On les aime depuis leur tout premier titre et entre Nor Belgraad et La Face B, c’est une affaire qui roule. Alors qu’ils seront sur la scène du Festival Yeah ce samedi, on a rencontré Clément de Nor Belgraad pour une longue conversation autour du premier album de combo.
La Face B : Salut Clément, comment ça va ?
Nor Belgraad – Clément : Ca va pas mal du tout même ça va très bien. La semaine dernière, j’étais très stressé. J’étais très très anxieux de tout ce qui arrive là ; la release party, les trucs dans les journaux… C’est que des trucs biens mais c’est beaucoup en même temps. J’ai du mal à me stabiliser. Mais là c’est cool depuis 3-4 jours, je ne sais pas pourquoi je me suis réveillé vendredi matin de super bonne humeur, reposé ! Sans raison apparente quoi… (sourire)
La Face B : Les premiers retours sur l’album qui est sorti y a presqu’un mois, tu les vis comment ?
Clément: Je ne m’en suis pas rendu compte. Toujours pas. C’est horrible à dire mais je n’ai pas capté que le disque était sorti. En fait, je pense que je me suis dit que dans ma tête c’était fait quand on a reçu les masters définitifs, c’était en octobre ou en novembre. Et que le truc est parti au pressage mais genre c’était il y a quasi 6 mois. J’étais déjà sur autre chose ; il faut penser à la release party, à la prochaine tournée, à ça ou ça… Et puis, j’ai ma vie personnelle, j’ai un loyer à payer etc etc comme tout le monde. Et je t’avoue que ma mère m’a appelé le jour de la sortie du disque « waw super, j’ai fait une commande » et me demande si j’étais content, mais j’avais l’impression qu’elle était plus contente que moi quoi (sourire). Très touchant, mais je ne me rends pas compte encore. Je pense que je m’en rendrai compte quand on sera sur les premiers concerts. Ca devient concret quoi.
La Face B : Le fait est que tu sors un album, éponyme et j’ai l’impression que plus qu’un « statement » sur le groupe et le genre que vous allez faire, on dirait que c’est un chapitre, un truc un peu fermé que le prochain pourrait très bien s’appeler Nor Belgraad 2 avec un genre de musique complètement différent…
Clément: C’est complètement le but, c’est ça ! Tu vois très très juste et je pense que tu es le seul à capter ça ! Il y a eu cette recherche. Quand j’écris des morceaux, c’est des images, c’est des rêves, je raconte un truc, je décris quelque chose, j’essaie de mettre en musique des trucs que je vis ou nous vivons et j’ai assemblé tous les morceaux, je les ai écouté dans un ordre puis dans un autre, j’ai fini par en trouver un approprié. Et pour moi à ce moment-là, l’album il était là, prêt. Et tout le monde m’a demandé « Tu vas l’appeler comment ? »
Je n’avais rien qui venait et je ne lui ai pas donné de nom exactement pour la raison que tu as mentionné. C’est ce qu’on fait maintenant, c’est déjà en train d’évoluer, ça ne sera pas la même chose qu’on fera ou peut-être, je ne sais pas du tout. Dans deux ans ou dans 6 mois… J’ai grandi avec des disques que ma mère me faisait écouter, mes cousines, des disques des années 1980 où il y avait Led Zeppelin I, II, III, IV, Van Halen I, II, III, IV ou des conneries comme ça mais il n’y avait pas besoin de nommer les disques, c’était juste clic clac et je trouvais que c’était intéressant pour le premier disque de Nor Belgraad il n’y aie pas de nom. Et ça ne veut pas dire ça c’est l’essence de Nor Belgraad, pas du tout. C’est ce qu’on fait en 2022.
La Face B : Même un peu ce qu’a fait Weezer, même s’ils ont changé après, avec les couleurs…
Clément : Ouais il y en a plein de gens qui ont fait ça. Puis en plus c’est ouf, j’ai noirici plein de pages de carnets, à chercher un nom d’album mais nan il n’y avait rien qui sonnait juste. Il n’y avait pas besoin, pas de raison donc on devait faire sans. Ca marque ce qu’on a fait. C’est ce qu’on a fait, c’est ce qu’on a enregistré et joué toute l’année dernière. Ca ne sera pas pareil dans 6 mois. Le deuxième disque il n’est pas pareil.
