Entre rêverie trip-hop, élans americana et folk contemplatif, le quintette trifluvien Perséide revient avec Passages secrets, un album aux couleurs mouvantes qui invite à la lente émancipation intérieure.

Une esthétique marquée par le flou et la fuite
On pourrait croire à un mirage : deux arches translucides plantées au beau milieu d’un champ de maïs, photographiées comme dans un vieux Polaroid fané. C’est l’image qui orne la pochette du troisième album de Perséide, Passages secrets, et qui donne d’emblée le ton : un passage entre les mondes, entre les esthétiques, entre les intentions. Après Les couleurs d’été (2023), nommé au GAMIQ dans la catégorie « Album rock de l’année », le groupe mené par Louis-Philippe Cantin continue sa marche, entouré de Samuel Milette, Adrien Lauture, Olivier Durand et Nicolas Poirier, avec un désir évident de se réinventer sans renier sa base.
Un pas de côté sonore
Ce troisième long jeu, réalisé par Simon Paradis (Alexandra Lost, Les Lunatiques, Gab Paquet), opère une transition sonore marquée. Si les teintes psychédéliques et pop sixties sont toujours présentes à l’arrière-plan, elles laissent davantage place ici à une forme de douceur planante. L’ouverture Qu’est-ce tu fais là? le prouve : entre folk dépouillé, trip-hop vaporeux à la Air et envolées à la Rêver Mieux, le morceau sonde la question de l’authenticité dans une société qui redessine les contours de nos identités :
« Qui t’ont redessiné·e comme ils voulaient / Qui t’ont imaginé·e comme t’es pas ».
Le ton est donné : Passages secrets est un album sur l’émancipation, au sens large. Émancipation de l’autre, des normes, de soi-même. Les onze titres tracent une cartographie intérieure, entre le besoin de partir loin (Se perdre), l’appel des saisons (Octobre) ou l’effacement progressif de ce qu’on croyait être (Amsterdam).

Une route intérieure
Dans ce paysage, Se perdre fait figure de point fort. Véritable road song moderne, la pièce est portée par un groove chaleureux, la pedal steel de Raphaël Laliberté-Desgagné (Valence, pol), et les chœurs de David Bujold (Fuudge) et Ariane Roy, qui ajoutent une épaisseur émotionnelle bienvenue. Le refrain se grave facilement en tête :
« Oh, dis-moi / Ce que c’est d’être libre / Où on va / Quand on veut s’en aller / Quand on veut vraiment partir dis-moi / Où on va».
Loin d’un cliché de l’évasion romantique, la chanson touche quelque chose de plus profond : ce désir d’aller ailleurs sans trop savoir pourquoi, ni ce qu’on y trouvera.
Des univers parallèles, mais un peu flous
D’autres titres creusent ce même sillon : Ultrasolaire questionne notre rapport au temps et au contrôle dans un élan solaire et contemplatif, tandis que Château dans le ciel évoque des mondes imaginaires où l’on erre sans boussole, dans un entre-deux onirique. Mais à force de vouloir explorer les chemins de traverse, l’album s’essouffle par moments. Passée la moitié, les textures se ressemblent, les tempos s’uniformisent, et la voix de Cantin, bien que toujours juste, se fond dans une ambiance homogène. On aurait aimé plus de tensions, de ruptures, pour éviter que les morceaux se diluent les uns dans les autres.
Cela n’enlève rien à la beauté de certaines images, comme celles de Nuit noire ou de L’épée de Damoclès, mais cela freine un peu l’immersion complète. À vouloir proposer un passage à travers chaque chanson, Perséide perd parfois un peu de la force de frappe que possédaient ses pièces plus directes sur les projets précédents.
Un disque à écouter en ralentissant
Cela dit, difficile de ne pas saluer la cohérence de l’ensemble. Passages secrets est un album pensé comme un tout, où les chansons dialoguent entre elles et prolongent un même souffle. On y retrouve la sincérité qui fait la force de Perséide depuis ses débuts, ce goût pour les images, les textures, et les chemins de traverse. Il faut simplement accepter de s’y promener sans GPS, en ralentissant le rythme.
Le groupe le dit lui-même : chaque morceau est un portail vers une clairière différente. Et même si certaines se ressemblent, elles n’en demeurent pas moins accueillantes. On en sort un peu songeur·se, un peu ému·e, un peu changé·e aussi.

Rendez-vous sur scène
La prochaine étape pour Perséide ? La scène, justement. Le groupe présentera Passages secrets en concert le 4 octobre prochain au Quai des Brumes, à Montréal. Et si certaines chansons prennent un peu trop leur temps en studio, on est curieux·ses de voir ce qu’elles deviennent une fois livrées à l’énergie du live. Un autre passage, peut-être, vers une nouvelle version de leur univers.