On s’en rappellera pas de Disiz : récit d’une avant-première oubliable

Refoulé puis miraculeusement invité, j’ai finalement assisté à l’écoute du nouvel album de Disiz au Théâtre du Châtelet. Une soirée où il m’a perdu quelque part entre deux visualizers et trois bières mal digérées. Reportage in extremis

Disiz n’avait pas prévu de convier La Face B à l’écoute privée de son nouvel album, “on s’en rappellera pas”. Son équipe m’avait glissé un “c’est complet, vraiment complet – très peu d’invités”, la formule polie qui veut dire “merci, mais non”. Évidemment, ça m’a donné encore plus envie d’y être. Et, coup de bol ou alignement des planètes, un confrère de Radio Nova m’envoie deux invits : fin de l’histoire, j’y vais.

Le précieux PDF clignote dans ma boîte mail. Le sésame. Le ticket pour un rituel quasi mystique : l’écoute en avant-première du nouveau Disiz au Théâtre du Châtelet, rien que ça. À 18h30, j’atterris au 1, place du Châtelet. La rue est remplie, ça grouille sans qu’on sache si ce sont des fans, des journalistes, des artistes ou juste des Parisiens qui ont flairé un lieu chauffé. Je tourne un peu, en apnée, histoire de ne pas me laisser happer par mes flashbacks de RER aux heures maudites.

Mission suivante : trouver un bar pas trop cher dans ce quartier où un demi peut coûter un loyer. Je m’installe, j’aligne les bières comme si elles allaient me préparer mentalement à ce qui m’attendait. Je suis persuadé que la soirée allait être incroyable : un artiste que je vénère, une salle au top du paysage culturel, et cette sensation d’être là où je n’aurais pas dû être.

En 2024, j’écrivais que Disiz était “l’intemporalité incarnée” et qu’il faisait partie de ceux capables de traverser le rap sans s’abîmer. Rien n’a changé. J’arrive donc devant cette avant-première prêt, souriant, un peu fier d’être là, et déjà persuadé que je vais m’en souvenir longtemps — même si l’album, lui, prétend le contraire.

La file se dissipe enfin. Je pénètre dans le Châtelet, tout excité, le précieux QR code collé au fond de ma main comme si on pouvait me le voler au dernier moment. Le staff m’indique mon sort : tout là-haut, dernier balcon, l’étage où l’oxygène se fait rare et où l’on range généralement les invisibles. Arrivé au sommet, je découvre ma rangée, pas totalement remplie. En face, les autres balcons sont carrément désertés. Peut-être que les invités VIP se font désirer. Peut-être qu’ils ont flairé quelque chose que je ne sais pas encore. Je m’installe, j’attends, j’essaie d’y croire.

Les lumières s’éteignent, un écran géant s’allume – c’est donc parti. Ou presque. Parce que la salle, elle, n’est toujours pas pleine. Tant pis, passons, comme on dit quand on n’a pas le choix.

Le son démarre… et mon oreille manque de se suicider sur-le-champ. C’est trop fort, mal mixé, agressif. On attaque pourtant avec “La rosée”, un morceau d’ouverture correct, promesse timide d’un projet qui pourrait monter en puissance. Deuxième piste : un remix du “Try Try Try” qu’il avait fait chez Colors, cette fois avec Kid Cudi. Pas une révélation, mais Cudi s’en sort, il rentre dans le moule, c’est propre.

Troisième track – et toujours ce même écran géant qui tente de se faire passer pour une scénographie. Je me persuade que ça va se réveiller plus tard, que c’est juste un échauffement esthétique. Le public, lui, est tout acquis à la cause : applaudissements à chaque transition, cris parfois. Aucun faux départ pour Disiz. Sauf pour moi.

Cinquième morceau : Iliona. Sixième : Théodora. Les feats font le taf, proprement. Les tracks ne sont pas des explosions mais elles s’écoutent. Moi, je rumine. Je pense à L’amour, à la claque que c’était, à ce que j’attends depuis. Peut-être trop.

