A l’occasion de la sortie de leur troisième album None of this Matters Now, on est allés à la rencontre d’Ulysse Cottin et Armand Penicaut, alias Papooz. Entre inspirations et aspirations, le duo folk-pop nous livre leur vision de la musique, tant comme force introspective que fédératrice.
La Face B : Bonjour les Papooz ! Comment allez-vous ? Et plus largement, comment en tant qu’artistes vous appréhendez cette période assez troublée que nous traversons? La musique peut-elle aider à faire face ?
Ulysse : Tout d’abord dans la morosité ambiante, cela nous parait être un réflexe naturel d’apporter de la joie aux gens. Et puis on est musiciens, on ne fait pas de la politique. Notre quotidien c’est d’écrire des chansons, et là on est aussi heureux d’enfin pouvoir rejouer après deux années difficiles à cause de la pandémie.
Armand : Sur le Titanic on aurait été les mecs avec les violons ! Pour moi il y a quelque chose dans la musique qui va bien au-delà du divertissement. Cela permet de vivre un moment d’émotions et de beauté, et c’est une des réponses que les êtres humains ont eu à la guerre au cours de l’histoire. Le temps d’un concert, les gens sont rassemblés pour célébrer la vie, de manière belle et forte. Par exemple on avait joué à Tbilissi en Georgie, et un an ou deux plus tard au moment de la révolution culturelle, ils nous avaient rappelés pour essayer de rejouer là-bas, pour les accompagner dans ce combat, apporter une joie dans un moment où il y en a besoin.
Ulysse : Oui, dans les pays de l’Est c’est flagrant à quel point les jeunes ont envie de s’amuser, malgré les choses difficiles qui peuvent se passer. Et puis tout ce qu’il se passe globalement dans le monde, non seulement les guerres mais beaucoup de choses qui n’évoluent pas forcement vers du mieux, tout ça doit aussi nous inspirer pour en faire quelque chose.
La Face B : Et cela nous amène à discuter de votre nouvel album qui sort la semaine prochaine ! Est-ce que vous pouvez nous parler un peu de la genèse et la création de cet album. Dans quel univers aviez-vous envie d’emmener les gens?
Armand : On rentrait de tournée américaine en mars 2020, et on avait envie de travailler sur un nouvel album. A cause du confinement on était séparés, Ulysse à Paris et moi dans le Sud-Ouest, et on a travaillé à distance en se montrant des titres. A la fin du premier confinement on s’est retrouvés au studio La Ferme dans le Sud, qui appartient à notre batteur. On y a fait deux sessions de sept jours, en mai et septembre, pour enregistrer l’album avec notre groupe qui nous accompagne en live.
La Face B : Comment avez-vous procédé pour assurer la cohérence de l’album tout en étant séparés?
Armand : On s’envoie des choses et après on regroupe esthétiquement, un peu comme des DJs pour préparer un set.
Ulysse : Ça vient plutôt naturellement. On a évincé certains morceaux qui individuellement pouvait nous plaire mais qui collait moins avec l’esthétique de l’album. On a cherché une esthétique différente de l’album précédent, avec plus de guitare, plus nu. Un album de songwriters, qui s’adresse à un auditeur et lui raconte une histoire.
La Face B : J’avais déjà entendu parler du studio La Ferme, où notamment les Oracle Sisters ont enregistré également.
Ulysse : Oui c’est super ! On est dans la forêt, il y a un immense potager, on est entre nous, on boit du vin. Il n’y a pas internet ou presque, en tout cas pas assez pour passer du temps à regarder des storys sur son téléphone. C’est un endroit où on se sent bien, on avait répété là-bas il y a très longtemps, c’est là où on a créé le groupe en fait. On s’y sent bien et libres.
Armand : Ensuite on a retravaillé l’enregistrement, mixé et masterisé sur les derniers mois de 2020.
