Autant l’avouer en toute honnêteté, sur La Face B on a un gros faible pour les artistes du label Midnight Special Records, et on prend toujours un vrai plaisir à les rencontrer. Alors qu’elle s’apprête à sortir un nouvel EP entièrement en espagnol début juin, on ressort de notre sacoche à souvenir un entretien réalisé avec Michelle Blades. L’occasion de revenir sur Visitor, l’évolution de sa musique que ce soit dans sa composition ou ses thèmes mais aussi du cheminement vers la beauté à travers la technique.
La Face B : Hello Michelle ! Comment tu vas ?
Michelle Blades : Bien ! Ouais, ça va.
LFB : Comment est-ce que tu vis l’aventure de Visitor jusqu’à présent ?
Michelle Blades : Je ne pensais pas que je la vivais, mais bien. Après Visitor j’ai passé une étape où je n’ai rien fait. Je n’avais aucun contexte de relativité du fait que je venais de sortir quelque chose, je sentais juste que je ne faisais rien.
Je crois que c’est quelque chose qui vient avec le fait de sortir un album, de vivre sa sortie, après un moment tu ne sais pas quoi faire parce qu’il y avait tellement de travail qui était fait pour le réaliser qu’on en arrive à un choc ou on se dit « qu’est ce que je fais avec ma vie maintenant ? ».
Même si tu le sais très bien, tu doutes. Et maintenant je ne sens plus ça, du coup je le vis bien car je suis encore lancée dans l’écriture donc c’est cool.
LFB : Tu penses déjà au prochain album ?
MB : Oui, j’ai déjà un EP de préparé en espagnol, il manque une ou deux chansons. Ça a été enregistré au Mexique et du coup, et après ça il y a un album en anglais qui est déjà enregistré.
LFB : J’ai cru comprendre que cet album là contenait les morceaux issus de plusieurs espaces temporels : comment as-tu réussi à conserver une cohérence ?
MB : Tracklisting. Le pouvoir de suggestion en arrangeant quelque chose qui change le mood, que ce soit dans la musique ou les paroles.
La façon dont le souvenir marche dans le cerveau c’est qu’on fait le relationnel avec d’autres choses qu’on a déjà vu. On fait ça en écoutant un album aussi, Du coup la cohérence est forcée avec le tracklisting.
Parfois il y a des grands thèmes qui sont un peu partout, et ça le sert un peu déjà, et ensuite c’est juste l’arrangement de quelle chanson suit l’autre.
LFB : En fait le travail le plus important était de définir l’ordre des chansons ?
MB : Oui oui c’était un petit obstacle. Mais j’avais pleins de propositions. En fait j’avais un cahier pour Visitor, et chaque page avait un côté pour des notes de studio, ce qu’il fallait faire, l’autre côté les paroles, au cas où j’avais besoin de les retravailler, et un petit dessin.
À la fin, j’ai dessiné la pochette au studio et j’ai pris tout le groupe qui a proposé des tracklistings. En fait ce n’était pas possible sans le son de mixé pour pouvoir réarranger l’histoire pour que ça ait un peu de cohérence.
LFB : C’est marrant pour moi y a des morceaux qui jouent le rôle de miroirs. Dr. Psych est un exemple évident. Est ce que ça t’amusait de jouer un peu à la tempête, puis le calme ; la colère, puis l’apaisement ?
MB : Oui, en fait sur Dr. Psych c’était la première fois que je proposais quelque chose de l’ordre du thème ou du personnage qui vit, j’avais besoin de le mettre deux fois pour que soit compris l’idée du petit concept au sein de l’album, parce qu’ils sortent un peu du cadre les deux titres. Je voulais un peu mettre plus d’attention là dessus pour dire « ça c’est un concept que peut être on va revoir ».
LFB : C’est quelque chose que tu veux retravailler ? Faire une espèce d’album concept sur un personnage ?
MB : Oui, sur un personnage qui va réapparaître, peut-être qu’il joue un rôle mineur ou important. Peut-être qu’il y a quelque chose d’un peu space-opera.
LFB : Tu changes complètement de style en fait.
MB : Oui et j’écris à la basse. Donc ça change vraiment beaucoup. Avant j’écrivais à partir de la guitare, et je le fais toujours, mais là le prochain album est vraiment composé à la basse.
