Echappé de Catastrophe, Pierre s’est transformé en Pierō et a récemment dévoilé son premier EP, logiquement intitulé YOLO. On s’est posé autour d’un café pour parler avec lui de sa musique, de la spontanéité, de la création à flux tendu et de la couleur blanche.
La Face B : Salut Pierre, comment ça va ?
Pierō : Plutôt bien, ça va. Et toi ?
La Face B : Ca va. Je me demandais, puisque pour moi, y a une espèce de cheminement, comment est-ce que t’es passé de Pierre à Pierō ?
Pierō : Bonne question. Ca a été assez arbitraire mais ça venait de la volonté de créer un projet. Plutôt que de prétendre que ma musique était un prolongement de mon identité, je voulais vraiment créer un personnage, le voir comme un objet en fait. Comme un projet sur lequel je travaille, ça permet de se sentir moins affectivement fragile, le considérer comme une chose et non comme ce que j’étais.
La Face B : Dans la façon dont j’ai écouté ta musique, j’ai l’impression que comme tu dis c’est un peu créer un double pour te permettre de dire des choses intimes mais en gardant une certaine pudeur…
Pierō :Il y a comme une idée de créer une sorte de double, de masque…
La Face B : Qui te permet finalement de dire des choses que tu n’aurais pas forcément dites avec Catastrophe parce qu’avec l’idée de groupe… Tu te permets ça, de créer un personnage avec une tenue, une idée esthétique très forte…
Pierō : Ouais et il y a aussi une forme de théâtralité dans les gestes aussi, les chorégraphies… L’idée de créer un peu comme un clown ou un mime, créer un personnage qui imite, qui peut exprimer des choses plus intimes c’est vrai en gardant une certaine pudeur. Créer modestement un monde.
La Face B : Cette aventure-là, en tant que Pierō, tu l’as commencée sur les réseaux sociaux. Sur Instagram, avec de la vidéo, des extraits, des tests, qu’est-ce que tu gardais de cette expérience, de ce laboratoire d’expérimentations que tu t’es créé sur les réseaux ?
Pierō : Je continue toujours, j’ai envie de pousser ça encore plus en fait. Je n’ai pas envie d’abandonner ce flux tendu de créativité que permettent les réseaux sociaux. J’ai presque envie de ne faire plus que ça, d’offrir directement aux gens sans intermédiaire, avec une liberté totale… Je pensais récemment à Daniel Johnston, un artiste américain qui travaillait chez McDonald’s, qui donnait des cassettes, il faisait des chansons pratiquement sur une base quotidienne. Il faisait tout lui-même, l’art work… Il donnait des cassettes aux clients, c’était son modèle de développement, sa stratégie de croissance. Je les vois comme ça les réseaux sociaux.
C’est une manière de faire ça mais de façon beaucoup plus large puisque le réseau de diffusion est infini… Garder cette spontanéité, comme de l’art brut, je constate qu’Internet permet ça. Je vois plein de gens sur Internet qui développent leurs propres obsessions, je pense notamment à une fille qui lit les livres, au lieu de juste cocher, de souligner les passages, elle créée comme des œuvres à partir des livres, des œuvres graphiques, elle les poste sur les réseaux et il y a 30 ans on aurait dit que c’est une espèce de folle qui fait ça dans son coin mais en fait on peut trouver des gens qui vont être touchés par ça. Au lieu de rester dans sa solitude, on peut aller trouver cette communauté de gens qui vont partager cette même obsession étrange.
La Face B : Ce qu’il y a d’intéressant finalement c’est que tu l’utilises comme un lieu d’échanges mais tu ne te trouves pas uniquement avec les gens qui t’écoutent parce que tu fais aussi beaucoup de vidéos avec d’autres artistes, des gens proches de toi, de la même scène musicale et ça te permet aussi de créer cette espèce de bulle bienveillante avec les autres comme avec Coline Rio, Pyjama, November Ultra…
Pierō : J’ai aussi la chance pour l’instant de ne pas avoir trop rencontré de « hate », ça reste comme tu dis, une petite bulle où il n’y a pas trop de malveillance. C’est précieux. Et je sais que dès qu’on dépasse un certain cercle, il y a forcément des commentaires négatifs, ce n’est pas grave et tant mieux mais, c’est vrai qu’en ce moment, Internet pour moi c’est un petit cocon.
