Du 16 au 22 novembre dernier, se tenait le Pitchfork Music Festival à Paris. Au-delà des représentations uniques d’artistes déjà confirmé.es (Sébastien Tellier, Amaarae, Shygirl, Sons of Kemet…), c’était aussi le grand retour du très adoré Pitchfork Avant-Garde les 19 et 20 novembre. Le principe de l’avant-garde est de mettre en avant des projets émergents, étoiles de demain. Grâce à nos oreilles averties et notre curiosité sans faille digne des meilleurs médias indépendants, il faut avouer que l’on connaissait déjà bon nombre des artistes qui jouaient ces deux soirs. On avait donc au préalable listé les performances que l’on aurait manquées sous aucun prétexte, la plupart du temps celles d’artistes que l’on s’impatientait de voir sur scène depuis des lustres. Ajoutez à cela, quelques découvertes que l’on ne cesse d’écouter en boucle depuis. Parmi nos coups de cœur du festival, on retrouvera d’ailleurs Cassandra Jenkins, Talk Show, Molly Payton, Wet Leg, Yard Act ou encore Faux Real. Retour sur cette édition.
Vendredi 19 Novembre
Café de la danse
19h30 : Cassandra Jenkins
Ça y est, en ce mardi 16 novembre, la dixième édition du toujours plus excellent Pitchfork Music Festival est lancée. En parallèle de ce dernier, c’est aussi nos retrouvailles avec le très novateur Pitchfork Avant-Garde que l’on fête les 19 et 20 novembre. Au programme ? Une lineup qui frôle l’excellence et des noms que l’on s’impatientait terriblement de (re)découvrir sur scène.
Arrive alors le tant attendu top départ. À peine 19h passées, que nous voilà déjà à faire la queue depuis une bonne demi-heure devant Le Café de la Danse, prêt.e.s à s’essayer à l’univers folk/pop expérimentale de la new-yorkaise Cassandra Jenkins. C’est aussi presque en terre inconnue que l’on se dirige puisque nous n’étions que très peu familier avec la musique de l’artiste qui, par chance, nous avait été vivement recommandée quelques semaines plus tôt.
On se retrouve alors au second rang, entre deux fanatiques, et ni une ni deux, notre sensibilité se retrouve prise de court par cette voix singulière qui a le mérite de ne pas laisser indifférent. Au cours de son set, Cassandra Jenkins nous révèle également fêter des retrouvailles. Lesquelles ? Ses retrouvailles avec la ville lumière dans laquelle elle n’avait pas remis les pieds depuis plus de quinze ans. Quel honneur pour nous donc.
Débute alors un concert de près de cinquante minutes, au cours duquel on découvre un univers à part et réconfortant. La salle est comble et attentive, certains laisseront paraître quelques larmes, d’autres tenteront de les cacher avec beaucoup de difficulté. C’est accompagnée de ses six et très bons musiciens que Cassandra Jenkins nous emporte loin de notre réalité. Sur scène, on retrouve à ses côtés Michael Flynn (guitare), Jack Seaton (basse), Justin Allen (batterie), Gerard Black (clavier) mais aussi et surtout, son illustre saxophoniste : Charlotte Greve. Et tous les six joueront ainsi avec aisance et une allure bienveillante, la presque totalité du très acclamé album An Overview on Phenomenal Nature (Hard Drive, Michelangelo, Hailey etc) sorti en début d’année 2021. Un set auquel se mêlera le méditatif Hotel Lullaby (Play Till You Win).
Parmi les temps fort de ce live, cette bulle suspendue dans le temps, cet instant où l’on n’aura jamais été aussi contemplatifs devant un.e artiste, se trouve celui qui nous a transporté dans un ailleurs que l’on pourrait qualifier d’idéal et où nos émotions se sont multipliées. On parle effectivement de cette performance du titre Crosshairs, intime, onirique et très certainement l’un des plus beaux morceaux sortis cette année. Cassandra, si tu nous lis, reviens vite s’il-te-plaît car on aimerait revivre ce genre de moment chaque jour du reste de notre vie.
Supersonic
20h30 : Talk Show
C’est aux alentours de 20h15 que commença notre marathon musical sponsorisé par le Supersonic, immanquable soirée où l’on tenait absolument à être aux premières loges pour Wet Leg programmé à 22h30, et quelle ingénieuse idée nous avons eue ! Car en effet, il est nécessaire de préciser que nous étions au bon endroit, au bon moment, Talk Show ayant été LA claque de ces deux soirées.
Un peu plus tôt, alors que l’on sortait de notre interview (coming soon) avec les très sympathiques Rhian Teasdale et Hester Chambers dans les loges du Supersonic, on a eu l’occasion d’assister aux balances de ce mystérieux quatuor londonien et notre réaction n’a été autre que « wow ». D’ailleurs, vous devez certainement vous demander qui sont ces quatre jeunes artistes. Quand on fait quelques recherches à leur sujet, on ne trouve pas grand chose car le projet est un peu frais.
