Nous avons retrouvé Thomas aka RAMÓ quelques jours avant la sortie de son troisième EP « Demain sera superbe ! ». Cela nous a permis d’explorer son univers fertile et bigarré, ses sources d’inspirations aux multiples ramifications et de survoler la canopée de son processus de création.
La Face B : Bonjour RAMÓ, tout d’abord comment te sens tu à quelques jours de la sortie de ton troisième EP « Demain sera superbe ! » ?
RAMÓ : Je suis heureux. Le plaisir de sortir un EP c’est quelque chose de chouette. Une sorte de soulagement aussi parce que ce sont des morceaux que j’ai écrits il y a longtemps. Il y a plus de deux ans pour ceux que j’ai enregistrés à l’été 2019. J’ai mis un peu de temps à mettre les voix derrière et il ne restait plus qu’à faire un clip, que d’ailleurs on avait déjà écrit. Et au moment de shooter, 2020 est passé par là. On n’a jamais pu le faire. L’EP aurait pu sortir, techniquement, il y a près d’un an. C’est étonnant cette espèce de temps suspendu où tu attends. Là il y a un côté « Enfin ça sort ! ».
Mais c’est particulier de sortir des trucs en ce moment. Il y a un état d’esprit où tu ressens le besoin de te faire kiffer – le besoin de se sentir bien – et à la fois il y a cette morosité ambiante, de l’incertitude et vu qu’elle dure, une sorte de résignation, d’intérêt qui s’émousse. Même moi, j’ai l’impression qu’il faut que je me botte un peu plus le cul qu’avant pour rester curieux.
LFB : Même si l’EP était quasi prêt, depuis un an que la crise sanitaire dure, as-tu profité de ce temps pour reprendre certains morceaux ?
RAMÓ : Non je ne l’ai pas touché. Vraiment les morceaux étaient finis avant 2020. En plus je trouvais qu’ils n’étaient pas incohérents avec ce qu’il s’est passé.
LFB : Effectivement, on retrouve l’écologie dans les thèmes prédominants de tes chansons. Les risques que l’on fait porter à l’équilibre de notre environnement et les conséquences de nos inactions. Sujets sérieux et graves. Pourtant tu te projettes toujours dans l’après. Au plus fort du confinement on a senti la nature reprendre le terrain qu’elle avait cédé. Est-ce un signe ?
RAMÓ : C’est un truc qui fait dire qu’il n’y a pas que du négatif dans cette situation même s’il y en a vraiment beaucoup. D’un coup on s’est rendu compte que tout ce qu’on prenait comme immuable ne l’était pas : « on ne peut pas s’arrêter comme ça », « on ne peut pas tout changer du jour au lendemain ».
Il y avait comme une espèce de fatalité à se dire qu’on pouvait ne changer les choses qu’à la marge. Et finalement, même si on n’a pas eu le choix et qu’on l’a vécu de manière passive, on s’est rendu compte qu’il n’y avait pas de fatalité. On peut changer du jour au lendemain et de manière conséquente.
Et du coup tu te dis, peut-être que cela peut nous inspirer pour faire des grands changements de société.
Les morceaux sont pas mal construits autour d’un nécessaire changement. On ne peut pas continuer comme ça donc projetons nous vers quelque chose vers lequel on a envie d’aller.
LFB : À l’écoute de tes morceaux on aurait pu croire que tu les avais conçus pendant le confinement tellement ils faisaient écho avec ce qu’il se passait.
RAMÓ : Pas du tout mais je comprends qu’on se pose la question. C’est assez étonnant. Rone parlait de ça aussi quand il a sorti son album début 2020, Room with a view. Il y évoquait plein de sujets qui sont devenus encore plus d’actualité. C’est limite perturbant de voir autant de résonnances.
Ce n’est pas qu’un hasard non plus. On n’a pas vu le truc venir, évidemment non, mais on était dans une situation qui n’était pas tenable et puis il y a eu un accident qui a fait que d’un coup on trébuche.
