Cela fait quelques années désormais que Pearl & The Oysters nous émerveillent d’album en album. On ne manque jamais une occasion de retrouver les français, installés aux Etats-Unis, à chacun de leurs passages en France. En fin d’année c’est à La Cave Aux Poètes à Roubaix qu’on s’est posé pour parler de leur dernier album Coast 2 Coast, mais aussi de santé mentale, de l’évolution de leur musique et de leur signature chez Stones Throw.
La Face B : Comment ça va ?
Joachim : Ça va plutôt bien. On sort d’un mois de tournée aux États-Unis donc on est un peu fatigués. On est tous tombés malade dans le groupe vers la fin de la tournée et ça a mis un peu de temps à s’estomper. Mais là, ça commence à aller mieux pour moi. Je suis très content d’être là. Premier concert européen en dehors de Paris. À chaque fois qu’on revient en France, on joue à Paris. En fait, c’est la première fois qu’on fait un concert en France en dehors de Paris. Je n’étais jamais venu à Roubaix, je ne connaissais pas du tout donc ça fait plaisir évidemment.
Juliette : On est vraiment heureux que les places se soient bien vendues. Pour nous, le territoire musical français est un grand mystère. On travaille tous les jours à “conquérir” les États-Unis et là, de savoir qu’on va faire un bon petit concert avec tout plein de gens de la région, ça fait plaisir.
LFB : C’est une question que je me posais. C’est vraiment votre première date en dehors de Paris. C’est fou, on est encore dans le « Nul n’est prophète en son pays ».
Joachim : Clairement. Ça a mis bien longtemps. C’est le quatrième disque. Un groupe mené par deux français a mis 4 albums pour faire un concert en France en dehors de Paris. C’est marrant. Après oui, c’est vrai qu’on chante en anglais et tout ça. Donc on est ravis, et on a hâte de jouer ce soir.
LFB : Pour rester sur des choses qui font plaisir : comment vous avez vécu votre signature chez Stones Throw ? Est-ce que c’était un peu un accomplissement ?
Juliette : Ouais, complètement. Ça s’est passé très lentement mais oui, depuis que le groupe existe presque, on a Stones Throw dans un coin de la tête. Ça s’est fait lentement mais aussi organiquement finalement. Pour eux, la communauté est hyper importante. Ils ont un bar dans leur quartier à Los Angeles, qui est aussi notre quartier parce qu’on est voisins. Ils nous ont invités dans leur cercle avec beaucoup de générosité et de chaleur. Non seulement c’était le label de nos rêves avant de les connaître humainement, mais maintenant c’est autre chose. Ils instaurent un cadre presque familial parfois. C’est hyper mignon. Chris Manak (aka Peanut Butter Wolf), qui est le directeur du label, c’est vraiment le papa. Il entretient des rapports amicaux avec tous ses artistes, autour de la musique mais aussi humainement, on connaît bien sa fille qui fait un feat dans son remix de “Joyful Science”.
Joachim : C’était un gros accomplissement en ce qui me concerne. Pour moi, c’était un rêve. On se disait que ça serait génial d’atterrir sur ce label. Ça s’est fait par l’intermédiaire de notre ami Shags Chamberlain qui a mixé nos deux derniers disques. Shags a joué un moment dans Drugdealer. Il mixait et co-produisait mais tournait aussi dans le groupe à la basse. Maintenant, il est principalement mixeur, et avait déjà travaillé plusieurs fois avec/pour Stones Throw. C’est vraiment lui qui a pris Chris dans un coin, lui a montré nos clips, et lui a dit qu’on avait un nouveau disque. Ça s’est fait comme ça.
LFB : Vous qui avez longtemps navigué dans un truc très indé, est-ce qu’il y a quelque chose de rassurant et qui ôte un poids à être sur un label un peu plus structuré et plus « professionnel » ?
Juliette : C’est clair que ça enlève un poids et en même temps leur chaperonnage n’influence pas le reste – on est toujours très libres artistiquement ce qui est chouette.
