POSTINDUSTRIAL HOMETOWN BLUES : BIG SPECIAL One

Encore inconnu dans l’hexagone BIG SPECIAL, le duo de Walsall, sont pourtant les dignes héritiers de Sleafords Mods. Déjà parce qu’ils sont deux mais surtout parce que leur style les rapproche tant de leurs aînés qu’ils ont fini par être leur première partie en Angleterre. Alors, qu’apporte-t-il de plus et de différent dans ce mouvement post punk moderne bien garni ? Avant de découvrir BIG SPECIAL au festival Supersonic Block Party le jeudi 30 mai, décryptage de leur premier essai.

Le CHIENGUE sur la pochette d'album

Le ton de l’album est déjà insufflé par son nom. POSTINDUSTRIAL HOMETOWN BLUES pointe des cicatrices d’une dépression jamais guérie dans un monde moderne proche de l’ère apocalyptique. Si le thème est commode à notre époque, BIG SPECIAL surprend par la diversité harmonique de ses chansons. Bien que proche de Sleaford Mods aux premières apparences, le duo se démarque simplement par la présence d’un banal instrument en live : la batterie. Le reste est enregistré sur une bande son. Tantôt électronique, tantôt post punk, ce fond sonore varie beaucoup au fil de l’album, laissant plus de place au chant. Le contenu est généreux. Le duo propose quinze titres pour un tout premier album ce qui nous change de habituels des dix titres condensés en trente minutes..

Inévitablement, leur premier single This Here Ain’t Water y figure. Le chanteur et compositeur Joe Hocklins, lassé de chanter et jouer à la guitare acoustique, avait créé plusieurs maquettes de morceaux. Il proposa alors This Here Ain’t Water à son ami d’université Callum Moloney qui était batteur dans des groupes de reprises. Il n’en fallait pas plus pour que l’aventure débute. Ce titre illustre parfaitement l’e style caractéristique l’identité de ce duo entre spoken words fougueux et mélodie envolée sur les refrains, . On est vite surpris et adorateurs de la voix de Joe qui prêche avec désespoir pour annihiler, ici, sa soif.

La force de Callum se fait davantage ressentir sur l’autre single déjà sorti : Trees. Sur ces trois minutes de montée crescendo intense, la boîte à rythme ne suffit plus à canaliser la force de Joe Hocklins. La batterie rentre alors en jeu pour embraser ces flammes de rage et rendre ce final plus explosif que jamais. Outre cette apparence musicale, BIG SPECIAL se démarque par ses lyrics poignants qui plongent dans le registre de la fable. Il faut dire que le fondateur de ce duo est un amateur de poème dont il écrit depuis son adolescence pour s’échapper de l’enfer de la vie d’ouvrier.

This Here Ain’t Water évoque avec finesse cette classe ouvrière qui creuse l’équivalent de sa tombe dans un puits sans eau. Joe nous plonge ainsi avec ses pensées dans un réalisme terrifiant. C’est aussi le cas dans Desperate Breakfast où il engloutit sa résilience à supporter une journée de travail qu’il ne souhaite pas subir. Avec cette boîte à rythme bruitiste et oppressante, on se sent également pris au piège de cette routine : « The birds feign the joy of music and mock us from the bushes once again« .

Tous les ingrédients se réunissent pour virer dans la dépression. Joe Hocklins témoigne d’ailleurs de la sienne dans Shithouse, l’un des morceaux le plus long de l’album. On l’entend rire de sa folie où règne derrière lui une guitare fuzz et un rythme électro. Mais il n’y a pas de résolution à ce problème puisqu’il est désormais résigné : « I thought I was getting better ». Il faut dire qu’en parallèle l’Angleterre baigne dans une crise sociale qui n’aide pas à se sentir mieux. Dans l’énergique et géniale intro de l’album nommée Black Country Gothic, rien n’est laissé au doute sur l’avenir : « Future is funny word« . Le sarcasme fait mouche et en parallèle, les coups puissants de la batterie nous donnent encore envie de tout casser. Ou du moins de pogoter.

Sur la piste suivante I Mock Joggers dont le style marie celui de The Black Keys, Joe admet sans détour de dénigrer les amateurs de footings par complexe sur son poids. Encore une fois, c’est avec froideur qu’il se confie et nous touche avec un brin d’ironie sur une de ses angoisses. Ce dégoût de soi-même se traduit dans sa sphère intime qui vire au pathétique sur My Shape (Blocking The Light). Il ne se respecte plus lui-même mais tente de sauver les apparences : « I am unkempt, I only wash so she’ll fuck me« .  Tout n’est pas rude et brut dans ce premier long format. Il y a ces instants plus doux au sentiment amère, parfois niais mais rarement ennuyeux. Ils servent en quelque sorte d’interludes.

C’est le cas de Mongrel qui s’agite en tout urgence dans une tension en continue. On retrouve aussi For the Birds qui tente de contrer l’anxiété avec une dérision touchante sur la vie. Ces instants sont vraiment bienvenus car on peut ressentir une certaine répétition lassante au milieu de l’album. Notamment sur Butcher’s Bin qui malgré son rythme dansant, ne décolle jamais et frustre. Heureusement, POSTINDUSTRIAL HOMETOWN BLUES se termine de la plus belle des manières. Sans excès, sans tristesse. Avec DiG!, les frissons reviennent avec des notes d’espoirs sur un magnifique fond orchestral. Les touches de pianos en imposent. Le souffle de la trompette apporte une atmosphère triomphale et réconfortante. Le duo se réinvente déjà sur ce final..

BIG SPECIAL présente donc sur ce premier disque toutes ses angoisses après avoir vécu de longues années avec de nombreuses préoccupations sociales. Le duo narre ainsi son passé et pointe du doigt le capitalisme sans avoir pour objectif de donner des réponses. Les textes sont assez puissants pour transformer leur histoire en une prise de conscience universelle. L’album contient assez de moments emblématiques pour que l’on se souvienne encore de lui dans le futur. Si des longueurs se font ressentir sur le dernier tiers de l’album, on peut facilement le pardonner par le contenu cohérent et riche. Surtout, dans cette fourmilière de groupe post punk anglais, BIG SPECIAL se montre capable d’agiter ou d’émouvoir tout le monde et distingue par la voix saisissante et unique de Joe Hocklins.

Coup de coeur de l’album : Black Country Gothic, Desperate Breakfast, This Here Ain’t Water, Trees, Mongrel, DiG!