Ces dernières années ont été un pur vivier de créations. De plus en plus de structures portent leur identité au sein de projets musicaux. Si on vous a déjà parlé de Tambora de 1863, aujourd’hui on a discuté avec les trois membres du collectif de vidéos OdBussy. Sorti il y a peu, leur second projet combine leur identité visuelle aux artistes qui les animent. Un projet réfléchi de bout en bout, qui a fait le sujet d’une discussion riche avec Auguste, Evan et Gaston, les membres d’OdBussy.
LFB : Comment vous allez en ce moment ? La compilation vient de sortir, les visuels arrivent petit à petit, qu’est ce que ça vous fait de lâcher tout ce travail ?
Auguste : C’est le résultat d’un an et demi de boulot. C’est un projet qui a quand même pas mal évolué, parce qu’il y a des morceaux qui sont rentrés, d’autres qui sont sortis au fur et à mesure du temps. On voulait le sortir un an après le premier, ça a été beaucoup de boulot dans l’ombre, au moment où certains morceaux ont du sauter pour certaines raisons.
Il y a aussi eu beaucoup de travail sur la DA des clips, de la cover, la communication sur les réseaux sociaux.
On avait hâte que ça sorte, parce qu’on est super fiers du projet, de la tracklist. Il y avait un peu de stress à l’idée que ça sorte mais on avait hâte !
Maintenant que c’est sorti, c’est un peu plus cool. Tout le travail a été fait en amont, et du coup là on est très contents, on a un peu les retours des gens sur les réseaux. C’est cool, parce que nous le projet, on l’a depuis un certain temps, donc on l’a déjà beaucoup écouté, on avait hâte d’avoir des retours extérieurs dessus. On est vraiment dans la meilleure période.
LFB : Sauriez-vous un peu vous présenter, ainsi que votre travail, pour les gens qui ne vous connaissent pas ? Parce que faire des projets, ce n’est pas vraiment votre activité principale…
Evan : Je suis le réalisateur de la boîte. A la base, je faisais du court-métrage, de la série,… J’étais plus dans l’audiovisuel professionnel. En fait, à un moment donné j’ai eu un court-métrage à faire qui m’a pris un an à réaliser. Après cette année, j’ai eu une petite discussion avec Auguste, qui m’a conseillé de faire des clips de rap. Ca s’est enchaîné assez vite, il m’a présenté un projet, on était partants de le faire ensemble, du coup, on a monté une structure.
Gaston, il gère toute la partie graphisme de la boîte, il fait aussi de la DA sur des clips avec moi.
Gaston : Je fais des storyboards, des moodboards. En gros, je fais un peu les dessins que l’on présente aux artistes/managers pour essayer de les convaincre de la vision que l’on veut faire passer.
Evan : En général, on s’entend tous sur une DA commune. Ce n’est pas juste moi qui établit une DA , il y a vraiment une sorte de cercle créatif quand on pense à un clip.
Auguste : Pour expliquer un peu la genèse de tout ça, Evan a fait une école de cinéma, Gaston a fait une école d’art et tous les trois on a toujours été passionnés de rap et cette envie de vivre de notre passion. C’est en voyant une vidéo sur Lyrical Lemonade (une boîte de clip américaine réputée dans le monde du rap, ndlr) à l’époque où l’on suivait déjà toute la nouvelle vague underground grâce à Benibla (marque de vêtements, ndlr) qui les mettait en avant. On s’est dit que personne n’avait créé une plateforme commune à tous ces artistes. On connaissait un peu tous ces artistes, mais ils faisaient tous des choses dans leur coin.
J’ai eu l’idée de les regrouper et j’en ai parlé aux garçons. J’avais l’habitude de dénicher de nouveaux talents et je savais où je voulais aller et comme eux deux c’est des créatifs, j’ai eu cette idée de réaliser des clips, d’accompagner les artistes petit à petit, se faire un réseau et créer une plateforme commune pour tous.
Du coup, je me suis occupé de toute la partie DA avec les logos, les designs de merch, les covers qui accompagnent les clips que l’on fait.
En gros, on accompagne les artistes de A à Z, du clip à la cover.
