Prudence c’est l’alter-ego d’Olivia Merilahti, moitié de The Do. Après la sortie de son premier EP Be Water en novembre dernier, il nous tardait de l’écouter sous un plus long format. Et c’est chose faite, avec la sortie de Beginnings, véritable renaissance, premier album sous l’influence de la pop music, bulle suspendue dans le temps, sur une planète plus ou moins lointaine, où faire corps avec l’étrange semble primordial. C’est d’ailleurs à l’occasion de cette sortie que nous sommes allés à la rencontre de Prudence pour parler de sa fascination pour la musique mainstream, son mécanisme créatif ou encore de l’inconnu qui l’inspire. Retour sur cet échange.
La Face B : En novembre dernier, tu sortais ton premier EP et d’ici quelques semaines (interview réalisée le 3 mai 2021, ndlr), sortira ton premier long format. J’imagine que l’appréhension et les attentes sont plus grandes, non ?
Prudence : Un album c’est toujours une œuvre complète, tout comme un EP d’ailleurs et je pense que sans le confinement, je ne l’aurais peut-être pas sorti, j’aurais peut-être directement fait l’album. L’EP m’a malgré tout permis d’arriver en douceur, avec quelques clés, pour comprendre un peu plus Prudence et apprendre à connaître. L’album est vraiment l’aboutissement d’années de travail.
LFB : Tu qualifies ce projet comme une forme de renaissance. Jusqu’ici, quels sont alors les possibles auxquels ce renouveau et cet alter-ego t’ont donné accès ?
Prudence : Ça m’a ouvert sur un travail à l’image dont je rêvais depuis longtemps. Si je compare avec The Do où je travaillais vraiment un personnage scénique, au-delà du travail musical, ça restait quand même assez limité car c’était un terrain partagé. Là, je suis maître en ma demeure donc pour le coup j’ai l’impression de ne pas avoir de limites en terme d’esthétique et d’envie artistique. Pour moi, c’est vraiment l’accompagnement de la musique. Enfin, de toute façon, on n’a plus besoin de prouver ça car l’image est indissociable de la musique. Là je m’en donne vraiment à cœur joie, mon espace de liberté supplémentaire est là.
LFB : Cette renaissance est d’ailleurs rappelée sur le titre de l’album, Beginnings, qui est également le morceau qui ouvre la tracklist. Ce titre t’est-il apparu comme une évidence ?
Prudence : Pas vraiment, ça a quand même été un album qui s’est construit au fil du temps et des collaborations. Ce morceau je l’avais écrit il y a déjà quelques temps et je l’ai suggéré à Xavier (Justice) pour qu’on aille plus loin, qu’on l’emmène le plus loin possible. Ça devait être une espèce de ballade cosmique dès le départ, c’était dans l’ADN du morceau, et grâce au travail de production de Xavier, c’est allé encore plus loin. Beginnings n’était pas vraiment une évidence, il y a eu plusieurs titres.
LFB : Cet album explore la pop sous tous ses angles, la pop étant le genre musical mainstream par excellence. Pourtant, il est difficile de se dire que l’un de tes morceaux pourrait devenir un tube radiophonique car on reste quand même dans quelque chose d’assez indé. Est-ce qu’en explorant la pop music, tu es parvenue à en dépasser ses limites ?
Prudence : En fait, je crois que c’est malgré moi. J’adore la musique mainstream, je le revendique, je n’ai absolument pas de snobisme à cet endroit-là, c’est vraiment quelque chose que je suis et qui m’intéresse depuis longtemps. Je trouve que c’est très difficile de faire de la bonne pop. Il faut à la fois être très synthétique, futur dans la façon de faire sonner, il y a une innovation dans la pop music qui m’intéresse. Je crois que je me suis fait un peu rattraper par mon côté indé et finalement ça fait partie de mon ADN au-delà de Prudence, de mon ADN en tant qu’artiste – Oliva Merilahti. J’ai appris à connaître mes limites grâce à ce projet aussi car je pensais aller beaucoup plus loin en terme de pop et finalement, j’ai compris qu’il y avait des choses que je n’étais pas prête à faire donc c’est intéressant de découvrir ça de soi.
LFB : En t’émancipant avec ton projet solo, est-ce qu’il a été difficile pour toi de trouver puis d’adopter un nouveau mécanisme créatif ? Qui te correspondait et répondait à tes attentes ?