Leur premier et furieux single, Fast and Loud, sorti en 2019, avait déjà conquis les fins connaisseurs (anglophones majoritairement) du post-punk. Depuis, Talk Show a dévoilé un EP intitulé These People en mars 2020 et n’a cessé de faire ses preuves. Repérés par Felix White de The Maccabees, Talk Show a eu la chance de voir les fabuleux Joe Goddard et Al Doyle de Hot Chip produire leur second EP prévu pour l’année prochaine, ce qui atteste une nouvelle fois qu’ils sont de ces groupes très prometteurs et à suivre de très près dans les mois à venir.
Concernant le live, on le qualifiera de brut, électrique et puissant. Sur scène, Harrison Swann (chanteur) dévoile une voix grave, tantôt parlée, tantôt chantée et soutenue par les guitares de ses camarades de scène : George Sullivan (basse) et Tom Holmes (guitare) dont le jeu de grattes simultané nous aura pour le moins stupéfaits. Des guitares maîtrisées mais aussi et surtout une batterie énergique de la part de Chloe MacGregor.
Talk Show réinvente donc à sa manière les codes du post-punk, que des pionniers tels que les Cure ou encore Interpol pourraient possiblement saluer. En bref, le quatuor londonien nous aura proposé un set des plus intenses, sombre et lumineux à la fois et qui aura marqué les esprits. Bravo !
21h30 : Molly Payton
Alors que la scène se remettait peu à peu de l’excellente surprise Talk Show, la néo-zélandaise Molly Payton s’installe avec ses trois musiciens. Cette jeune artiste connaît les défis aventureux. Elle s’est installée au Royaume-Uni à ses 16 ans pour embrayer deux ans plus tard sur son premier single No One Else en 2020. Le genre est simple : elle s’élance avec sa guitare acoustique vers des contrées réflexives sur l’amour. Repérée très vite grâce à son premier EP Porcupine, Molly enchaine les collaborations, notamment avec Arlo Parks.
Une majorité des spectateurs ne se rend pas compte, le Pitchfork Music Festival offre à l’artiste son premier concert en France au Supersonic, son tout premier concert dans un pays non anglophone. Si Talk Show impulsait auparavant un rythme urgent et intensif, le monde folk pop de Molly vient arrondir la férocité sonore propagée dans la salle. Sa performance va se scinder en deux parties.
La première regorge des titres les plus imposants, avec ces riffs de guitares massifs. On retrouve notamment l’excellent How to Have Fun qui marque une certaine rage personnelle de la part de l’artiste, ce que le public ressent avec attention. Molly Payton parait encore très timide sur scène, néanmoins, elle suit déjà sans encombre les traces de Girpool, Big Thief ou encore Angel Olsen.
La deuxième partie navigue plus vers la pop, la batterie baissant d’intensité. Son tube Warm Body charmera des spectateurs agréablement surpris par l’efficacité de la track. La force de l’artiste réside également dans la richesse de ses mélodies qui rendent sa prestation dense et riche. Honey pourrait se glisser sur n’importe quelle station FM tandis que Corduroy est la conclusion épique d’une romance hollywoodienne.
Cette exclusivité fut une réussite et confirme tout le potentiel de la jeune artiste. On prend date. En attendant, l’énergie du public a été mis de côté avant le début d’un moment d’anthologie.
Supersonic
22h30 : Wet Leg
Wet Leg n’a dévoilé que deux morceaux depuis leur début. Pardon, deux hits : Chaise Longue et Wet Dream. Domino Records a rapidement flairé le bon coup en les faisant signer chez eux. Il s’en suit un buzz énorme autour du groupe que même les principaux intéressés n’avaient pas anticipé. Alors, imaginez. Que va dévoiler le concert ? Les autres pistes seront-elles à la hauteur des deux premiers ? N’est-ce qu’un feu de paille ? Réponse dans quelques instants.
