Après Longue Ride et Ultra-Tape, Muddy Monk est revenu cette année avec Ultra Dramatric Kid, un album envoutant et radical. On a eu le plaisir de discuter avec Guillaume de se nouveau projet et notamment de sensibilité, de violence, d’évolution musicale et de l’importance des visuels.
La Face B : Salut Guillaume, comment ca va?
Muddy Monk : Ca va. Ca va très bien
LFB : J’ai eu la chance d’être à Pleyel lorsque tu as joué ton album. Comme je te connais un peu, je me demandais comment tu avais vécu cette expérience là ?
Muddy Monk : C’était hyper excitant, et ultra flippant, mais c’était bien. Dans l’ensemble c’était un grand saut dans le vide mais j’ai bien aimé.
LFB : Et justement, toi qui n’es pas forcément très à l’aise sur scène, faire un crash test comme ça de ton album devant des gens qui ne connaissent pas la musique, le fait de voir les réactions, est-ce que ça a confirmé que cet album était dans le sens de ce que tu voulais faire ?
Muddy Monk : Je ne saurais pas te dire, parce qu’il y a eu des bons retours mais j’ai surtout senti le public très attentif et ça j’ai été touché. Après je ne pourrais pas te dire si c’est déjà un bon album ou pas.
LFB ; La première question que l’on se pose sur cet album, c’est qui c’est pour toi cet ultra dramatic kid ?
Muddy Monk : C’est l’enfant qui est en moi, mais qui est aussi en chacun de nous. C’est un truc un peu autobiographique mais qui au fond parle à tout le monde je pense, parce qu’il y a des gens en tous cas, ultrasensibles, qui portent une âme d’enfant qui a été un peu écorchée par la vie, qui ont trouvé des systèmes de carapace pour traverser tout ça. Et dans l’album c’est un mélange de cette ultra sensibilité et de la violence qui peut en découler.
LFB : Ce qui est intéressant, c’est que ce rapport à l’enfance, il est présent. Il ne l’était pas forcément sur Longue Ride, mais il est présent sur l’Ultra Tape, sur les deux singles que tu as sortis forcément, la chanson où tu parles à ton père par exemple, il est vraiment très pur. Et là, il est encore présent, je trouve que c’est un peu une trame qui relie tes dernières sorties.
Muddy Monk : Oui clairement. Je ne sais pas comment je suis tombé là-dessus, mais ça s’est fait de façon,… je te dis, je ne sais jamais vers où je vais mais à un moment j’avais déjà quelques morceaux et j’ai trouvé le concept qui collait à tout ça et ça faisait sens.
LFB : Et toi justement, qui est quelqu’un de très intérieur en dehors de la musique, est-ce que le fait de faire une musique qui est quand même assez expensive, assez ample, est-ce que ça t’aide à exprimer les choses que tu dis pas dans la vie de tous les jours, et que tu n’arrives pas à exprimer de manière “normale” ?
Muddy Monk : Oui, je pense qu’il y a une part de ça, avec mon entourage je parle de mes émotions très facilement donc c’est plus une double façon d’exprimer des intensités, des choses comme ça. C’est l’idée de créer une œuvre qui a une intensité, qui peut se bouleverser un peu quoi.
LFB : J’avais été assez surpris par Athènes et Petit Soldat qui sont sortis entre Ultra Tape et Ultra Dramatic Kid qui sont pour moi un tout. Donc on se demandait si ces deux singles là, ce n’étaient pas une sorte d’éclaircie dans un ciel d’orage ?
Muddy Monk : En fait quand j’ai fini Longue Ride, d’abord je voulais faire un album de ballades et dans ce sens j’avais fait Athènes et Petit soldat et d’autres qui ne sont pas sorties. Et au bout d’un moment, il y a eu des événements dans ma vie, qui je pense ont un peu twisté tout ça et je suis reparti sur quelque chose de plus violent, de plus désespéré et de plus combattant à la fois. J’avais plus de plaisir à faire ça en tous cas.
LFB : Le fait que Longue Ride ait été hyper bien accueilli, est-ce que c’est quelque chose qui t’a libéré dans ta musique ?
Muddy Monk : Oui, ça m’a fait du bien de voir que ça plaisait, ça m’a donné un début de confiance et après surtout sur Ultra Tape ça m’a soulagé d’un truc, parce que Longue Ride c’est un peu le premier projet qui a eu une audience et j’avais peur de faire trop de pause entre les projets et c’est pour ça que j’ai choisi de faire des petits projets. A ce moment-là, je ne voulais plus faire que des petits projets, je ne voulais plus faire d’albums.