La Face B : Tu parlais de l’agencement des titres et en fait l’album commence par All I know et il se termine par Can’t play… Pour moi c’est comme si tu avais un peu inversé la fin et le début !
Clément : C’est pas volontaire en tout cas (sourire)
La Face B : Un titre comme All I know, il est foncièrement positif dans ce que tu racontes alors que Can’t play qui est le premier titre que tu as sorti pour Nor Belgraad c’est un titre où tu sentais beaucoup de frustration, beaucoup de colère, j’ai l’impression que c’est un peu le chemin inverse de ce que tu as fait cet album-là…
Clément : Dans l’ordre des morceaux, ouais. Mais en fait si tu veux tout savoir, la solution elle est venue d’elle-même. Les morceaux sont dans l’ordre sur le disque que quand on les jouait sur scène en 2022. Maintenant, tout a changé mais c’est pour ça. A force de réfléchir, d’écouter dans un sens dans l’autre, ce qui me paraissait le plus évident et en essayant de me mettre à la place d’un auditeur qui n’a jamais entendu ça, c’était de faire comme en concert. C’était l’enchaînement le plus spontané. C’est pour ça que ce n’est pas volontaire, le dernier morceau c’est le premier qu’on a sorti. Mais c’est le sujet aussi, le sujet il est toujours actuel et il le sera pour un bout de temps.
On peut jouer mais on peut jouer au sens large du terme jouer pas que de la musique quoi. Mais est-ce qu’on peut vraiment jouer dans les temps extrêmes qu’on traverse ? On vit quand même une époque extrême, quoi. Mais extrême en négatif, il y a plein de positif aussi. Dans tous les cas, c’est extrême. La vie, on en a qu’une seule, ça ne dure pas longtemps, tout le monde s’en fout, tout le monde est logé à la même enseigne, tu nais, tu meurs… Ca va très vite.
La Face B : L’album se finit par un uppercut. Le titre est très rentre dedans. C’est marrant que tu parles de setlist parce que quand tu regardes l’album ça commence doucement, tu repars sur quelque chose de plus énergique, t’as une pause au milieu avec un morceau un peu plus lancinant et tu repars… C’est vraiment une setlist.
Clément : C’est ce qu’on a fait en 2022 et ça nre sera plus jamais pareil, je pense (rire)
La Face B : Cet album, il a été créé dans un espace-temps particulier, extrême comme tu le dis, entre Covid et ce qu’on vit… Est-ce que tu penses que cet album-là, il aurait eu la même saveur et le même degré d’introspection si tu l’avais créé à une autre époque ?
Clément: Je ne peux pas répondre à cette question. Parce que, j’y ai pensé mais… Ecoute, j’ai fait de la musique avec plein d’autres gens avant et c’est la première fois que je me disais, je vais écrire ma musique. Là où on en est aujourd’hui c’est grâce à l’environnement dans lequel j’ai évolué, tu t’adaptes, c’est un cheminement. Et en fait, si j’essaie de placer cette musique… Je n’aurais jamais fait cette musique il y a 4 ans par exemple. Ça ne me serait jamais venu à l’idée de déterrer ma guitare qui prenait la poussière à la maison et de tout centrer dessus… Tu m’aurais dit il y a 4 ans, tu vas faire une tournée où t’es au chant principal, à la basse avec 3 mecs et une ingé son, j’aurais dit « oui bien sûr et j’m’habille en rose aussi ». Une fois de plus, c’est le reflet de ce qui s’est passé en 2021/2022, ça aurait pas pu être avant. Je pense que j’avais pas le même regard sur le monde et les choses et franchement je faisais d’autres choses en musique.
La Face B : J’ai une question évidente pour toi. Dans sa globalité, même si tu es parisien maintenant, est-ce que c’est pas un album typiquement d’un mec du Nord ?
Clément: Ah nan ‘tain c’est dur comme question ! C’est quoi un album des gens du Nord ?