L’histoire de Rhian Teasdale et Hester Chambers a tout d’une success story. Tout a commencé sur une envie soudaine, à la suite d’un concert de IDLES : créer son groupe pour juste jouer en live. Le premier essai est concluant et tout s’emballe. En ce vendredi 19 novembre, elles apprennent le jour même de leur premier concert en France qu’elles joueront en première partie de leurs Idoles (vous avez le jeu de mot ?) en janvier 2022. Enfin, durant toute la journée de ce festival, elles ont dû faire face à des centaines de questions de tous les médias français (dont La Face B, bien évidemment !) venus les interviewer. Tout parait magique mais la pression est énorme…
Un peu plus de trois cents personnes sont attendues au Supersonic qui n’a jamais eu autant de foule pour un concert. Il en devient quasiment impossible d’aller se diriger vers le bar pour se réhydrater, il fallait anticiper. En effet, tout va se jouer dans la fosse. Les musiciens s’installent, on y découvre le bassiste, le guitare-claviériste et le batteur qui semblent déjà avoir un peu de bouteille. Plusieurs essais techniques sont réalisés. La mise en place est carrée dans l’axe. Il faut dire que l’ingénieur son de la bande n’est rien d’autre que celui de Squid ou encore d’Iggy Pop. Les trois compères musiciens s’élancent dans une intro instrumentale en attendant l’arrivée de Rhian et Hester. Bien entendu, les cris de joie signalent leur présence. Le duo féminin n’a eu besoin que d’un accord pour allumer l’étincelle qui amènera à l’explosion de joie d’un public conquis d’avance.
Il s’agit également d’un premier soulagement dans chaque camp. Le premier titre nommé Too Late Now s’annonce comme un nouveau tube fédérateur dont l’air est repris immédiatement par la foule. Les deux pistes suivantes, le surf rock It’s not Fun et Ur Mum, subiront la même folie pandémique. Le moment vécu est assez unique. Rhian et Hester sont portées par la surprise et le soulagement de l’efficacité de chacun de leur titre qui ne se prennent jamais au sérieux. En face d’eux, une fanbase se crée et partage inlassablement leur bonheur. On vit indéniablement un happy time totalement déconnecté de notre monde extérieur en souffrance.
Le deuxième et dernier single en date Wet Dream déboule sans complexe au bout de dix minutes. Ce titre indie pop est l’équivalent d’un morceau de The Ting Tings : convaincant et cinglé, il narre avec humour les fantasmes sexuels d’un ex. Plus tard, on comprend peu à peu que Wet Leg a un penchant plus indie rock avec le génial Supermarket qui est un appel à la reprise de la vie normale. Oh No se présente également comme une belle petite (courte) surprise : des guitares aux sons lourds et tapageurs sur une ambiance un poil psychédélique. Si notre attention se porte vers les deux protagonistes féminines, il ne faut en aucun cas négliger l’apport minimaliste des voix de chaque membre du groupe et noter également, l’impressionnant batteur qui gère comme un maestro l’intensité et l’enchaînement des pistes.
Alors qu’on s’approche sur le final du show, Wet Leg dévoile Angelica, track plus rêveur qui gagne en intensité au fil des secondes comme leur tout premier tube. A ce moment, les larmes de joie d’Hester l’emportent face à cette bande de groupie qui l’acclame. Et la suite va encore les surprendre puisqu’elles n’étaient pas préparées à faire face au public rock parisien : fougueux, déchainé et jovial ! Il n’y a eu à peine que trois accords de leur hymne final Chaise Longue pour que la foule s’empare des lyrics irrévérencieux pour chanter en cœur ce hit. Rhian en perd son latin anglo-saxon tout en rigolant. Elle reprend tout de même la main parmi les cris, les pogos et les slams du public. L’inévitable est arrivé pour le meilleur et seulement le meilleur.
La scène indie attendait ce moment depuis de lustres, peut-être depuis I Bet Look Good On The Dancefloor de Arctic Monkeys pour vibrer autant. Le genre n’est pas mort et tient un de ses étendards du moment. Le Pitchfork Music Festival a encore visé juste en proposant un groupe du futur sans complexe et rempli de talent. En attendant, nous reverrons Wet Leg dans de plus grandes salles sans aucun doute.
Samedi 20 novembre
Café de la danse
20h30 : Faux Real
Quel sens aurait notre liste des coups de cœur de cette édition sans y inclure la fratrie de Faux-Real ? Aucun. C’est très probablement le seul et unique concert de l’avant-garde qu’on ne pouvait plus attendre, notre patience ayant ses limites.
Virgil et Elliott Arndt, duo franco-américain, sont assez familiers avec la capitale qui leur a déjà offert bon nombre de représentations, que ce soit au Point Éphémère, aux côtés de celui qu’on ne présente plus a.k.a Kirin J Callinan, il y a près de deux ans ou plus récemment au Beau-Festival et à la Fondation Louis-Vuitton. Vous aurez donc compris que l’on ne manque aucun de leur passage à Paris, grands fanatiques du projet que nous sommes depuis le début.
Avant-gardiste comme il faut et mêlant les meilleurs ingrédients (glam-rock, pop, r&b contemporain) à leur recette, il était donc évident de les retrouver au sein de cette lineup des plus qualitatives.
Alors que le show avait à peine commencé et que les deux artistes, déjà iconiques, avaient à peine frôlés la scène pour prendre place sur leur piédestal, voilà que le public les acclame avec un entrain sans pareil. Logique vous nous direz.
