Peter Deaves : « A Paris j’ai découvert le monde de l’art mais aussi l’importance d’avoir du temps »

La Face B a pu discuter avec le singer-songwriter britannique Peter Deaves à l’occasion de la sortie de son premier album Ceol Agus Gra, un recueil folk-pop-country célébrant l’amour et la musique, fils conducteurs de la vie de ce musicien francilien d’adoption, qui présentera ses morceaux lors d’un concert exceptionnel le 22 mai à Paris.

La Face B : Ceol Agus Gra, le titre de ton album, signifie “musique et amour”. Tu dirais que ce sont les deux choses les plus importantes dans ta vie ?

Peter Deaves : Oui, avec la nourriture ! En fait, ce titre vient de ma chanson Bury Me Under the Mersey. Je cherchais une phrase de fin pour le morceau. Comme je parle de la mer irlandaise, je me suis dit pourquoi pas mettre quelque chose en gaélique ! Ma première idée était Fiddle Agus Gra, qui signifie « violons et amour ». J’ai demandé à un pote vidéaste irlandais, il m’a dit que c’était pas mal, mais a suggéré Ceol Agus Gra, car c’est plus général. Je me suis dit que c’était chouette et ça marchait bien dans la chanson. Et comme mon personnage vient de Liverpool, il prononce « Gra » avec son accent, et non de la manière gaélique. Au début pour le titre de l’album je pensais à Opening Night ou Long Green River, et c’est Etienne [de Nanteuil] qui a proposé d’utiliser cette phrase. Je me suis dit qu’il était fou, que c’était un choix stupide… déjà que les gens ont du mal à prononcer mon nom, on n’allait pas rajouter une couche avec un titre en gaélique, prononcé qui plus est avec un accent liverpoolien !

La Face B : C’est un choix pour le moins audacieux !

Peter Deaves : Finalement je me suis dit que c’était bien car c’est un peu obscur, il y a un côté folklorique. C’était en tout cas un vrai choix. Il fallait cependant éviter que les gens pensent que l’album est plein de chansons irlandaises, ce qui n’est pas du tout le cas. Et je ne suis même pas irlandais, même si culturellement on est proches, on dit d’ailleurs parfois que Liverpool est la deuxième capitale de l’Irlande. C’est juste en face de Dublin, ils ont reçu des immigrants irlandais pendant des années, qui venaient chercher du travail. Il y a eu beaucoup de mélanges. On peut très bien s’imaginer à Dublin, dans l’esprit des gens, la musique, le fait que tout le monde se croit drôle, dont moi !

La Face B : Ah oui alors ce titre fait donc bien sens !

Peter Deaves : Oui, j’aime bien, c’est mystérieux et décalé. Il m’arrive souvent dans ma vie des choses un peu décalées. L’autre jour je jouais pour une femme politique, elle était venue pour une cérémonie dans ma ville, et le maire m’a demandé de venir chanter Long Green River. J’ai assisté à une réunion très longue et sérieuse qui m’a rappelée mes années en politique ; c’était important bien sûr, mais très fade et technocratique. Et à la fin j’arrive donc pour faire chanter tout le monde !

La Face B : Et ça a marché ?!

Peter Deaves : Oui, ça finit toujours par marcher en fait, mais ça demande plus ou moins d’effort. Mais là elle était direct à fond, elle a même dansé sur la chanson ! Une fois j’ai aussi chanté un karaoké avec des politiciens conservateurs en Angleterre.

La Face B : Et alors justement, avant de devenir musicien tu as eu d’autres vies, tu as notamment travaillé dans la politique. Peux-tu me parler un peu de ce parcours, comment en es-tu arrivé à devenir l’artiste que tu es devenu aujourd’hui ?

