Depuis ses débuts, P.R2B ne cesse de nous hypnotiser avec sa voix qui transperce et ses textes qui portent à réflexion. Aujourd’hui, son premier EP intitulé Des rêves rassemble tous ces éléments combinés à une rage, une énergie qui ne demandent qu’à exploser. C’est donc à cette occasion que nous sommes allés à sa rencontre afin d’échanger sur son amour de la scène, son rapport au rêve, l’importance de bousculer la vie, de réagir et surtout, de construire l’avenir ensemble.
La Face B : Le 16 septembre, ta première vraie tournée est officiellement relancée. Comment anticipes-tu tes retrouvailles avec la scène et ton public ?
P.R2B : Avec une énorme joie et en même temps un peu de stress car Bourges c’est symbolique, c’est la ville d’où je viens. Je fais partie des gens qui souffrent de ne pas jouer donc je suis plus que ravie. La date de La Boule Noire ne se fera pas donc on essaie de trouver des solutions pour faire des concerts en plein air, c’est un coup dur pour les dates à Paris. Mais par contre, ce qui est rassurant c’est que les mesures sont différentes en régions, il y a des festivals donc on va pouvoir faire des choses, j’ai vraiment hâte de remonter sur scène que ce soit assis ou debout, même si mon live est plus pour du debout je m’en fous, je veux jouer et j’ai hâte de revoir les gens dans les yeux, masqués et que la musique puisse se réentendre.
LFB : Lors de notre première rencontre en février dernier, tu disais aller directement sur un album et pourtant c’est ton premier EP qui sort. Pourquoi avoir opté pour le format court plutôt que le long finalement ?
P.R2B : C’est vraiment une décision suite au confinement. J’ai écrit beaucoup de chansons et il faut savoir qu’en mai il devait y avoir La Boule Noire, deux titres sortis et presque un troisième et finalement on a sorti qu’une track qui était Dolce Vita, le planning a été totalement bouleversé avec une incapacité de faire pleins de choses. Ce que j’ai fait depuis le début, c’est prendre le temps d’installer des clips, une chanson, des images et donc l’idée c’était qu’on puisse montrer des inédits qui ne seraient pas dans l’album. Evidemment, j’aurais été ravie de présenter un album à l’automne et d’avoir sorti trois titres d’ici là , d’avoir fait des clips sur toutes les scènes d’été. Car c’est aussi ça la chanson française, en tout cas celle que je fais qui n’est pas une chanson en mode variété, elle a besoin de la scène pour vivre et pour trouver son public.
LFB : En quelques mots, comment définirais-tu cet EP ?
P.R2B : Je dirais poétique, radical et romantique.
LFB : Après écoute de tes morceaux, j’en conclus qu’ils côtoient tous une forme d’onirisme. Quelle place occupe alors le rêve dans ton projet ?
P.R2B : Cette réponse va être un petit peu tronquée car en ce moment je lis Le théatre de la guérison de Jodorowsky où il parle des rêves lucides donc maintenant j’ai très envie de faire des rêves lucides mais malheureusement je n’en fais pas car je n’ai pas encore le pouvoir de voir que je rêve. Le rêve a toujours eu une place énorme chez moi et d’ailleurs, lorsque je dis « il était cinq heures, je me lève et j’ai rêvé que j’ai tué un homme » dans le morceau Des rêves, j’ai vraiment fait ce rêve. J’ai rangé mon appartement récemment et j’ai trouvé le carnet où je racontais ce rêve que j’ai fait aux Etats-unis. Je pense aussi et d’ailleurs Jodorowsky le dit, que dans les rêves on retrouve de la vie alors pourquoi dans sa vie on ne pourrait pas mettre du rêve ? Pourquoi il y a que dans le rêve que l’on peut trouver une échappatoire ? Et si je n’avais pas ça, j’aurais passé des sales quarts d’heure. Le rêve, l’imaginaire me sauvent et je pense que c’est le cas de tout le monde.
LFB : C’est assez malheureux de ne pas intégrer le rêve à la réalité à vrai dire, elle est tellement morne parfois que ça devient nécessaire.