Joachim : Sur l’artistique, c’est vrai que ça n’a pas changé et c’est ça qui est génial. C’est d’ailleurs dans notre contrat. C’est un truc qui est acté. On a le dernier mot pour tout ce qui est artistique. Ce qui est, même avec les labels indé, pas toujours facile à obtenir. En tout cas, disons qu’informellement, il y a un peu une pression qui vient des DA ou des managers, qui forcent parfois une certaine ligne éditoriale. Avec nous, ce n’est vraiment pas le cas. D’ailleurs, de manière générale, Stones Throw ne fait pas ça. Ils laissent les artistes faire leur truc. Là où on peut avoir des désaccords, c’est plus le choix des budgets pour les clips et trucs comme ça. Là, on s’entend, etc. Mais oui bien sûr, ça a vachement professionnalisé le groupe un peu d’un coup. C’était un moment bienvenu. Je pense qu’on avait envie de faire des tournées un peu plus encadrées. Avoir un cadre un tout petit peu plus formel et être un peu moins livrés à nous-mêmes. Jusqu’à assez récemment, on se débrouillait nous-mêmes pour absolument tout. Et là, ça a un peu changé et c’est vrai que ça a donné une petite poussée. Je le vois en France parce qu’on a eu des radios, des trucs comme ça. Il y a une attachée de presse qui nous représente, c’est vrai que ça aide. On a l’impression qu’on a une tribune un peu plus large que d’habitude.
LFB : Ce qui est important, c’est qu’au bout d’un moment, il est temps de mettre une barrière entre le côté chef d’entreprise et le côté musicien. On en parlait avant mais au niveau de l’énergie que ça prend, de la pression, j’ai l’impression qu’au niveau de la santé mentale, ce sont des trucs qui peuvent être très pesants et qui peuvent gâcher l’amour que tu peux avoir pour ta musique.
Juliette : Alors peut-être que la prochaine étape pour nous serait de travailler avec un(e) manager/manageuse. Parce qu’il y a quand même une espèce de coordination perpétuelle au quotidien et ça peut devenir un peu aliénant, particulièrement quand on est sur la route.
Joachim : C’est difficile. Plus il y a d’opportunités et plus ça se professionnalise, plus on est contactés via différentes avenues et ça commence à être un peu dur d’être la seule entité qui gère ça. Juliette et moi on répond à tous les mails, on coordonne tout.
Juliette : Même à notre stade.. on est encore en développement!
Joachim : Oui, ce n’est pas non plus… On ne gère pas des trucs dingues mais ça commence un peu à nous dépasser. Stones Throw a des bureaux en Angleterre et grâce à cette équipe-là, qui a un peu coordonné cette tournée européenne, on se sent soutenu.
Juliette : Et puis Stones Throw, ils nous ont fait ce cadeau merveilleux qui était de nous emmener en Asie pour notre première tournée là-bas. Ils se sont occupés de tout, on n’a rien eu à faire d’autre que de faire les concerts.
Joachim : C’est à nous aussi d’accepter de déléguer certaines choses. Quand tu es habitué à tout faire toi-même, c’est aussi un défi… Au final, je suis super content qu’il y ait quelqu’un qui puisse conduire, s’occuper des trucs logistiques qui nous rajoutent une couche de stress autrement.
LFB : Même d’un point de vue humain, quand tu es dans un projet que tu portes avec des musiciens qui peuvent être variables selon les tournées, ça peut abîmer les choses avec les musiciens avec qui tu joues sur scène parce que parfois, tu dois être le patron et pas le musicien.
Joachim : Exactement, ça c’est dur. On en a souffert à toutes les étapes je crois.
Juliette : Je comprends de plus en plus ce qui est différent avec le système français. Les groupes ont des productions qui prennent toutes les responsabilités en fait.
Joachim : Nous, on n’a pas ça, on vient en tant que groupe étranger (et donc pas comme un groupe français en développement avec un tourneur qui fait office de producteur) et du coup, c’est difficile d’essayer de matcher les conditions que peuvent avoir les musiciens français dans leurs autres projets.
LFB : En France, même les groupes indé comme vous ont quand même un tourneur. Ils ont des choses qui leur permettent de s’ôter ce poids-là.
Juliette : On a eu un tourneur pour cette tournée.
Joachim : Ce n’est pas un tourneur basé en France. Ce qui complique les choses. C’est un tourneur européen mais qui connaît moins bien le système français.
Juliette : On a constamment le cul entre deux chaises avec Joachim parce qu’on est franco-américains. Donc c’est compliqué dans nos vies personnelles d’être entre deux continents. Mais après juridiquement, c’est un enfer. Dès qu’on joue en France, il faut qu’on s’adapte au système des cachets.
