C’est un événement toujours aussi rare que de voir une star internationale de passage à Paris. Olivia Rodrigo était à l’Accor Arena de Paris les 14 et 15 juin 2024. Bien entendu, les dates furent complètes en un rien de temps. La Face B a pu profiter du show d’une artiste qui figurait déjà dans nos coups de cœur 2023. Retour en récit et en images.
D’abord avec SOUR puis avec GUTS, Olivia Rodrigo continue son ascension tant méritée. Cette année, elle nous offre une extension de son deuxième album contenant encore plein de pépites. On n’oublie pas non plus que la jeune artiste de 21 ans est pleinement engagée dans le féminisme notamment pour le droit à l’avortement et en étant l’égérie en 2018 de She Can STEM qui aide les filles à s’engager dans les domaines dominés traditionnellement par les hommes. De plus, la page Disney semble terminée même si quelques traces subsistent. L’âme rebelle refait surface et détonne. Olivia mixe à la perfection les ballades et les instants plus pop punk. Parmi ses influences, on peut citer Taylor Swift, Billie Eilish, Avril Lavigne ou encore Cocteau Twins.
Mais avant toute chose, on regrette toujours et encore la présence d’une caste de privilégiés qui se voit attribuer tout l’espace aux abords de la scène, méritant ainsi le statut social des fans. Entre ces derniers et le reste de la fosse, il y a un no man’s land de deux mètres de large. On y trouve des vigiles qui surveillent que personne n’y passe. C’est absurde. Depuis quand la séparation entre deux peuples est un modèle à transposer dans une fosse de concert ? Il est toujours bon de pousser ce coup de gueule et de ne pas l’accepter. Tant que nous apercevrons cela, nous le dénoncerons dans nos articles.
Revenons sur le concert. Live Nation a décidé de placer Rémi Wolf en première partie. Excellente idée ! Son groove jovial orienté RnB et rock’n’roll a enchanté la masse de gens impatients d’attendre leur star. Tout le public connaissait bien son tube Photo ID mettant déjà à rude épreuve la batterie des téléphones portables. On peut regretter le manque de communication sur sa présence. L’enchainement des deux concerts est très court, seulement trente minutes ! Durant cette attente, on aperçoit sur l’écran de la scène les bougies de GUTS se consommer à vitesse grand V. Ce compte à rebours original est d’une certaine poésie charmante. Quand tout s’éteint, il est seulement 20h25 : le show commence déjà. C’est très tôt ! Tant pis pour les retardataires.
Une vidéo d’introduction s’élance. On y voit Olivia Rodrigo courir de panique dans les couloirs de la salle. Apeurée ? Stressée ? Point du tout, juste impatiente d’en découdre puisqu’elle nous balance une terrible grimace à la fin de la vidéo. La basse lourde et la batterie accrocheuse de bad idea right? entonne les festivités sonores. C’est amusant de commencer le concert en se demandant si c’est une bonne idée de nous voir ce soir ! Olivia, toute pimpante et dynamique débarque sourire dans une foule qui ne cesse de hurler. Très vite, on comprend que les bouchons d’oreilles étaient destinés à se protéger plus des cris que des distorsions instrumentales. Ballad of a homeschooled girl poursuit cette entame pour garder un dynamisme rock et efficace. Le public est impeccablement chauffé. On ressent déjà que le set est millimétré aux petits oignons et que chaque titre aura sa petite signature.
Le très attendu vampires débarque rapidement. Olivia fait face au public seule, comme une cantatrice avec en toile de fond la pleine Lune. L’instant se veut intimiste avant l’explosion de rage à la fin du morceau. Evidemment, les fans chantent tant avec passion et force qu’ils masquent la voix de Olivia. On vibre ainsi d’une manière, disons, plus collégiale. C’est le jeu ma pauvre Lucette. On ne boude pas pourtant notre plaisir de vivre ce moment. Pire, on finit par accompagner ce monde enjoué.
Après ce moment magique, on retourne sur les ballades pop de SOUR pour retrouver le même enchaînement traitor & drivers license. Il s’agit des plus gros tubes de l’album. Irrémédiablement, le cœur des gens est conquis. Olivia prend un malin plaisir de demander à ses fans de prendre le relais sur les chants. C’est fascinant de les observer. Ils chantent comme s’ils étaient seuls face à leur miroir de salle de bain. Il n’y a rien de ridicule à cela. Bien au contraire, c’est juste fantastique de constater la force transcendante de la musique de l’artiste. Cette communion est si puissante qu’elle permet de masquer un petit raté sur drivers license où Olivia se trompe de touche de piano et lance un petit « Oupsi » perceptible. Bien heureusement, elle reprend rapidement le rythme sauvegardé par le public.