Et c’est peut être suite à la tournée Fishbach, j’avais cette fluidité déjà de continuer, et pendant les balances je faisais toujours des riffs, je découvrais des choses. Je repensais à ma position en tant que musicienne. Je suis restée avec cette envie de continuer ça mais avec ma musique, et avec cette nouvelle technique qui s’appelle la basse.
LFB : Oui parce que tu ne jouais pas de basse avant ?
MB : Je ne jouais pas en live : j’écrivais mes lignes de basse et je les faisais en studio, mais assise en faisant des trucs chills, ce n’est pas pareil que jouer en live.
Et surtout c’est différent qu’interpréter les chansons de quelqu’un d’autre. Techniquement mais aussi dans l’expression dela musique. Et je suis restée avec cette envie de travailler ça et le faire à ma façon, du coup là j’ai moins peur de la basse mais il y a plus de technique.
LFB : C’est marrant que tu dises car moi finalement Visitor j’ai l’impression que c’est un vrai album de guitares.
MB : Parce que c’était presque entièrement écrit à la guitare. J’ai écrit deux chansons sur l’album à la basse, Time And Water et Kiss Me on the Mouth. En plus je venais d’avoir une nouvelle guitare, donc je voulais faire plus de guitare. Là c’est bon, je suis apaisée.
LFB : J’ai l’impression que les paroles sont cryptiques, un peu codées pour certaines personnes, mais j’ai surtout l’impression que ça parle beaucoup de toi en fait.
MB : Oui Visitor c’est très moi. C’est ma perception des choses, plutôt. C’est tiré de ma vie personnelle. Mais il y a beaucoup de double sens, voir de triple sens.
Je voulais faire ce truc où j’arrive à dire des choses franchement, presque banales, mais tu sens que tu n’as pas capté, qu’il y a un autre sens, qui raconte quelque chose de mythique. Je voulais arriver à écrire comme ça, c’était aussi un travail d’écriture de parler franchement et ne rien dire en même temps. Comme un politicien, mais avec un peu plus de romance.
LFB : C’est ça qui est intéressant, c’est qu’on a l’impression que dans les paroles tu parles de toi mais tu fais énormément d’efforts pour te cacher en parlant de toi. C’est super cool et un peu frustrant.
MB : Oui, m’éloigner de moi.
LFB : Est-ce que tu vois la musique comme une thérapie ?
MB : Oui. Pas tout à fait laisser de côté quelque chose, mais plutôt s’exprimer pour pouvoir regarder la chose en face, moins comme une menace et plus comme un obstacle à surmonter.
Je crois que la musique me donne beaucoup de perspectives et je crois que s’exprimer, communiquer c’est quelque chose de fondamental chez les humains, qu’on a besoin de faire. Et des gens le font différemment : certains parlent, d’autres travaillent la peinture, ou la musique.
Je crois que c’est sain, parce que ça nous permet de réfléchir, penser à nos émotions, penser à nos concepts et ce qu’on pense de la vie. Le faire et après on connaît mieux ce qui nous fait peur ou nous fait mal, et du coup on peut le travailler, faire face. C’est vraiment thérapeutique. La discipline, la répétition… tout.
LFB : La musique ça te fait du bien quoi.
MB : Toujours. On peut tout me voler, même mon corps, mais personne peut m’enlever la musique. Personne. Et ça c’est vraiment la seule chose que je possède, qui est vraiment à moi. Et j’en suis ravie.
LFB : Moi j’ai écouté quasiment tous tes albums : je trouve que chaque album que tu sors est très différent du précédent. Je me demandais si ça te poussait à ce challenge permanent d’aller chercher autre chose, de ne pas rester sur place ?
MB : J’ai commencé à faire de la musique plus tard que beaucoup de gens. Je ne sais pas c’est quoi l’âge normal, mais moi j’ai vraiment commencé à 16 ans, j’ai commencé la guitare à 20 ans. Donc je progresse, petit à petit, et quand je termine quelque chose, j’ai déjà progressé car j’étais débutante.
Maintenant que j’ai cette nouvelle liberté avec mes mains, mes pensées et mes arrangements, et même techniquement, je veux voir ce que je peux faire.
