moisturizer, un nom tout mou, cotonneux, glissant. Quelque chose qu’on étale pour apaiser. Et pourtant, ce disque ne calme pas vraiment les choses : il vient gratter là où ça démange encore. Trois ans après l’iconique Chaise Longue et leur album éponyme, Wet Leg revient avec un disque qui ne soigne pas vraiment mais qui recolle les morceaux, où la lucidité et la découverte de l’amour l’emportent sur le « I don’t care » d’autrefois.
Sous le sarcasme, les plaies
Quand Chaise Longue a déferlé dans nos playlists en 2022, Wet Leg a imposé un ton : celui de l’ironie tranquille, du légendaire flegme britannique et d’une nonchalance à la fois légère mais désabusée. Une basse traînante, une façon de chanter presque en soupirant, une bonne dose de post-punk et soudain, deux artistes de l’île de Wight qui devenaient l’étendard d’un cool retrouvé, sans jamais avoir eu l’air d’y croire vraiment.
Wet Leg avait ce charme des projets qui ne devaient pas forcément fonctionner mais qui se sont enflammés quand même. Leur succès reposait sur une équation qui, pour ma part, marche à tous les coups : enrober le sérieux et l’inquiétude d’une bonne dose de sarcasme. Mais derrière les punchlines, se logeait déjà autre chose : une lassitude diffuse, et l’impression que l’énième couche de rire ne suffirait plus. Ce besoin de tenir le monde à distance, de ne jamais se laisser rattraper par sa gravité, à grand coups de métaphores et d’allusions au millième degré. Un premier album en somme, très drôle, las et un peu cruel.
Trois ans plus tard, le décor a bougé. Le duo est devenu un vrai groupe (cinq musiciens désormais). Rhian Teasdale est tombée amoureuse, et la carapace ironique s’est fissurée. moisturizer arrive comme un disque de réajustement, comme une réponse à la surexposition. Là où le premier album semblait rire de tout, celui-ci semble chercher une forme d’équilibre dans la confusion, une volonté d’y croire encore. Moins un virage qu’un fléchissement, moisturizer marque ce moment où la désinvolture, finalement, n’est plus aussi absolue.

L’amour au troisième degré
Le disque s’ouvre sur CPR (cardiopulmonary resuscitation, ndlr), où Rhian Teasdale appelle les urgences parce qu’elle est « tombée amoureuse ». Et l’image n’est pas si absurde : elle résume bien le tournant qu’a pris Wet Leg. L’amour est envisagé ici comme, au pire, une crise cardiaque, au mieux truc qui nous tombe dessus sans crier gare, un vertige où le corps lâche avant la tête. On y entend l’embarras, la tendresse et la peur de ressentir trop fort sans pouvoir le cacher sous une montagne de second degré.
Sur moisturizer, Rhian Teasdale semble tomber amoureuse comme on apprend à monter sa première Kallax IKEA. Le mode d’emploi est flou, les pièces ne s’emboîtent pas toujours et tout oscille entre aveux timides et gatekeeping. Chaque titre cherche le bon ton, la bonne distance entre la sincérité et la retenue. liquidize est le miroir des 1000 questions que l’on se pose quand on aime trop vite : « Love struck me down / The fuck am I doing here? », pokémon est la version synthés 80’s d’un « aimer et courir vite », presque Lana del Rey dans l’essence. Et puis, davina mccall (du nom de la présentatrice télé britannique) rappelle que les sentiments les plus forts se cachent parfois derrière les références les plus improbables : « I’ll be your Davina, I’m coming to get you / Fetch you from the station, never gonna let you go. It’s that kind of love. »
Wet Leg a cette manière de transformer l’amour en matière pop sans le mielliser. Il n’y a pas de grandes envolées dégoulinantes, mais des fragments, des maladresses, des petits accidents. Qui deviennent très touchants. Quand Rhian Teasdale chante “You’re the rock to my roll / You’re the sand between my toes / Sweet baby girl, we go like salsa and Doritos” dans don’t speak, la phrase fait rire mais surtout attendrit. L’amour devient un sujet d’observation, disséqué jusqu’à révéler tout ce qu’il a de drôle, d’effrayant et de contradictoire.
Hester Chambers et Rhian Teasdale semblent avoir trouvé à travers la relation de cette dernière un nouvel espace d’écriture, plus intime et moins contrôlé. Une sincérité tremblante et pas assumée à 200%, mais qui rend l’album d’autant plus fort. moisturizer laisse cohabiter sérieux et dérision, sans trancher entre les deux. Comme si le groupe n’essayait plus de choisir entre rire et aimer mais d’apprendre enfin à faire les deux.
moisturizer ou le disque du lendemain
11:21 et u and me at home closent l’album en douceur, comme on ferme la porte de sa chambre après une longue soirée. 11:21 flotte dans une ballade vaporeuse aux accents shoegazy (et Kate Bush-y), presque comme une déclaration au ralentissement, à l’attente. Dans u and me at home, deux amoureuses traînent, fument, parlent de rien, peut-être d’un take-away. Rien ne se passe, et c’est tout l’enjeu. Derrière cette chanson, un apaisement, un retour à la maison. Et puis cette phrase : “Maybe we could start a band as some kind of joke.”
Le groupe s’est formé sur une blague, il a fini sur la scène des Grammys. Et maintenant ? moisturizer apporte la réponse : par la continuité et la volonté de durer. C’est un disque de lendemain, de nuances et de déséquilibres fondateurs. Peut-être moins explosif que le premier, mais plus vivant et plus incarné. Le rock alternatif des années 90 flotte encore dans l’air, mais il est moins raide, moins sec. Rhian Teasdale et Hester Chambers jouent plus large, et ne cherchent plus à faire rire simplement, mais à s’ancrer.
Et c’est ce glissement qui transforme Wet Leg de phénomène viral à groupe véritablement installé dans son temps. moisturizer fait le pont, réconcilie avec le réel. Il y a dans cet album quelque chose d’un réveil, pas celui de la naïveté mais plutôt d’une lucidité retrouvée, cynique mais pas sans amour. Et comme elles le chantent si bien dans mangetout : « This is the real world, honey, bienvenue / In spite of everything, I guess there’s just no getting through ».
Retrouvez Wet Leg sur Instagram ainsi qu’à l’Olympia le 27 et 30 octobre prochain.