La Face B : Quand on lit ta bio et que pour guider les gens on te rapproche de Manchester, le prolétariat et tout mais en fait, pour moi, certes c’est anglais mais tout ce que tu dis dans l’album c’est des trucs de gens du Nord : le désœuvrement, l’ennui…
Clément : Je vais être très honnête là-dessus, je ne suis pas un gamin de la classe populaire prolo, j’en ai plein des amis, des contacts, des racines là-dedans mais mes parents c’était des instits donc c’était un tout petit peu au-dessus mais quand même ce n’était pas si simple. Après il y a plein de trucs, c’est pour que ça soit accessible aux gens, l’Angleterre et tout. Mais je ne suis pas anglais, je ne sais pas écrire comme un anglais, je ne sais pas faire de la musique comme un anglais, c’est important. C’est pas du tout la même culture, les gens s’en rendent pas forcément compte. On est infusés de la culture anglo-saxonne donc voilà. Je vois plus le sens de ta question. T’as du t’en douter en lisant les paroles, je parle que de trucs qui me sont arrivés, c’est le Nord-Pas de Calais.
La Face B : Tu dis, je ne suis pas prolétaire mais je viens du milieu au-dessus… La différence d’autres régions c’est qu’en fait dans le Nord-Pas de Calais tu as beaucoup plus de brassage et de mélange… T’es dans un endroit où tu te fais chier.
Clément : Il y a rien à faire mais pas rien à faire comme au milieu de la campagne à Dijon quoi. Tu vois qu’il s’est passé des trucs mais qui n’existent plus. Je me souviens d’être allé à Maubeuge, il y a plus de 10 ans, pour un concert, c’était un tremplin régional, je me souviens que c’était la ville où il a du se passer des trucs dans les années 1960/1970 max et tout a fermé. Les boutiques sont encore là mais rideaux de fer baissés. Et ça doit faire 30 ans que c’est comme ça, ça se voit et y a rien à foutre quoi alors que t’es dans une ville moyenne.
La Face B : C’est comme tu dirais « voir Dunkerque et mourir »…
Clément: Et encore Dunkerque tu as les ferry, y a un peu plus de thunes mais putain laisse tomber Tourcoing, Lille… Il y a le centre-ville de Lille où il se passe des trucs mais tu vas un tout petit peu en périphérie, même pas en banlieue, tu t’éloignes un peu du centre. Tu vas dans le désert et il pleut, génial (rires).
La Face B : Tu as cette idée de désœuvrement mais le besoin, dans ce que tu racontes, de te retrouver au sein d’un collectif, même si ce sont des idées qui peuvent marcher partout, ça n’a pas la même saveur de parler de ça, de l’imaginer, de le vivre… Même dans ta façon de chanter et de raconter les choses, il y a aussi ce côté presque distancé et cynique, que tu retrouves pas forcément chez des mecs qui vont faire du post-punk qui vont en rajouter des couches sur la colère…
Clément : Nous ça nous gêne un peu comme ça peut nous gêner par comparaison les gens qui surjouent le jazz. Les gens qui font vraiment du jazz ou du blues, je ne sais pas, cherchent pas à faire des gammes à gogo et tout, ça sort ou ça sort pas. Et il y a beaucoup de gens que ça soit dans la musique ou dans la pratique artistique qui surjouent. Même nous, je pense qu’on le fait aussi de temps en temps, hein. On est des êtres humains. Ca ne me gêne particulièrement dans le punk, dans le post-punk, qui a quand même été galvaudé… On a beaucoup matraqué que c’était un truc d’attitude, pour moi c’est passé à côté de ce que c’est vraiment. Les Dead Kennedys par exemple il y a certes de l’attitude mais à la base la société américaine des années 1970/1980 elle leur proposait pas grand-chose mais c’était pas de la pose. C’est souvent imité, jamais égalé. Faire les choses avec intégrité est hyper important je pense.