Faux-Real enchaîne alors les tubes issu de leur premier EP sorti en 2020. Parmi eux, on retrouvera le fulgurant Second Sweat, Airplane Mode, l’entêtant Spooky Bois ou encore Come Thru. Sans oublier quelques nouveautés qu’il nous tarde de pouvoir écouter en boucle (sortez-nous ces morceaux, par pitié) telles que United Snakes of America ou encore ce morceau dont on a déjà oublié le titre mais dont le refrain résonne encore en nous « walk away / walk walk away / walking away from my demons ». Un show qu’ils concluront sur cet hymne qu’est Kindred Spirit, un titre durant lequel ils ont pris l’habitude de se mêler au public afin que ce dernier prenne également part à cette performance unique. Et c’est un succès, à chaque fois. Le public hurle, chante, danse, toujours enjoué et le sourire aux lèvres, garantie d’un concert plus que réussi.
Faux-Real, au-delà de nous proposer un condensé de tubes, c’est aussi un duo qui joue de ces chorégraphies uniques, synchrones et extravagantes. Toujours vêtus de leur jean blanc et leur veste à franges, évidemment. Le duo pour qui incarner le faux-réalisme semble être une quête obsessionnelle, n’en finit jamais de nous ravir, à tel point qu’à peine leur concert clôt, on se demande déjà quand sera leur prochain passage à Paris.
Aujourd’hui, cela va sans dire que leur premier album se fait désirer, surtout après nous avoir teasé ces quelques inédits. Pour 2022 peut-être ? On ose y croire.
22h: Yard Act
La sensation de ce jour se retrouve une nouvelle fois au Supersonic, plus précisément dans son disquaire, salle voisine de la salle de concert. C’est un choix étonnant de la part du festival puisque Yard Act est furieusement attendue par tous les amateurs post-punk du moment.
En les attendant, il a fallu réaliser un peu de gymnastique pour profiter pleinement de cette soirée musicale. Tout d’abord au Supersonic où tout commence avec le quatuor venu de Brighton : Lime Garden, adepte de pop psychédélique. Le set durera quarante-cinq minutes dans une salle beaucoup moins garnie que la veille. Les titres s’enchainent avec plaisir mais il faut vite se diriger vers le lieu central de la soirée. On tombe sur une salle plus petit mais bien plus pleine, comme prévu, avec la très surprenante prestation H Hawkline. L’artiste gallois est entouré de cinq musiciens donc un trompettiste et un pianiste sur une scène qui paraît bien mince. L’ambiance est joviale et mélodieuse, notamment sur le morceau final Last Thing On Your Mind.
Le turn-over des groupes se déroule à une vitesse rapide et efficace. Les trois musiciens sont déjà sur scène pour les quelques réglages habituels avant de lancer l’artillerie lourde de Yard Act : Strip. Une intro, loin d’être originale, purement instrumentale, dans le style Black Keys. Le public est échauffé ainsi que le chanteur James Smith qui n’a le temps que de saluer le public avant d’embrayer sur le prochain morceau Dark Days. Le groupe est jeune mais on sent que ces quatre gaillards sont nés pour être sur scène.
Il y a chez James Smith une certaine insolence vibrante : il gesticule et harcèle son micro tel un rappeur offrant punchline sur punchline. La foule sent que le chanteur est emporté par ses textes, sans que tout cela soit surjoué. C’est d’ailleurs ce qui fait le charme de ce groupe : un post-punk moderne, vindicatif et fédérateur. Il n’y a qu’à entendre leur tout nouveau tube Payday qui vrille sur les beats afro ou encore The Overloaded qui impulse des pogos par son refrain d’un standing arena. Pas étonnant de retrouver ce dernier dans le soundtrack de Fifa 22..
Le Supersonic Records peut se targuer d’avoir vécu un moment inédit lors de ce show puisque Katy J Pearson a jailli sur scène pour un duo punchy de son titre Miracle remixé par les agités de Leeds. Sa voix intemporelle se mélange parfaitement aux effets électro punk. Cependant, elle devra quitter vite la scène car son concert dans la salle voisine commence dans à peine 5 minutes… Malgré ce duo bienvenu et inattendu, la setlist du concert se repose sans surprise (et tant mieux) sur le premier EP et les premiers singles de son futur premier album. L’intensité ne baissera jamais d’un cran grâce à la prestation théâtrale et magistrale du chanteur.
Il faut en effet du culot pour jouer Peanuts issue du premier EO. Ce morceau contient une partie d’une minute et trente secondes de récits, sans instruments, interrompu par le cri excité d’un spectateur dont James Smith saluera cette « harmonie vocale ». Ces instants rendent le concert fabuleux : James ne récite pas ses lyrics pour faire le job, il les vit tout en amenant le public dans sa besace.
© Crédit photos : Alban Gendrot & Alexandra Waespi