LFB : Et est-ce que ça t’a permis aussi de proposer quelque chose de plus radical ? On a l’impression que plus le temps passe, plus le son dans ta manière de l’utiliser, il y a quelque chose qui est plus, sans parler de violence, mais si on pousse le son à fond parfois agressif.
Muddy Monk : Je pense que je vais toujours plus loin dans des processus extrêmes, ce qui m’effraie un peu à des moments. J’ai eu des doutes sur cet album, car il est très disto, il est très poussé dans les aigus, et c’est quelque chose que j’affectionne vraiment. De l’extrême compression aussi, je crois que ça correspond à une période, à un besoin, à une envie que j’ai.
LFB : Ce qu’il y a de drôle, c’est que les effets que tu as retirés sur ta voix, tu les as remis sur ta musique.
Muddy Monk : Voilà (rires)
LFB : Il y a moins d’effets sur ta voix, et la musique est de moins en moins pop, tu radicalises le son pour adoucir la voix ?
Muddy Monk : C’était une envie d’avoir des traitements de voix plus fins, j’ai eu pas mal de retours sur Longue Ride, des problèmes de voix trop baignées dans des réverbs extrêmement longues, des choses comme ça, et moi c’était une période où j’aimais ce genre de synth wave lo-fi avec des voix très en arrière. Après pour les nouveaux projets je me suis intéressé à des processus de traitement de voix tout aussi complexes, mais qui sont plus fins. Du coup, on les entends moins, mais il y a une armée de traitements.
LFB : Et si on te dit que pour nous tu es davantage un artisan du son qu’un musicien…
Muddy Monk : C’est quelque chose qui me va très bien ! Non clairement, c’est le problème que j’ai eu avec le live, le problème que j’ai avec le rapport au live, mais que j’accepte maintenant, mais c’est le truc, je suis pas un zikos quoi. Et je suis content de ne pas en être un.
LFB : Oui tu es un mec de studio. Ca se ressent dans l’album, au-delà du mur de son qui va taper quand tu écoutes Ultra Dramatic Kid, après tu vois tous les détails, quand tu aimes la musique, c’est un truc qui te rend fous parce que tu pousses toujours plus loin et tu découvres des détails sur des détails sur des détails.
Muddy Monk : Oui, merci beaucoup
C’est même effrayant parce que parfois tu oublies ce que tu racontes. Tu peux prendre l’album de ces deux façons, soit tu vas chercher le sens, soit tu vas chercher le son, c’est hyper intéressant.
Muddy Monk : Je ne saurais pas quoi dire sur ça, mais je suis touché (rires)
LFB : Et d’ailleurs, on a eu l’impression que parfois que tu utilises ta voix comme un instrument à part entière, tu vas chercher davantage le son que le sens du mot.
Muddy Monk : Oui ! Ça clairement, vu que dans ma composition je pars toujours de l’instrumental direct et qu’après ma voix devient un ajout sur une instrumentale, qu’elle est au service du morceau, plus que quelque chose de central, autour de laquelle on vient construire des arrangements et des choses comme ça. Du coup suivant ce principe, les mots sont assez simples, épurés, j’essaye d’être dans la suggestion, des choses légères qui font apparaître des images.
LFB : Justement ça rejoint cette idée de rapport à l’enfance, parce que ton choix de vocabulaire est très enfantin, et très direct, c’est assez lisible dans ce que tu racontes.
Muddy Monk : Oui, ça me ferait mal au cœur de mettre un mot trop compliqué. Par peur de l’élitisme.
LFB : Oui et ça ouvre l’imaginaire aussi, au fond ta musique est hyper personnelle, et le fait que tu dises les choses de manière assez simple ça permet aussi de se rapprocher de toi.
Muddy Monk : Oui, je pense aussi clairement. Je suis comme ça aussi dans la vraie vie, je parle aussi directement, et je me dévoile assez facilement.
LFB : En écoutant les paroles, et par rapport à l’œuvre, il y a un rapport très présent à la mer et au vent, dans ta musique.
