Ils sont trois, sont originaires de Bruxelles et délivrent depuis leur premier album sorti en 2020, une musique totalement décomplexée. Entre Devo, Crack Clouds ou encore BBCC, Milk TV s’affranchit des codes pour faire tinter leur accent et leur gaieté. Neo-Geo, second opus sorti le 13 octobre 2023 sur le label Exag Records est une petite pépite dont il est grand temps de parler.
Artwork : Mathias Flasse
La première fois que j’ai écouté l’album de Milk TV, je l’ai écouté une seconde fois. Voilà, tout est dit, on pourrait s’arrêter là. Mais ce serait faire un terrible affront à ce disque riche en couleurs. Neo-Geo voit le jour après une longue tournée. Neuf morceaux, neuf mois, le temps de gestation d’un bébé. Le temps de laisser mûrir ses idées, d’assimiler encore et encore des influences multiples et variées. Sans demi-mesure, avec une curiosité digne des plus grands stalkers de la terre, Milk TV pioche à droite, à gauche mais surtout à fond vers la culture pop anglo-saxonne. Dans l’underground, la niche, la cave. Du New-York no-wave à la scène noise californienne.
Neo-Geo se profile alors. Un disque singulier, tellement différent de ce dont je suis habituée à parler et à écouter. La première fois, je me suis laissée happée, sans vraiment comprendre ce qui se passait. La seconde, j’ai profité. Au fil de ces neufs titres, Milk TV brouille les pistes : art-rock, exotica, post-punk brutal ou encore ballade mélancolique. Melting-pot savamment dosé et foncièrement réussi.
Instantanément, je suis saisie par Patient Boy. Il y a cette idée d’urgence, matinée de malice. Car on sait que quelque chose va nous tomber dessus. Mais… Quand ? « Wait, wait, wait » répété en boucle avant que la voix masculine tout à coup s’emballe et que la batterie revête des allures militaires. Tout va vite, si vite. La guitare ploie sous les effets, noisy à souhait. Mais pas le temps de niaiser, 604NC8 débarque. A mi-chemin entre Talking Head, Rank-O et BBCC, les musiciens nous plongent dans un morceau au rythme chaloupé où l’exotica plane définitivement. Bongo, sons de basse chorusée, synthé, noise effect, bienvenue dans l’univers barré de Milk TV.
Run To Buy Vacuum, lui, flirte avec le post-punk, sans jamais se départir de ses riffs inventifs et colorés. Les fûts sont explosés, les cordes vocales brisées et nous ? Subjugués. Parce que Milk TV nous emmène vers des chemins de traverse, frileux de l’autoroute et sa monotonie. Ce qui l’intéresse, ce trio, c’est bien les nids-de-poule, la désinvolture et la maîtrise nonchalante.
Fields Of Neighbourly, en est l’exemple. Rythme de croisière sur fond de wood block puis soudain un cri semblant sorti tout droit des enfers. Ne vous inquiétez pas car Milk TV a la situation bien en main. Refrains joyeux et entraînants, couplets prêts à vous faire visiter le ravin à tout moment.
Puis, Shell Fantasy s’élance, infime respiration au sein de cet univers saccadé, ballade mélancolique et lancinante. Mais il se trame un « je ne sais quoi » d’angoissant, souligné par ces multiples effets et ces vibrations singulières. Le final approche alors, c’est une explosion qui rappelle ce qu’on aime dans le post-rock (oui, oui), la montée progressive et fulgurante. Un titre qui pourrait aussi rappeler, avec les chœurs, le morceau Minus Twenty de Tramhaus. Bijou.
Et si Ascent Of The Jugular Vein évoque par certains aspects le côté punky de Run To Buy Vacuum, il s’en démarque toutefois par le rythme, plus saccadé, flirtant vers la déconstruction. Mais Marathon Man nous rapproche dangereusement de la fin. C’est indéniablement le moment de danser, car impossible de résister à ces accords parfaits.
Murmuur et son final TV Show clôturent Neo-Geo. Le synthétiseur célèbre une dernière fois ce laboratoire musical, empreint de glitchs, de voix grave et nouvelle, de distorsions et de répétitions.
Neo-Geo, disque à mille facettes sublime l’envie, la folie et la déraison. Avec ce second album, Milk TV façonne et sculpte sa musique à l’image de ses désirs. Pétris d’influence, amoureux des ambiances habitées et définitivement zinzins, les musiciens frôlent la perfection imparfaite.