Après plusieurs années à voguer dans différents projets, Florent Vincelot s’est enveloppé du nom énigmatique Nerlov pour proposer une musique hors des codes, entre la pop électronique, le rap sur productions trappes pour abriter des textes frontaux et apocalyptiques. Son premier EP Je vous aime tous est sans doute la plus belle manière d’être défaitiste.
Nous vivons dans une drôle d’époque, on ne le redira pas. Nous assistons, parfois avec impuissance, à la prise de pouvoirs de dirigeants psychopathes, à des guerres catastrophiquement inutiles, à des agissements dangereux pour notre planète. Nous vivons dans un décor de drames et de bêtises, et le pire dans tout cela, c’est que nous nous y sommes accoutumés. Nous avons perdu la pièce dramatique dans laquelle nous sommes figurants.
Nerlov l’a bien compris et se refuse à rester spectateur. Il prend la plume pour dresser un portrait apocalyptique et désabusé de la société, du monde dans lequel on vite, anxiogène et déshumanisé.
Il y a deux choses fondamentales qui caractérisent Nerlov : une prise de parole percutante et une musicalité hors des codes.
Je vous aime tous est un recueil de sept titres s’inscrivant autour de la même thématique. Au fil des morceaux, il s’attaque au triste tableau de la société actuelle. Avec humour, il dépeint la contradiction de l’humain, de ses travers, ses faux-pas et ses désillusions.
Le premier titre, éponyme, évoque cette forme de bipolarité, acceptant certains comportements pour les dénigrer en suite, comme lorsqu’on se plie à des normes absurdes et dérisoires. Evidemment présente également cette fatalité, ce constat d’une société en dysfonctionnement qu’on regarde se désagréger, petit à petit, sans réussir à changer drastiquement les gens. Il évoque les stupéfiants comme échappatoire, comme masque obscurcissant.
Dégénéré et Si on brûlait tout sont sans doute les titres les plus forts de cet EP. Sur une production électronique tourbillonnante, sombre et presque trappe, les textes prennent une allure de fin du monde. Des sonorités épiques qui confèrent des allures de cérémonies cataclysmiques.
Nerlov explore également une musicalité impressionnante, qui varie d’intensité dans la lumière et dans les teintes. C’est une fusion parfaite entre des productions électroniques dont ressort une certaine fragilité, avec des chansons très fortes, sombres et assourdissantes de basses rondes, presque comme une marche militaire qui donne le rythme. On vogue dans un univers assez rap, mais totalement chamboulé par la voix presque innocente de Nerlov. C’est une contradiction qui intrigue, comme tout le projet de l’artiste. Un nom écrit en capitales gothiques d’où ressort ce sentiment de musique sacrée face à un label de contrôle parental et de blancheur immaculée.
C’est le plus bel oiseau de mauvais augure, la meilleure manière de dresser le portait apocalyptique du monde qui s’effrite autour de nous. Nous l’observons, spectateurs, fautifs comme sauveurs. Nerlov, misanthrope et existentialiste, réussit d’une main de maître son premier projet dont la musicalité fascinante enrichit le propos.
C’est sans doute tout ce qu’on attend d’un projet musical, qu’il distrait, qu’il ravie l’oreille, qu’il réchauffe le coeur par un fil invisible qui se tisse avec celui de l’artiste, et qu’il fasse réfléchir. Nerlov nous fait sombrer dans sa conscience du monde, et c’est aussi angoissant que sublime.