Après, où on en sera dans deux ans ? Est-ce que l’on aura repris la position que l’on avait avant ou est-ce qu’au contraire on en aura profité pour regarder un peu plus la route ? Je n’en sais rien.
LFB : Tout changement est bon à prendre – même s’il y en a qu’un petit peu.
RAMÓ : Ce matin j’entendais Louis Gallois sur France Inter et il était plutôt posé, constructif. Très patron social à l’antenne et en revanche le seul le truc contre lequel il était vent debout c’était la décroissance.
Portant ce sont des gens informés, intelligents et dont le discours semblait plutôt concerné – assez social – et malgré ça il y avait comme un refus de changer de lunettes. La décroissance c’est irresponsable par ce que comment on sauvegarde les emplois ? Comment on rembourse la dette ? … Ce sont effectivement des vraies questions mais du coup si on ne fait pas la décroissance, on la fait avec quoi la croissance ? Au bout d’un moment ça ne marche plus. Comment gère-t-on le changement climatique ? Avec quelles ressources naturelles ? Le stock n’est pas infini. Il n’y a pas encore d’alignement entre ce qu’on connait et ce vers quoi il faut aller.
LFB : On parlait d’écologie mais l’écologie peut être aussi une écologie humaine. Porteuse de bienveillance, être inclusive. C’est aussi un thème que tu abordes largement dans tes chansons.
RAMÓ : C’est vrai. Peut-être plus que dans les deux EP précédents. Il y a truc sur le lien qui existe entre nous et ce qui nous entoure. Mais ce qui nous entoure au sens large.
C’est à la fois une question systémique – comment est-on capable de gérer la vie sur terre ? – et une question portant sur le lien à l’autre. L’Homme a besoin des autres Hommes mais aussi des animaux et de son environnement… On a besoin de tout. On fait partie d’un tout. Une sorte de vivre ensemble qui ne s’appliquerait pas qu’aux humains.
LFB : Non seulement la nature prend une grande place dans ta musique mais elle est aussi partie intégrante ton identité visuelle. La Robotte (Valérie Chauffour) s’est occupée de donner graphiquement vie à tes pochettes et à tes premiers clips. On peut quasiment parler de symbiose. Comment l’as-tu embarquée dans ton aventure ?
RAMÓ : C’est via un ami. Après avoir enregistré mes trois premiers morceaux, ils n’étaient pas encore sortis, je les lui ai fait écouter. On parlait des influences côtés plantes, nature, art naïf, bref le côté Douanier Rousseau. Un peu de collages qu’il peut y avoir même dans la prod avec les samples. Et puis il me dit que sa copine est aussi graphiste. Il commence à me montrer ce qu’elle fait. Des peintures, des dessins de femmes avec des têtes de flamants roses, des trucs comme cela. Et voilà, on s’est rencontrés, on a bavardé. C’est elle qui m’a proposé ce qui allait devenir la pochette du premier EP. Le mec avec son tee-shirt blanc et sa tête de toucan.
LFB : Justement à propos du toucan, autant tu as déjà souvent partagé l’origine du nom de ton projet, RAMÓ – le rameau de bois qui donne naissance aux feuilles et aux fleurs et l’anagramme d’Amor – amour en espagnol – autant on peut demander ce que représente pour toi ce toucan qui est devenu de fait une sorte de persona.
RAMÓ : Quand Valérie m’a proposé ce personnage, je trouvais ça hyper intéressant parce que cela permettait direct de flouter la limite entre l’homme et l’animal. Pour revenir à ce que l’on disait avant, on fait partie d’un tout. D’ailleurs quand on demande de caractériser ce qui fait que l’Homme c’est l’Homme, plus on avance en connaissance et moins on arrive à le faire. Au début on disait, l’Homme c’est celui qui est doué de parole et après ben non… Et ensuite c’est celui qui sait se servir d’outils. En fait on s’aperçoit qu’il y a plein d’animaux qui savent le faire. L’Homme c’est celui qui sait transmettre un savoir. Mais non ça ne marche pas non plus. C’est de la post rationalisation. Tu as envie d’arriver à un résultat et tu n’arrives jamais à mettre une limite parce qu’à chaque fois tu t’aperçois qu’il y a un animal qui le fait aussi. Ça permettait d’appuyer sur ce truc-là fait de modestie et d’empathie. On est des animaux au même titre que les autres. On s’inscrit dans un tout. C’est notre responsabilité de ne pas oublier cela.