Prudence : Ça a mis un peu de temps car au début, quand on écrit pendant dix ans en binôme, c’est très étrange de se retrouver soudain seule car on n’a pas l’interlocuteur. Faire de la musique en duo, c’est une discussion permanente, c’est un échange vraiment permanent et très riche. Tout d’un coup, je ne l’ai plus eu car je l’ai choisi et c’était un peu aussi le but de l’opération. Trouver un interlocuteur fictif, car j’ai souvent besoin de m’adresser à quelqu’un quand j’écris, ça a été une première étape d’exploration. Le processus créatif c’était surtout dans la collaboration car je voulais collaborer. Ma façon d’écrire n’a pas vraiment changée, c’est plutôt la façon de partager la musique avec différents intervenants. Mon objectif était de travailler avec plusieurs personnes, le plus de personnes possible, en opposition avec ce que j’avais fait pendant dix ans, presque en exclusivité avec Dan. (Dan Levy, autre moitié de The Do, ndlr)
LFB : Ça t’a également permis d’éviter une certaine monotonie dans ce que tu faisais.
Prudence : Ça c’est sûr. Ça fait toujours un peu peur car en tant qu’artiste, on a besoin d’être vite très attentif à ce moment où on se rend compte qu’on est dans une routine, dans un automatisme chiant qui empêche le renouvellement. Je ne dis pas qu’avec The Do on aurait arrêté de se renouveler mais je pense qu’il était nécessaire de faire une pause. Et moi surtout, j’ai commencé la musique bien avant, j’en ai fait officiellement mon métier vers vingt-trois, vingt-quatre ans et tout de suite ça a été The Do donc tout de suite ça a été dans ce contexte de duo. J’avais besoin d’expérimenter plein de choses et c’est ce qu’il s’est passé ces cinq dernières années.
LFB : Les thèmes explorés sur Beginnings sont multiples, on y entend la notion de renouveau, le pardon, l’amour, l’amitié mais aussi un désir d’indépendance. Les rôles de ton alter ego sont-ils multiples ?
Prudence : Alors oui, c’est important pour moi que ce soit multiple. Pour moi, Prudence résonnait comme un nom qui me permettait d’imaginer beaucoup de scénarios différents, de m’autoriser à traiter plein d’émotions et de thèmes différents. Pour le coup, ce sont des choses qui ne sont vraiment pas préméditées, ce sont vraiment des choses qui se font car on vit plein de choses sur plusieurs mois et on les traduit comme ça. Cet album c’est un peu comme la première empreinte de Prudence donc ça part dans plusieurs directions, c’est quelque chose que j’ai d’ailleurs toujours un peu fait et ça ne me dérange pas car tant que c’est moi qui chante, j’ai l’impression qu’on s’y retrouve. Ce qui était important pour moi, c’était d’avoir une cohérence sonore malgré tout, même s’il y a plusieurs producteurs et réalisateurs différents, c’était important qu’il y ait une cohérence de production et je crois qu’elle y est.
LFB : L’image associée à la musique est souvent complexe à trouver. Comment es-tu parvenue à trouver la tienne ? Quelles ont été tes inspirations esthétiques ?
Prudence : Pour moi, Prudence c’est comme un personnage de science-fiction, il y a un aspect dystopique dans l’histoire de Prudence mais il ne s’agit pas d’être dans quelque chose d’angoissant, j’évite ce côté-là car ça ne me ressemble pas. Je me suis appuyée sur des références assez classique dans le sens où Akira m’a déjà pas mal inspirée sur le dernier album de The Do. Pour Prudence c’était plutôt Blade Runner, surtout le premier. Il y a eu Ghost in the Shell aussi où la BO et le film m’inspirent en même temps. C’est un peu les éléments principaux.
LFB : La science-fiction est omniprésente au sein de ton projet. L’irrationnel et l’étrange te permettent-ils d’atteindre un épanouissement absolu dans ton art ?
Prudence : Je pense que ça permet d’avancer. J’ai fait attention avec les références car je crois que j’essaie d’atteindre une pureté d’expression même si c’est illusoire, pour rester dans quelque chose de très personnel. J’ai besoin de ne pas me laisser trop envahir par des références et l’inconnu m’inspire, c’est un endroit où on n’est pas allés et c’est ce qui m’anime en tant qu’artiste, depuis longtemps. L’inconnu, l’irréel et l’étrange me permettent de m’évader, c’est purement de l’évasion et ça ne me dérangerait même pas de parler de fuite, je n’ai pas honte de dire que j’ai un peu envie de fuir la réalité d’aujourd’hui (rires). C’est une façon d’en faire quelque chose justement, on ne peut pas juste subir.
