Il y a 30 ans, Nada Surf sortait ses premières démos et avait en gestation le hit Popular (1996), qui allait faire les beaux jours de MTV ou de Fun Radio en France. Qui aurait pu prédire alors que ce groupe deviendrait une des rares formations rock à avoir une longévité et une constance hors du commun ? Peut-être que ceux qui ont suivi les tracas du groupe avec leur 2ème album, “The Proximity Effect”, et leur bataille contre leur label de l’époque pour récupérer leurs droits sur leur musique, peut-être que ceux-là pouvaient entrevoir la volonté et la détermination sans pareille d’un trio bien décidé à faire la musique qu’il avait envie de faire, et rien d’autre. Toujours est-il que voici Nada Surf avec 30 ans de carrière au compteur et un dixième album studio, “Moon Mirror” qui est sans doute leur plus réussi des 20 dernières années (la question étant : y en a-t-il jamais eu un de vraiment raté ?)
Alors oui, musicalement Nada Surf fait toujours du Nada Surf, personne ne s’attend vraiment à des surprises de ce côté-là. Il y a toujours quelque chose de confortable dans l’écoute d’un nouvel album du groupe, cette impression à la première écoute d’avoir déjà entendu ce morceau sur un précédent album, les voix de Ira Elliott (à la batterie) et Daniel Lorca (basse) qui se joignent à celle inimitable de Matthew Caws pour faire plus ou moins des ouh-ouh et des la-la sur des popsongs joyeuses dopées aux guitares et quelques balades mélancoliques bien foutues.
Sauf que, ce qui fait réellement la différence chez Nada Surf, c’est la qualité du songwriting de Matthew Caws. Sur “Moon Mirror”, il semble avoir décidé de brouiller les pistes. Si on n’y prend pas garde, on se retrouve à chantonner “I’m losing, losing you”, une chanson qui, derrière une composition joyeuse, cache des paroles qui évoquent la perte, les illusions ou la fragilité. A l’inverse, le superbe single “New Propeller” dégage une mélancolie prééminente alors que c’est un morceau qui cherche à donner de l’espoir face au changement et la peur de l’avenir (avec un refrain qui, traduit en français, donne “N’aie pas peur / Tu ne seras pas remplacé / N’aie pas peur / Tu ne seras pas effacé”).
Don’t be afraid
You won’t be replaced
Don’t be afraid
You won’t be erased
Depuis les débuts de Nada Surf, on suit aussi les états d’âme amoureux de Matthew Caws, de “Inside of Love” en 2002 où il ne comprenait pas comment atteindre l’amour à “So Much Love” en 2020 qui était une ode à l’amour. Caws présentait alors ce sentiment comme une force à trouver en soi et chez les autres, et donnait l’impression d’avoir atteint la sérénité de ce côté-là (il est devenu mari et père de famille sur le tard).
Drop a rope down the wishing well
Tired, probably scared
Forgiveness is right there
On pouvait donc s’attendre à un album ultra cheesy côté amour avec “Moon Mirror”. Bien au contraire, derrière un disque qui semble centré sur les petites choses du quotidien (”In Front Of Me Now”, un titre qui parle de la capacité à se concentrer sur ce qu’on a à faire plutôt qu’à se disperser à vouloir faire 1000 choses à la fois), on trouve le triptyque formé par les titres “Moon Mirror”, “Losing” et “Floater”. Ces morceaux révèlent un Matthew Caws qui cherche à s’auto-convaincre à 57 ans que tout va bien se passer, et montrent en creux ses fissures et sa vulnérabilité. On peut aussi y voir une incantation à faire la paix avec soi-même et à accepter ses sentiments, avec peut-être une difficulté personnelle à y parvenir pour Caws.
D’ailleurs on note depuis quelques albums chez Nada Surf une sorte de refus de vieillir, ou plutôt une forme de cure de jouvance, avec des titres qui auraient eu leur place sur leur tout premier EP (”Karmic”). “Moon Mirror” n’y échappe avec pas des titres comme “Open Seas”, “Give Me The Sun” ou “Intel and Dreams” qui entretiennent la flamme de la musique powerpop. La différence principale avec les débuts du groupe réside ici dans l’omniprésence des nappes de synthé de Louie Lino, compère de toujours, mais désormais crédité comme 4ème membre du groupe depuis le précédent album “Never Not Together”.
Toutes ces subtilités dans l’écriture de “Moon Mirror” en font un album qui se révèle pleinement au fil des écoutes et qui mérite qu’on lui laisse sa chance.