Peter Deaves : Quand j’étais jeune je ne savais pas vers quel domaine m’orienter. J’étais le seul de ma famille à faire des études. J’ai étudié la philosophie politique, et ça s’est bien passé. J’ai été invité à faire un doctorat, que je n’ai jamais terminé. C’était trop tôt, j’avais besoin de sortir des études et expérimenter la vie, et j’ai donc commencé à travailler dans le monde politique à Londres. J’ai d’abord fait des jobs pourris, puis je suis rentré dans des groupes de réflexion travaillistes, je me suis fait un petit nom dans le milieu. J’avais un background un peu différent des autres, je ne venais pas d’une école privée, et j’étais très extraverti. Je suis rapidement passé dans la partie communication, le porte-parolat. C’était au moment où les conservateurs sont rentrés au pouvoir en Angleterre, en 2010, et c’est devenu extrêmement frustrant. J’ai alors décidé de prendre une année sabbatique, et je suis venu à Paris. J’ai découvert un autre monde, celui des artistes, des gens qui voyaient la vie différemment.

Photo: Martin Colombet

La Face B : Tu ne faisais pas encore de musique à ce moment-là ?

Peter Deaves : Juste dans ma chambre. J’avais commencé à en faire à la fac. Un très bon ami à moi, qui est tristement décédé il y a quelques années, m’avait enseigné la guitare. Mais c’était un hobby. J’ai une vieille démo sur Souncloud que j’avais enregistrée le dernier jour dans mon grand appartement vide à Londres avant de partir, qui s’appelle Last Night in Shoreditch. C’est pas spécialement bien, mais c’était mon premier enregistrement, le début de quelque chose.

La Face B : Et quand tu es allé à Paris, ça t’a permis de développer ça davantage ?

Peter Deaves : Oui, à Paris j’ai découvert à la fois le monde de l’art, mais aussi l’importance d’avoir du temps. J’ai trouvé ça magique, j’étais entouré de personnes dont la vie était de faire de l’art, même s’ils bossaient comme serveurs, ils s’assumaient comme poètes, acteurs ou chanteurs. J’ai trouvé ça très cool et libérateur. Et le fait d’avoir du temps, de refuser de bosser 60 heures par semaine. A Londres je n’avais le temps de rien, je bossais tout le temps. Tu as 22 ans et ça devient ta vie, tu ne vois plus la lumière.

La Face B : Combien de temps a duré ton sabbatique ?

Peter Deaves : C’était pour 6 mois, et après je suis parti aux Etats-Unis. J’étais à Chicago pour observer la campagne d’Obama, en 2012. L’idée c’était de regarder ce qu’on pouvait tirer comme leçons en Angleterre. C’était très chouette, et j’ai bien rempli ma mission, mais en rentrant en Europe je n’avais pas envie de retourner dans ce monde. Je me souviens très bien, j’étais logé chez des amis aux Buttes-Chaumont, je rentrais de boite de nuit et je me suis acheté une baguette, fait un chocolat chaud, et j’ai trempé ma baguette dedans.

La Face B : Very French !

Peter Deaves : J’avais quelques offres pour retourner à Londres, mais je n’en avais pas envie, je voulais vraiment continuer à avoir du temps. Même si je gagnais très bien ma vie à Londres, ça ne change pas grand-chose en fin de compte. J’ai commencé à aller dans des slams de poésie anglophones autour de Belleville, je donnais aussi des cours d’anglais, et je faisais encore un peu de conseil en communication politique en freelance. Puis j’ai enregistré un petit EP et commencé à me produire en live. J’ai trouvé un loft immense à Paris, que je partageais avec ma copine de l’époque et d’autres artistes. Quand ma copine m’a quitté, il a fallu que je trouve rapidement de l’argent pour payer mon loyer qui avait soudainement doublé! J’ai alors eu l’idée d’organiser une grosse fête – concert, pour laquelle les gens paieraient pour entrer. J’ai fait appel à différents collectifs d’artistes, pour combiner de la poésie, de la comédie, de la musique et des expos de peinture. Ça a progressivement eu beaucoup de succès, et c’est devenu les ‘loft sessions’, tous les mois pendant 3 ans. On a même eu des artistes assez connus.