Joachim : C’est toujours compliqué de se faire payer en gros.
Juliette : Beaucoup de paperasses et de situations où les gens ne savent pas.
Joachim : Si on nous considère comme un groupe français, je pense qu’on est un peu à part dans le sens où on n’est pas intermittents et on ne veut pas l’être, parce qu’on paie nos impôts dans un autre pays dont le système fonctionne de manière totalement différente.
Juliette : Et puis, on n’est pas Phoenix. On n’a pas la machine derrière qui pourrait nous aider à organiser ça.
LFB : Un jour peut-être. Pour en revenir à la musique, vous avez dévoilé cet album Coast 2 Coast. J’aime beaucoup ce titre parce que j’ai un peu l’impression que c’est l’album qui raconte votre histoire de la traversée des États-Unis. Si je ne me trompe pas, cet album a été composé en partie en Floride et en partie en Californie.
Joachim : C’est ça. L’idée était d’évoquer des images plutôt que de raconter tout ça littéralement dans les paroles. Essayer de peindre un portrait de ce voyage et de ce déménagement qui a été assez compliqué pour plein de raisons. C’était juste avant la pandémie. C’était difficile mais au final, ça ne nous a plutôt bien réussi. On peut dire qu’on a fait une face en Floride et une face en Californie. Donc les morceaux aussi, actualité oblige, ont des teintes différentes. En Floride, je crois qu’on était un peu dans une période assez pénible psychologiquement et mentalement. Mais alors les morceaux en Californie, on venait d’arriver (début 2020 donc pandémie) et c’était le désert. On ne sortait pas de chez nous. On était dans cette ville nouvelle qu’on ne connaissait pas. C’était très, très étrange. Et donc ces morceaux-là reflètent un peu ça. L’étrangeté de comment on a vécu ce départ. Comme plein de gens qui ont déménagé juste avant, partout dans le monde. Tous les gens qui ont déménagé juste avant (le Covid) se sont retrouvés dans des villes fantômes qu’ils ne connaissaient parfois que très peu ou pas du tout. J’imagine que c’était compliqué pour tout le monde. Donc on a essayé d’en faire des morceaux.
LFB : La dernière qu’on s’était vus, c’était juste avant le Covid, en février 2020 avec Biche.
Joachim : Oui, et on parlait de si on allait faire une nouvelle édition du Ostreoid festival. Et depuis, tout a changé.
LFB : En termes d’influence, quelles différences vous voyez entre Gainesville et Los Angeles ? J’ai l’impression que Gainesville, c’était une petite ville alors que Los Angeles, c’est un foisonnement musical qui est assez fou.
Juliette : Comme on est toujours artistiquement influencés par les éco-systèmes qui nous entourent quand on crée, c’est clair que ce changement a été radical. On est aussi passé d’un groupe de collaborateurs à un autre ce qui a aussi changé des choses. On a eu la chance de tout de suite rencontrer plein de nos héros musicaux qui ont été super accessibles et bienveillants avec nous.
Joachim : C’est vrai. On s’est retrouvés à faire de la musique avec des gens qu’on admirait, qu’on connaissait plus ou moins bien d’ailleurs. C’est vrai qu’on a senti un truc très généreux.
Juliette : C’est plutôt rare à Los Angeles parce que les gens qui y déménagent généralement se sentent au contraire très isolés, en tout cas au départ. Nous on a eu la chance de connaître quelques personnes clés qui nous ont présenté à d’autres au tout début et ainsi de suite – et tout ça dans les deux mois avant lé début de la pandémie.
Joachim : Le réseau s’est très vite élargi, si bien que fin 2020, on s’était fait plein de nouveaux potes, malgré les confinements. C’était un peu bizarre. On se voyait dehors avec les masques, à six mètres chacun. C’était évidemment étrange de rencontrer des gens dans ces circonstances mais assez vite, on nous a proposé d’enregistrer des trucs à distance. Des gens de Los Angeles ont commencé à comprendre qu’on était là aussi. Ça a ouvert pas mal de portes. Dès que les concerts ont repris, on avait une espèce de hype qui s’était installée. Je n’ai pas trop compris comment c’est arrivé.
