Moments volés avec Laure Briard pour la sortie d’Eu Voo

Deux ans après la sortie de son troisième album « Un peu plus d’amour s’il vous plait », Laure Briard, l’artiste de Midnight Special Records aux milles nuances musicales, nous embarque pour un nouveau voyage bercé par des mélodies brésiliennes. Juste avant la sortie de son EP Eu Voo, nous avons pu discuter avec elle de ses liens avec le Brésil, de ses influences et de ses souvenirs de concerts qui nous manquent tant.

Crédits : Inès Ziouane

La Face B : Tout d’abord nous te remercions pour le temps que tu vas nous consacrer. J’aimerai te demander déjà comme tu te sens alors que va bientôt sortir ton prochain EP Eu Voo ?

Laure Briard : Forcément la situation est un peu compliquée, on la connait tous. Une sortie c’est toujours stressant et là je ne sais pas trop comment ça va se passer. Je ne sais pas comment ça va être réceptionné. Je me dis que ça peut être super en ces temps compliqués. Contente oui, parce que ça fait un moment que c’est terminé, on l’a enregistré il y a plus d’un an et on a déjà décalé une première fois sa sortie. Aussi je suis contente que ça sorte, que les gens puissent écouter. Après on verra comment ça se passe. Je vais essayer de rester zen.

LFB : Il va nous apporter un peu de soleil.

LB : Ben voilà, c’est ce que je me dis. Ce serait super.

LFB : Après Coraçäo Louco en 2018, il s’agit de ton deuxième EP en brésilien/portugais, validant ainsi – s’il y avait besoin – une passion pour la musique brésilienne. Peux-tu nous dire ce qui te raccroche à cette culture ?

LB : Au début rien mis à part la musique, parce que ça fait très longtemps que j’écoute beaucoup de musique brésilienne, presque de manière obsessionnelle. Aussi très vite je me suis renseigné sur le pays, j’ai regardé des documentaires. Il y avait ce côté fascination aves les représentations que j’en avais vues d’ici. Je n’y étais jamais allé alors on a vite tendance à fantasmer, le Brésil, Copacabana, tout ça…. j’y suis allé, c’est une autre réalité – surtout depuis qu’il y a Bolsonaro. Mais il y a quand même un truc de fou là-bas par rapport à la musique. Le rapport des gens à la musique est juste incroyable. Et puis c’est magnifique. J’ai aussi rencontré des gens merveilleux donc c’est assez fou. Et puis j’ai fait mes meilleurs concerts là-bas.

LFB : Le catalyseur de la création de tes deux EP brésiliens a été – me semble-t-il – ta rencontre avec les Boogarins. C’est un groupe brésilien que je ne connaissais pas et que j’ai découvert par ton intermédiaire. Peux-tu nous raconter les circonstances de votre rencontre, quels ont été vos points de convergences qui ont fait que vous avez pu tisser des liens forts entre vous

LB : Moi non plus, avant 2017 je ne les connaissais pas. En fait en février de cette année-là, je suis partie en tournée au Mexique et au Texas pour une dizaine de dates. A Mexico, on a joué dans un festival le même soir qu’eux. C’est là où je les ai rencontrés pour la première fois.

Ensuite on a joué au festival South by Southwest (SXSW) et ils y étaient aussi programmés. Pareil on s’est croisés plusieurs fois. Comme c’est un festival qui dure assez longtemps, on y est resté six jours, on est devenus potes. Et le dernier soir, on discutait, on se disait au revoir. Je leur disais que mon rêve serait de venir jouer au Brésil. Et ils m’ont répondu, « Mais oui carrément, c’est hyper facile, on peut t’aider ». Comme il était deux heures du matin et que l’on avait bu, je me suis dit « Oui, oui, bien sûr » mais en fait ils m’ont vraiment aidé. Ils connaissent beaucoup de monde.

C’était fin février, début mars et cinq mois après je partais en tournée là-bas avec une dizaine de dates. C’est allé très vite, ils m’ont ouvert des portes de fou. Ça a été vraiment une rencontre providentielle.

