La vie, souvent, se teinte d’une douce ironie. Elle joue avec le monde, pour nous défier, nous pousser en avant, nous forcer à devenir. La vie a joué un vilain tour à Pablo Alfaya. Lui dont le sang vibre de ses origines, croisement explosif entre l’Espagne, l’Italie et l’Argentine, a grandi à Grenoble, au cœur des montagnes et bien loin de l’océan aimé et fantasmé. Cet objectif, on le retrouve en compagnon de route de Hero, premier album formidable de ce garçon sans frontières, dans sa vie comme dans sa musique. Alors on plonge, dans les vagues à l’âme aussi dangereuses que réconfortantes de Pablo Alfaya.
Avant de parler musique, il est nécessaire de revenir sur la pochette de l’album réalisée par Manon Guegan. À elle seule, elle met en avant la thématique principale de ce premier album : le besoin de faire vivre ensemble, comme deux brins d’ADN complémentaires, les rêves et le réel. Mettre ensemble, unis et indissociables, la fantasmagorie et le béton, alors que l’un nourrit l’autre et inversement. Ainsi ici, on pourrait être face à l’écran d’ordinateur, un lieu de travail sur lequel on laisse vivre ce qui nous permet de nous échapper autant que ce qui nous fait avancer. Ici Hero se présente comme un dossier alors que derrière lui se fige un onzième élément de notre aventure : L’océan.
L’océan. Une force en mouvement. Chez Pabloa Alfaya, il est la première chose que l’on voit, la première chose que l’on entend lorsque l’on pousse les portes de Hero. Il donne aussi son nom au premier titre qui nous a été dévoilé pour démarrer l’aventure. L’océan est un point de départ, une mise en garde autant qu’une affirmation : toi qui pense que la musique est un long fleuve tranquille, ce chemin n’est pas fait pour toi. La musique chez Pablo Alfaya est aussi attirante qu’elle est dangereuse, aussi douce que déchainée, une épopée en mouvement constant, qui semblera toujours familière mais qui évoluera en permanence.
Ici, rien n’est manifeste, tout se joue par époque, par période temporelle. Ainsi Hero est une première étape, qui réunit en son sein 10 éléments formant un tout, un premier bloc, un premier chapitre. Une histoire musicale et humaine bercée par les vagues à l’âme d’un garçon surprenant.
Car Pablo Alfaya aime avancer masqué, comme il nous le dit dès le départ de manière assez claire. Commencer un album par un titre comme Hero in Disguise n’a rien d’un hasard. La musique du grenoblois avance masquée, dévoilant des petits trésors sonores cachés ici et là comme ceux que laisse l’océan sur le sable à marrée basse.
Alors qu’à l’écoute, on pourrait y voir un nouvel album hors du temps, des morceaux qui viendront autant citer les Beach Boys que 10 Cc, que ce soit dans les harmonies vocales sublimes qui naviguent et habillent In Phase ou dans l’orchestration ambitieuse et presque grandiloquente de Ocean, l’idée n’est qu’à moitié vraie. Ici et là pour les oreilles attentives, on retrouvera des traces de trap, une batterie à la rythmique hip hop, ou de manière plus explicite des morceaux modernes et très électroniques comme Tiffany’s Dream ou It’s You In The Middle dont le son de basse rappellera aussi furieusement celui de Peter Hook tandis que sa guitare saturée nous entraine dans une course sans fin.
L’idée chez Pablo Alfaya n’est pas de rendre hommage mais bien de laisser exprimer le bouillonnement créatif qui vit en lui.
La musique étant ici plus vécue comme une force vitale à dompter, une nécessité qui nait du chaos et qui s’exprime sans pudeur ni faux semblants.
Un combat vital qui trouvera toute sa grâce explosive dans le diptyque de Tiffany mais aussi dans la beauté en suspension de titres comme Sad Night, Dancing ou Thousand Lives. Mention spéciale pour la superbe Sortie de Route, sublime pièce en français qui révèle toutes les fragilités et la tendresse de Pablo Alfaya ainsi que l’amour infini qu’il porte à son frère pour qui il a écrit cette chanson.
Mais alors qui est le Hero qui donne son titre à l’album ? Il vit sans doute en Pablo Alfaya, ou alors peut être est-ce Rob Gordon, personnage fictif et héros de High Fidelity qui prend vie et apparait le temps d’une ligne cachée. Il existe aussi en nous, forcément. Si l’écriture de Pablo Alfaya est un acte personnel, et sans doute un peu égoïste, il écrit de manière si humaine et vibrante qu’il est impossible de ne pas se retrouver dans ses paroles.
Loin d’être un artiste générationnel, loin de chercher à rendre compte des atermoiements de ses contemporains, l’artiste vise l’universel. Ces (mes)aventures, on les aura tous vécu à un moment ou un autre. Sa mélancolie, ses questionnements lointains prennent ainsi corps sur nous, comme un écho qui se diffuse pour faire vibrer nos souvenirs. Il est d’ailleurs impossible de ne pas voir le garçon s’amuser de cette idée, jouant avec les pronoms, passant avec une allégresse du rôle de personnage principal à celui de narrateur, d’acteur à observateur. Des soirées sans fins à la prise de conscience d’un changement, d’un romantisme à tout épreuve en passant par un cœur qui se brise, Pablo Alfaya joue avec les tons, avec les rôles et avec les mots, faisant de Hero un terrain de jeu humain infini et changeant d’une émotion à une autre.
Dans Thousand Lives, Pablo Alfaya se demande jusqu’à l’infini « Comment pouvons nous sauver le temps ?« . La réponse se trouve sans doute dans ces 10 morceaux. Hero est un voyage initiatique, un premier chapitre, une épopée qui se termine par une ouverture et cette idée toute simple : il faut laisser le temps filer et profiter du moment. Hero c’est ici et maintenant, c’est le témoignage d’une époque pour un artiste qui ne sera sans doute peut être plus le même demain. Peut être qu’on retrouvera Pablo Alfaya en producteur de Hip Hop, peut être qu’il nous offrira un prochain album en espagnol ou en français. Quand on vit la musique comme une part de soi, le monde est une page blanche sur laquelle on trace les traits de son propre destin. En attendant, profitons simplement de la beauté de Hero.