LFB : Avec des morceaux qui dépassent le million sur Spotify.
Joachim : Ça, c’est arrivé plus récemment. C’est vrai que c’est assez marrant. Notre batteur à Los Angeles dit toujours qu’on est une “L.A. Success Story” (rires). On est arrivés à un moment où ça n’aurait pas du tout dû marcher et ça a assez bien pris au final.
Gainesville, c’est l’extrême opposé. C’est une toute petite ville étudiante où il y a un groupe très soudé de gens qui ont une vision et qui essaient d’être un incubateur artistique. Comme souvent dans toutes les petites villes universitaires, un petit groupe de personnes va déployer énormément d’énergie pour constamment essayer d’entretenir les conditions qui permettent de faire exister une scène intéressante et qu’elle se renouvelle. Toujours la nourrir, trouver des gens curieux, organiser des festivals, etc. À L.A., tu as presque un phénomène de surabondance (en tout cas en ce qui concerne la musique). C’est un peu l’inverse.
LFB : C’est un peu une histoire de passage à l’âge adulte finalement.
Joachim : C’est intéressant de le voir comme ça et je trouve que c’est une bonne analogie. Il y a aussi un truc où tu développes quelque chose dans une plus petite ville où c’est plus amateur, les loyers sont moins chers, tout fait que c’est plus simple de le faire là. Et ensuite, tu vas le faire dans la grosse ville, avec davantage de concurrence/compétition, et où c’est moins évident de faire son trou.
LFB : Le but, c’est de ne pas se trahir.
Joachim : Ouais, en plus c’est vrai qu’il y a eu, qu’on le veuille ou non, une professionnalisation au passage. Je ne pense pas qu’on cherchait à sonner plus commercial ou quoique ce soit mais ça s’est fait assez naturellement parce qu’on a été exposés à un milieu où il y avait plus de professionnels dans la musique, même si notre cercle reste des indés.
LFB : Indé aux États-Unis, pas indé en France.
Juliette : Ouais bien sûr. À Los Angeles, on est au cœur d’une scène qui est vraiment, vraiment chouette et qui a un certain succès internationalement.
Joachim : Tout le monde tourne en Europe. On a plein de potes qui étaient en Europe récemment et qui y vont après nous.
LFB : Du coup, tu parlais du son que vous avez créé avec Pearl & the Oysters qui est quand même très défini et qui se retrouve d’un album à l’autre. Comment on se « challenge » musicalement quand on a un son qui est là et que les gens attendent ?
Juliette : Je pense que le challenge vient aussi dans la qualité de la production. On a commencé le groupe avec un son plus négligé, on enregistrait les voix avec un micro USB. C’était peut-être une réaction à la musique qu’on faisait avant qui était très clean. Peu à peu, on est redevenu plus exigent à ce niveau-là.
Joachim : On essaie de sonner un peu plus conventionnellement hi-fi. Un peu plus poli disons, pas forcément dans la composition mais en tout cas dans la présentation du truc en termes de production.
Juliette : Ouais, ça serait plus la production qui a changé parce que la manière d’écrire les chansons…
Joachim : Ça a évolué aussi. Je pense qu’on s’est lâchés sur certaines choses. On s’est lâchés dans le jazz. Il a fallu quatre albums pour que la musique qu’on aimait passionnément quand on était en France, on se laisse la faire. Des trucs qui sont très influencés par le fait qu’on adore le jazz et qu’on l’a étudié tous les deux au conservatoire. C’est vrai que ça a mis un certain temps je pense entre le premier album qui était une espèce de bricolage un peu computer rock, rien n’a été fait en studio, il n’y avait jamais le son de la pièce. C’était tout couche après couche sur l’ordi, et en même temps, on saturait tout pas mal, c’était assez distordu et on poussait un peu le truc un peu rock-électronique – alors que l’approche et l’intention étaient de sonner un peu plus organiques avec Flowerland et Coast 2 Coast. On gardait les synthés mais ça évoluait vers une écriture plus jazz, 70s’.
LFB : Et il y a des transitions électroniques un peu étranges sur Coast 2 Coast aussi.