Et de là, on a continué à être en contact. Je leur ai envoyés les premières démos que j’avais faites et puis ils ont été motivés pour m’enregistrer une fois, deux fois. Voilà c’est ma famille brésilienne.

LFB : C’est l’observation que j’allais te faire, tu t’es constituée une petit famille au Brésil.

LB : Oui et grâce à eux j’ai pu rencontrer d’autres personnes. Notamment les personnes qui m’ont accompagnées sur scène il y a un an et demi quand j’ai fait ma dernière tournée là-bas. Grâce à eux, j’ai rencontré des gens vraiment trop géniaux.

LFB : Musicalement, peux-tu nous présenter les Boogarins ?

LB : Déjà en live ils ont une énergie comment dire…, il se passe vraiment un truc incroyable. C’est un groupe psyché, un peu expérimental. Ils ont changé de style au cours du temps. Mais sur scène ils ont un truc très particulier. C’est très chouette et ils sont trop gentils.

LFB : Avec Michelle Blades – qui a ses racines Panaméennes – les tropicléas de Cléa Vincent ou Sahara de Blondine– un vent d’Amérique latine souffle sur Midnight Special. Pourtant ce sont autant de projets distincts. La Bossa nova et l’accent Brésilien seraient-ils contagieux ?

LB : Il y a un lien, oui mais je ne pense pas que ce soit un truc de contagion. Dans le groupe de filles qui tu as citées, nous écoutons beaucoup de musique différentes qui peuvent être d’horizons lointains et pas seulement de la pop anglaise. La musique brésilienne, c’est vrai, c’est aussi ce qui nous relie un peu. Pour Michelle c’est autre chose, mais oui il y a cette diversité, cette envie d’explorer des sonorités des univers différents, de jouer avec les styles et de s’ouvrir.

LFB : Écrire en français, en anglais ça va. Mais le faire en Brésilien tu m’impressionnes. A moins d’avoir des racines portugaises ce n’est pas une langue que l’on a facilement la possibilité d’apprendre. Parlais-tu portugais avant de t’embarquer dans cette aventure ?

LB : Non pas du tout. Je n’ai jamais appris le portugais. Après c’est vrai qu’en écoutant beaucoup de musiques brésiliennes et comme j’aime regarder les traductions des chansons que j’écoute, j’étais habituée à certains mots, à certaines tournures phrases, des trucs assez simples. La première chanson que j’ai écrite en portugais qui s’appelle Janela, fenêtre en portugais, a été construite avec quelques mots simples. Ensuite je me suis beaucoup aidé de traductions et mes amis brésiliens ont corrigé mes fautes ou mes erreurs. Mais je ne sais pas, je n’arrive pas trop à expliquer ce phénomène, souvent je m’amuse à raconter que c’est un phénomène mystique. Et puis j’ai commencé à apprendre la langue en parallèle de mon processus d’écriture, du coup je sais un peu parler brésilien maintenant.

LFB : Et quand tu es là-bas tu t’exprimes en brésilien ?

LB : Un peu pour les trucs faciles mais franchement il faudrait que je bosse plus. J’ai envie de prendre des cours et de devenir bilingue. Là j’arrive à m’exprimer mais seulement pour des trucs hyper simple. Pareil avec mes potes brésiliens, ça va trop vite. C’est pas possible. Mais ouais, il faudrait que je travaille plus mon portugais.

Crédits : Inès Ziouane

LFB : Ce qui te caractérise est une liberté d’écriture. Tu peux naviguer dans plein de courants musicaux différents sans t’y perdre. Une écriture qui semble à l’instinct. D’où viennent tes aspirations et tes choix de composition ?

LB : C’est vraiment, comme tu viens de le dire, à l’instinct. A part quand je me dis que j’ai envie de retourner au Brésil enregistrer des chansons en portugais, alors là focus là-dessus et je sais ce que ça va être, mais sinon je ne sais jamais. Pour le texte c’est ma vie, la vie des gens que je côtoie. Je peux très bien écrire un truc et ne plus rien écrire pendant deux mois et après m’y remettre pendant trois jours d’affilé.