La Face B : C’est comme un groupe comme Oasis à l’époque, il y avait de l’attitude, de la pose mais c’était des mecs qui venaient du trou du cul de Manchester…
Clément : Ils l’ont vécu et ils savaient très bien qu’il y en avait plein comme eux et qu’il y en aurait plein après. Après ils ont aussi été rattrapés par la grosse machine et ils s’en sont rendus compte aussi et ça c’est tout à leur honneur. Tu as des mecs qui s’en rendent jamais compte et ça devient juste kitsch. J’ai pas d’exemple là comme ça… Je pense qu’il faut être au courant de ses propres clichés mais on fait rien que de la musique.
La Face B : Tu m’en as parlé un peu tout à l’heure mais est-ce que t’as été rattrapé un peu en tant que chanteur par le besoin de raconter tes propres histoires ou est venu le fait de devoir chanter toi-même ou c’est quelque chose que t’imaginais malgré tout ?
Clément : Non, pas du tout. En fait, j’ai très très honte de ma voix. Là ça va mieux parce que je le fais toutes les semaines donc par la force des choses… On a tous nos complexes, il y a des gens qui n’aiment pas leurs cheveux, des gens qui n’aiment pas leurs mains bah moi je n’aime pas ma voix. Quand j’étais en recherche, je faisais un truc tout seul électro c’était ça mais c’était pas tout à fait ça. J’ai commencé à faire un peu évoluer le truc en mode je rajoute des vrais musiciens. Mais à un moment donné, je me suis dit qu’il fallait que j’assume que j’ai envie de faire comme ce que je faisais quand j’étais ado c’est-à-dire plein de bruit fort avec des guitares comme tellement de gens le font…
Et en fait c’est hyper dur de trouver des gens avec qui tu veux jouer. Et je dis bien, tu veux jouer. Parce que techniquement tu peux jouer avec n’importe qui mais il y a quand même ce truc où il faut qu’on soit d’accord, faut qu’on ait tous les mêmes valeurs. On n’est pas obligés de venir du même coin ou du même milieu social, ça ce n’est pas du tout un problème. Mais malheureusement il y a des gens qui sont sélectifs là-dessus, c’est leurs choix mais moi je trouve ça dramatique, ça me fait mal au cœur. Mais de jouer avec des gens qui ont les mêmes valeurs c’est hyper dur à trouver et en fait au bout d’un moment, j’ai collaboré avec un mec à la basse puis à la batterie mais ça ne marchait pas, tu changes d’équipe et tu te rends compte que ça créée un terrain qui n’est pas stable.
Et donc au bout d’un moment, j’me suis dit, allez j’me lance, j’vais essayer de chanter. Puisqu’au final j’avais toutes les mélodies en tête et j’écrivais 90% des paroles voire même 99, à un moment si tu n’es pas content quand c’est interprété par les autres faut le faire toi-même et tu peux t’en vouloir qu’à toi-même si ce n’est pas bien ou en tout cas à retravailler. J’ai essayé, c’est ce que j’ai fait et puis au même moment assez vite, je me suis dit, ça mne arche pas à la basse bah je vais reprendre la basse. Et c’est comme ça que je me suis retrouvé à être chanteur principal de ce projet. Mes parents, mes amis que je connais depuis super longtemps ils n’y croyaient pas « Toi tu chantes ? » pas moqueurs mais sceptiques. Mais voilà au final c’est très intéressant à faire.
La Face B : C’est marrant, c’est un peu le même cheminement de Joseph Mount chez Metronomy ou James Murphy chez LCD Soundsystem qui sont partis de musiques électroniques très radicales, pour finalement plus ils avançaient plus ils s’orientaient sur quelque chose et comme tu dis, ils se sont dits qu’ils vont chanter, ils ont envie de vivre ce qu’ils chantent.
Clément : Au final ça sera jamais mieux interprété que par la personne qui écrit les paroles en tout cas. C’est peut-être pareil pour la musique. Je n’ai pas la science infuse là-dessus. Ce que j’admire avec ces deux mecs c’est qu’ils ont fait ça, je pense que c’est une grosse théorie de comptoir sur ce coup-là, je pense que ça les a empêché un peu par défaut d’être des pop stars ou des rock stars, c’est-à-dire cette image de mecs un peu déifiés. Pas du tout, les mecs tu les vois sur scène, tu les vois dans les clips et ils ont une vie privée quoi. C’est chouette. Tournée mondiale, ta musique elle est connue sur tout le globe et tout, tu n ‘as pas la grosse tête, pour moi c’est gagné.