LFB : Vous avez dit avoir cette volonté de parler d’artistes moins mis en avant, et que parfois c’était difficile de suivre avec tout ce qui se passe. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de médias dont la ligne éditoriale s’en rapproche, comment vous voyez tout ça ?
Auguste : On est super contents ! Avant qu’on bosse avec ces artistes, on écoutait beaucoup de rap mainstream et maintenant que ça a changé, on a du mal à sortir du rap underground parce que c’est là où il y a le plus de créativité.
On a toujours voulu encourager les médias qui mettaient leur travail en avant. Je trouve ça cool tout ce que font ces médias, mais parfois, on ne voit que la partie visible de l’iceberg et on aimerait voir le reste, c’est pour ça qu’on suit un média comme 2045 kimi.
Gaston : Les médias parlent souvent des artistes parce qu’ils ont le vent en poupe, mais c’est vrai que c’est rare ceux qui dénichent des pépites.
LFB : Vous en êtes à votre second projet musical, d’où vous est venue cette idée de faire des compilations ?
Auguste : Depuis le début, le but c’est d’être une plateforme de promotion, que ça soit par YouTube, Instagram et Twitter, qui est géré par un ami qui n’est pas là mais qui s’occupe de dénicher les artistes moins connus. L’idée de projet, c’est la suite logique de tout ça.
Le premier projet a servi à mettre en avant ce qui pour nous était la nouvelle génération du rap. Aujourd’hui, que ça soit des marques de vêtements, des médias,… tout le monde fait sa compilation, mais à l’époque ça se faisait moins, sauf aux Etats-Unis. On a voulu rassembler des artistes qui collaient à notre DA, faire partager leurs univers, les faire se rencontrer… Le projet qui vient de sortir montre bien cette évolution.
On aime bien aussi se dire que des artistes se sont rencontrés via nos projets, que ça soit grâce à la chaine ou parce qu’on les a présentés.
Evan : Le but, c’est vraiment de faire un cercle entre tous les artistes et nous. Ce n’est pas seulement l’idée de plateforme d’informations, mais plus d’offrir un package qui donne accès à plusieurs choses, et c’est ça qui est intéressant. C’est vraiment cela qu’on voudrait faire !
LFB : On sent que les invités ont une certaine liberté et une envie de proposer des choses différentes de ce que l’on peut voir tous les jours, ce qui est lié à leur statut et au besoin de marquer les esprits avec une formule sortant de la masse. Sentez-vous une plus grande liberté dans votre travail avec ces jeunes artistes ?
Evan : L’ensemble des clips fait par ces gars montre qu’on est à mon sens en train de voir arriver beaucoup de grands réalisateurs, je pense à Stanko, Walone et pleins d’autres.
Gaston : Ils sont plus forts de propositions, et plus de gens sont prêts à accepter des idées que l’on propose, il y a une vraie discussion.
Le fait de ne pas passer par une maison de disques, ça permet d’être un peu plus libre sur ce qu’on peut leur proposer en montage. Il y en a qui nous font confiance et d’autres qui vont contredire nos choix. Mais ils acceptent plus facilement qu’on leur propose des choses qui ne vont peut-être pas dans leur sens au début et qu’ils vont aimer par la suite.
Evan : Au-delà de ça, c’est des clips où il n’y a pas ou très peu de budget, c’est souvent juste pour payer le réalisateur, louer un peu de matos quand c’est un morceau en lequel l’équipe croit et qui risque d’amener un public. C’est un sujet que l’on aborde souvent avec les gars parce que quand on réalise un clip, j’ai souvent tendance à partir dans tous les sens, mais on a pas toujours le budget pour le faire. Mais ça nous pousse à nous débrouiller, à trouver l’efficacité dans la simplicité. A chaque fois qu’on a simplifié nos plans, ça a toujours marché. C’est un peu comme ça qu’on se confronte à la réalité de ces budgets et en même temps, comme disait Gaston, c’est des mecs qui artistiquement sont archi ouverts, écoutent et proposent des choses.