De même pour la langue utilisée, je ne peux pas me dire : « Là j’ai envie que ce soit en anglais » ou alors « Non, il faut que ce soit en français ». C’est vraiment fonction de la manière dont ça vient, de comment je me sens. En fait, c’est vraiment anarchique. Je n’ai pas de process. Bon après quand je suis trop en retard, qu’il ne me manque que quelques textes, je sais me mettre la pression. Mais en général c’est un truc un peu lent qui vient avec le flot.

LFB : La partition musicale vient après le texte ?

LB : Pareil, ça dépend. Après quand c’est moi qui compose un morceau en général je travaille d’abord la mélodie. Je fais la musique avant et après je colle les paroles. Mais quand je travaille avec des gens, quand je coécris, ce n’est plus forcément vrai.

LFB : En parlant de proximité musicale, on ressent dans le côté psyché proche de Pablo Padovani, Halo Maud, Melody Prochet, Julien Gasc ou Stereolab. Et côté nonchalant, une autre proximité pour laquelle j’ai mis plus de temps à faire le rapprochement – elle me trainait pourtant en tête – Philippe Katerine de l’époque de l’éducation anglaise ou des mauvaises fréquentations. Ce sont des gênes de ton ADN musical ?

LB : Je suis super fan de ces albums-là. Je trouve qu’ils sont vraiment magnifiques. Ce sont des albums que j’ai écouté en boucle quand j’avais 20/25 ans et que je réécoute encore maintenant. Je trouve ça tellement beau, simple et poétique. Ça oui, c’est vrai que ça a dû m’influencer. A chaque fois que je les écoute je me dis « j’aimerais trop écrire ces chansons ». Je trouve ça trop beau quand Philippe Katerine fait chanter sa sœur et sa copine de l’époque. Il y a ces deux filles qui chantent et, oui, j’adore. Je trouve ça trop, trop beau.

LFB : Il avait aussi un petit côté bossa

LB : Oui il avait un côté bossa, effectivement.

LFB : Et sur la partie Psyché ?

LB : Les groupes que tu as cités, déjà la plupart ce sont des amis. Après pour le côté psyché, je ne sais pas. C’est vrai que j’écoute pas mal de musique des années 60/70. J’aime bien écouter les vieux trucs.

LFB : Et côté scène française, il y a des projets que tu suis particulièrement ?

LB : Déjà il y a les projets des personnes que j’aime beaucoup, comme Sarah Maison, Norma, Halo Maud, Julien Gasc, Pharaon de Winter aussi. Ce sont des gens que je connais et en plus j’adore ce qu’ils font. Sinon je ne suis pas très à la page des trucs qui sortent en ce moment. Je ne m’informe pas trop, je me concentre surtout sur les trucs des gens que je connais. Si tu me demandais le dernier truc que j’ai écouté en français je serai bien embêtée. Je peux avoir parfois un côté mamie, je suis un peu oldschool.

LFB : Tu es plus versée vers les scènes étrangères

LB : C’est vrai que j’ai tendance à écouter des trucs d’autres pays. Mais je ne dis pas que c’est mieux parce que dans la scène française il y a des trucs super. Mais c’est plus une tendance d’aller vers ça.

LFB : Dans ta musique, il y a aussi le voyage. Tu as fait des tournées – un peu en mode do it yourself – que ce soit avec Cléa & Midnight pour la tournée dans le nord de l’Europe, au Brésil ou encore l’automne dernier en France avec le Garden Tour. Ce sont des moments de partages particuliers ?

 LB : En septembre on a tourné à trois avec Cléa et Pieuvre [Vincent Guyot] , le musicien qui m’accompagne. Cléa jouait en solo ou alors, parfois, accompagnée par Pieuvre. Et là clairement – vu le contexte – c’était une bouffé d’oxygène. Cela faisait un moment que l’on n’avait pas joué. Et c’est vrai que l’on adore être en tournée parce que c’est déjà en soi une aventure et un temps pendant lequel on ne pense plus à rien. On est sur la route. On rencontre des gens. En plus sur cette tournée, c’étaient des gens qui nous accueillaient chez eux, dans leurs maisons. C’est quand même un truc assez intime.