C’est comme si j’apprenais le français, je maîtrise petit à petit, et j’ai envie de m’exprimer avec plus de vocabulaire. Et je crois que ça ça ne va jamais se terminer car ma façon de voir la musique c’est une chose que je ne vais jamais vraiment maîtriser, mais je vais toujours vouloir poursuivre ça. C’est comme la peine de Sisyphe. Dans le mythe il roule la pierre jusqu’en haut, et après ça retombe. C’est censé être un tourment, mais je crois que c’est la chose la plus agréable de la vie. Tu arrives jusqu’à un certain point, puis tu retombes car il y a toujours plus haut.
LFB : Dans l’album tu dis que tu n’es plus une « visitor » finalement tu restes une exploratrice, dans la musique et la vie en générale ?
MB : Oui, j’espère. C’est ce qu’il faut, car sinon après il y a quoi.
LFB : En tant que musicienne et aussi en tant que photographe, comment arrives-tu à figer l’énergie dans le temps ?
MB : Je ne sais pas, Je ne pense même pas à gérer l’énergie, je le fais. Pour les photos, je vois des choses et j’ai envie de capter. Je fais beaucoup de photos de Paloma : on chill beaucoup et d’un coup je vois un truc et j’ai envie de le prendre. Je n’ai jamais fait le rapport entre la musique et la photo chez moi, c’est naturel d’avoir envie je crois. Il y a un peu cette obsession d’immortaliser quelque chose que je vois sur l’instant, et aussi ne pas la changer, pas la modifier, je veux que ce soit du coup dans la technique de capturer la chose, je veux que ce soit juste ce que je vois. Tout est dans la technique en fait, je suis obsédée par la technique. C’est le cheminement vers la beauté.
LFB : Tu es autodidacte dans tout ce que tu fais ?
MB : Oui, autodidacte mais j’ai aussi des amis et des gens qui m’encouragent, qui m’aident et qui me donnent des conseils. Dans la volonté et dans la formation, c’est autodidacte oui.
LFB : Pour moi, chacun de tes lives est complètement différents les uns des autres : est-ce que tu prends autant de plaisir en studio qu’en jouant ?
MB : Je préfère être en studio. J’adore jouer, et c’est très live, mais le studio c’est l’infini. Tout est possible. Et tu ne peux pas tout faire en même temps. Et différemment. Tu bouges un micro de deux centimètres vers une direction, tu compenses, ou tu ne compenses pas… Tout est possible, c’est l’infini. Et je veux terminer comme ça, m’enfermer et qu’on me force à sortir pour aller manger des frites dans le coin. C’est mon rêve. Ça et avoir un cheval.
LFB : Et justement tu n’as pas de frustration à devoir stopper ta musique ? Mettre un format de 3 minutes ?
MB : Je pense à la chanson, je l’arrange, je la réarrange…. je trouve, on enregistre et c’est comme ça. Quand c’est enregistré, c’est immortalisé. Et après là on peut briser les règles en live. Et quand ça vit, on peut prendre beaucoup plus de liberté. Je n’ai jamais eu envie de sonner comme l’enregistrement. Ça commence comme ça mais ça se transforme, on rejoue, on repense. Du coup je suis vraiment triste avec ça, move on, enregistre le, et après move on encore une fois, et voir ce que tu peux faire avec.
LFB : Je pense que tu es une des rares artistes que j’écoute et que j’apprécie et que je ne vois pas sortir un album live, car j’ai l’impression que ça ne pourrait jamais retranscrire complètement ce que tu fais sur scène.
MB : Je n’ai jamais pensé à sortir un album live, peut-être un jour, quand j’aurais sorti 10 albums et que j’aurais un concert de deux heures à faire. Ça serait cool, mais là pour l’instant non.
LFB : As-tu des coups de coeurs récents à partager ?
MB : Phèdre, de Platon, c’est génial. J’ai fait une partie de ma présentation à Victor, en fait j’aimerai bien l’adapter en version moderne, car c’est incroyable. Franchement même dans la traduction, j’ai pleuré de rire, c’est génial. Between Two Ferns, le film, génial de Zach Galifianakis. J’écoutais aujourd’hui une compilation de Porte de Los Angeles pendant les années 70 et c’est vraiment incroyable. Toxic Choc, super groupe que j’ai découvert aujourd’hui. J’adore The Urinals depuis longtemps, dans Ring je cite The Urinals en disant « I am a bug » c’est une chanson à eux. Et le reggaeton. El Alfa, Bad Bunny, The Urinals, je bloque là dessus.