Chaque nouveau film de Christopher Nolan est un événement. Cette fois-ci, c’est au tour du récit de la création de la bombe atomique et de son père, Robert Oppenheimer, d’être mis en avant. Pour se charger de la mise en musique, on retrouve Ludwig Göransson, déjà à l’œuvre sur Tenet.
L’apparition du compositeur suédois dans les travaux de Nolan a l’effet d’une petite révolution. Celui notamment à l’origine de certains succès de Childish Gambino comme Redbone ou This Is America succède à une légende du milieu. Le musicien oscarisé succède au légendaire Hans Zimmer au score des films du réalisateur américain. L’allemand avait réussi à créer un style, un patte reconnaissable entre mille mais qui, malheureusement, a vu sa formule quelque peu tourner en rond. C’est à ce moment, pendant le processus créatif de Tenet, que Ludwig Göransson prit place.
Pour son deuxième long-métrage avec Christopher Nolan, l’heure est à la confirmation de la bonne entente artistique entre les deux hommes. Cette dernière se matérialise sous la forme d’une production polymorphe aux idées osées et intrigantes. La première prise de risque frappante est la quasi totale absence de toute forme de percussion. Une telle décision confère aux compositions de Ludwig Göransson un certain ton doux. Presque une forme de douceur et de candeur antinomique s’agissant de la création d’une arme de destruction massive. Ce qui aurait pu créer un manque se voit contrebalancer par la présence de percussions très percussives, notamment des violons.
Cette facette n’empêche pas le travail du suédois de se trouver impactant, voire très impactant. On note particulièrement le morceau Can You Hear The Music, véritable démonstration d’habileté de composition et de puissance. Ce dernier se base sur la forme d’un crescendo atteignant son point d’orgue lors de son dénouement. Il évoque toute la grandeur et le défi mirobolant entourant l’histoire dépeinte par Christopher Nolan.
Oppenheimer prend la forme d’un long-métrage aux facettes multiples. Durant les trois heures les composant, on retrouve des codes inhérents à différents. On passe consécutivement du biopic au film de guerre, au film de casse, à une course contre la morte au film d’action pour arriver au drame. L’immense force de Ludwig Göransson à travers ses travaux est de parvenir à naviguer parmi ces différentes propositions. Le tout n’ampute pas l’empreinte sonore de l’œuvre de ses émotions. La bande-originale parcoure un nombre conséquent d’émotions diverses et variées.
La vingtaine de titres parvient à faire monter la tension tout le long du film. Au-delà de la pression induite par une course nucléaire en pleine seconde guerre mondiale, Christopher Nolan se concentre également sur son personnage principal. Campé par Robert Oppenheimer, Cillian Murphy dépeint un homme tourmenté par sa création. Le musicien arrive parfaitement à retranscrire tout le traumatisme que la paternité d’une arme de destruction massive amène. Les cordes mettent en évidence un malaise crevant les yeux.
Le travail de Ludwig Göransson est ici influencé par une figure majeure du cinéma indépendant. On retrouve une certaine paternité du style de John Carpenter dans l’utilisation des synthétiseurs analogiques. Un jeu simple, très mélodique qui sert un propos épuré. Si bien que la bande-originale donne lieu à un mélange de style aussi inattendu que plaisant et efficace. Cette touche de modernité évoque le progrès scientifique important mis en image par le réalisateur anglais.
L’autre difficulté à laquelle se confronte le suédois est la longueur de son support de travail. Oppenheimer dure trois heures, et le compositeur a dû faire avec un film d’une grande longueur et plus que tortueux. Nonobstant, le suédois esquive l’écueil et propose un ensemble cohérent et très riche ne se répétant jamais. Ce côté inlassable rajoute une autre couche hypnotique au travail titanesque de Christopher Nolan à l’aspect, aussi bien intrigant que génial et lugubre.
Avec une œuvre musicale colossale, Ludwig Göransson a relevé un défi que très peu pourraient oser affronter. Ce dernier donne vie à la brillante interprétation du personnage de Robert Oppenheimer par Cillian Murphy et offre une vraie profondeur à un support instable. C’est un nouveau succès pour le scandinave qui, après Tenet, signe une nouvelle collaboration géniale mémorable avec le cinéaste britannique.