Et oui c’est vrai que déjà être sur la route avec des gens que t’aimes et avec qui tu t’amuses, c’est super. Ensuite jouer dans des lieux cool où les gens ont envie de te voir et où tu passes du bon temps, c’est génial.

Le must, c’est quand tu es dans un autre pays. Comme lors de la tournée au Brésil, au Mexique, aux Etats-Unis ou même, tu en parlais, en Europe du Nord. En décembre dernier avec Marius [Duflot] et Pieuvre pareil, on est parti en trio en Espagne et au Portugal. On a fait quinze dates. Et voilà. C’est vrai que ça me manque énormément.

C’est l’aventure, c’est vraiment comme une capsule hors du temps. Et ça manque…

LFB : Les actualités concerts sont malheureusement pauvres en ce moment. Crise sanitaire oblige. Tes sessions prévues à Paris au Sunside ont été repoussées puis annulées. Pour nous faire patienter peux-tu nous partager des souvenirs de concerts que tu as suivis en tant que spectatrice ou pendant lesquels tu t’es produis en tant que musicienne ?

LB : Des souvenirs… Alors attends … Ça remonte à tellement longtemps. Déjà en tant que spectatrice, un des derniers concerts que j’ai pu faire était celui de Cate Le Bon à Toulouse au Pavillon Sauvage. Ça devait être il y a un peu plus d’un an. Les concerts, parfois, je suis un peu dubitative. Mais là Cate Le Bon m’a bluffée. J’ai trouvé ça génial, sa présence sur scène, et ce que j’ai aussi adoré c’est que ça ne jouait pas fort. Il y avait un volume trop cool. J’étais tout devant, c’était hyper agréable.

Ensuite, je peux te parler d’un concert un peu malaisant mais qui au final s’est avéré marrant. On était sur la tournée en Espagne et au Portugal, quinze dates sur quinze jours. On jouait tous les soirs avec seulement un Day off. Tu vois la fatigue qui s’accumule quand il faut conduire le jour et jouer le soir. On devait en être à la dixième date. Et là en fait on arrive dans un lieu – une grande halle. De l’extérieur je me suis dit que dedans, quelque part, il devait y avoir une petite salle. On entre dans ce lieu et c’était une halle de marché, un énorme marché couvert. Je me suis dit il doit y avoir cette petite salle mais en fait non. Il y avait une mini scène de deux mètres carrés en plein milieu du marché, même pas dans un coin, vraiment au milieu.

Et le mec qui nous a accueilli nous dit : « Bon ben voilà c’est là ». En plus ce soir là il y avait un méga match de foot, ce qui fait que l’on a joué devant deux personnes. C’était un peu dur mais on a bien rigolé. En fait je ne sais pas si c’est glamour de raconter cela ou pas. Bon en même temps on était au Portugal, il y avait un match de foot et il y a avait personne au concert et on était dans une halle aux poissons. Et moi j’ai joué en survêt !

Sur le moment quand on est arrivé c’était très dur, après j’ai lâché prise et je me suis dit : « C’est bon fait le ». Ça fait partie des trucs dont on se souvient, ensuite on en parle et on se dit : « Ah mais c’est cool quand même ».

Sinon dans les souvenirs de fou, la dernière tournée au Brésil, il y a un an et demi. On avait une date à Rio, dans un petite salle. Je joue la dernière chansons, Révélation, et là les gens chantaient avec moi. Les brésiliens – en France ça ne s’était jamais produit – et là les brésiliens ont repris le refrain avec moi. C’était taré. Ça fait partie des trucs de fou.

LFB : Une fois Eu Voo sorti, vers quelle direction souhaites-tu t’envoler ?

LB : Je suis dans le flou. Je ne sais pas quand on pourra reprendre les concerts. Entre temps Je bosse sur des nouveaux morceaux pour un album. Je me dis que peut-être je vais pouvoir les enregistrer dans pas longtemps. C’est tellement trouble au niveau des concerts que j’essaye de me replonger dans autre chose qui est réalisable de plus concret, un enregistrement par exemple.