Promenade dans le pays imaginaire de Caribou Bâtard

Parfois, la vie a besoin d’évidence, et on aimerait vous en donner une : Actuellement, Rouen est la capitale du rock français. De MNNQNS à We Hate You Please Die, de Servo à Unschooling, la ville normande, qui a aussi vu grandir Keen V (désolé les gars…) est désormais bien installée dans notre imaginaire. Apparu en 2019 avec un premier EP qui nous avait déjà réjoui, Caribou Bâtard débarque en cette rentrée avec un premier album, Imaginary Friends, qui vient nous fracasser les oreilles comme on aime.

Et puisqu’on parle de certitude, en voilà une qui nous anime depuis un bon moment : on en est sûr, Peter Pan était un punk. Son refus de grandir, de chercher l’ambition et son défi permanent du monde adulte, font du petit lutin vert, le parfait exemple de ce qu’on aimerait être : un être humain qui ne veut pas grandir, qui veut garder sa naïveté et son sourire en coin en toute circonstance. Et à ce petit jeu, on est quasiment sûr que les deux garnements de Caribou Bâtard font parti des enfants perdus, c’est en tout cas ce que nous laisse penser les huit titres qui habitent leur premier album : Imaginary Friends.

Des les premiers secondes, ça nous prend par le col de la chemise pour nous entrainer avec eux pour 20 minutes de folie brute ou presque. Ici, on se prend immédiatement un pain sonore dans la tronche, et le pire c’est qu’on en redemande : ça crie, ça hurle et ça nous balance en pleine gueule un mur du son composé d’une batterie et d’une guitare. Simple et basique comme nous dirait un autre normand bien connu de tous. Ainsi on se laisse aspirer par la rage primaire et dévastatrice de titre comme Ambition, ou Absurd tandis que Houmous (un grand merci au groupe d’avoir rendu hommage au meilleur aliment de la terre) à tout de la petite pépite qui fera bouger le popotin de toutes les foules quand le temps béni de la sueur et des pogos reviendra.

Bien sûr, on pourrait se contenter de cette énergie juvénile et jouissive, mais cela occulterait en grande partie le sens mélodique du duo et sa capacité aussi à insérer des notes disruptives dans leur musique, que ce soit l’emploi régulier de chœur très pop ou la cassure très nette que constitue à la fin de l’album le fabuleux diptyque Hide & Seek, qui entre la mélancolie sourde de sa première partie et la participation vocale de Lou Bonnet prouve que ces deux là peuvent se permettre de créer une alchimie avec des éléments qu’on imagine un peu trop facilement incompatible.

Et le fond me direz vous ? Car oui, ces garçons pas si perdus n’ont pas fini de nous surprendre : dans une écriture très direct, qui rend ainsi le message on ne peut plus clair, et ou les phrases se répètent comme pour se graver définitivement dans nos esprits, les rouennais questionnent avec force notre société. De l’ambition, qu’on nous présente comme primaire alors qu’elle se révèle souvent destructrice, en passant par les réseaux sociaux, notre déshumanisation constante ou le jugement permanent des autres sur plus ou moins toutes les parties de nos existences, Caribou Bâtard mais souvent le doigt là ou ça fait mal et exulte ainsi une rage à la fois communicative et nécessaire.

Vous l’aurez compris, avec Imaginary Friends, Caribou Bâtard nous offre un premier opus convaincant qui peut s’écouter comme un shoot d’adrénaline bienvenue dans une époque bien morne, mais qui révélera tous ses trésors et ses messages une fois que vous aurez complètement ouvert vos oreilles. Ces sales gosses ont de beaux jours devant eux et ils ne risquent pas de côtoyer très longtemps des amis imaginaires tant leur musique est faite pour rameuter les foules.

photo couverture : Bérengère Levasseur