Joachim : Ouais, c’est vrai qu’on a gardé ça. Je pense, comme tu le dis, qu’il y a une palette de sons un peu attendue après 3-4 disques et comme de toute manière, ça nous a toujours vachement intéressé de creuser ça et d’avoir des plages qui soient instrumentales, électroniques, pas forcément typiquement des morceaux de rock. Ça ne me semble même pas si expérimental maintenant. Je trouve juste que ça fait partie du langage qu’on a développé.
LFB : Vous avez créé un langage que vous faites évoluer d’album en album.
Juliette : Ouais, et avec plus de liberté.
Joachim : Ouais, on est aussi attentif à ce que les trucs qui sont vraiment pop le soient le plus possible pour qu’on puisse aussi aller dans l’autre sens où on se lâche encore plus. Ça permet à la fois d’être très pop et de creuser quelque chose qui n’est pas pop du tout. Je trouve que cet équilibre est intéressant. On essaie de retrouver cet équilibre dans chaque disque. Ça s’est fait différemment avec chaque album, oui.
LFB : Ce qu’il y a de marrant, c’est qu’il y a un truc qui ne bouge pas, c’est qu’il y a un côté émerveillement constant dans votre musique. Votre musique est très accueillante dans ce sens là, il n’y a rien de brutal. Il y a vraiment un truc du côté du merveilleux, de l’onirisme qui fait qu’on se sent bien. C’est ce que je vous avais déjà dit la dernière fois : on se sent bien quand on écoute votre musique.
Juliette : Merci.
Joachim : C’est le plus grand compliment qu’on puisse nous faire. Je pense que c’est ça qu’on cherchait aussi.
Juliette : Ouais, parce que beaucoup de gens racontent que notre musique est faite pour être écoutée au bord de la piscine, un cocktail dans la main, en toute insouciance et tout mais nous, ce n’est pas tout à fait ce qu’on cherche à faire. Ce que tu viens de décrire par contre, c’est plus ça… un sentiment profond de bien-être.
Joachim : On veut être réconfortant, on ne veut pas être le cliché sunshine pop qu’on nous prête. Je pense que faire de la musique pour s’échapper, s’évader, c’est hyper nécessaire et je veux bien être l’ambassadeur de ça avec Pearl & the Oysters. Et en même temps, je pense que sur les derniers disques, on s’est plus révélés et ça a été plus intime dans ce qu’on donnait aussi. Ce sont des disques qui finalement ne sont pas si ensoleillés que ça, même si ça a vachement été traité comme ça.
Juliette : Si tu prête attention aux paroles de la plupart des chansons, tu verras qu’on traite de trucs un peu sombres mais il y a toujours cette lumière qu’on essaie de garder parce que c’est indispensable en fait.
Joachim : Une certaine tension est venue à caractériser le songwriting sur les deux derniers disques. C’est la tension entre une musique qui évoque l’évasion et des paroles qui sont un petit peu plus torturées on va dire. Ce n’est pas Joy Division non plus mais les paroles sont nettement plus sombres qu’avant.
LFB : J’ai beaucoup aimé Read the Room avec Laetitia Sadier. J’ai vraiment eu l’impression que c’était deux univers qui rentraient en collision pour en créer un troisième. Sur le son de guitare et des choses comme ça, ça peut trancher complètement avec ce qui a été fait avant. Je trouve que cette collaboration est vraiment belle dans le sens où c’est une vraie collaboration.
Juliette : On est bien chanceux qu’elle ait accepté de faire ça avec nous.
LFB : Est-ce que c’est des choses que vous avez envie de reproduire ?
Joachim : Bien sûr. Il faut trouver des musiciens/musiciennes avec qui il y a une possibilité de faire ça et que ça soit vraiment une conversation. Avec Biche (avec qui on a fait un split EP en 2022), c’était très naturel mais il faut dire aussi qu’il y avait les morceaux d’Alexis et les nôtres. Après, ce qu’on a apporté chacun l’un à l’autre, c’était parfois des petites choses mais c’est vrai que les morceaux se complétaient au final et marchaient vraiment bien ensemble.
Juliette : On a récemment collaboré avec Dent May et pour le coup ça a été une vraie collaboration à l’ancienne.
Joachim : Ouais, on est allé en studio ensemble.
Juliette : On a tout composé, co-arrangé, enregistré ensemble.
Joachim : Ça, c’est le plus proche d’une collaboration à 50/50.
Juliette : Ça devrait sortir bientôt.
Joachim : Sur son prochain album.