LFB : Dans le clip de ton single Good Friends, Prudence atterrit sur une planète et fait la rencontre d’un être avec qui elle finit par ne faire qu’un. Dans ce monde, quel est le profil type des individus qui l’habite ?
Prudence : C’est une espèce de gelée bleue déjà, mais c’est aussi une séance de travail avec le réalisateur, ce n’est pas que le fruit de mon imagination, c’est une vraie collaboration. Le message ici est très candide, c’est une invitation à embrasser l’inconnu, à faire corps avec l’étrange, l’étrange dans le sens l’étranger, ce que l’on ne connaît pas et je pense que ça fait écho à beaucoup de combats qu’il y a dans le monde en ce moment. J’essaie de l’évoquer d’une façon assez naïve, ce qui peut rendre le message universel.
LFB : Tu as collaboré avec Surkin, Villevieille ou encore Xavier de Rosnay (Justice) . Quelles influences ont-ils eu sur la partie instrumentale de l’album ?
Prudence : Ça dépend vraiment des uns et des autres, il y a eu plein de façons de travailler. Par exemple avec Xavier, j’amenais une maquette où soit on la retravaillait ensemble, soit on gardait quelques éléments ou soit on effaçait tout pour recommencer tout en gardant l’essence. Il m’est arrivé plusieurs fois d’approcher des réal ou des producteurs qui voulaient absolument tout refaire, ce n’était pas la meilleure chose à proposer car je voulais qu’on parte d’une base que j’amenais tout en l’optimisant, je voulais un album très produit et en France, on a quand même des gens très compétents pour ça. Concernant Surkin, j’avais déjà pas mal travaillé avec lui en amont de Prudence, c’était entre The Do et Prudence, ce n’était d’ailleurs pas forcément pour Prudence à la base, c’était dans l’idée d’écrire pour d’autres. C’est une collaboration qui a amené à plusieurs titres qui ne sont jamais sortis. Et Villevieille, c’était la collaboration qui a permis de finaliser de plus de titres, on partait soit d’une instru ou d’une rythmique qu’il me proposait, je faisais la topline et on agençait tout ça ensemble, ou soit ça partait d’une maquette à moi.
LFB : Si tu devais choisir un morceau parmi cet album qui définit le mieux Prudence et tout ce qui s’y rattache, quel serait-il et pourquoi ?
Prudence : Je serais tentée de dire Beginnings pour le coup car il est assez schizophrène, il commence vraiment par une intro presque solennelle, c’est très chanté, très mélodique, féminin et sensuelle avec une boucle qui évolue tout au long du morceau. C’est un titre qui évoque vraiment la renaissance avec cette explosion rythmique sur la deuxième partie du morceau qui est le vrai décollage de la fusée de Prudence.
LFB : Ton album se clôt avec le titre Manifesto, trente secondes où on croit comprendre une forme de reconnaissance, des remerciements. Ici, c’est toi qui t’adresse à ton alter-ego, n’est-ce pas ?
Prudence : C’est intéressant car à la base ça faisait partie d’un tryptique de Manifesto que j’avais publié avant la sortie du premier titre, il y a un peu plus d’un an et si je devais suivre cette métaphore cosmique et spatiale, c’était un peu une sorte d’atterrissage, d’arrivée sur la planète. C’est vrai que Prudence parle à la troisième personne donc on se demande si c’est Olivia qui parle de Prudence ou est-ce que c’est Prudence qui parle d’elle-même sans être encore très incarnée. C’était clairement une façon de reconnecter avec le public et l’auditeur tout en restant dans une fantasmagorie très science-fiction.
LFB : Enfin, aurais-tu des coups de cœur à partager avec nous ?
Prudence : Je suis très fan de Logic1000 qui est une productrice, DJ britannique du moment que j’adore. En terme de film ou de série, je n’ai pas eu grand chose à me mettre sous la dent ces derniers temps. Et il y a cette créatrice de bijoux slash art érotique slash thérapeute slash sexologue, une incroyable femme qui s’appelle Betony Vernon, une américaine qui vit en France et qui est spécialiste dans plein de questions tabou mais qui fait des bijoux hyper beaux dont cette bague spermatozoïde que je porte en ce moment-même. Dans mon clip Good Friends, j’ai un bijou de main qu’elle m’a fait, c’est handmade. C’est le genre de femme qui m’inspire, elle a plein de casquettes et de talents, il y a une vraie puissance féminine chez elle.
© Crédit photo (couverture d’article) : Enzo Orlando