On pourrait voir quelque chose de paradoxale dans l’association des corbeaux à l’été. Un été des corbeaux comme un oxymore. Pourtant, à l’écoute du dernier album d’Order 89, ce choix fait sens.
On associe ces oiseaux comme de mauvaise augure, apportant le deuil et la mort. Pourtant, ne faut-il pas mourir pour ressusciter ?
Avec cet animal comme totem, le quatuor se fait alors porte parole – ou passeur – d’âmes perdues. Aussi, on ajoutera que le corbeau est un symbole de magie, d’alchimie, soit de transformation profonde. Les musiciens se font alors sorciers gothiques nous jetant de beaux mauvais sorts avec leur punk transcendantale et ensorcelant.
Quête d’identité individuelle, plurielle
Dès les premières vibrations du disque, la musique nous prend aux tripes. En s’ouvrant sur le titre 1000 visages, L’été des corbeaux affirme une identité bien marquée : des cordes tendues créant une atmosphère de tension sur lesquelles se posent des mélodies aux sons qui ondulent ou encore des percussions qui nous percutent. Dès le premier titre, Order 89 nous prend par le col pour nous emmener dans des territoires lointains. C’est un morceau kaléidoscopique, aux multiples lectures tout aussi sensuelles que glaciales, funeste. Comme si l’on dansait sur les tombes dans le doux brouillard des cimetières. Le tout en jouant sur des mots portés par une musique new wave ou punk, qui ne seraient sans rappeler des groupes tels que Noir Désir ou Grand Blanc.
Toujours dans cette ambiance gothique digne de chamans modernes, le groupe nous fait tourner la tête au travers de Rondes. Un morceau énigmatique tant par les questions qu’il pose que par ses sons électroniques qui nous interpelle. Tout comme la nuit que décrit Jordi Sorder, le chanteur : « Sortir le soir pour croire à l’horizon (…) les aboiements sont sourds, dehors la nuit m’appelle. » Il y a la présence de chœurs, comme une invitation à chanter en communion avec le groupe.
Ensuite et un peu éloigné d’une idée de communité, c’est une figure personnelle qui nous est présenté. Un personnage symbolique, un Gangster aux yeux clairs. Un gangster moderne ancré dans son temps, comme dans un moment passé trop vite, avec passion. L’amour qui se brûle jusqu’à devenir poussière : “Ça s’est passé hier, Ou bien dans 2000 ans” Il s’agit d’un titre fort, puissant, porté par une musique incisive car instinctive. Coup de canif.
Ce qui frappe, ce qui cogne, le plus chez O89 en dehors de la violence des sons, c’est celle des mots. Les paroles sont sensuelles, il y a des images qui défilent sous nos yeux lorsqu’on se penche sur les paroles. Souvent des couleurs claires, pâles et livides. Histoires Parallèles en exemple. On pourrait presque y sentir une odeur de morgue. Sur des réverbes et des sons métalliques se glissent des idées de bâches en plastique, de sable, de fantômes et de temps qui passe.
Order89 clame : « Te sens-tu libre et absent dans un monde bien trop vide ? A courir contre la montre, dans l’attente de tes rides. » Puis, c’est le grand Vertige. Le groupe nous embarque dans un tourbillon punk déchaîné, les sonorités partent dans tous les sens, rebondissent de toutes parts. Il y a aussi des cris puissants et fédérateurs. Un titre comme une course contre le temps, contre la mort. On pourrait comparer ce titre à un cheval solitaire et fort, galopant avec autant de hargne, de folie que de liberté.
Ce tourbillon nous emporte jusque dans le noir, le soir avec Ici la nuit. Le morceau est rythmé, semble pris dans un mouvement qui roulerait sans s’arrêter. Que ce soit par un motif musical jouant en boucle ou dans un phrasé percutant, qui rappelle parfois le chant du duo Otchim, duquel on retrouve Jordi Sorder. Le travail de ce titre est remarquable puisque le quatuor créé une atmosphère nocturne et ténébreuse par des bruits sourds, un orage et des crépitements.
Lorsque la tension redescend, c’est un souvenir qui s’offre un nous, celui d’un Vieux Frère dont on aurait perdu la trace, l’empreinte. Auquel on rendrait un dernier hommage, avec cette phrase répété à l’usure comme un mantra : « Parfois je bois un verre à ta mémoire de vieux frère. » Comme pour rappeler le passé, les défunts.
Mystique sauvage
Comme résumé en amont, Order 89 se fait passeur de souvenir, d’identité perdue. Le groupe pourrait alors s’incarner en chaman moderne et cela tombe bien puisqu’il se déclame : « La chasse aux sorcières, ne pas se laisser faire, la chasse aux sorcières, aujourd’hui comme hier. » Le titre La Chasse aux sorcières comme un appel à la résistance, à garder son essence, sa marginalité et presque sa foi : « Tu cours, tu danses, tu manigances, dans l’espoir et les croyances. (…) Dans les promesses et la noirceur. »
Cet aspect sauvage, indomptable, s’ancre aussi dans Les nuits sauvages. Un titre avec des sonorités aux confins du métal, avec des sons aussi durs, froids et métalliques que de l’acier. Dont l’on crève d’envie de voir jouer sur scène. En imaginant les corps onduler comme des « serpents près de l’arbre » face à la sensualité des guitares et de la voix rauque. Puis, en sueur, crier avec le groupe, pris au piège dans un pogo libéré.
En attendant ce moment, c’est sur l’idée d’un Pays sacrifié que nous laisse le groupe. Des terres métaphoriques qu’il faudrait quitter : « On ira plus jamais au pays sacrifié (..) alors je pense à toi, au pays d’autrefois, on ira plus jamais mais au moins on y été. » Avec des sons de clavier lumineux, on devine qu’il s’agit de quitter la peine, les ténèbres, pour la paix et la clarté… bien que peut-être illusoire ?
Comme nous ne voulions pas seulement vous quitter avec ce merveilleux album. Bien qu’au vue de l’excellent dernier EP Bleu Acier, il n’y a rien d’étonnant à trouver cet album poignant. On vous partage un lettre écrite des mains du groupe. Alors, rejoignez-vous l’ordre ?
Ecouter L’Été des corbeaux, le dernier album d’Order 89 :