Si vous tapez le mot « unschooling » sur Internet, vous tombez sur la définition suivante : « La non-scolarisation (en anglais : unschooling) est une méthode et une philosophie d’éducation qui emploie et soutient les activités librement motivées des enfants comme moyen premier d’apprentissage de la vie et des compétences. » C’est avec cette simple définition que l’on peut saisir parfaitement la doctrine de la formation post-punk originaire de Rouen. Le groupe vient de sortir il y a environ trois semaines, le 6 octobre, un nouvel album nommé New World Artifacts chez le label anglais Bad Vibrations. Entre expériences sonores réussies et expression artistique totalement libre, écoute intégrale et chronique de l’album.
Les types d’Unschooling n’en sont bien entendu pas à leur premier tour de chauffe. Remarqué dès 2019 avec un premier album, Defensive Designs, le band a su frapper les esprits et étonner les oreilles de plus d’un aficionado avec un post-punk déjà très versatile et redoutable. La confirmation ne s’est ensuite pas fait attendre avec l’EP Random Acts of Total Control en 2021. Avec New World Artifacts, les barrières des styles, des genres et des manières de faire sont repoussées, tordues dans tous les sens, explosées, renversées. Le disque, qui a été enregistré principalement en live et de manière DIY dans le studio d’un ami proche du groupe dans la campagne normande à la fin de l’été 2022, est d’une violence sourde qui étouffe autant qu’elle libère.
La plongée dans cet ovni qu’est New World Artifacts est immédiate avec une intro éponyme mystérieuse composée de sons de radio disparates. La dimension bruitiste et expérimentale que l’on pourra retrouver à travers les onze titres de l’album est donc, d’une certaine manière, déjà affichée et assumée. La première véritable entrée en matière dans le disque se fait avec la track Public Transit. Un véritable balancement entre une musique indie pop extrêmement travaillée et un post-punk lo-fi des plus déconstruits. Les guitares, aux sonorités autant métalliques qu’aériennes, se promènent et virevoltent au dessus de nos têtes de manière vagabonde. Les cinq membres d’Unschooling nous montrent ici dès le début l’immense technique dont ils font preuve, autant au niveau de la maîtrise de leurs instruments qu’au niveau de la complexité positive, voulue et garantie de leurs compositions.
La précision méticuleuse est toujours de mise sur le morceau suivant, Erase U. Les guitares s’emmêlent, se démêlent, sont agressives et perçantes, puis deviennent douces et lointaines. La dichotomie entre la structure « pop » du morceau et la recherche expérimentale poussée dans les explorations sonores du groupe originaire de Rouen devient une marque de fabrique certaine et apporte ce qu’on pourrait qualifier de jouissance dans la dissonance, de plaisir dans la déconstruction.
La quatrième piste, Brand New Storm, est le tout premier single avec un clip que les garçons ont utilisé pour annoncer la sortie de l’album il y a environ quatre mois. Ballade mélancolique et erratique évoquant des souvenirs encore trop frais d’un monde pas encore galvaudé par la dimension performative et normative du capitalisme et de la machine. La volonté de se perdre dans un hasard créatif et libre se manifeste et se matérialise musicalement devant nos oreilles (et accessoirement nos yeux avec les différents clips proposés).
On poursuit ce périple chaotique et intense un peu plus profondément dans la tristesse et la violence avec Excommunicated. Ce qui apparait comme étant le climax de New World Artifacts, cet autre single clippé est le morceau le plus long de tous ceux de l’album. Avec sept minutes au compteur, cette épopée névrotique, brutale, désabusée et admirable retourne le cerveau et le coeur dans tous les sens du terme. Les passerelles entre temps forts et temps faibles sont fameusement construites et amènent tantôt sur des moments remplis de spleen durant lesquels Vincent lâchent des nuées de papillons noirs avec une performance vocale subtile, simple et prenante, tantôt sur des moments plus inquiétants comme cette cavalcade punk torrentielle au milieu du morceau ou alors cette fin façon musique ambient qui noircie l’atmosphère et provoque des frissons de la tête aux pieds.
Le chemin se poursuit avec Ribbon Road. Cette courte traversée sinueuse et vaporeuse au beau milieu de saccades free jazz psychotiques et discrètes transcende la façon fluctuante dont le quintet a de produire et de composer ce rock ambivalent et primitif, complexe et épuré. Les cinq membres du band portent fièrement, mais humblement, cet étendard du collage musical qui, une fois assemblé, détruit, remodelé, regroupé, dispersé, remonté, donne ce goût agréable et original qu’on peut avoir quand on fait face à un objet artistique jamais appréhendé auparavant. Là est le symptôme d’une intelligence esthétique et créative aiguisée.
A Hundred Spires. À ce stade, et surtout avec cette interlude ambient garnie de synthés, New World Artifacts se transforme presque en une bande originale d’un film d’anticipation. La quête sophistiquée et pointue d’un son que l’on pousse dans tous ses retranchements émerge naturellement et se résout grâce à la démarche d’Unschooling et montre très clairement la position débridée d’anarchistes musicaux qu’on les membres du groupe, pour le meilleur.
La méthode et le procédé d’écriture du band n’en finissent pas d’être surprenants, en particulier quand on se retrouve face à Trauma. Il n’y pas plusieurs riffs de guitares qui se succèdent logiquement, il n’y en a qu’un qui n’en finit pas d’évoluer, de muter, de se transformer perpétuellement comme un caméléon change de couleurs en fonction de son environnement. Il n’y a pas plusieurs mesures rythmiques bien déterminées qui reviennent régulièrement comme dans un morceau lambda, il n’y a qu’une batterie hypnotique et haletante qui s’articule presque hasardeusement mais toujours précisément dans ce marathon effréné et spectaculaire. L’amour du risque, oui, mais un risque dompté et utilisé à bon escient.
Et surprise! Car il y a un an, le groupe sortait le single Shopping On The Left Bank. Beaucoup se doutait déjà que cette sortie annonçait un nouvel album incessamment sous peu. Chose promise, chose due, car ce même single apparaît sur New World Artifacts. Et jusque là rien d’anormal, le morceau contient l’entièreté des ingrédients de la recette secrète d’Unschooling. Une dissonance maîtrisée, une vélocité incomparable dans le jeu des guitares et une structure de composition aussi fraiche et abordable qu’étrange et avant-gardiste.
On approche de la fin de l’album et la dernière interlude, Mom’s Work Force, vient nous déloger et nous secouer pendant un peu moins d’une minute avec un post-punk frontal, rapide et expéditif.
Le tout dernier morceau de l’album New World Artifacts, The Goose, vient se poser tranquillement, envoûtant, beaucoup plus simple que ses prédécesseurs et vient confirmer que, oui, absolument, la création musicale est infinie et intarissable. Que quelque part entre la citation et l’expérimentation, le champ des possibles est immense. Et ce champ des possibles, les types d’Unschooling l’ont agrandi avec ce nouvel album. Si aucune référence ou aucune analogie à un autre groupe ne sont apparues dans cette chronique, c’est voulu et c’est simplement car le quintet post-punk de Rouen a réussi à proposer une oeuvre unique, insolite et neuve. Ils le disent eux-mêmes : « New World Artifacts est une ode à l’inattendu, un hommage aux nombreux groupes d’art rock qui sont toujours là où on les attend le moins. C’est à la fois bruyant et sensible. Chaud et froid à la fois. » La messe est dite.