P.R2B : C’est exactement ça et puis surtout ce qui est dingue, c’est qu’on passe clairement la plus grande partie de notre temps à dormir et rêver, même ceux qui ne le mettent pas forcément en avant, les commerciaux ou les politiques un peu connards, sauf s’ils prennent un peu trop de cocaïne (rires). Tout ce qui est créé, que ce soit d’une chaise à une œuvre d’art, vient des rêves et c’est ici que je trouve mon ciment. Le rêve c’est notre part d’enfant.
LFB : Sur le plan musical, il y a également de vrais contrastes. On passe toujours d’un morceau assez énergique à un autre plus doux et vice-versa. Pourquoi avoir créé ce décalage ?
P.R2B : Oui, totalement. On finit par Le beau mois d’août qui est vraiment une chanson d’ambiance et aussi politique car il y a pleins de choses qui raclent dans le texte et moi ça m’intéresse. Même en live, c’est souvent des choses que je peux faire, avoir quelque chose de très épuré pour ensuite passer dans les trucs gabber. C’est ma manière d’écouter de la musique, il y a toujours un contraste et avoir une chanson qui paraît très romantique à côté d’une chanson qui est plus nerveuse, ça teinte le tout.
LFB : Tes influences musicales vont d’un extrême à l’autre, de Barbara à Tyler The Creator. Comment parviens-tu à trouver une cohérence entre tous ces styles ?
P.R2B : Je ne veux pas que ça paraisse pompeux de dire ça mais je le sens. J’écoute toujours des musiques différentes car par exemple cet été j’ai écouté La Messe de Bach, Rosalia avec Travis Scott et toutes les sorties donc à un moment ça doit faire des courts circuits dans mon cerveau. Et quand je me mets au piano, je pense qu’il y a plus de Travis Scott que de Bach car je n’ai pas un niveau très bon mais ce que je veux dire, c’est que je pense qu’à un moment il y a des espèces d’énergies musicales de gens pour qui il y a un énervement. J’ai beaucoup écouté de musique baroque et je me suis dit c’est fou car il y a vraiment des musiques baroques où j’ai l’impression d’être en club tellement c’est énervé. Ce n’est pas de la musique romantique, c’est bien tricky et quand je reviens derrière mon piano, tout ça est en moi et tout ce qui sort c’est Pauline. Ça se fait le plus intimement possible et c’est ce qui m’accompagne.
LFB : J’ai lu que tu étais considérée comment l’artiste qui va réveiller la chanson française. Vois-tu à travers ces termes une forme de pression voire de challenge ?
P.R2B : Difficile de ne pas y voir tout ça ! (rires) C’est très gentil mais ce sont des phrases choc de gens qui écoutent beaucoup de projets. J’espère que les gens sont éveillés quand ils viennent à des concerts ou qu’ils écoutent ma musique. J’écris des textes qui méritent d’être éveillés, je veux qu’ils secouent aussi, c’est ce que j’aime. J’aime qu’il y ait des accidents et qu’on soit chahutés, ça m’ennuie quand c’est un peu mou.
LFB : En tant qu’artiste polyvalente qui jongle entre le cinéma et la musique, dans quel domaine profites-tu le plus de ta liberté créatrice ?
P.R2B : Pour l’instant c’est la musique car j’ai fait des courts métrages à l’école mais je n’ai pas réalisé de films ou de courts depuis, et ce projet P.R2B c’est vraiment le fruit de tout ce sur quoi j’ai travaillé, que ce soit les cours de théâtre, ma cinéphilie maladive, La Fémis, la clarinette et tout ça. Je dirais que ce projet a une identité et une sincérité totale, il y a du cinéma, de la musique et une possibilité de flouter les cases.
LFB : Tu as réalisé et co-réalisé les clips de La chanson du bal et de Dolce Vita. C’est important pour toi de garder une main mise sur l’image que renvoie ton projet ?
