Jeune prodige exilé loin de son Besançon natal, l’auteur des titres coups de poing Au bout de ma rue et Toute la vie chante les désillusions d’un monde brutal où une masculinité à fleur de peau se fraye un chemin pas toujours évident. Son timbre à la sensibilité exacerbée nous emporte… Nikola nous livre ses doutes et questionnements, sur l’amour, l’engagement et sa condition d’artiste. Entrevue.
La Face B : Bonjour Nikola. Peux-tu, pour commencer, revenir sur la genèse de ton projet ?
Nikola : Une saison en enfance est un thème qui s’est imposé naturellement. Je ne me suis pas réveillé un matin en me disant, « ouais, j’ai envie de parler de ce truc-là, je vais en faire des chansons ». En revanche je pense que j’avais grand besoin de sortir ça de moi.
Extraire ces obsessions de ma tête était un véritable besoin : pour que ça ne m’appartienne plus, et que je puisse, enfin, passer à autre chose. Par l’écriture, je me suis libéré, en quelque sorte !
La Face B : Et du coup, ton parcours de musicien, quel est-il ?
Nikola : Gamin, j’ai commencé à faire de la batterie, parce que mon père faisait de la basse : l’objectif, c’était de me rapprocher de lui et de former un duo drum’n bass ! (rires) Par la suite, j’ai continué à m’intéresser à la musique. J’en ai toujours fait, de façon plus ou moins expérimentale : je tapais sur des trucs, j’essayais tous les instruments possibles…
Parallèlement, j’écoutais pas mal de rap à textes et lisais énormément de poésie. J’ai mélangé tout ça quand j’ai craqué mon premier logiciel de musique et que j’ai pu commencer à tout faire tout seul, dans ma chambre : à partir de là, tout s’est mis en place et j’ai pu m’essayer à faire des chansons !
La Face B : De qui t’es-tu entouré ? Tu as tout fait tout seul, ou tu as travaillé en collaboration avec d’autres personnes ?
Nikola : Les chansons, à la base, je les ai écrites tout seul et elles ont eu plein de formes ! Une fois qu’elles ont été abouties, je suis allé voir mon pianiste, Julien Noël, et lui ai demandé qu’on arrange ensemble. On les a enregistré à Motorbass avec Antoine Poyeton, avec Pierre Juarez au mixage, et voilà !
La Face B : « Partir, pour aller où ? », « Le monde s’arrête au bout d’ma rue »… T’es-tu parfois senti pris au piège d’une vie, de lieux qui ne te correspondaient pas, et as-tu trouvé dans la musique un échappatoire ?
Nikola : Carrément… C’est la musique qui m’a sauvé. C’est en faisant de la musique, en écrivant, que je suis parvenu à extraire des choses de moi, et à avoir un retour qui me disait, enfin : « ok, t’es pas tout seul ». Ça m’a beaucoup aidé… En l’occurrence, ces paroles font référence au fait de quitter la ville où j’ai grandi, Besançon, et à la solitude qui a découlé de ce choix de quitter mes repères et mes amis, pour arriver quelque part où je ne connais rien ni personne… En faire une chanson m’a permis de m’interroger :
Est-ce que ça en vaut vraiment la peine ? Est-ce que le monde, finalement, ne s’arrêterait pas au bout de ma rue ? Finalement, mon choix a été de tenter de dépasser ces barrières-là, quitte à tomber dans le vide. C’est ça, que ça raconte…
La Face B : Et du coup, Paris s’était imposé comme une évidence ?
Nikola : Tout à fait. En fait, j’avais fait le tour, quand j’étais ado, de toutes les structures musicales qui existaient à Besançon, et j’avais fini par réaliser qu’il était nécessaire de partir. À 17 ans, j’ai fait mon sac et je suis parti, mon bac en poche…
La Face B : D’accord… Quand tu dis « J’sais rien faire de mes dix doigts »… Plutôt aveu d’échec face à une société productiviste dans laquelle tu as parfois pu te sentir insuffisant, ou syndrome de l’imposteur ?
Nikola : Je pense que c’est très vrai, ce truc de société productiviste. Je le relie au fait de venir d’une famille où on a de la valeur à la sueur de son front ou à la force de ses bras : c’est comme ça qu’on devient quelqu’un, qu’on mène sa vie et qu’on gagne sa croûte. En faisant de la musique et en comprenant que ça pouvait être un métier, j’ai beaucoup questionné cette valeur travail-là, en me disant que c’était étrange.
Il est 3 heure du mat, j’écris une chanson qui, peut-être, me rapportera plus que ce que mon père, ma mère ou mon grand-père auront gagné dans leur vie entière… et ça c’est très perturbant. Ça m’a fait beaucoup réfléchir, et j’en suis arrivé à la conclusion que la société valorisait véritablement quelque chose qui n’avait pas de sens.