Place désormais à la séquence nostalgie avec teenage dream, final de GUTS. Le morceau retrace les rêves d’Olivia Rodrigo quand elle était enfant : devenir tout simplement une artiste musicale. L’écran de la scène nous présente la star quand elle avait encore entre trois et dix ans. Innocente et toute mignonne, rien ne laissait présager un avenir radieux. Si ce moment est si particulier pour elle, il l’est davantage pour de nombreuses personnes avec pretty isn’t pretty qui débarque après qu’une fumée épaisse fasse disparaître le piano de la scène.
Olivia réapparait habillée en brassière et mini-short. Oh ! Elle va danser ! Elle est effectivement accompagnée d’une troupe de danseuses qui l’accompagne dans ses pas. Mais revenons sur pretty isn’t pretty. Ce titre est la suite logique de teenage dream puisqu’il évoque les normes sociales auxquelles on n’arrive pas à s’accommoder quand on devient adulte. Le thème est intéressant tout comme les mélodies atmosphériques du refrain qui rappellent Bat for Lashes et Cocteau Twins. Tout simplement sublime.
love is embarassing remet un coup de punch et permet de voir Olivia accompagner ses danseuses dans un style délirant, dynamique et désarticulé. Les bras s’agitent dans tous les sens, les fesses s’exposent, les danseuses affichent grimaces et bad bitch faces. Bref, c’est amusant et on a envie d’apprendre cette chorégraphie. Autres artistes présents sur scène ; les musiciennes ! Oui, Olivia s’est emparée d’une troupe 100% féminine et on aime ça. Et pourquoi pas en tête d’affiche de More Women On Stage ? En attendant de rêver, on les retrouve alignées au fond de la scène. Il y a une claviériste, deux vocalistes, deux guitaristes, une bassiste et une batteuse. Pas mal, non ? Si au début de concert, elles sont un peu en retrait, elles prendront plus d’importance par la suite.
Avant cela, un parallélépipède rectangle s’élève sur la scène en guise de lit pour Olivia. Il est temps de making the bed. Cela amorce parfaitement le moment bedroom du concert où nos têtes sont dans les étoiles avec logical et enough for you, son titre préféré de SOUR. Une lune emporte notre star très haut de l’Accord Arena sur un trajet légèrement ovoïde pour l’emmener au plus proche de son public. On se demande comment elle fait pour ne pas avoir de vertige !
En tout cas, c’est une idée originale et sympathique pour se rapprocher de ses fans. A chaque coucou de l’artiste, c’est-à-dire toutes les quinze secondes, on a le droit aux cris endiablés des fans. On se croirait vraiment à bord du Space Moutain de Disneyland. En plein milieu du parcours, sur la transition des deux morceaux, la chanteuse propose un duel d’hurlement entre la fosse et les tribunes. Peu importe le vainqueur, le principal perdant est notre audition.
Puis le public scande Seven Nation Army des Whites Stripes après qu’elle nous ait complimentés « You’re fucking incredible« . Ce n’était peut-être pas la meilleure réponse à apporter. Une fois descendue de son croissant lunaire, Olivia Rodrigo réapparait sur lacy avec un haut scintillant rappelant le style de Taylor Swift. Cette fois-ci, c’est un cylindre de révolution qui s’élève avec les danseuses qui remuent allongées tout autour. Les envolées vocales sont magnifiques et nous mettent les larmes aux yeux. Elle lancent encore des fleurs : « You’re a beautiful crowd« . Cela veut dire qu’elle a déjà vu un public disgracieux ?
On le vérifie immédiatement en image dans un show purement à l’américaine où la caméra montre certains spectateurs sur grand écran. Entre les amoureux, les meilleurs amis qui se câlinent et les enfants, tout le monde a été ciblé. Dans une pure autodérision, so american, morceau de l’extension GUTS, est lancé. Un classique morceau pop rock qui, sans être novateur, remplit parfaitement sa mission en étant assez entrainant. Cela nous permet de voir également Olivia Rodrigo équipée d’une guitare acoustique.
