fait même entre mecs, je comprends même pas c’est quoi le principe. Tu mets des chassés à tout le monde, tu mets des coups de coude. Un pogo c’est censé être respectueux quand même, même si c’est violent dans l’image. On est quand même censés se respecter. Si on a un qui tombe, on s’arrête, on le relève. C’est une danse à part entière, c’est pas forcément juste se taper sur la gueule et être…

Max Rezai : « T’as vu, moi aussi, je suis trop stylé. J’ai des coups de poing durs. »

LFB : Parce qu’on a la chance en France, là je trouve qu’il y a une vraie scène, même à travers votre label à vous. Un groupe comme Roberta Lips ou des choses comme ça qui arrivent aussi, où tu as cette volonté aussi, qui n’existait pas il y a encore 5 ou 6 ans.

Eva Bottega : En termes de misogynie, c’est quand même vraiment extrême, je trouve. Quand on était à Toulouse, on a joué dans une scène qui s’appelle le Bikini et à l’intérieur, là où mangent les artistes et l’équipe, il y a des photos au mur de tous les grands artistes qui y ont joué.

LFB : Il n’y a que des mecs.

Eva Bottega : Ouais. En fait, tu regardes, et à un moment donné, je me suis mise à compter parce que j’avais envie de me faire une petite stat, une petite passion stat. Mais j’ai très vite arrêté parce que ça me déprimait. Et quand je comptais, il y avait une meuf tous les 17 mecs, un truc comme ça. Et c’était, ouais, une chanteuse et cinq gars derrière. Ou alors, une musicienne toute seule.Parce qu’en fait, elle ne faisait pas partie d’un groupe, mais qu’il y a des instrumentistes. C’était déprimant. Et je regardais ce grand mur. Waouh. Quel enfer.

LFB : Est-ce que finalement, le truc le plus politique chez Ménades, ce n’est pas la volonté de jouer à cinq ?

François Couac : On a eu pas mal de fois des propositions de sinon, on a une idée de date, là, mais c’est vraiment forcément 5 ou ça peut être 3 ?Tu commences à mettre des bandes pour la batterie là-bas, c’est tout. Ça va être compliqué.

Eva Bottega : C’est vrai qu’on a bien forcé le fait de rester 5 coûte que coûte. Et au final, ce qui est plutôt cool, c’est que ça… Au final, les gens nous ont quand même suivi aussi là-dedans. Là, on a signé avec Radical, qui ont été complètement chauds pour prendre un groupe en développement et nous faire tourner alors qu’on est 5. Donc il y a encore des personnes qui ne comptent pas forcément le nombre de personnes sur scène et où c’est vraiment la musique qui compte avant tout même si tu dois être genre 7 sur scène pour faire une musique qu’ils trouvent bien, ils font tourner. Donc ça c’est quand même cool que ça existe toujours.

François Couac : Et puis comme tu l’as dit tout à l’heure, ça se trouve les chansons qu’on ferait tout seul dans notre coin ce ne serait pas Ménades et sur scène c’est pareil. Un concert où il y a un des membres qui n’est pas là, ce n’est pas trop possible. C’est bizarre pour lui, en fait. Tu te retournes et… Ah, mais non, c’est vrai, il est pas là aujourd’hui. Il n’est pas là aujourd’hui. Ah, bah non.

LFB : C’est vrai qu’après, le risque, c’est soit tu fais des premières parties de gros groupes parce qu’ils peuvent se permettre de mettre un groupe de cinq, soit t’es dans un circuit un peu plus DIY. Tu vois, un groupe comme Eggs, par exemple, qui sont 8 sur scène…

Max Rezai : Bon sens.

LFB : Ouais, c’est ça. Mais c’est voulu tu vois, c’est pareil c’est un statement de dire la musique elle doit être jouée avec des musiciens…

Ménades
Eva Bottega
 : Tous les sons que tu entends, tu vois les personnes qui les jouent quoi c’est un truc important pour nous…

François Couac : La Colonie de Vacances, c’est 4 scènes en même temps en face à face, 4 batteurs… On va faire une première partie. Tu vois l’affiche, c’est une blague.

LFB : J’ai une dernière question, qui est souvent la plus compliquée pour les gens. Si vous deviez ranger votre album à côté d’un disque, d’un film et d’un livre, vous choisiriez quoi ?

François Couac : Par personne ? (rires)

Max Rezai : C’est comme La Colonie de Vacances (sourire).

Eva Bottega : On parle souvent de Lynch. Un petit Lost Highway, peut-être, pour le film.

Dauphin Gallo :On pourrait mettre entre Lost Highway et Blue VelvetHarry Styles, dernier album ?

François Couac : Je crois qu’il n’y a que moi qui serait chaud de faire ça (rires).

Eva Bottega : On pourrait mettre un disque… On pourrait mettre Idles. Le dernier album d’Idles ?

François Couac : Ouais, Tangk, ça pourrait être pas mal. En plus, il y a aussi cette déconstruction du groupe hyper vénère où d’un coup, il y a des tracks hyper mélancoliques, très clavier et autres.

Dauphin Gallo : Et pour le livre, moi, je dirais Trash de Dorothy Allison.

François Couac : Moi, personnellement, dans ma bibliothèque, il serait à côté de Oui Oui et la gomme magique. Parce que quand même, c’est un livre où il a une gomme magique et il peut effacer ce qu’il veut. Et à un moment, il commence à effacer un de ses potes. Et je me suis dit, c’est un livre pour enfants. Et le mec, il est en train d’effacer son pote. Et personne ne dit rien. J’ai trouvé ça incroyable. Ce livre est fou. (rires)

LFB : Il n’en garde que la moitié.

François Couac : La meilleure moitié. Ça peut même tuer quelqu’un, ça, quand même.

Dauphin Gallo : Merci pour cette belle découverte !

François Couac : Vous lirez, vous verrez. Il est incroyable. Il n’est pas très long. Il y a beaucoup d’images. C’est pour ça que je l’ai lu. Parce que je suis batteur quand même. Il faut qu’il y ait des images.

Crédit photos : David Tabary

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