Auguste : J’ai l’impression que certains artistes qui sont des têtes d’affiches, je ressens moins une identité visuelle. Alors que là, malgré leur jeune âge et leur peu de moyens, ils ont déjà une volonté de ce qu’ils veulent renvoyer à l’image. Ils viennent vers nous en sachant ce qu’on fait et ce qu’ils viennent chercher.
LFB : Vous pensez que ça vient d’où, cette hausse de créativité chez les plus jeunes artistes ?
Evan : Je pense que tu n’as pas la même manière de travailler, la même remise en question et la même hargne quand ça fait dix ans que t’es dans le game.
En plus, c’est des mecs jeunes, qui ont accès à Internet depuis toujours, ce qui les relie à l’entièreté du monde, ce qui garnit leur culture.
Auguste : C’est une suite logique aussi, je pense que tout ce qui devait être fait visuellement dans le rap mainstream a été fait.
Ça suit aussi ce dont ils parlent dans leur musique, il y a une réelle identité par les thèmes choisis et ça doit se retrouver à l’image.
Il y a aussi une envie de ne pas reproduire ce qui a été fait par le passé et de constamment évoluer.
Gaston : Même YouTube, je pense que ça a permis de proposer plein de visions différentes, ce qui a pu les influencer aussi. Pareil pour les séries, les films… Alors qu’avant, l’influence venait surtout de ce qui se faisait en Amérique.
LFB : Comme on vient de le faire, on parle souvent de l’importance qu’a eu Internet dans le développement de ces artistes. Est-ce que c’est pareil pour vous ?
Gaston : Personnellement, quand je bosse sur des covers, je suis beaucoup sur Instagram, je m’inspire de beaucoup d’artistes que j’aime. En dehors de ça, grâce à Internet j’ai beaucoup découvert l’univers japonais, qui est devenu une inspiration.
En général, je pense que c’est ultra-important !
Evan : Je passe des heures sur Instagram et plein de fois, je trouve des profils de photographes ou juste de pages présentant des profils artistiques qui peuvent nous inspirer. On a un groupe sur Instagram où l’on échange quand on voit quelque chose de pertinent.
Toutes les plateformes nous aident à avoir de l’inspiration et à se renouveler. Par exemple, une fois, Auguste voulait essayer un plan qu’il avait vu dans une série et ça rendait grave bien !
Il y a aussi de plus en plus de clips avec des gens qui innovent, je pense qu’une bulle de créativité est en train de se créer.
LFB : Maintenant, on va parler un peu plus du projet New Season. La première chose qui m’a frappé, c’est le nombre de collaborations. D’où vous vient cette envie de connecter des gens entre eux ?
Auguste : Il y a des connexions qu’on a fait parce que c’est deux artistes avec qui on bossait, comme Seka et 63OG. Le Big B Ft Slimesito s’est un peu fait comme ça aussi. On ne travaille pas avec Slimesito, mais c’est deux artistes que j’aime beaucoup et je savais que Big B avait un univers très américain et que ça pouvait marcher. On avait envie de voir ça, du coup on l’a mis en place.
Il y a aussi d’autres artistes qu’on suivait séparément et on a pu voir qu’ils interagissaient entre eux, comme Yung Poor Alo et Sto.
Le but du projet, comme d’habitude, c’est de proposer le plus d’artistes possibles et les collaborations se prêtent à ça. Je trouve qu’un artiste a son univers et si on amène un artiste en plus, c’est encore plus complet : deux univers qui se confrontent c’est encore plus intéressant, ça multiplie le champ des possibles.
Dès qu’on a commencé à sortir les trois premiers tracks de la mixtape, on s’est rendu compte qu’il y avait beaucoup de collaborations, que c’était une bonne idée pour mettre le plus de gens en avant et d’avoir quelque chose de plus créatif en mélangeant les univers.
LFB : A propos de la connexion entre Big B et Slimesito, y a-t-il eu une envie d’exploser les frontières ? Surtout qu’on retrouve aussi Seka qui est belge sur le projet.
Auguste : Je pense que c’est notre objectif mais ça l’est aussi pour toute cette équipe là (ThaHomey, Big B, 63OG, Serane,…) de se mélanger avec beaucoup de termes anglais et d’être à jour sur les sonorités et flows du moment. Donc pour eux, c’est venu assez naturellement.