Les morceaux défilent. J’entends un Disiz qui déroule son savoir-faire, carré mais sans folie. Je reporte alors mon espoir sur ce pauvre écran géant, comme si lui allait sauver la soirée. Beaucoup de couleurs saturées, des pulsations abstraites qui épousent vaguement les guitares, des lumières qui se cherchent. Les visualizers ne sont pas sans charme, mais ça reste du bricolage.

Et puis arrive “Amsterdam”. Là, tout change. Dès les premières notes, je sens que je ne suis pas le seul à me redresser. Avant même que le morceau finisse, la salle explose en cris d’étonnement et de plaisir, comme si enfin quelqu’un avait ouvert une fenêtre. La prod transporte, vraiment. L’espace d’un instant, tout le monde est d’accord : là, oui, on tient quelque chose.

Et là, ça me tombe dessus : une fatigue lourde, pâteuse. La bière ? Le dernier balcon ? Ou bien les morceaux de Disiz qui, à force de se ressembler, se transforment en berceuses expérimentales ? Je sombre quelques secondes, et c’est la claque des applaudissements – encore, toujours – qui me réveille. Chaque transition déclenche le même rituel mécanique. La vérité, c’est que je décroche. Vraiment. Autant pour les oreilles que pour les yeux.

Les sons ne sont pas mauvais, ils manquent juste de cette étincelle qui transforme une chanson en œuvre. Visuellement, même tarif : on tourne en rond. Toujours ce fichu filtre recyclé. Aucun fil rouge, juste une succession d’images de son quotidien aux allures nostalgiques – la mer, encore la mer, toujours la mer. “Surfer”, “Ça s’appelle la mer”… ça défile comme un diaporama de vacances. Et ce dernier morceau, parlons-en : “Si j’aime la mer, c’est parce que j’aime la mer.” Je veux bien faire des efforts, mais là, je ne suis pas du tout sur le bateau. Peut-être que c’est moi. Peut-être que je rate quelque chose. Ou peut-être que non.

Arrive un bon feat avec Prinzly : enfin une prod qui respire, un truc qui me sort de ma torpeur. Sauf qu’immédiatement après, “culpa” me replonge dans les bras de Morphée. Je pioche, je rêve aux anciens projets, à ce Disiz que je respectais pour sa plume, ses risques, sa singularité. Les images tournent en boucle, et Disiz tourne en rond. Tout le monde rejoue son classique. On approche de la fin et je me surprends à compter les minutes, honteux d’être plus pressé de quitter la salle que d’entendre la suite. Une petite voix me souffle que j’aurais été mieux au bar. Et je commence à la croire.

L’un des derniers morceaux, “rire de pleurer”, relève un peu le niveau : une belle chanson d’amour, sincère, juste. Pas de quoi rattraper la soirée, mais au moins un dernier sursaut.

Alors, maintenant quoi ? Après une longue salve d’applaudissements, douze personnes s’installent autour d’une immense table. On comprend qu’il s’agit d’une partie des artisans du projet. L’ensemble évoque directement La Cène de Léonard de Vinci. Clin d’œil artistique de Disiz ? Coïncidence logistique ? Impossible de savoir. On n’aura pas la réponse : une journaliste enchaîne aussitôt des questions probablement préalablement écrites, soufflant net la dernière bougie de spontanéité. Pourquoi ne pas avoir laissé le public prendre la parole ? Instaurer un échange ? Un moment vivant ? Mystère. Car oui, 21h13 : on s’éclipse avant la fin. L’ennui a gagné. Je ressors déçu. Pas du projet – qui, avec du recul, reste correct – mais de la soirée, qui aurait pu être mémorable et ne fut qu’une longue attente d’un truc qui n’est jamais venu. Peut-être que Disiz n’est plus si intemporel que je le croyais. Peut-être qu’un an après l’avoir écrit, je me trompais.

Il a appelé son album on s’en rappellera pas. Un titre éponyme… à la soirée. Cruelle justesse

Retrouvez Disiz sur Facebook & Instagram

Laisser un commentaire