Muddy Monk : A la mère et au ventre ? Dans le projet là ? AH. L’eau et le vent ! (rires)
Oui pour moi qui vient de Suisse, ça a toujours été quelque chose de mystique la mer, et les grands espaces parce que l’on n’est pas habitués à ça, et c’est la fin des terres. C’est de l’inconnu, c’est perdre pied, et donc j’ai toujours utilisé ce chant lexical à tort et à travers.
LFB : Il y a aussi forcément un rapport à l’amour qui est très important dans ce que tu racontes, cet album, on peut le voir aussi dans les clips, tu essayes de raconter cette histoire d’amour qui se diffuse dans le temps avec des hauts, des bas, d’autres personnes, et tu ne te donnes pas forcément le beau rôle, sur des Larmes de crocodile par exemple. On se demandait quelle part de réalité, quelle part de fantasme tu mettais là-dedans.
Muddy Monk : C’est pas mal la réalité, cet album quand même. C’est un album de rupture. Après il y a toujours de la romance autour, j’essaye de tourner ça de la façon la plus intense et la plus jolie possible mais sinon c’est réel quoi.
LFB : Et c’est aussi pour ça que beaucoup de morceaux sont très courts justement ? Excepté le dernier morceau qui s’appelle Slow et qui dure 6 minutes. Mais sur un album qui dure moins de 30 minutes, il y a quand même des morceaux tu te les prends, parce que l’énergie est …
Muddy Monk : Radicale directe. Oui, ça c’est un truc que j’ai constaté où sur Ipanema, j’étais plus sur de la boucle et ça ne me gênait pas de répéter des textures plusieurs fois, maintenant de plus en plus j’adore un morceau court et efficace.
LFB : Tu dis que la musique t’as toujours entouré, est-ce que tu as appris la musique en t’éloignant des diktats qu’on peut t’imposer du côté scolaire. Car cela se ressent beaucoup dans ta musique.
Muddy Monk : Oui carrément, j’ai fait des cours de piano, mais j’ai arrêté de les suivre parce que j’apprenais pas assez de morceaux. Mais j’ai toujours pratiqué le piano, et puis surtout dès que j’ai eu l’opportunité de faire de la production en studio, c’est devenu ma passion et je n’ai fait que ça pendant longtemps.
LFB : Autre question, on sait que tu es amateur de machines, je me demandais si tu avais utilisé un équipement plus réduit sur Ultra Dramatic Kid ou si tu avais fouillé partout, parce que le son malgré son ampleur, on ressent une vraie unité.
Muddy Monk : Ca c’est quelque chose que j’ai toujours voulu pour mes projets, une homogénéité, et donc c’est vrai que pour ce projet, je me suis entourée de certaines machines bien précises, pas forcément moins comparé à d’autres projets, mais des traitements moins réguliers, un traitement assigné à chaque morceau, pour qu’il y ait une unité.
LFB : Un autre élément récurrent, c’est la nostalgie, nous on le comprend comme quelque chose qui te nourrit autant qu’il te détruit. Donc comment tu continues à maintenir la ligne pour continuer à produire tout en étant nostalgique ?
Muddy Monk : Je ne saurais pas trop quoi te dire mais en gros je produis par session et par moment dans l’année. Par exemple, là j’ai produit cet album pendant l’hiver de l’année d’avant, je n’ai fait que ça pendant une période et quand je l’ai fini, je n’ai plus fait de musique pendant une période, donc je pense que c’est aussi pendant ces moments où je ne fais plus de musique, que je me ressource, bien que faire de la musique ça me procure aussi du bien-être car il y a un relâchement et une expression de ces choses.
LFB : Ca rejoint un peu ce que me disaient tes potes de B77 que j’avais interviewé, déjà il y a cette idée que le live c’est par pour eux non plus, et le fait que tu as besoin de te nourrir de l’extérieur pour nourrir ta musique.
Muddy Monk : Oui exactement, et aussi accepté le fait de parfois ne pas avoir envie. A l’époque, je voulais vendre tout mon matériel à chaque fois que j’avais une pause musicale, et on me disait “non mais vends pas tout peut être que tu auras de nouveau envie” et maintenant ça va mieux.
LFB : Et justement, est-ce qu’ils t’ont aidé sur cet album, comment cela s’est passé ? Parce qu’on sait que c’est très solitaire pour toi la musique.