La Face B : Il y a un côté humilité quoi. Quand tu écoutes l’album, la voix c’est le truc où tu triches le moins. J’ai l’impression que t’aurais pu la modifier mais t’as envie de la laisser la plus pure possible, même si y a des défauts, t’as envie de les laisser parce que c’est comme ça qu’elle doit être et pas autrement.
Clément: C’est surtout comme ça qu’elle est en fait. En gros l’album, il a été fait à la maison, je l’ai fait dans mon 30 m² pour la majorité des choses et les trucs qui sont trop forts pour un appartement comme les batteries ou les guitares à haut volume je suis allé les faire dans un studio de répét. La frontière est très fine entre le parti pris technologique et l’unification, l’uniformisation de masse qu’on vit depuis les années 1980, je dirai.
On ne s’en rend pas compte comme ça mais en fait c’est cyclique la musique. Le dernier truc en date c’était l’autotune, mais le truc d’avant c’était le fuzz sur toutes les guitares, le truc d’encore avant c’était les batteries du trip-hop samplées et encore avant c’était le chorus etc etc. Pour moi, c’est la parfaite différence entre un parti pris technologique comme 808s and Heartbreak de Kanye West, de l’autotune dans tous les sens mais c’est utilisé comme j’ai choisi de mettre cette couleur-là et une uniformisation de masse, il y a des supers morceaux de gens sur la musique pop aujourd’hui, il y a un autotune partout parce que c’est devenu le standard industriel et je trouve ça dommage.
Parce qu’on passe un peu à côté du côté imparfait, chacun a un timbre, on n’a pas tous la même gorge, c’est génial ! Et je trouve ça un peu dommage. Tout ça pour dire voilà, l’album je l’ai fait avec les moyens du bord et je suis ingé son, ça c’est mon métier aussi. J’fais de la scène, je sonorise des concerts, des événements et voilà, je fais ça 6 mois de l’année et puis les autres 6 mois c’est que de la musique avec Nor Belgraad principalement.
Et en fait, ce que j’aime bien, c’est quand tu vois un concert en live, tu peux pas tricher. Tu ne peux pas tricher! Même si sur le disque y a des autotunes dans tous les sens, y a plein d’artistes qui se ramènent avec des racs, de corrections de trucs de machins… Au final, je trouve ça assez décevant parce que ça coupe l’humain dans le truc quoi. Y a des artistes qui m’ont bluffé alors que j’aime pas tant leur musique et j’ai trouvé ça vraiment super parce qu’ils avaient pas de correction et ça sonnait pas comme le disque. J’me suis promis que j’ai pas envie de tricher. J’sais pas chanter, j’vais faire de mon mieux et ça sera un marqueur de ce que je faisais à ce moment-là et on verra la suite.
La Face B : Justement tu parles du live, est-ce que le fait d’avoir beaucoup joué les morceaux en live avant de sortir l’album, est-ce qu’il y a eu une influence puisque j’ai l’impression que cet album-là il avait aussi comme ligne directrice de se faire avec le moins d’éléments possibles pour justement pouvoir jouer les morceaux correctement sans avoir à en rajouter des caisses ?
Clément : C’était un peu ça. Un peu moitié-moitié. Vu que j’ai commencé la composition et l’enregistrement de tous les morceaux seul, fatalement il y avait plein de trucs où sans tricher mais je rajoutais un clavier, puis un autre clavier, puis une guitare, puis un machin et je me suis retrouvé devant la super équipe de musiciens et de musiciennes que j’ai trouvée et je me suis dit « Ah mais ouais c’est vrai que sur la démo que j’ai faite il y a genre 1 basse, 2 guitares, 2 claviers, 1 batterie ça fait 6 personnes, on est que 4 » C’est un peu les vases communicants. J’ai retiré des trucs sur le disque, j’ai réussi à rehausser des trucs sur scène machin et tout, on va essayer que ça colle le plus. De mon point de vue, on peut faire encore plus simple et c’est ce qui va se passer sur le deuxième disque où il y aura qu’une seule guitare, une seule basse, une seule batterie. Le but du jeu c’est d’être minimaliste mais sans se mettre de barrières. Je ne veux pas faire un album juste en piano-voix, clairement pas. De faire en sorte que prochain disque, prochaine tournée, on soit capables de tout rejouer.