Ulysse : On l’a fait à Paris, chez moi et dans un studio. L’album est donc prêt depuis un certain temps, mais on attendait d’être dans les bonnes conditions pour le sortir, pour pouvoir le jouer en live.
La Face B : Dans vos albums, on retrouve beaucoup d’influences différentes : le jazz, la bossa, la folk, le rock sixties /seventies. De quelles influences vous êtes-vous nourris plus particulièrement pour cet album ?
Armand : On s’est nourris de plein de trucs, mais je dirais que cet album c’était un peu plus americana, le genre d’ambiance où on se retrouve dans une maison en bois et on fait de la musique. Je pense que le lieu a aussi influencé la musique qu’on a faite et l’approche qu’on eue pour l’enregistrement.
Ulysse : C’est un album plus référencé à la musique folk, avec plus de guitares, un format de chansons plus songwriter folk. Sur le deuxième album on avait des structures avec plein d’accords de jazz, c’était pas exactement le même procédé d’écriture. Cet album est aussi plus rock je dirais, même s’il reste un album chill, mais il y a un aspect plus rock’n’roll qu’on retrouvait moins sur celui d’avant. Ça se réfère à tous ces groupes de rock, de folk. Neil Young en particulier.
Armand : Oui je pensais beaucoup à Harvest et Harvest Moon, dans le côté basse batterie sèche et guitare voix.
Ulysse : Et George Harrison qui va faire quelques slides. Ce sont nos deux influences majeures.
La Face B : Pour en venir aux textes, vous aviez qualifié votre premier album Green Juice comme plutôt “adolescent”, printanier, plus naïf dans les textes, et le deuxième Night Sketches comme un passage à l’âge adulte, avec des textes plus réfléchis. Dans cet album vous abordez des thèmes plutôt sérieux, comme le réchauffement climatique, la rupture amoureuse, l’envie de fuir face au chaos du monde… Comment alors qualifieriez-vous ce nouvel album? Pourquoi avoir choisi ces thématiques-là?
Armand : Souvent c’est assez inconscient. Il y a un mot ou une expression qui nous vient, et après on travaille à partir de ça. Moi je n’écris jamais les textes avant la musique. La mélodie dicte les mots, et ça se tisse naturellement, de façon un peu magique. Par habitude aussi. C’est un peu flou, ce sont des sentiments de vie, qu’on essaye d’exprimer. Et puis moi je vais avoir 33 ans donc c’est sûr que je ne suis plus du tout un adolescent, même si parfois je me comporte comme tel.
La Face B : Si on prend par exemple le titre None of this Matters Now, comment avez-vous eu l’idée de ces paroles, et quel message faites-vous passer avec cette chanson?
Armand : Dans la pop musique, c’est chouette je trouve d’avoir une musique lumineuse, solaire, et un contrepoint avec un texte plus sérieux. Pour ce texte j’avais trouvé le refrain, qui est un peu gospel, en me levant un matin. J’ai un copain danois qui est sociologue et qui travaille avec le philosophe Bruno Latour, on parlait du réchauffement climatique dans un café, que les GAFAM achetaient des terres en Nouvelle-Zélande pour se réfugier au cas où.. Ça m’a débloqué tout le sens de la chanson, et j’ai pu écrire le reste du morceau en rentrant chez moi. L’écriture de nos textes passe par plein d’histoires comme ça.
Ulysse : C’est la vie qui nous inspire en fait. Moi j’ai besoin d’avoir quelque chose qui fait écho à ma vie, sinon ce serait moins honnête de ma part et plus dur de vivre avec. Et puis grâce à ça tu marques des moments dans ta vie, et tu t’aides à comprendre des choses en toi et les guérir. En en parlant, tu avoues des choses et tu te sens mieux après. Mais c’est vrai que c’est marrant, très souvent quand tu composes une chanson t’es là avec tes accords, tu sais pas de quoi tu vas parler, et une fois que t’as conceptualisé l’idée, assez rapidement là tu vas pouvoir développer dessus. C’était le cas pour notre morceau Hell of a Woman par exemple.