La Face B : Avant de parler de ta musique, j’aimerai bien parler d’un élément qui me semble hyper important dans l’univers de Pierō, c’est l’utilisation des nuances de blanc. Je me demandais comment t’étais venue cette idée puisque le blanc ça représente à la fois la pureté et l’idée, comme un tableau, de choses infinies à proposer…
Pierō : Ca ne m’est pas venu a priori, c’est plus à force de faire des choses. J’ai constaté rétrospectivement, la récurrence de ce blanc, sans l’avoir pensée théoriquement. Et je trouve que c’est bien de fonctionner comme ça. De se retourner sur ce qu’on a fait, en interrogeant, en se disant qu’est-ce qui revient, quelles sont les choses qui reviennent spontanément, les thèmes, les motifs qui reviennent et créer une direction artistique à partir de ça. Plutôt que de dire de manière stricte « Ok mon projet, ça ne va être que du blanc »… Je crois que je ne savais pas ce que le projet allait être avant de commencer à le faire et c’est plus les autres qui informent sur ce qu’on fait, qui définissaient ce que je faisais. On me parle souvent du blanc et de la douceur mais en fait ce n’est pas du tout comme ça que je me voyais avant. C’est les gens qui ont formulé ça.
La Face B : Malgré tout, ton mail c’est Pierō est un gentil garçon (rires)
Pierō : Ca c’est une private joke dont je ne peux rien dire (rires) Mais oui c’est vrai, je peux pas te contredire.
La Face B : Ce qu’il y a de marrant et d’intéressant au final, c’est qu’un morceau comme Ulysse qui tranche avec les autres et qui n’est pas dans l’EP justement, c’est le seul morceau où visuellement tu n’utilises pas du blanc.
Pierō : C’est pour ça, c’est cohérent. Je ne pense pas que ça va rester éternellement cette récurrence du blanc, ça reste organique. C’est comme une plante qui se développe.
La Face B : L’EP s’intitule Yolo qui veut dire « tu vis qu’une fois », je me demandais si cette injonction-là c’est quelque chose qui t’avait influencé sur la création ou si c’est quelque chose qui est venue avec le recul…
Pierō : C’est plus après avoir écrit les chansons, quand on voit les thèmes qui se dégagent, les obsessions qui reviennent… Cette chose de la fuite du temps… Mais je pense que ce ,’est pas bien d’avoir un programme créativement, c’est bien de se laisser surprendre par ce qui vient et aussi, de laisser son inconscient parler et prendre le contrôle. Plus facile à dire qu’à faire…
La Face B : Tu as besoin de la création quotidienne en fait…
Pierō : J’ai l’impression que ça peut être un piège aussi de trop délayer et de trop renier les choses, de surpenser le truc.
La Face B : Si je te dis que pour moi c’est une quête du merveilleux dans le quotidien…
Pierō : C’est vrai ? C’est beau, c’est super (sourire). Ça me va. C’est vrai qu’il y a cette idée de s’attarder sur des détails de la vie et de rester concret. De voir la poésie des choses concrètes.
La Face B : Qui passe aussi par les mots. Tu joues beaucoup avec les mots et les répétitions. L’idée de ce qu’un mot représente. Un morceau comme Sans le son… Quand tu le racontes, tu l’imagines en fait. Tu t’imagines un morceau sans le son. Y a vraiment cette idée de perspective qui est très importante dans ta façon d’écrire.
Pierō : C’est aussi très influencé par ce jeu sur les mots, le rythme, les sons… Des fois, c’est moins les sens que les sons… Je pense que j’ai été influencé un peu par le rap où il y a cette très grande créativité au niveau des mots. Mais… Par exemple dans Sans le son, y a aussi une sorte de jeu sur le S qui revient, je vais chercher des mots qui sont en S.
La Face B : C’est un côté anglo-saxon aussi peut-être cette idée de sonorité qui est, parfois, un peu perdue en France où on fait passer le sens avant le son…
Pierō : C’est bien quand les sonorités amènent vers des chocs qu’on n’aurait pas pu prévoir si on était juste dans un discours normal. Le rôle du son c’est de décaler un peu les choses pour que ça ne soit pas exactement le mot qu’on attend qui vient…
La Face B : Je vois ce que tu veux dire, de chercher la rime alors que finalement de la prose ça passe aussi bien si le son est meilleur, l’impact visuel est plus fort aussi. Je vais revenir après sur la voix. On parlait de perspective, il y a aussi dans la façon dont t’as écrit les morceaux une idée de jeu qui est très importante puisque tu multiplies les points de vue, y a du dialogue, y a des chansons que tu chantes à la première personne, y a des chansons où tu te fonds dans le collectif, il y a vraiment cette idée d’exister presque de, je vais pas dire de manière omnisciente, mais de jouer tous les rôles…
Pierō : C’est vrai qu’en ce moment, je cherche une idée pour justement avoir un dialogue. J’aimerai bien faire une chanson où y a un dialogue entre deux personnes, que ça soit justifié. La narration est importante. J’essaie de ne pas juste décrire. Avant, j’avais tendance à faire ça et c’était un peu trop statique parce que je décrivais quelque chose. C’est en écoutant Orelsan par exemple où il y a beaucoup de choses dans la chanson, il y a des événements, on est surpris… Tu vois la chanson sur la manifestation, c’est des sortes de leçons d’écriture de chansons, je me suis mis un peu le challenge d’écrire des rebondissements, que ça évolue dans le fil de la chanson.