Et il y avait aussi une question qui était plus une question de communication. Le fait de ne pas mettre ma tête en avant ça me plaisait bien. Il y avait un côté anonyme qui me plaisait bien. Mais c’est un peu à double tranchant. Tu ne sais pas jusqu’où tu peux pousser le curseur. Notamment quand tu veux faire une session acoustique, une interview ça peut devenir compliqué. C’est un domaine où je me cherche encore. Il y a des gens comme Vladimir Cauchemar ou les Daft Punk qui y vont à fond. Mais du coup tu n’as pas d’interview, pas de discussion possible. Tu ne peux pas développer ton discours. Tu restes vraiment dans un personnage. Ça peut être très cool d’ailleurs.
LFB : On peut très bien concilier les deux. Si on prend l’exemple de Cascadeur, il passe la majeure partie de son spectacle casqué ou masqué mais il abandonne l’un et l’autre pour les derniers morceaux. Cela lui donne un côté plus humain, plus proche. Lors de tes concerts, au début tu ne portais pas de masque. C’est assez récent et seulement pour quelques morceaux.
RAMÓ : Je trouvais cela marrant de me mettre à un moment donné, de scénariser ces instants-là. Cela amène un peu de storytelling, de mise en scène. Tu gommes la limite entre l’homme et l’animal. Je trouve ça bien. J’aime bien aussi cette envie – et ça fait partie des chantiers 2021 – d’aborder les concerts comme des moments de lâcher-prise, de revenir à des choses plus instinctives, d’être plus sur l’émotion que sur l’intellect. Un concert c’est physique, tu ressens des vibrations, des résonnances que tu ne peux pas avoir chez toi, des mouvements de foule, le noir qui anonymise. Ce sont des moments propices à se laisser porter.
LFB : On parlait du Douanier Rousseau chez qui tu sembles partager son approche naïve de l’art – faite d’imaginaires – le Douanier Rousseau n’a jamais voyagé – et s’appuyant sur les cultures populaires. Comment l’art naïf peut-il le bon vecteur pour porter un message ?
RAMÓ : Quand on parle d’art naïf on y met deux choses derrière.
L’art naïf en lui-même avec tout ce que cela veut dire : Peinture du début du XXème siècle, très coloré, sans règles et où tu laisses de côté les perspectives, la vraisemblance pour revenir à des choses plus instinctives, plus brutes. Cela me parle beaucoup et cela a été mon premier éveil à l’art. J’aime bien ce côté non académique.
Et l’autre branche, le terme naïf que j’affectionne. Naïf n’a rien à voir avec niais. C’est quelque chose qui est sans jugement, sans a priori et qui va juste essayer de comprendre ou de ressentir des choses sans grille de lecture préétablie, sans vouloir faire dire à tout prix quelque chose à une situation. C’est de l’ordre de l’empathie. Cela me manque au quotidien. Il existe des schémas très forts dans la société et qui font que même quand on est amené à débattre on ne va pas chercher à faire émerger un consensus. On va plus chercher à avoir raison qu’à comprendre.
LFB : La curiosité en tant que valeur.
RAMÓ : Oui une sorte de curiosité bienveillante. Être naïf pour moi, c’est être sur deux jambes : l’esthétique et la disposition d’esprit.
LFB : Pour revenir à ton projet, est-ce que tu le conduis, artistiquement, de façon autonome ou y intègres-tu d’autres personnes au travers d’échanges, de conseils ou de collaborations ?