La Face B : C’est ça, c’est ce que je te dis. Quand tu écoutes l’album, ça peut être joué en live sans forcément qu’il y ait de bande.
Clément : Il y en a un tout petit peu parce qu’on a chacun que 2 bras et 2 jambes et qu’on fait déjà plein de trucs avec (rires). Mais elles sont en train de partir petit à petit. Il y a un ordi qui envoie 2/3 bandes mais c’est cool, on arrive à réduire de plus en plus. Ce qui est génial c’est que là on sort de filages généraux pour la tournée qui s’annonce et on avait demandé à des amis proches à nous qui sont soit musiciens soit ingés son de venir voir le nouveau format de concert et leur demander ce qu’ils en pensaient et on a eu plein d’échanges positifs, critiques constructives etc. Et surtout le truc qui était un peu différent, c’est genre « tu vois, vous avez retiré plein de boucles, plein de machines, plein de synthés, y a une guitare en moins et tout, bah c’est 15 fois plus lisible ». Et c’est ça qui est important je pense. Si tu veux t’exprimer au mieux c’est d’être lisible tout simplement.
La Face B : Donc tu as un peu évité le piège du musicien ingénieur du son (sourire), d’un peu architecte sonore…
Clément : C’est ça, parce qu’au final tu passes à côté de la musique quoi. Mais j’ai pas du tout évité le truc, au début c’était ça. On arrivait, on avait 2 machines avec je sais pas combien de sorties allez 10 ou 12, c’est énorme avec plein de bandes et nous on jouait vaguement des trucs au-dessus. C’était ça le tout début. Puis ça ne marchait jamais. Ça a donné lieu à tellement d’embrouilles, beaucoup de coups de stress, des moments ratés parce que le truc marche pas… J’en ai eu ras le bol, on n’a pas les moyens d’être 8 sur scène, voilà ce n’est pas possible. Pas pour l’instant en tout cas. J’aimerai beaucoup mais c’est comme ça. Ou alors t’en fais un statement. Il u a La colonie de vacances où ils sont 42 là. Je sais pas combien ils sont mais… Ca c’est impressionnant. Déjà pour faire jouer 2 personnes ensemble c’est une chose mais alors, pour 8, 9, 10 ? Ils sont vraiment beaucoup. C’est incroyable pour le coup, un côté un peu prouesse aussi. J’ai toujours peur de passer à côté de la musique. Parce que la technique, ça s’apprend, il y a des virtuoses du truc et tout. Est-ce que j’ai envie de faire ça ? Je ne pense pas. Musique, musique !
La Face B : On parle de tout ça mais ce qui me plaît sur l’album c’est que c’est des morceaux qui vivent. Il y a pas la considération du morceau de 3 minutes, hyper carré. C’est des morceaux qui vivent par nécessité, pas par esbroufe.
Clément : Pour être honnête avec toi, y a eu une paire de morceaux où j’ai essayé de les rendre format radio. Parce que j’avais envie d’essayer, je me disais pourquoi pas, on verra bien et je n’ai jamais réussi (rires). Je pense que des fois tu as une idée… Des fois ça marche, il y a des gens dont c’est le métier, ils le font magnifiquement bien, ce n’est pas le mien et ce n’est pas mon but. Mais c’était un exercice intéressant. A l’inverse, j’avais envie de faire durer des morceaux sur 6/7/8 minutes pourquoi pas. Mais il ne faut pas non plus que ça devienne un truc de masturbation intellectuelle comme ça peut vite l’être. C’est dur. Un exercice de style. Je pense que tout ça, ça nous apprend et je dis bien nous, parce qu’on est vraiment 5 à apprendre tous les jours avec ce truc. Ca nous apprend énormément de choses. A s’assumer, à rester ouverts le plus possible, à être conscients qu’on est imparfaits…
C’est déjà hyper dur d’écrire, de lire et de parler, comment tu fais pour t’exprimer avec d’autres médias quoi… La musique, la photo, la peinture… Tu apprends une deuxième langue en fait sauf que les premiers échanges que tu apprends tu as 0 ans, quoi ou 1 an. Et nous on s’y met à 28,29, 30, 31, 35 ans, tu repars quelque part de zéro. C’est un truc qui nous fait tous lever le matin. Et c’est long et c’est dur quoi. C’est pas marrant la musique, franchement. Je suis l’un des premiers à le fantasmer. On est le fruit de notre époque et quand même oublier que la musique c’est des heures et des heures de discipline pour 45 minutes… Des fois ça marche, des fois ça marche pas.