LFB : Ça amène aussi à votre prochaine sortie à vous qui est un EP de remixes. Deux extraits sont déjà sortis. Comment vous avez sélectionné les gens avec qui vous vouliez travailler ?
Juliette : Avec le cœur 🙂
Joachim : Les gens qu’on admire et qui étaient déjà plus ou moins dans notre orbite. On ne les connaît pas tous, pas très bien pour certain/es. Le dernier qui est sorti, c’est Salami Rose Joe Louis, on ne la connaissait pas mais on connaissait sa musique. On s’est dit pourquoi pas essayer de la contacter via instagram. Ça a marché, elle était partante. Il y a d’autres remixes par des gens avec lesquels on est déjà amis. Il y a un remix qui va sortir dans quelques jours de Jerry Paper, qui est aussi chez Stones Throw. Il y a un remix de The High Llamas qui est l’un de mes groupes préférés au monde, donc ça pour moi, c’était encore plus important en terme de validation. J’écoute ce groupe depuis que j’ai 17 ans et je n’ai jamais arrêté d’écouter et de trouver ça incroyable. Ça nous a fait super plaisir. Il y a un remix de Peanut Butter Wolf de Stones Throw. Brijean qui est un groupe de L.A. Je ne sais pas s’ils sont connus en France. Super cool. C’est électronique, un peu lounge. C’est un peu entre l’univers L.A. et… On avait parlé avec Lewis Ofman, ça ne coïncidait pas en terme de timing. On voulait vraiment essayer de trouver quelqu’un en France pour en faire un mais finalement ça n’a pas pu se faire cette fois-ci.
Juliette : Oui, pour le remix on a réfléchi à des artistes qu’on aimait beaucoup mais aussi qui faisaient ou seraient susceptibles de faire ce genre de truc.
Joachim : De l’électronique, des artistes qui touchent davantage à ça. Je trouve que la sélection est hyper intéressante parce que tous/tes ces artistes occupent un espace esthétique différent du nôtre. On a eu de chance d’avoir toutes ces productrices qui déchirent (Vicky Farewell, Maylee Todd, Brijean, Salami Rose Joe Louis). On est super content !
LFB : Vous avez énormément tournés aux États-Unis. Vous avez tourné en Asie, vous avez joué à Paris il y a quelques jours. Est-ce que vous voyez une différence dans la façon dont votre musique est perçue selon les régions/pays ?
Juliette : Je pense qu’on s’est vraiment trouvé à la maison esthétiquement au Japon particulièrement. Nos références musicales étaient vraiment comprises. On s’est senti bien là-bas.
Joachim : Ouais, bien sûr. Surtout que sur ce dernier album, il y a beaucoup d’influences japonaises aussi. Du coup, je pense qu’il y avait un terrain là-bas. Mais c’est vrai qu’au Japon, il y a un truc assez intéressant : ils adorent la musique française, brésilienne, le jazz et le hip-hop. Stones Throw a un peu fait le lien. Donc le fait qu’on adore la musique brésilienne, les années 70, le fait qu’on adore le jazz, etc., je pense que ça a du sens qu’on ait autant été « compris » et apprécié là-bas. Autrement, c’est difficile à dire, au niveau de la réception, de l’accueil. J’adore jouer à Paris et à chaque fois qu’on y joue, je suis super content.
Juliette : Et on va voir ce soir à Roubaix.
Joachim : Ouais, c’est la première fois qu’on joue en France en dehors de Paris. Évidemment, la maison pour nous sera toujours forcément les États-Unis mais en même temps, …
Juliette : Par rapport à la réception, je pense que ça nous touche particulièrement d’être bien reçus en France.
Joachim : Évidemment. Ça n’a pas toujours été le cas avec les projets précédents. C’était plus dur de s’imposer. C’était difficile de trouver des relais, ça l’est moins maintenant. Il fallait peut-être qu’il se fasse quelque chose aux États-Unis.
LFB : Oui, regarde Phoenix.
Joachim : Oui, à des échelles beaucoup plus grandes.
LFB : Phoenix, personne n’en avait rien à faire.