La Face B : Dans un morceau comme Yolo par exemple on peut très bien se dire que tu t’adresses aux autres mais ça pourrait être quelqu’un qui est devant un miroir et qui s’explique les choses, en mode « il faut que tu te bouges parce que t’as qu’une seule existence ».
Pierō : C’est vrai, ça peut aussi être adressé à soi-même. Mais après ce qui est bien, c’est que chacun le perçoit, le reçoit comme il l’entend.
La Face B : C’est ce qu’on disait tout à l’heure, les gens peuvent interpréter tes morceaux de la manière dont ils le souhaitent. Pour revenir sur la voix, elle est là justement pour raconter l’histoire, faire la narration et en même temps, il y a une utilisation qui est beaucoup plus libre puisque c’est elle qui apporte en background la mélodie, qui ouvre sur d’autres idées, sur d’autres mondes. Les chœurs sont hyper importants, t’as une utilisation de la voix multiple pas de manière unique.
Pierō : Je me suis rendu compte du fait que j’utilisais la voix comme une texture, presque comme un instrument de musique. Au lieu de mettre un synthé, mettre une voix pour faire des nappes de voix, sonores. Ça permettait d’avoir comme un synthé mais unique, qui avait tout de suite quelque chose de plus intéressant qu’un pré-set de plug-in que tout le monde va utiliser. Mais je crois que c’est parce que je ne suis pas un assez bon producteur, j’utilise ma voix pour créer des sons plus singuliers. A terme, j’aimerai pouvoir utiliser des instruments et les faire sonner comme si c’était des voix humaines.
La Face B : Pour le coup tu dis « pas assez bon producteur », je ne te suivrai pas là-dedans mais je pense que ça donne au projet un côté unique…
Pierō : C’est les limitations qui créent aussi l’identité d’un projet…
La Face B : C’est ça. Je vais pas dire que tu fais avec ce que tu es mais c’est un peu ça.
Pierō : Si, si c’est ça.
La Face B : Tu transformes tes limitations pour leur donner des possibilités un peu infinies et aller chercher les solutions là où d’autres personnes se seraient déjà arrêtées et auraient choisi la facilité…
Pierō : Bah c’est sûr qu’il faut essayer de proposer quelque chose… J’ai l’impression que la production c’est le petit truc que personne ne fait. Toutes les productions que j’aime, on sent qu’il y a un chemin qui a été emprunté, étrange, qui n’est pas ce qu’on aurait l’habitude de faire.
La Face B : Je trouve que l’idée de minimalisme à laquelle on te rapproche aussi de temps en temps, ce qu’il y a d’intéressant c’est que le minimalisme musical qui peut s’apparenter à une forme de simplicité c’est surtout quelque chose qui cache dans ta musique beaucoup de trésors, de subtilité… Que ça soit dans les mots, la production, la composition, tu peux te perdre et aller chercher des sens, des idées que tu n’entends pas à la première écoute…
Pierō : C’est gentil, merci. J’ai l’impression aussi dans le fait de mettre peu de choses, ça permet aussi de créer un espace et de faire comme si les morceaux étaient comme des minis mondes dans lesquels on rentre un peu en 3D, c’est pour ça que tu parles de surprises. Il y a vraiment cette idée de plonger dans un morceau plus que de l’écouter de manière frontale, se baigner dedans.
La Face B : C’est pour ça qu’il y a une place importante à « l’aération », un côté très aéré, qui s’élève dans ta musique.
Pierō : Aérien aussi. Mais j’aimerai, c’est un challenge que je me donne pour la suite, c’est que ça soit aussi ancré dans la terre et que le côté aérien soit contrebalancé par un côté terrien, très ancré. J’aimerai bien ajouter un peu d’obscurité dans ma palette sonore parce que ça résume pas ce que je fais. J’écoute pas mal Gesaffelstein, c’est très très sombre, très très rude et j’aimerai bien avoir des sons comme ça plus bruts.