J’ai aussi constaté que les artistes étaient interrogés sur tout et n’importe quoi, la géopolitique mondiale etc. Alors que peut-être qu’on a rien de plus à dire qu’un citoyen lambda ! J’en suis arrivé à la conclusion que même si ce que je fais sert moins à la société, concrètement, que si j’avais occupé un emploi classique disons, au final, ça touche les gens de façon quasi palpable, et c’est une manière, à mon échelle, de rendre le monde meilleur…
La Face B : À propos des prises de position, justement : je trouve que tu dénonces énormément dans tes chansons, est-ce qu’on peut parler de musique engagée ?
Nikola : Alors, je pense que peu importe ce qu’on fait, on est engagés. Tout est politique.
La Face B : Ah oui, c’est Gramsci qui écrivait ça…
Nikola : Exactement, et c’est très vrai : chaque acte, même celui de faire ses courses, est politique. En tant qu’artiste, je suis forcément engagé. Par ce que je raconte de mon enfance, de mon lien à Besançon, dans Au bout de ma rue, etc : tout cela dégage une image de moi qui elle-même est politique.
Même si cet EP est énormément tourné vers les sentiments et ce qu’on peut éprouver de douleurs dans une période donnée de sa vie, quelque part, il y a effectivement dénonciation : j’en veux au monde d’avoir ressenti ce truc-là, à l’origine duquel il y a un problème, qui nécessite d’être réglé.
La Face B : Dans « Toute la vie », j’ai perçu à la fois un questionnement contemporain sur l’amour qui ne sait plus comment durer, et l’expression d’une masculinité à fleur de peau forcée d’endosser le mauvais rôle. Être un homme qui parle de ses failles de nos jours, c’est compliqué ?
Nikola : C’est drôle : de cette chanson, on m’a souvent parlé comme une métaphore de l’absurdité du temps qui passe, alors que c’était plutôt ça, à la base ! C’était de s’avouer à soi, et d’avouer à l’autre quelque chose d’assez douloureux, finalement…
Ma relation à mes parents, qui se sont séparés de façon très conflictuelle quand j’étais gosse, a généré cette certitude que l’amour ne dure pas toujours. Et que même si on s’aime vraiment, il y a un moment où ça se termine : ça peut être dans la mort, ça peut être dans le déchirement, ou le fait de retomber amoureux, et c’est peut-être là qu’il faut réussir à profiter de ce qu’on a tout de suite. C’est dans cette fragilité-là de la relation que je me situe, et qui, je pense, est intéressante.
La Face B : Dans ta diction, tes envolées torturées et tortueuses, je perçois parfois un peu de Mano Solo… J’ai bon ?
Nikola : Alors, je ne savais pas qui c’était jusqu’à il y a trois mois, jusqu’à l’émission The Artist en fait, durant laquelle La Grande Sophie m’a demandé si je le connaissais. La réponse était pas vraiment, mais j’ai écouté le soir-même, et finalement j’ai dévoré toute sa discographie très très vite, parce que j’ai trouvé ça juste incroyable… Et j’ai compris, avec un sourire en coin, pourquoi on me rapprochait de lui. Il a un côté un peu gavroche, avec beaucoup de gouaille, que j’aime vraiment.
La Face B : Et du coup, tes influences à toi, c’est quoi ?
Nikola : Je parlerai plus d’imprégnation que d’influences : je ne pense pas du tout que la somme de tes influences créée ta musique, qui est plutôt pétrie de multiples choses qui entrent en ligne de compte… J’ai beaucoup écouté, par ma mère, la musique des Balkans, de Yougoslavie, des balades ou de la musique trad, et de la pop Euro-dance : c’est quelque chose qui m’est beaucoup resté et vers quoi je tends véritablement. Mon père, lui, c’était plutôt la soul, le blues… Et moi j’écoutais du rap !
À l’adolescence, j’ai découvert la chanson française : Ferré, Barbara, Brel, Gainsbourg… et là j’ai vraiment réalisé le pouvoir des mots, de la musique. Cette émotion pure m’a poussé à développer une sorte d’obsession à dire. De là est né ce désir viscéral de chanter, d’écrire, et de façon aussi sérieuse qu’eux l’envisageaient.
La Face B : Je vois ce que tu veux dire… Mais ça ne créé pas un poids énorme que de le concevoir comme ça ?
Nikola : Ce sérieux doit être nuancé : il faut aussi savoir garder une part de légèreté quand tu veux créer, qui permet la liberté… Sinon, tu restes dans l’interprétation toute ta vie.
La Face B : Pour conclure… Que peut-on te souhaiter pour l’année à venir ?
Nikola : J’ai très envie de faire des concerts, et de visiter un peu la France, que je connais finalement assez peu… Récemment j’ai fait Rennes et Bordeaux et c’était incroyable ! Je suis aussi en train de préparer la suite de cet EP pour venir compléter cette Saison en enfance…
Maintenant que j’ai réussi à me libérer de ces choses un peu lourdes, j’ai envie de compléter ce tableau avec quelque chose de plus lumineux, de plus solaire : qui touche de la même manière mais avec plus de nuances, de couleurs… C’est ça, la suite.