RAMÓ : Je suis quand même assez solitaire, en tout cas pour tout ce qui est écriture et composition. Après j’ai un manager Séverin avec qui on discute une fois que les morceaux sont écrits. On échange sur ce qui est intéressant, ce qui est perfectible, ce qui semble sans trop d’intérêt. Et puis après je travaille avec des réalisateurs : Romain Drogoul, un ami, pour le premier EP et Raphaël d’Hervez pour les deux EP suivants. J’ai besoin à un moment donné de quelqu’un qui sait travailler le son. Je n’ai pas cette qualité. Même si on s’améliore, mon oreille s’affine au fur et à mesure des morceaux, je n’ai pas encore cette compétence ni cette oreille. Savoir régler un compresseur, identifier là où une voix va être bien traitée comme ci ou mal traitée comme ça. De sentir que tel son de clavier ou de percussion c’est bien mais il faudrait le compléter par telle texture ou telle fréquence. J’ai besoin de me faire aider à ce stade-là. Et ça peut être assez fort dans le processus.
C’est un peu ce qui s’est passé dans cet EP d’ailleurs. J’avais écrit pas mal de morceaux qui étaient tournés vers la scène, vers l’énergie, le côté transe, le lâcher-prise. Une espèce de projection d’un live. J’ai envie d’emmener les gens dans des choses répétitives. Des choses où on va pouvoir se débrancher le cerveau. En plus cela faisait suite au Chantier des Francos où on avait beaucoup travaillé la scène. J’avais envie d’aller encore plus loin dans cette approche électro.
Petite parenthèse pour parler des Chantiers des Francos à qui je fais un coucou. On a pas mal changé la disposition des instruments. Avant je chantais derrière les machines qui étaient à plat. Un peu comme un DJ avec un micro. Et on a tenté d’exploser cette configuration. Ça me plait bien maintenant. Tu l’as vu d’ailleurs avec les machines qui sont maintenant à la verticale. Cela permet de donner plus de place à la présence, au chant. Mais ça a une implication très concrète sur la musique. Je n’ai plus tous mes boutons sous la main, les choses sont assez séparées. Cela entraine une écriture plus répétitive parce que je ne peux pas tout le temps passé d’une séquence à une autre, lancer un sample, dire une phrase. Ces contraintes scéniques dissocient un peu plus le chant de la musique. Et forcément, ça a eu un impact sur la manière dont j’avais envie d’écrire.
Sauf que – et je referme la parenthèse – quand je suis arrivé au studio avec ces morceaux-là, on s’est rendu compte qu’un disque ce n’était pas une scène. Qu’il était peut-être nécessaire de redescendre en énergie pour retrouver un peu plus d’émotions. Il y a des morceaux que l’on pensait quasi finis, Raphaël était plutôt confiant quand il les a reçus, et en tout cas plus aboutis que pour l’EP précédent. Comme pour A Nouveau Sauvages, le travail avait été assez rapide. On avait enregistré quatre morceaux en cinq jours.
Je pensais donc que ça allait être facile. En plus là on se connaissait avec Raphaël et on avait du temps. Alors on est parti bille en tête sur le morceau que l’on pensait être le plus facile. On a travaillé un jour mais on n’était pas content du résultat. Puis deux jours, trois jours. En fait on s’est pris un mur. On n’a jamais réussi à le finir. Le truc n’est même pas sur l’EP. Pourtant sur le papier ça avait l’air d’être le plus simple.
Il y avait un autre morceau, Tendresse, qui était au début à 136 BPM, une grosse séquence en boucle avec un chant assez scandé. Raphaël m’a dit, tu ne veux pas qu’on essaye – on verra si ça marche ou pas – de diviser le tempo par deux. On met des accords, toi tu essayes d’adapter un peu la mélodie pour voir ce que cela donne. Et cela donne le morceau que tu as écouté qui n’a, du coup, plus rien à voir avec l’intention initiale.
