Midnights, ou l’énième triomphe de Taylor Swift

Avec une annonce inattendue dévoilant la sortie de son dixième album, Midnights, lors de la cérémonie des VMAs en août dernier, le moins qu’on puisse dire est que Taylor Swift continue de faire trembler l’industrie musicale, et ce, même après bientôt 20 ans de carrière. 

Crédit : Beth Garrabrant

Pour introduire l’album, un petit retour quelques années plus tôt s’impose : en 2019, l’artiste annonce son départ en trombe du label Big Machine, suite à un énième conflit concernant la possession de ses masters. Elle annonce donc avoir l’intention de ré-enregistrer tous les albums appartenant légalement à son ancien label, afin d’obtenir un contrôle complet sur ces derniers. C’est ainsi qu’elle dévoile, en 2021 deux de ces ré-enregistrements, sobrement intitulés Taylor’s Version, chacun connaissant un succès commercial énorme, arrivant directement en top des charts. 

Entre-temps, Taylor Swift prend également soin de se consacrer à non pas un (ni deux) mais trois nouveaux projets. Vient d’abord Lover, album bubbly-pop qui vient contraster avec le très sombre et rempli de rancune Reputation, qui le précède. Lui succèdent deux albums totalement différents de ce que l’artiste a l’habitude de proposer : evermore et folklore, tous deux empreints d’une touche indie surprenante au vu de la notoriété de Taylor Swift et de l’aspect commercial que toutes ses sorties prennent habituellement. Ces deux derniers albums ont ouvert la porte à une ère plus mélancolique dans la carrière de la chanteuse, que de nombreux auditeurs espèrent retrouver par la suite, car il est indéniable qu’elle lui convient parfaitement.

C’est dans ce contexte tumultueux que l’annonce de Midnights crée un véritable raz de marée, poursuivant une période de productivité sans précédent d’une des actrices majeures du milieu : il s’agit de son cinquième album en seulement trois ans. Basée principalement sur Tiktok, sa campagne promotionnelle est un réel succès, amassant des millions de vues à chaque nouvelle vidéo. Elle dévoile dans cette série, qu’elle intitule “Midnights Mayhem with Me”, les titres et thèmes de chaque chanson, une à une, le tout mis en scène astucieusement. On y apprend ainsi la présence d’un featuring extrêmement – et c’est le moins qu’on puisse dire – sollicité, et ce depuis de nombreuses années, par ses fans : Lana Del Rey. Une stratégie marketing qui porte ses fruits, puisqu’un grand nombre de médias le qualifient d’album le plus attendu de l’année, malgré sa sortie tardive, deux mois seulement avant l’arrêt des charts.

Le présentant comme “un voyage entre cauchemars et rêves”, Taylor nous propose avec Midnights un album conceptuel en deux parties, chaque morceau représentant “une insomnie” de l’artiste, et il nous tardait de le découvrir.

21 octobre, minuit (sans mauvais jeu de mots) : l’album est enfin disponible et le moins que l’on puisse dire est que personne ne sait à quoi s’attendre.

Crédit : Beth Garrabrant

Lavender Haze, premier titre du projet, annonce très vite la couleur : on y retrouve une Taylor qui a passé le stade de la haine pour atteindre celui de la lassitude face aux nombreux tabloïds visant à dévoiler sa vie privée. Un morceau porté par des sonorités très pop, toutefois toujours inattendues de la part de l’artiste, qui y déclame son ras-le-bol général vis-à-vis de l’obsession des médias pour ses relations amoureuses et de la pression qui en découle. 

“I’m damned if I give a damn about what people say” 

Taylor Swift – Lavender Haze

Alors que l’on pensait avoir cerné l’album, qui semble donc se présenter comme la continuité de ses précédents albums pop, concluant la parenthèse plus indie-like des deux dernières années, les premières notes de Maroon résonnent et tout ce raisonnement se trouve remis en question. Il est alors aisé de comprendre que ladite parenthèse n’en était en réalité pas une, mais a bien permis à un nouveau pan de la carrière de la chanteuse d’émerger. On l’y retrouve plus vulnérable, mais surtout plus mature, donc capable de prendre davantage de recul, ce que le reste de l’album va venir confirmer.