La Face B : Wahou ! Ça me fait penser aux house shows aux Etats-Unis, il y a tout un réseau de gens qui organisent des sessions comme ça chez eux. Quand je cherchais à organiser des concerts, certains m’ont même proposé de me loger gratuitement !

Peter Deaves : Oui aux Etats-Unis j’ai été frappé par l’accueil que j’ai reçu, cette ouverture des gens. Après il ne faut pas trop parler politique !

La Face B : Comment se sont finies les loft sessions ?

Peter Deaves : Nous avons été victimes de notre succès, il y avait trop de monde et ça s’est fini avec une visite de police. Ils m’ont laissé tranquille, mais je n’ai pas voulu continuer et prendre des risques. C’était bien de terminer on a high note ! Après ça je suis parti à New-York puis en Colombie. J’étais dans une ferme dans la famille de mon ex-copine. C’était un endroit très calme, il y avait un petit studio avec vue sur les montagnes. Je suis resté 6 mois et j’ai composé pleins de chansons. Parfois je ne faisais rien pendant des semaines. Une fois un ami musicien m’a dit « je ne veux pas monter sur scène car je n’ai rien à proposer qui serait plus beau que le silence ». J’ai suivi son conseil, et pris le temps de rester dans le silence et de composer à mon rythme. Après je suis rentré à Liverpool puis Paris. J’aime être ici, je peux prendre le temps et je ne suis pas une copie de tous les autres artistes locaux.

La Face B : Et les chansons de l’album datent de cette époque, ou sont plus récentes ?

Peter Deaves : C’est un mélange. Il y a un écart de 5 ans entre certaines chansons. J’en ai encore beaucoup en stock.

La Face B : C’est un album aux influences multiples, entre les Beatles, Leonard Cohen, Blaze Foley, Johnny Cash… Est-ce que toutes ces nuances font intrinsèquement partie de ton identité musicale, ou c’était plutôt un choix conscient de vouloir faire un album pas trop niche ?

Peter Deaves : C’est venu avec le temps. Au début on devait faire juste un EP de 5 ou 6 titres, et dans ma tête je voulais que ce soit country-folk, avec ma voix crooner que j’aime bien, et qui plait aux gens. Il n’y avait que Gasoline qui était différent, je me disais que c’était ok. Puis avec Etienne, on s’est dit qu’il y avait tellement de chansons qu’il y avait largement matière à faire un album entier. On a repioché dans les démos, et j’avais entre temps composé de nouveaux titres comme Quarter Past, qui peut évoquer à Eliott Smith, plus sombre en piano voix, ainsi que Long Green River qui reste assez country, et Bury Me Under The Mersey qui est très irlandais. D’ailleurs ce morceau était d’abord en guitare voix, et à force de le jouer en live il a évolué ; j’avais envie d’une chanson dans ce style, qui pourrait lancer une soirée. Fallin’ est une chanson de singer songwriter, My Oh My est une référence à Bon Iver, une sorte de folk plus voyageur. Donc ce mélange est venu comme ça, parce que je n’arrive pas à être stratégique, comme dans ma vie !  J’essaye mais je n’y arrive pas.

La Face B : Ce n’est peut-être pas une si mauvaise stratégie ?

Peter Deaves : En un sens oui, mais si quelqu’un adore par exemple la chanson Quarter Past, il ne va peut-être pas se retrouver dans le reste de l’album. L’un de mes artistes préférés, Daniel Norgren, a un peu changé de style avec le temps, mais on comprend tout de suite que c’est lui. J’espère que c’est aussi le cas avec mes chansons, même si stylistiquement elles varient, l’approche est toujours pareille, avec guitare-voix ou piano-voix et je ne vais jamais trop m’éloigner de la démo.