Pareil pour Demain Superbe, il finissait avec une boucle de voix et partait dans une espèce d’électro costaud, un peu acide avec de la polyrythmie. Quand on a voulu jouer le truc, on s’est juste mis les accords pour se repérer. Et puis en fait c’était très bien comme ça. J’avais passé je ne sais plus combien de temps à écrire des séquences complexes. Ce sont des trucs qui reviendront peut-être en live. Mais là on a posé juste quatre accords et on s’est dit c’était super. On en est resté là.
C’est marrant, à la fois je te dis que l’écriture est très solitaire mais finalement le travail collaboratif peut être assez fort ensuite.
Ce n’est pas toujours le cas. Je réécoutais l’autre jour une maquette d’A Nouveau Sauvages. Il y avait la structure sans le refrain à la fin et c’était très proche de ce que l’on connait. Il y avait un côté esquisse que l’on affinait au fur et à mesure. Sur le dernier EP, il s’agit plus de grands coups de barres et à des endroits vraiment inattendus. C’est chouette aussi. J’aime bien ces moments-là. On en revient aussi à ces histoires d’ouverture, d’humilité qui permettent d’accueillir les accidents ou les imprévus.
Tu dis soit tu acceptes de travailler avec quelqu’un, soit tu veux faire ça tout seul.
Mais si tu veux faire ça tout seul tu te démerdes. Tu prends des cours, tu passes des heures, des jours, des mois à essayer de faire des mixages corrects. A essayer de produire. Ou alors tu trouves ça cool de travailler avec des gens et dans ce cas tu acceptes qu’ils mettent une patte qui peut avoir un impact sur la manière dont se passent les choses. Ce n’est pas toujours facile mais c’est enrichissant.
LFB : Je m’attendais à des morceaux qui montent en puissance et même si on peut retrouver des boucles en fin de morceau on reste quand même dans le calme, dans le mesuré.
RAMÓ : C’est un peu à l’opposé de l’intention que j’avais en entrant en studio et finalement c’est bien parce ce qu’il y a une cohérence à tout ça. En plus on devait sortir l’EP au printemps 2020, on souhaitait avoir quelque chose d’assez estival. Finalement on se retrouve à le sortir en hiver, à un moment où on est confiné. Il y a quelque chose qui colle bien au moment finalement.
LFB : Oui, je crois qu’on ressent tous ce besoin d’être réconfortés. Pour revenir à ton EP, dans La saison des pluies on retrouve en featuring Loïc Fleury (d’Isaac Delusion). J’ai été un peu surpris mais me suis très vite rendu compte que cela fonctionnait très bien. Comment s’est faite ta rencontre avec Loïc, comment naissent les collaborations ?
RAMÓ : En fait on se connait depuis un moment. De nos groupes d’avant. On avait fait des concerts ensemble. On s’entendait bien mais on ne se voyait pas spécialement entre les concerts. Et il se trouve que l’on est devenus voisins complètement par hasard. Et puis il a un enfant, j’ai un enfant. On cherchait une nounou et finalement on a fait garder nos gamins ensemble. C’était une semaine chez lui, une semaine chez moi. Ce qui fait qu’on se voyait tous les jours, on se racontait nos histoires de musiciens. Et au bout d’un moment, on s’est dit que ce serait cool de faire quelque chose ensemble. Au début on en parlait s’en trop forcer le truc. Et puis on s’est dit que je pourrais écrire un texte et lui la musique. J’avais écrit deux-trois textes qu’on n’a pas retenus. De son côté il avait écrit un couplet mais il n’arrivait pas à trouver le refrain. Du coup Je l’ai écrit. Puis on a affiné une instru. Et c’est devenu La Saison des Pluies. Ça s’est fait comme ça, de manière très lente.
LFB : Le point commun qui me venait entre Isaac Delusion et RAMÓ était la reprise d’un standard coloré de la chanson française. Respectivement Couleur Menthe à L’Eau pour Isaac et Cœur Grenadine pour toi. On a senti que – te concernant – c’était une reprise coup de cœur. Que tu te sentais très proche de l’univers de Laurent Voulzy.