Le génie musical de Taylor Swift ne cesse de nous surprendre, et Maroon est loin d’y faire exception. On y retrouve un de ses fameux bridges, petites interludes intenses au sein des morceaux qui caractérisent son écriture et la rendent si spéciale. Elle y dépeint une relation passée, le tout teinté de la nostalgie typique de son écriture : le contraste s’effectue par la profondeur de cette dernière. Loin de son storytelling habituel, elle nous emmène avec elle dans les recoins de ses souvenirs les plus précis et en fermant les yeux, on se croirait presque à New York à ses côtés. 

En les ré-ouvrant, nous voilà plongés dans l’univers d’Anti-Hero, single principal de l’album. Son anxiété, ses doutes, son mal-être : Taylor se livre entièrement à nous et nous permet d’en apprendre plus sur la personne derrière l’artiste aux succès florissants. Un mélange surprenant entre paroles ultra-personnelles et sonorités mainstream – qui, on l’espère, permettra à l’omerta du tabou de la santé mentale sur la pop qualifiée de mainstream de s’atténuer. L’introduction de sujets plus introspectifs et honnêtes n’est pas sans nous rappeler à une échelle différente la musique de Phoebe Bridgers, avec qui Taylor avait déjà eu l’occasion de collaborer sur son dernier album. Un featuring qui semble avoir permis une ouverture dans les sujets évoqués, ce qui n’est pas pour nous déplaire. Petit bémol pour le refrain, dont la répétition laisse à penser qu’il a été écrit dans le but d’inspirer une trend, ce qui enlève à la poésie lyrique du morceau. 

Lui succède le morceau le plus attendu – et sans doute de loin : Snow on the Beach, le fameux featuring avec Lana Del Rey. Les réactions se font crues et la plupart des fans tombent de haut : Lana n’est présente qu’en background de l’artiste, sans avoir de véritable couplet comme il était attendu. Après la déception de la première écoute, la qualité indéniable du titre prend le dessus et on apprend à l’apprécier : une ballade mélancolique, qui, sans être révolutionnaire, reste plaisante et colle bien à l’atmosphère de l’album.

Avec You’re On Your Own, Kid , l’album monte en intensité : Taylor y prône l’acceptation et le pardon de soi. On comprend vite qu’elle s’adresse en réalité à une version plus jeune, et donc naïve, d’elle-même, amenée à s’en vouloir après de multiples échecs amoureux. Un bel hymne à l’indépendance, couplé à un douloureux rappel de notre éternelle solitude, qu’elle résume finement par : “You’re on your own, kid, you always have been”.

De belles prises de risques sont également à souligner, avec notamment Midnight Rain et Vigilante Shit en première ligne : deux morceaux en rien semblables, si ce n’est la surprise provoquée lors de l’écoute. Le premier laisse place à une mystérieuse voix robotique qui accompagne l’artiste sur l’ensemble des refrains et donne une dimension assez cyber inattendue de sa part. Le second, quant à lui, instaure une atmosphère bien plus sombre, que l’on aurait presque cru ne plus jamais revoir depuis Reputation, album au sein duquel son désir de vengeance était si omniprésent qu’il instaurait ce même thème dark. La présence prominente des basses et drums ne sont pas sans nous rappeler la punk-pop de Billie Eilish de ces dernières années, possible influence pour ce morceau très réussi, où l’artiste dépeint son envie de rendre la pareille à un amant l’ayant trahie par le passé.

Crédit : Beth Garrabrant

On retrouve la Taylor que l’on connaît bien sur Bejeweled et Karma, les deux autres singles principaux de l’album. Sonorités catchys, refrains entêtants : la recette habituelle est là – et fonctionne toujours pour nous. Il est important de saluer les prises de risques, certes, mais tout en reconnaissant tout de même qu’il serait improbable de leur attribuer ce titre sans qu’il y ait de morceaux leur permettant ce dit contraste. Les deux titres jouent ce rôle, et ce dernier leur sied à merveille.

Entre interludes reposantes et ballades romantiques, Sweet Nothing & Labyrinth nous offrent un moment touchant, faisant presque office de berceuses. Un juste milieu nécessaire pour contrebalancer l’omniprésence de morceaux dansants et énergiques qui peuplent l’album : sans sortir du lot, ils restent agréables.