La basse est vibrante. On apprécie ce rapprochement sensuel entre elle et l’une de ses guitaristes. On est à la limite jaloux. De ce fait, elle nous nargue en balançant jealousy, jealousy. Entre temps, Olivia nous aura gratifié de quelques mots en français : « Bonjour. Merci d’être venus !« . C’est mignon mais cela ne suffira pas à valider le niveau B2 de la langue de Molière. En plus d’être talentueuse, elle est gâtée. Sur les deux soirs, elle a reçu des cadeaux de ses fans. Le vendredi, elle et ses deux guitaristes ont obtenu une écharpe de rockstar. Le lendemain, ce fut le fameux béret rouge de la série Emily in Paris. Cliché.
Olivia embarque sa guitariste Daisy au bord d’une des antennes qui longent la scène et s’assoient en tailleur. La voix délicate douce s’accompagne des notes fragiles de la guitare acoustique sur le mélancolique happier. L’émotion est puissante. Elle le sera moins sur la suivante favorite crime qui fait office de répétition avec la précédente. Tout le monde revient au centre de la scène pour déjà-vu et the grudge. On appréciera davantage sur ces instants les danseuses qui naviguent comme dans le ballet classique Le Lac des Cygnes. Les lumières s’éteignent ensuite, laissant un filet bleu transparaître sur scène et la chanteuse disparaître.
Et voilà le kiff ! Les guitaristes s’emparent des deux côtés de la scène pour lancer le final heavy du show. Brutal a été remodelé en live pour être encore plus féroce et punk qu’en studio. La foule rentre en fusion avec cette force. Nombreux se retiennent à canaliser leur énergie pour ne pas lancer les pogos afin de ne pas blesser les enfants et adolescents encore nombreux.
Olivia Rodrigo se mue en diable avec sa robe rouge et déballe tout son talent dans ce registre. La tension ne baisse pas d’un ton avec obsessed. Déchainée, on la voit prendre des positions suggestives au-dessus d’une caméra se trouvant sous la scène puis prend la guitare électrique pour exprimer sa folie. Elle sait tout faire ! Plus rien ne les arrête. Les coups de batterie effrénés durant une dizaine de secondes balancent énergiquement all-american bitch. En l’espace de trois morceaux, l’ambiance a basculé pour devenir une arène rock et punk.
Whoah ! Quel souffle ! On est plongé une petite minute dans le noir en attendant le rappel. Le très attendu good 4 u relance la machine sans aucune difficulté. Ce son pop rock angoissant porte lui aussi une ardeur communicative dans l’enceinte parisienne. C’est un hommage parfait à Avril Lavigne ou encore Paramore dont Olivia Rodrigo continue à porter le genre avec un engagement féministe beaucoup plus impressionnant. Habillée d’un mini-short jean et d’un t-shirt blanc différent sur les deux jours, elle appuie sur le style 90s. Mégaphone à la main, micro glissé dans son short en position phallique, elle se porte comme étendard de la révolution féministe. Sa voix, son pourvoir.
A l’image de l’ouverture, on adore le choix du morceau final get him back qui fait un clin d’œil aux envies de revoir un date. Le titre se transforme en un hymne pour stade, renforcé par le solo, court et puissant, de la batterie. La répétition inlassable du refrain « I’ll get him, I’ll get him back » ensorcellera notre esprit jusqu’au bout de la nuit. Olivia Rodrigo fait dos à ses fans sur le dernier riff de guitare. Puis tourne sa tête vers nous, grand sourire charmeur et clin d’oeil. Elle s’en va ainsi comme toute grande diva américaine. Chapeau !
Le concert se termine à 22h15 après une heure et quarante-cinq minutes d’un show millimétré à la perfection et pensé pour les fans. Avec seulement deux albums en poche, Olivia Rodrigo est parvenue à concevoir un set dense et immuable. Cela engage beaucoup de promesses dans la suite de sa carrière quand elle cumulera davantage de titres. On l’image aisément prendre la relève de Taylor Swift notamment. Mais la comparaison ne mérite pas d’aller plus loin puisque Olivia propose une formule mine de rien différente. La chanteuse américaine capte toutes les synergies de la pop, du rock et du punk pour exprimer les angoisses et les difficultés d’une jeune femme de ce monde moderne. Son esthétique artistique très féministe libère ainsi les effets cathartiques d’une jeune génération oppressée.
Crédit photo : Inès Ziouane