La Face B : Pour l’enregistrement des titres, tu es arrivé avec tes demos et après Etienne et toi avez décidé des arrangements ?  

Peter Deaves : On a imaginé quels instruments pourraient coller sur chaque chanson, puis on a invité les musiciens pour faire des essais, et au fur et à mesure j’ai fait des choix. Par exemple sur Gasoline j’avais toujours imaginé des trompettes et des scies musicales, parce que c’est un morceau très inspiré du groupe Neutral Milk Hotel. On avait quasiment tout enregistré, ça sonnait très bien, puis j’ai invité un musicien qui jouait du bugle, qui est une petite trompette. Il est venu au studio, on a enregistré des phrases que j’imaginais dans ma tête, mais finalement on s’est dit que ça ne marchait pas sur le morceau, il n’y en avait pas besoin. C’est pour ça que sur la chanson Fallin‘ il y a un petit solo de bugle à la fin. Je trouve que c’est un joli accident, et comme ça le musicien n’a pas travaillé pour rien !

Photo: Martin Colombet

La Face B : Comment tu as choisi tes musiciens ?

Peter Deaves : J’ai surtout travaillé avec de bons amis : Clément le bassiste, Valentin qui joue banjo et mandoline, et Adrien le violoniste. On a fait du live tous ensemble. Il y avait aussi mon très bon ami Michal qui fait de la guitare, du pedal steel et dobro. C’est un tueur de studio, il a beaucoup d’expérience. J’avais des idées assez claires, et si quelque chose ne marchait pas on l’enlevait et on voyait comment faire autrement. Je pense qu’on a fait quelque chose de cohérent.  

La Face B : Tu présenteras tes chansons lors d’un concert à l’Archipel le 22 mai prochain, j’imagine que c’est une date particulière pour toi ? Qui sera avec toi sur scène ?

Peter Deaves : Oui je suis en train de monter la formation. Ça va être plus acoustique que sur l’album, je ne sais pas s’il y aura la place pour des guitares électriques et une grosse batterie. L’idée est de faire quelque chose de fidèle à l’album mais en même temps j’aime bien revisiter un peu les chansons, pour qu’elles vivent plus longtemps. Ce sera plutôt une ambiance avec mandoline, banjo, contrebasse, violon… et des guests qui interviendront autour du micro, un peu comme dans les concerts de Gregory Alan Izakov. J’espère aussi qu’on pourra avoir un peu de piano avec mon ami Sevan Grégoire, notamment pour Quarter Past, même si elle marche aussi à la guitare.

La Face B : Et tu as des projets pour le reste de l’année ? Il y aura d’autres dates ?

Peter Deaves : Là j’ai une belle date le 13 avril à Liverpool, j’ai été invité pour être le guest de Glen Hansard, dans le Saint George’s Hall, dont je me rappelle quand j’avais 4 ans, je le trouvais le plus beau lieu sur terre. Je vais jouer Bury Me Under the Mersey avec un artiste qui m’a beaucoup influencé. La personne idéale pour chanter cette chanson avec moi, dans un lieu parfait. Le lendemain je vais faire un mini lancement d’album à Liverpool. Cet été je vais continuer à promouvoir l’album mais aussi me recentrer un peu, j’ai eu certains évènements récemment dans ma vie qui demandent cela. Une tournée est prévue plutôt pour l’automne, ça se met en place tranquillement. Ce sera au moins en France et en Angleterre.

La Face B : Une recommandation musicale pour nos lecteurs ?

Peter Deaves : Daniel Norgren ! On n’a pas besoin de plus que ça, tu peux écouter de temps en temps mon album à moi, et le reste du temps Daniel Norgren, et tout va bien ! Blague à part, je n’ai pas écouté grand-chose dernièrement, plutôt des podcasts ! Et des vieux vinyles, comme Barry Lindon, Nick Drake, et le nouveau David Keenan !

La Face B : Merci Peter!

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