Comment être sincère et intègre dans ce que tu fais c’est encore un autre truc puis surtout, c’est un peu paradoxal, faut se rappeler que la musique c’est censé ouvrir des portes, ça te fait rêver, ça te procure des émotions donc faut lâcher prise…Et y a trop de gens qui se disent « ouais la musique, c’est la belle vie, t’es un personnage public », c’est tellement plus complexe !
C’est pas marrant du tout. Et je dis pas ça en m’en plaignant, mais au contraire, je trouve qu’y a déjà beaucoup de choses pas marrantes dans le monde dans lequel on vit alors si à la fin on peut s’accorder ça, c’est bien, c’est un truc où tu peux t’exprimer. Y a pas de barrières à avoir là-dedans. Après, on aime ou on aime pas. C’est normal. Quand t’entends des gens qui disent « Ce que lui ou elle fait c’est de la merde » bah nan y a du boulot derrière. T’aimes pas, t’as le droit mais tu peux pas dire que c’est naze. C’est dur. Faut le justifier, y a une place pour tout le monde, il me semble hein.
La Face B : Quand je dis « C’est de la merde », je précise bien que ça n’engage que moi. Je me suis pris la tête avec des gens qui me disaient que j’avais pas le droit de le dire mais à qui je disais c’est l’expression de ma pensée, j’sais très bien qu’y a des gens qui aiment ce genre de truc ou quoi et grand bien leur fasse…
Clément : C’est hyper bizarre parce que quand tu fais de la musique avec ta guitare, ça rentre plus vite, je le déplore un peu, en rivalité. Je trouve ça un peu rétrograde comme cliché mais c’est réel. Je ne me frite pas mais je suis en désaccord dans des discussions avec pas mal de gens du rock parce qu’y a plein de groupes un peu vénères que je n’aime pas du tout. A chaque fois je dis c’est mes goûts putain ! (sourire) J’en parlais pas plus tard qu’hier avec des potes au bar, il y a des gens qui sont très touchés par Alain Souchon, d’autres pas du tout. Heureusement ! Sinon on se ferait chier grave ! Et on serait là, à quoi bon en fait…
La Face B : Ca marque aussi un truc de l’époque où tu as l’impression que tu ne peux plus avoir d’opinion… Tu parlais tout à l’heure d’extrême… Tu ne peux plus avoir d’opinion personnelle sans que ça froisse quelqu’un…
Clément : C’est très paradoxal parce qu’on vit dans une époque où il n’a jamais été aussi simple et « libre » de s’exprimer. C’est à double tranchant du coup mais c’est fou. On a à peu près le même âge toi et moi et on a vécu l’arrivée d’internet haut débit. Ca a changé le monde et en profondeur, j’me rends compte que les dernières fois où j’ai pas eu internet j’étais petit ou jeune ado quoi. Et puis on se souvient plus très bien de comment on faisait. Tous les trucs qui étaient en vogue, t’en entendais parler que dans quelques quotidiens de la presse écrite, si c’était gros ça passait dans un encart ou deux du JT mais c’est tout quoi. Fallait chercher les trucs. Aujourd’hui, tu claques des doigts, on a tous des téléphones, c’est des ordinateurs hyper puissants dans nos poches, tu trouves un album d’une personne qui est suivie par 2 ou 2 millions de personnes. Je trouve que c’est magique et paradoxalement on rentre dans un truc de conflit… Les gens se sentent attaqués… Tout en allant te défoncer si…
La Face B : Par exemple, je suis un grand fan de Fast and furious et tu as plein de gens qui se foutent de ma gueule … Je ne torture pas des chats sérieux (rires)
Clément : Je vois le truc positif, on est tous des êtres humains, on est tous constitués de millions de trucs différents… J’ai l’impression que les gens l’oublient. Y a toujours des journaux ou des blogs qui disent que le rock est mort ou le rap est mort mais ça existe. Sinon ça veut dire dire au revoir à des myriades de musiques différentes.