Armand : J’avais trouvé le refrain un matin comme ça avec ma guitare sur mon lit, et après tu fais un peu des légos mentaux.
La Face B : Vous parlez forcement de choses que vous avez vécu personnellement ?
Ulysse : Oui, tout l’album ne parle que de choses qu’on a vécues.
Armand : Après, un texte c’est toujours une structure un peu ouverte, et parfois je ne me souviens plus pourquoi j’ai écrit tel truc.
La Face B : Oui, j’imagine que vous essayez aussi de donner aux textes un aspect plus universel ?
Ulysse : Oui c’est important aussi, il faut essayer de ne pas donner trop de détails spécifiques auxquels personne ne peut se référer.
La Face B : Trouver le compromis entre ne pas être trop spécifique tout en restant authentique.
Ulysse : Et en même temps on a vu une masterclass d’un songwriter sur YouTube, qui souligne l’importance d’apporter autant de détails que possible à l’auditeur.
Armand : Tu dois raconter un truc que tout le monde a vécu par ton prisme. Toi tu as la chance de pouvoir maitriser un médium, mais tu n’es pas plus intelligent ou sensible qu’un autre. Souvent une bonne chanson c’est ça.
Ulysse : Et puis on peut être ému par une chanson même sans comprendre les paroles, ça passe aussi par une instrumentation, des couleurs.
La Face B : Et justement niveau instrumentation, quand on écoute vos albums, on voit qu’au fil du temps vous avez vraiment un style qui s’est dessiné et affirmé : cette vibe très seventies, aérienne, un peu tropicale. Est-ce que vous avez le sentiment que vous vous êtes complètement trouvés musicalement, ou vous avez encore des choses à explorer et que c’est envisageable que dans le futur vous preniez une direction artistique différente ?
Armand : Honnêtement difficile à dire quel va être notre futur musical. Mais on fait la musique qu’on fait pour une raison. On en parlait avec Erlend Oye récemment, lui comme nous on a toujours fait de la musique joyeuse, et c’est un peu malgré nous. Moi j’aime bien ce qui est fun et cool dans la vie, et ça se ressent dans ma musique. Je ne pourrais pas faire du post punk, parce que je ne suis pas né dans une cité ouvrière à Belfast. Il y a toujours un côté solaire dans nos chansons.
Ulysse : Oui c’est une tendance naturelle. On n’écoute pas beaucoup de musique “anxiogène”, on aime bien les musiques calmes, reposantes.
Armand : Ce qui caresse, pas ce qui agresse. Même si j’aime aussi des trucs très rock.
Ulysse : En live on peut être assez virulents, mais toujours dans une vibe positive.
La Face B : Et puis vous équilibrez avec vos textes parfois plus mélancoliques comme on l’a vu.
Ulysse : Oui, il y a d’ailleurs certains morceaux plutôt tristes sur l’album, comme Réminiscence qui est une balade assez lente, un peu plus dans la complainte.
Armand : Peut-être plutôt comme de l’allégresse, une joie dont on a conscience de l’évanescence.
Ulysse : Et pour revenir à ta question, pour le premier album on n’a pas défini un style consciemment, on l’a fait malgré nous. Sur le deuxième on a un peu plus réfléchi à ce qu’on voulait faire, et là on continue de réfléchir. Mais je pense qu’on a encore pas mal de fantasmes musicaux à assouvir, on ne se dit pas du tout ah voilà là c’est bon, jamais. Je suis exigent et je pense qu’on peut faire encore mieux avec le talent qu’on a.
La Face B : Et côté production, vous disiez donc que vous aviez enregistré au studio La Ferme. J’imagine que vous aviez une idée précise du son que vous vouliez obtenir? De qui vous êtes-vous entourés à cet égard ?