Joachim : Je pense qu’il y a des références qui sont très anglo-américaines et qui vont forcément raisonner de manière plus immédiate aux États-Unis. Des trucs de jazz/rock 70s’. En France, il y a une petite niche pour tout ça mais culturellement, ce n’est pas le truc le plus mainstream disons. Alors qu’aux États-Unis, ça l’est beaucoup plus. Les premiers concerts qu’on a fait en Floride, je me souviens que les gens venaient nous voir à la fin et nous citaient des trucs qui étaient des influences directes. Ils l’entendaient tout de suite. C’est vrai que nous, on n’avait jamais connu ça en France. Mais ça commence à changer. Maintenant à Paris, on peut avoir ce genre d’intéractions. Je pense que la culture, évidemment, est fluide et évolue avec le temps… On est peut-être davantage dans l’ère du temps en France maintenant qu’il y a dix ans.
Je me souviens que quand j’essayais de mettre de la bossa en soirée quand j’avais 18 ans, on me claquait le téléphone. C’était : « non, c’est quoi cette musique d’ascenseur ? ». Et maintenant, c’est vrai que les concerts de Marcos Valle au New Morning sont complets quoi. Ce n’était pas le cas à l’époque. Même Stereolab. C’est marrant parce qu’on n’en faisait pas tout une affaire. Alors que quand on arrive aux États-Unis, l’un des premiers trucs avec lesquels on nous compare, c’est Stereolab, François de Roubaix, etc. Je trouvais ça incroyable.
Je n’avais jamais échangé quoi que ce soit sur Stereolab en France jusqu’à il y a 3-4 ans. C’est devenu un truc dont se réclament plein de groupes. Évidemment, ce sont des groupes avec lesquels on se sent des affinités esthétiques. Biche et des groupes comme ça. C’est intéressant de voir des espèces de changements dans les goûts, ce qui plaît à un moment X ou Y. C’est vrai que le temps ne nous a peut-être pas donné raison mais on semble davantage entendu et compris maintenant que quand on essayait de faire une musique qui allait dans ce sens-là. À Paris, c’était impossible de trouver quoi que ce soit.
LFB : Comme tu le dis, il y a un truc d’expérience, d’époque. Il fallait avoir l’audace de se dire que si ça ne marchait pas ici, vous alliez aller aux États-Unis.
Joachim : Ça a été facilité par le fait qu’on est tous les deux américains. Évidemment, c’était plus facile mais c’était un pari parce qu’on a tout recommencé à zéro. C’est vrai que ça nous a plutôt bien réussi pour ce qui est de la réception en France aujourd’hui qui est bien meilleure. Je pense que Stones Throw a aussi joué un rôle, évidemment. Parce que dans les dernières années, ça a pris un petit palier. Là, il y avait beaucoup de gens au dernier concert à Paris, ce qui est assez nouveau (haha).
LFB : Est-ce que vous avez des dernières perles musicales ?
Juliette : J’ai découvert une compilation assez dingue au Tower Records de Tokyo. Au Japon les gens achètent encore des CDs et il y a des étages entiers de CDs dont un dédié exclusivement à la musique Japonaise. J’y ai donc trouvé cette compilation qui s’appelle Tomita Lab/Keiichi Tomita Works best 2 avec des groupes actuels. Les productions sont souvent hyper abusées mais je recommande chaudement d’écouter quelques extraits. Ça donne une idée de ce qui se fait là-bas et wow ! Des arrangements hyper chiadés avec plein d’accords jazz et des chœurs. C’est hyper drôle et funky même si pas toujours hyper digeste mais ça vaut le coup d’écouter par curiosité.
Joachim : Moi, l’année dernière, il y a deux disques qui sont sortis que j’ai adorés. Trois même. Le disque de Tchotchke, qui a été produit par les Lemon Twigs. Je crois qu’elles ont ouvert pour les Lemon Twigs sur leur dernière tournée européenne. C’est un power trio : basse, batterie, guitare. Il y a aussi des harmonies vocales. C’est incroyable en live, et le disque est génial. Il y avait une autre artiste qui est basée à Salt Lake City mais qui est anglaise, Fonteyn qui a fait un album génial dont j’oublie le nom. Et Peel Dream Magazine, qui avait commencé comme un projet un peu dans la mouvance de la première période de Stereolab, grosses guitares, très hypnotique. Mais le dernier disque sonne vraiment très, très Beach Boys de la fin des années 60 et High Llamas. Ce sont des trucs que j’adore et que je recommande. Le disque s’appelle Pad.