La Face B : Malgré tout, le côté terrien dont tu parles il est peut-être dans ce que tu racontes… Le côté un peu observateur de l’humanité… On a un vrai regard sur ce qui t’entoure. Encore une fois à 360 et les choses dans lesquelles toi tu t’immerges pour qu’on puisse s’immerger après…
Pierō : J’ai hâte aussi de la suite, je me projette… C’est un peu un défaut que j’ai de toujours vouloir passer à la suite…
La Face B : Est-ce que t’as l’impression que tu perds de l’intérêt sur ce que t’as fait quand tu l’as figé définitivement ?
Pierō : Oui… En tout cas je ne réécoute pas. J’essaie de faire mieux et d’aller vers le prochain morceau.
La Face B : Ça n’est pas compliqué de faire des concerts (rires) ?
Pierō : Si ! J’aimerai bien que mes concerts soient… Je réfléchis beaucoup à la forme que ça peut prendre… J’ai commencé à faire des concerts, mais j’aimerai bien qu’il y ait ce côté ouvert et journal intime un peu à ciel ouvert, qu’il y ait des nouveaux morceaux régulièrement, j’aimerai que ça soit comme Instagram, que les gens puissent voir un travail en cours… J’aime bien voir les artistes en train d’essayer quelque chose et pas présenter quelque chose qu’ils ont fini. J’aimerai que les concerts soient des formes libres.
La Face B : Il y a un truc de funambule un peu… Réussir à marcher sur la ligne en sachant que tu peux tomber…
Pierō : Quand j’ai fait le concert au 104, le principe du concert c’était qu’il n’y avait pas d’applaudissements, pas d’interruptions, c’était comme un ruban ininterrompu de musique… Même les transitions étaient improvisées entre les morceaux. Et ça créée une sorte de flux de musique dans lequel les gens pouvaient justement plonger dans un truc un peu onirique et du coup avec cette idée de tendre un fil, de fragilité aussi où ça peut à tout moment chuter… J’aimerai que les concerts puissent offrir des séquences, des espaces où on peut partir loin et c’est bien que j’en parle avec quelqu’un d’autre, parce que j’ai tendance à y penser tout seul et le fait de dialoguer avec toi me permet de clarifier ce que je pense.
La Face B : J’ai regardé la performance que tu as créé avec Martin Schrepel, cette espèce de court-métrage, quelle importance tu attaches à ces visuels-là et comment elle s’est créée cette relation avec Martin qui te suit sur toutes tes vidéos ?
Pierō : Ouais Martin, on a fait toutes les vidéos ensemble et c’est quelqu’un d’extrêmement virtuose de voir travailler. C’est impressionnant parce qu’il travaille en pellicule et il maîtrise très bien. Y a qu’une prise à chaque fois, il est très calme et serein par rapport à ça alors que moi j’ai tendance à être un peu inquiet. Il est assez jeune mais il a tellement fait ça que son geste est précis et il ne tremble pas. L’idée c’était de faire des scopitones à la base, comme dans les années 1960 qui avaient ce côté immersif. L’idée que les gens pénètrent dans une sorte de petit cube avec un petit automate ou marionnette… J’aimais bien l’idée que les gens puissent traverser l’EP d’une traite comme s’ils entraient dans un mini monde et on a imaginé ces sortes de tableaux vivants comme si j’étais une espèce de pantin avec des chorégraphies. Mon chorégraphe s’appelle Clément Gyselinck. C’était très inspiré du mime Marceau qui a fait aussi dans des cyclos blancs, l’infinité blanche autour ça s’appelle un cyclorama. Y avait donc ce côté abstrait, surréaliste, d’une sorte de pantin au milieu de nulle part qui chante des chansons en faisant des gestes.
La Face B : Le clin d’œil ultime de Pierō qui peint une note noire du piano en blanc sur le morceau Sans le son. Ce serait une manière de clôturer ce chapitre aussi…
Pierō : Ah oui c’est vrai (sourire) ! Le clavier marche toujours ! On peut peindre un clavier et ça marche encore après. Je l’avais pas vu comme ça. Mais c’est vrai c’est comme si je mettais fin au blanc. Très juste !
La Face B : Est-ce que t’as des choses récentes qui t’ont plu à nous partager ?
Pierō : Récemment ouais Aftersun de Charlotte Wells. C’est un film sur les derniers souvenirs d’une fille qui va partir en vacances avec son père qui va se suicider. C’est autobiographique, ça retrace ses dernières vacances. C’est une sorte d’insouciance mais mêlée de désespoir. C’est très beau. Un livre sinon… L’allègement des vernis de Paul Saint Bris, c’est une fiction sur la restauration de La Joconde et ça m’a donné envie de retourner au Louvre. Il faut aller au Louvre, c’est incroyable cet endroit ! Il y a trop de beauté dans cet endroit !