P.R2B : Oui et non car évidemment c’est important puisque les chansons ont un vrai aspect cinématographique dans leur écriture et il y aussi l’idée que l’image ne soit pas qu’un projet marketing. Et puisque je ne viens pas de ça, que l’image ce n’est pas de la pub, il y avait l’idée de raconter des histoires, de faire des objets, ça me faisait plaisir de faire un clip en scope car c’est des formats hyper chiants qu’il faut titiller. Tous ces marqueurs qui présentent le projet ce sont aussi des endroits de partage. J’ai co-réalisé le clip de La chanson du bal mais ça me dérangerait pas, ça me ferait même très plaisir que des réalisateurs viennent réaliser mes autres clips car ce n’est pas une sorte d’autocratie où je gère tous les endroits de mon projet, ce n’est pas intéressant sinon. J’ai co-réalisé mon disque avec Tristan Salvati, je ne fais rien toute seule car j’ai une équipe gigantesque autour de moi, et c’est vrai que c’est très important pour moi que l’identité ne dise pas n’importe quoi et que ce ne soit pas présenté n’importe comment.
LFB : La pochette de ton EP a retenu mon attention car elle mêle une diversité mais aussi une promiscuité des corps, ce qui la rend à la fois rassurante et angoissante quelque part car il y a ces gens endormis puis ton regard qui est comme figé. Peux-tu expliquer ce choix ?
P.R2B : Il y a un lien clair avec le clip Des rêves car le dernier plan c’est la même composition et dans le clip je commence toute seule pour finir en groupe donc évidemment il y a quelque chose angoissant où on ne sait pas à qui appartient la jambe ou le bras mais il y a aussi ce truc qui dit que c’est le premier objet, mon premier EP et on me voit avec les yeux fixes mais je ne suis pas toute seule, je suis entourée de ces gens qui dorment. Il y a toujours cette notion de rêve et réalité, les rêves font peur mais au fond c’est quelque chose de plutôt chaud et c’était important pour moi.
LFB : Tu dis t’ennuyer très peu et ce, depuis toute petite. Tu as notamment pu le démontrer avec tes quelques reprises faites ces derniers mois. C’est nécessaire pour toi de stimuler en continu ta créativité ?
P.R2B : Oui, malheureusement je ne peux pas dire que non et c’est terrible. En ce moment je range mon appartement donc je lis moins, je regarde moins de films mais franchement c’est un peu une addiction, c’est ma manière de voir le monde, je crée et regarde beaucoup. Les livres, les films, la folie, ce que je n’arrive trop à trouver dans le monde, la bizarrerie, la liberté et l’espoir ont toujours été mes petites étoiles du berger, ça ne peut pas se délier de moi.
LFB : Vois-tu comme une forme d’angoisse à travers l’ennui ?
P.R2B : Je vais essayer de répondre sincèrement car j’étais sur le point de faire un déni et te dire « non, pas du tout » (rires). Je peux m’ennuyer, on s’ennuie toujours même en promo parfois (rires) ou lorsqu’on fait des trucs qu’on n’a pas envie de faire, quand on doit attendre pendant des heures, que je dois faire des papiers, pleins de trucs comme ça qui m’ennuient. Prendre le temps, méditer, arrêter le temps c’est important comme ces moments où je suis avec ma mamie dans mon jardin, où on pointe des arbres ou des oiseaux. Est-ce que c’est de l’ennui ? Je n’ai pas l’impression, je n’aime pas m’ennuyer dans le sens où je n’aime pas être à côté de moi. Je n’ai pas une angoisse de l’ennui mais de la mort et c’est le cas de tous les artistes, on joue avec ça. J’ai plus peur de ça que de m’ennuyer donc dans ce cas-là je fais beaucoup de choses.
LFB : En parlant de tes reprises, je dois m’arrêter sur celle de Barbie Girl qui est incroyable. Tu l’as totalement revisitée et tu as bousculé les codes avec cette teinte féministe que tu lui as attribuée. D’ailleurs, en tant qu’artiste féminine, appréhendes-tu ton futur dans ce milieu ?
P.R2B : C’est Simone de Beauvoir qui dit qu’à chaque fois qu’il y a un changement politique radical, il faut toujours se méfier car les femmes peuvent se refaire foutre au placard à tout moment. Là clairement, à l’endroit où je suis, je pourrais être confiante car j’ai beaucoup de chance par rapport à plein de gens, je suis entourée, j’ai l’EP qui sort etc. Je suis néanmoins très vigilante car ça peut toujours nous tomber sur la gueule, je suis complètement atterrée et effrayée par toute la non-représentativité de je ne sais combien de gens, de jeunes artistes féminines à qui on demande encore si elles composent elles-mêmes la musique. On est encore très très loin du compte, mais je m’estime privilégiée tout en étant alerte, tout en ayant l’envie d’en découdre. C’est facile à dire mais difficile à faire justement et c’est mon cas car je peux très bien faire cette cover de Barbie Girl et ça fait du bien mais est-ce que ça fait quelque chose ? Je ne sais pas. Ça ne fait pas rien, il y a de la musique qui sort mais je pense qu’à l’avenir il va falloir construire ensemble. Il est temps de passer à l’action, je sens qu’il y a quelque chose qui titille les artistes et ça a été aussi une période avec Joan Baez, Patti Smith où les artistes étaient des activistes et où leurs mots n’étaient pas leurs seules actions.