La Face B : Pour finir cette digression, maintenant que ce premier chapitre de Nor Belgraad est terminé, comment tu envisages la suite, quelles sont tes envies ?
Clément : C’est une question de moyen et si c’était justifié, j’aimerai bien voir quelqu’un en plus dans le groupe sur scène. Je ne sais pas à quel instrument. La suite, là on va tourner pendant 3 mois. On va refaire une espèce de copie de l’année dernière. 3 mois de recomposition… Je suis sur l’écriture d’un deuxième disque, j’ai appelé le label, je leur ai demandé quand est-ce qu’on pourrait sortir ça et à mon avis ça sera dans un an et des brouettes… avec les singles tout ça, tout ça. Nous ce qu’on veut et ça n’a jamais changé, c’est pas demain que ça va changer et encore je n’en sais rien : on veut jouer en live. On ne veut pas jouer qu’à Paris ou à Rennes. Si on me propose la Pologne, je le fais. C’est mon rêve depuis que je suis tout petit, tu vois le monde en faisant de la musique. C’est notre ligne de course, ça ne va pas changer.
On sortira de la musique, quand elle sera là. Le plus vite, le mieux. Je tiens à dire un truc hyper important : le but du jeu ce n’est pas faire capitaliser le projet, j’insiste sur ce mot. Injecter de l’argent etc, c’est pas le but. Au final tu finis par être pris dans le système. Il y a combien d’artistes qui se disent au troisième album « J’avais besoin de me retrouver », y en a pas mal qui sont rattrapés par ce truc-là. J’ai pas trop envie d’aller là-dedans. J’ai trouvé cette équipe-là, si ça se trouve elle va changer, j’ai pas envie mais je sais pas… On est tous ensemble, c’est la seule réponse.
La Face B : Des choses récentes qui t’ont plu récemment ?
Clément : En bouquin, je peux pas dire grand-chose parce que je suis en train de réapprendre à lire. A un moment t’arrêtes de lire des bouquins et en fait si tu ne t’y remets pas vite, tu perds le réflexe donc je réapprends à ouvrir un bouquin en ce moment.
En films, je n’ai pas le réflexe du cinéma. Je suis une bille à cause de ça alors que j’adore aller au cinéma.
En musique, le dernier truc que j’ai trouvé incroyable… Je les ai vus 3 fois en live, je suis à genoux devant cette équipe : Heu. C’est, si je dois décrire leur musique, c’est de la folk avec un côté grande pop, il y a une grosse écriture, c’est des morceaux assez accessibles, il y a des guitares acoustiques et des guitares électriques. Et c’est des putain de musiciennes, elles viennent de me mettre la pâté. Y a clairement une grosse technique mais y a un art… C’est magique, elles te prennent, il y a une présence sur scène, c’est monumental ! J’attends avec impatience que leur disque sorte. C’est le dernier truc en date qui m’a foutu la claque de ma vie en musique sur la dernière année.
Après je pourrai citer plein d’autres gens mais qui sont assez attendus, comme la femme qui partage ma vie, Léa, Bleu Reine qui est sur son premier album qui va sortir cette année, je crois. Je l’aide sur les enregistrements, elle a mis un cran au-dessus sur la composition, je ne suis pas objectif parce que j’assiste à ce qui se passe. La musique, je ne m’attendais pas à ce qu’elle prenne cette direction et ça a été une surprise assez rafraîchissante. Voilà ce qui m’a fait vibrer.