Armand : On a produit l’album nous-mêmes, et on a demandé à l’ingé son avec qui on avait travaillé pour notre deuxième album de venir faire le son. C’est Maxime Kosinetz, qui a aussi travaillé avec Oracle Sisters. On a travaillé en amont en lui envoyant des playlists avec des sons de batterie, guitare etc. pour lui montrer comment on voulait que ça sonne. On a fait sept jours de prises live en studio, et la seule chose que l’on s’est imposée c’est de garder les voix lead live. On répétait pas mal les morceaux la journée et on enregistrait la nuit. On avait un modus operandi où on enregistrait trois titres d’affilée trois fois, puis on allait se coucher et on réécoutait le lendemain.
La Face B : Pourquoi vous avez préféré enregistrer de nuit ?
Armand : Moi personnellement j’aime mieux, je trouve ça plus mystérieux. Même au niveau moléculaire l’air change. Je me sens plus au calme, plus détendu la nuit. Et puis là-bas il y a des fenêtres, c’est pas comme les studios en sous-sol où tu ne sais pas si c’est le jour ou la nuit.
La Face B : Et Armand, tu as récemment accompagné les Oracle Sisters dans leur tournée au Royaume-Uni. Vous faites partie de la même famille musicale, eux ont aussi enregistré à La Ferme. Quelle est votre relation avec le groupe? Envisagez-vous des collaborations à l’avenir?
Armand : Oui j’ai fait une tournée avec eux en tant que bassiste. On les a pas mal aidés au tout début quand ils commençaient, on les a fait jouer en première partie. On est très copains, on se montre toujours nos morceaux. J’ai joué de la guitare sur deux de leurs morceaux qui sont sortis récemment. On apprécie beaucoup leur musique, il y a un truc très songwriter chez eux, et ça influence aussi sûrement la musique qu’on fait nous.
La Face B : Vous vous apprêtez à partir le mois prochain en tournée européenne et nord américaine. Comment appréhendez-vous cette tournée, ces retrouvailles avec le public? Est-ce que vous avez fait des choix différents des précédentes tournées?
Ulysse : On n’y a pas encore vraiment réfléchi, on n’a pas commencé à répéter.
Armand : Là on est en train justement de préparer ça.
Ulysse : On a un nouveau batteur et un nouveau tourneur.
Armand : Notre ambition c’est de pouvoir jouer un maximum de notre répertoire, faire des sets différents et s’amuser. Les retrouvailles avec le public aussi ça va être merveilleux.
La Face B : D’ailleurs comment le public américain reçoit-il votre musique ? Quels retours avez-vous eu jusqu’à présent ?
Ulysse : C’est le public qui nous écoute le plus en streaming !
Armand : Oui, on était presque complets partout lors de notre première tournée là-bas.
Ulysse : Donc là on y retourne, et le but c’est aussi d’y retourner à la fin de l’année. Je pense que la jeunesse là-bas est plus prédisposée à comprendre notre musique qu’ici en France, donc pour nous c’est important d’y aller.
La Face B : Nous arrivons à la fin de notre entretien. Avant de se quitter, est-ce que vous avez des morceaux à conseiller aux gens, qui vous accompagnent en ce moment et vous aident à garder la pêche ?
Armand : Moi j’ai découvert une artiste britannique qui s’appelle Katy J. Pearson, elle a sorti un album récemment et c’est génial, c’est good vibes.
Ulysse : Tout à l’heure j’écoutais un morceau des Beach Boys que j’adore : Aren’t you glad, de l’album Wild Honey. J’ai aussi découvert une cover de Chove Chuva, un morceau brésilien, par l’artiste sud-africaine Miriam Makeba. C’était l’anniversaire de sa mort il y a deux jours.
La Face B : Super, merci pour ces recommandations ! Et on pourra rajouter à la liste bien évidemment votre nouvel album None of this Matters Now.