Muddy Monk : Et oui, justement dans cette solitude, il y a Léo, Léopold S**** de B77, qui m’accompagne comme un psychologue musical on va dire, et qui me donne des retours, des avis, et qui a mixé. J’ai hésité pour cet album à déléguer le mix à des gens, j’ai fait des tests et puis finalement je l’ai fait moi-même sauf deux morceaux ou trois que Léo a fait.
LFB : On va parler de ce qu’il y a autour de ta musique, quelle est l’importance du rouge dans ta musique ?
Muddy Monk : C’est une très bonne question (rires)
LFB : Sur Ultra Dramatic Kid, il est quand même prédominant sur tes visuels…
Muddy Monk : Je pense que ça fait partie de l’aspect radical, extrême et tape-à-l’oeil. L’envie qu’il y a autour de ça, et puis c’est une couleur de la détresse.
LFB : Autre question, l’importance des formats. Tu as sorti Ultra Tape en cassette par exemple, là tu le sors en vinyle, qu’est-ce que ça importe pour toi, parce que sortir une cassette en 2021, ce n’est pas quelque chose d’évident même si en ce moment il y a un retour…
Muddy Monk : C’est vrai que cs n’est pas forcément très utile, mais c’est plus pour avoir un objet, sous forme physique pour l’avoir chez soi, même si on l’écoute pas directement, je trouve que l’objet malgré qu’il ne soit pas utilisé, parce que ça a peu de sens finalement d’écouter une cassette, à part si on a une vraie nostalgie des appareils à cassette, mais c’est plus l’idée d’avoir un objet chez soi de quelque chose qu’on aime bien. Et dans ce sens là on choisit l’objet pour l’esthétisme du format allongé, plastique.
LFB : Il faut aussi qu’on parle des clips, qui sur cet album sont très importants. Est-ce que tu peux nous parler de cette idée de saga de clips que t’as eu pour accompagner, raconter une histoire dans l’histoire.
Muddy Monk : Alors ça, ce serait plus Félix de Givry qu’il faudrait interroger sur ça. Parce que c’est vraiment sa part. Moi, j’avais rédigé une note d’intention sur Ultra Dramatic Kid, un truc sur l’enfance, avec un enfant soldat, des références à Akira et il m’a renvoyé un mail avec une autre intention qui n’était clairement pas la même, mais que je trouvais ultra bien et encore mieux, et donc je lui ai fait confiance pleinement et lui m’a expliqué sa vision de l’album comment il le ressentait à quoi ça lui faisait penser, et je trouvais ça magnifique d’avoir cette approche différente mais qui rejoint la mienne.
LFB : Ce qui est intéressant finalement, tu fais ça maintenant mais sur Ultra Tape par exemple, il n’y avait pas eu du tout de clips, il y avait juste ce super visuel que tu as utilisé, qui est très Akira pour le coup, très cyber punk, est-ce que toi tu avais une envie, que ta musique se retrouve sur une ambition cinématographique ?
Muddy Monk : Sur Ultra Tape ? A l’époque j’étais un peu fatigué des clips, je trouvais que ça passait souvent inaperçu et que c’était beaucoup d’investissement et de sueur pour pas grand chose, surtout que j’étais pas toujours hyper content des derniers clips que j’avais fait, et du coup je préférais avoir un objet visuel, simple mais fort avec une identité visuelle forte et assez évidente que mes images un peu déjà vues.
LFB : On retrouve dans tes clips Alma Jodorowsky que l’on avait déjà vue auparavant, est-ce que tu as l’impression que tu as crée une famille de visuels ?
Muddy Monk : Là je suis super content parce que je suis vachement bien entouré, j’ai enfin trouvé des gens à qui je fais confiance, et à qui je peux lâcher le truc, donc il y a Dexter, Eliot Grunevald celui qui s’occupe du graphisme et Félix de Givry pour la vidéo, et oui c’est confortable.
LFB : On a forcément une question sur le live puisque tu vas jouer à La Cigale, comment envisages-tu avec des ambiances aussi différentes la setlist de ton live ?
Muddy Monk : Je suis en train de me pencher dessus et je pense que je vais partager le live en plusieurs moments et plusieurs intensités différentes. C’est pas encore fixé, mais j’aurai un peu le nouveau projet au début et après un moment un peu plus doux et Longue Ride qui reviendrait avec son intensité plus douce, mais plus agréable peut-être
LFB : Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter avec cet album et l’avenir ?
Muddy Monk : J’espère qu’il sera écouté avec attention et qu’il plaira à certaines personnes