Quoi de mieux pour terminer l’album qu’un énième excellent morceau : Mastermind, à mi-chemin entre sarcasme et démonstration de force, et surtout, véritable preuve de son talent de lyriciste. Elle y relate avec une pointe d’humour les stratagèmes mis en place pour séduire son compagnon, dont celui-ci ignorait tout. Les rôles se retrouvent inversés, puisque son amant, étant persuadé d’être celui étant à l’origine de leur relation, découvre avec stupéfaction qu’il n’est en réalité qu’un vulgaire pion qu’elle a manipulé à sa guise pour parvenir à ses fins. Un clin d’oeil implicite à son morceau de 2017 intitulé The Man, dans lequel elle dénonce le manque de considération apporté à la parole des femmes, et à ces dernières en général.

En nous offrant un des couplets les plus touchants, à la fois du projet mais également de sa carrière dans sa globalité, la chanteuse achève majestueusement Midnights.

Crédit : Beth Garrabrant



« No one wanted to play with me as a little kid
So I’ve been scheming like a criminal ever since
To make them love me and make it seem effortless
This is the first time I’ve felt the need to confess
And I swear
I’m only cryptic and Machiavellian
‘Cause I care »

Taylor Swift – Mastermind

Après 13 titres, l’album se conclut, mais avant que l’on ait eu le temps de dire ouf, de nouveaux rebondissements se présentent, et ce car Taylor Swift ne serait pas Taylor Swift sans les surprises dont elle seule à la recette. C’est ainsi que seulement quelques heures après la sortie de l’album, l’artiste annonce la sortie immédiate d’une réédition de l’album, intitulée 3am Edition, contenant pas moins de sept nouveaux morceaux inédits, qui s’avère être une véritable valeur ajoutée à ce projet déjà mémorable. Deux de ces titres sortent du lot : Would’ve, Could’ve, Should’ve et Bigger Than The Whole Sky, traitant respectivement de regrets de jeunesse, et de la perte d’un être cher. Deux thèmes illustrant encore une fois l’introspection poussée dont Taylor Swift fait preuve tout au long de l’album. Remarquables de par leur honnêteté presque troublante, les couplets qu’elle nous livre font certainement partie de ses plus belles réussites. À travers des symboliques et des sujets plus personnels, on découvre une nouvelle facette plus vulnérable et touchante de l’artiste.

Au premier abord, Midnights divise. La position de l’album dans la discographie de l’artiste n’est en effet pas simple à assumer, puisqu’il fait suite à deux albums bien plus mélancoliques et moins pop que ce à quoi la chanteuse nous avait jusqu’alors habitués : la question de la tournure du prochain se posait alors. Chacun avait ses propres attentes, auxquelles Taylor Swift répond de la meilleure des manières en proposant un album aux sonorités proches de la pop qui lui est caractéristique, mais aux paroles toujours aussi (voire encore plus) déchirantes et nostalgiques que celles que nous avions pu découvrir récemment. Une porte ouverte à un déchaînement d’émotions qui ne laisse personne indifférent.

Crédit : Beth Garrabrant

L’album va rapidement s’avérer être le projet de tous les records. Midnights permet à l’artiste de décrocher le record de l’album le plus écouté en 24 heures de toute l’histoire de Spotify, avec plus de 186 millions de streams réunis en une seule journée. Un record parmi de nombreux autres, parmi lesquels on peut citer celui du plus grand nombre de vinyles vendus en une semaine, ou encore celui de l’artiste la plus écoutée en une journée sur Spotify. Commercialement parlant, rien à redire : les chiffres sont bons et confirment la position de véritable superstar que Taylor Swift occupe depuis bien longtemps. Cette dernière marque même l’histoire en s’inscrivant comme la première artiste à occuper intégralement le Top 10 du Billboard Hot 100.

Pour (enfin) conclure, on est rarement déçus de ce que la chanteuse nous propose, et cet album est loin d’y faire exception : évolution flagrante et prise en maturité seront les maîtres mots que l’on retiendra de Midnights, qui vient sans l’ombre d’un doute s’ajouter au classement des meilleurs albums de l’année.