LFB : J’imagine que les retours sur cette reprise ont été assez partagés ?
P.R2B : Eh bien c’est drôle car je ne pensais pas qu’il y aurait eu autant de retours, il y en a eu énormément qui étaient enthousiastes, des trucs absurdes, des trucs de groupes féministes etc mais aussi des commentaires haineux de masculinistes, des trucs horribles et ça ne fait pas plaisir. J’en ai reçu quatre et ça va mais il y a des gens comme Safia Nolin qui en reçoivent 450 par jour et c’est immonde. Ce qui est fou dès qu’on dit féministe même sur une reprise de Barbie Girl avec de l’humour et des Sims, c’est qu’il y a quand même des gens qui ne peuvent pas supporter. Je dis la vie est une pute dans Des rêves, personne me fait chier mais par contre je dis je suis une barbie girl dans un monde patriarcal et on me traite de salope. C’est intéressant en tout cas de voir ce qui fait réagir sur une communauté comme Instagram (rires). Il y a ce truc aberrant aussi où les colleuses à Paris ou Marseille par exemple, se prennent des seaux d’eau alors qu’elles collent juste des phrases fortes, elles font des gestes d’une puissance folle et il y a ces gens qui comme au moyen-âge sont chez eux et lancent de l’eau bouillante ou de l’huile depuis leur fenêtre. On est à Paris et en 2020, c’est dingue.
LFB : À l’avenir, aimerais-tu que ta musique évolue en quelque chose de plus organique ? Quitte à te séparer de sa qualité électronique actuelle ?
P.R2B : Dans les chansons qui ne sont pas dans l’EP, il y a beaucoup de vents que je joue et sur scène j’ai un saxophoniste alors que finalement avec les enregistrements que j’ai faits avec Tristan, il y a beaucoup de synthés, des synthétiseurs analogiques avec du son, de la chaleur mais c’est vrai que si un jour j’avais un brass band de la Nouvelle-Orléans avec moi, j’aimerais trop car j’adore ça. L’organique pour de l’organique, avoir un truc basse, guitare, batterie même si le rock et la folk m’ont énormément construit, eh bien ce n’est pas vers cet endroit que j’irais. Mais les cuivres et les vents, c’est sur que je suis en train d’en mettre et ce mélange-là me plait bien. Ce qui est fort dans la musique électronique, c’est qu’il y a un endroit de texture, de condition, de tension qui est hyper forte et aussi un endroit de dynamique qui est hallucinant. On demande à un saxophoniste de jouer pianissimo et de faire un forte, il peut foutre une pèche dans la gueule et un synthé aussi mais ce truc-là est un peu inégalable et j’aime trop contraster avec des synthés hyper bons qui te prennent.
LFB : Enfin, as-tu des coups de cœur récents à partager avec nous ?
P.R2B : J’ai lu Un appartement sur Uranus de Paul Preciado où je me suis pris un petite baffe dans la gueule, c’est un livre qui m’a mis une claque sur le rapport au genre, c’était ma lecture de l’été. En film, j’ai vu Et La vie continue de Kiarostami, c’est très intéressant, c’est un triptyque avec Où est la maison de mon ami ? Et Au travers des oliviers. Le film est sidérant, ça dit des choses du monde, je le conseille. Et en musique, je dirais Fils Cara, un garçon que j’ai rencontré aux Franco, je trouve qu’il a une écriture très forte, ils sont hyper beaux avec son frère. Ça va être quelqu’un d’important, qui va avoir beaucoup de choses à dire. Tu as donc mon trio gagnant, deux modernes et un plus ancien mais très actuel.
© Crédit : Alphonse Terrier