Pour ce qui est de la Belgique, on a commencé à travailler en Belgique avec Seka, on travaille aussi avec d’autres artistes belges. Il aurait pu y avoir aussi des artistes suisses sur la mixtape, mais ça ne s’est pas fait. A terme, le but c’est clairement d’aller chercher partout où il y a des propositions d’univers. On parle aussi avec des italiens, le but c’est de mélanger le plus possible.
Même en France, le but c’était de ne pas avoir que des artistes de Paris. Il y a des écoles différentes en fonction du pays mais aussi des villes, et le but c’est de mélanger toutes ces écoles.
LFB : Fatalement, vous avez minutieusement travaillé l’esthétique autour du projet, comment vous en êtes arrivés à ce produit final ?
Gaston : Pour la cover, ça a démarré d’une idée globale que l’on avait entre nous. Auguste nous avait parlé de vouloir faire une cover avec les artistes visibles. Il avait proposé l’idée de jouets dans une vitrine. Après, avec cette idée, j’ai pensé à la pochette de la compilation NFL Madden (jeu vidéo de football américain, ndlr) avec les artistes en mode caricature. Puis après, j’ai repensé à un moment dans Toy Story où il y a plein de Buzz L’Eclair emballés dans un rayon de magasin. Comme on a huit sons, je me suis dit qu’on pouvait faire ça sur la cover, mais aussi d’avoir du contenu pour les réseaux sociaux, de faire une tracklist qui ressemble à un ticket de caisse.
C’est venu assez logiquement avec les idées qu’on avait et on est content du résultat.
Evan : Pour les clips, le premier qu’on a fait c’est Seka Ft 63OG, on a eu l’idée de reprendre un peu Praise The Lord d’A$AP Rocky et Skepta et de partir à Bruxelles avec 630G et de faire venir Seka à Paris pour opposer les plans.
Pour Braqueurs, Auguste a suggéré une autre idée avec une partie en noir et blanc, dans l’univers des films comme 36, Quai des Orfèvres et une plus colorée pour le couplet de M Le Maudit.
Sur les projets clips, c’est possible que l’on retrouve les mêmes ambiances.
Gaston : J’ai oublié de dire que chaque packaging que j’ai fait pour la cover correspondait à l’univers du morceau proposé.
Auguste : Le but dans l’ensemble c’était de retranscrire au mieux la DA des artistes et l’univers de chaque morceau.
LFB : J’ai l’impression qu’il y avait aussi une envie de coller aux codes visuels liés à ces couleurs musicales-là. Par exemple, pour le clip de Pharell, on voit directement les références à Praise The Lord, mais avec une esthétique qu’on retrouve dans la plug, ce qui fait un peu contre-pied.
Evan : C’est cool que tu l’aies compris parce que c’est vraiment l’objectif.
LFB : Ça n’a pas été trop dur de combiner ce projet avec les autres commandes, ou vous avez mis tout en off pour le projet ?
Evan : On a pas tout mis en off, on a continué à travailler. En fait, la tape on a mis du temps à la façonner, il y a eu des petites choses qui nous ont ralenti. On pouvait pas s’arrêter de bosser donc il y a eu des moments plus chauds que d’autres, il a fallu s’organiser.
Auguste : Comme l’a dit Evan, ça s’est fait au fur et à mesure. Une fois qu’on avait le projet, on s’est plus concentrés là-dessus pour le promouvoir. On a bossé uniquement sur le projet deux mois avant sa sortie, sinon on combinait avec d’autres commandes. Au total, on a travaillé un an et demi en continu sur le projet.
LFB : Qu’est ce que je peux vous souhaiter pour la suite ?
Auguste : De diversifier plus nos projets. Là on essaye aussi d’accompagner de plus en plus les artistes. Il est possible que ça se concrétise bientôt.
Peut-être pour la rentrée un petit évènement, on aimerait rencontrer notre public et essayer de mélanger en physique tous les artistes de nos projets.
Gaston : C’est aussi pour confronter les fan bases et faire découvrir des artistes aux gens.