RAMÓ : Déjà pour l’anecdote, Loïc m’a dit après coup qu’avec Isaac, avant de reprendre Couleur Menthe à l’Eau, ils s’étaient essayés sur Le Cœur Grenadine. Mais ils étaient plus contents de Couleur Menthe à l’Eau.
LFB : Leur reprise de Couleur Menthe à l’Eau est très bien.
RAMÓ : Oui, elle est top. De mon côté, il y a eu une sorte d’évidence pour Cœur Grenadine. C’est venu d’un article de Judah Warsky. Il fait parfois de grandes diatribes sur les réseaux sur divers sujets. J’aime bien sa façon d’écrire. Et là, il parlait de Laurent Voulzy en disant que c’était un mec qui était finalement resté un poil dans l’ombre de Souchon. On en retenait surtout son côté très sucré, très chanson, alors qu’il avait une qualité d’écriture assez inégalée.
Il racontait qu’il avait fait écouter Voulzy à un de ses potes anglais et son pote avait halluciné devant la richesse harmonique ou celle des mélodies. C’était quelque part une sorte de McCartney français. On ne lui avait pas trop accordé cette stature. Pour moi Voulzy c’étaient vraiment des trucs d’enfance que j’écoutais dans la bagnole de mes parents. Je me suis mis à le réécouter et j’ai adoré.
Bon il y a des trucs qui ont plus ou moins bien vieillis – certains arrangements sont un peu passés de mode – mais par contre sur l’écriture des mélodies c’est un peu la leçon. Je suis tombé sur le Cœur Grenadine mais pas que. Je me suis rendu compte qu’il y avait une sorte de fil rouge. Il parle beaucoup des îles, du lieu de ses racines. Mais s’il prend beaucoup les îles comme thème dans ses chansons, lui est physiquement à Paris. Ce qu’il fait qu’il y a une espèce de moteur entre « là d’où je viens » et « là où je suis ». « J’écris là-dessus » et « je fantasme un peu dessus ».
C’est marrant par ce que je suis assez proche de ce sentiment de fantasme d’un endroit d’origine. C’est quelque chose qui a alimenté mon écriture au début. L’Éden, la forêt originel, l’espèce de paradis perdu. Je me suis dit, il faut absolument que je fasse une reprise.
LFB : C’est rigolo parce que l’on retombe un peu sur le douanier Rousseau.
RAMÓ : Complètement. Et puis en plus il y avait un truc dans la manière de chanter avec la voix très douce. En plus de la thématique il y avait quelque chose dans le chant sur le lequel je pouvais m’identifier. Je ne peux pas dire que je chante comme Laurent Voulzy mais je peux m’identifier à sa manière de chanter.
LFB : Je l’avais fait écouter à un collègue – grand fan de Voulzy – et en tout cas il avait bien apprécié.
Y a-t-il des artistes dont tu suis plus particulièrement les projets en ce moment ?
RAMÓ : Il y a pas mal de trucs. J’aime bien, et ça ne va pas trop te surprendre, Catastrophe. Sur tout ce qu’on disait sur le côté naïf, empathique, sans jugement, j’ai l’impression qu’ils sont vraiment sur cette façon d’appréhender ce qui nous entoure. Ils en parlent très bien et ils le partagent très bien sur scène. Ils ont vraiment quelque chose d’assez rare qu’ils arrivent à l’incarner complètement sur scène et qui est assez magique. Je suis fan de ce qu’ils font.
J’aime bien aussi les trucs du genre Mr Oizo. Je trouve ce qu’UssaR a sorti récemment c’est beau. J’aime bien Irène Drésel aussi.
Il y a aussi Oklou qui a sorti un très bel EP qui s’appelle Galore. Je ne sais pas si je dis une bêtise mais j’ai l’impression que c’est elle qui fait ses prod. Il y a quelque chose de très personnel. C’est fort.
Et bien il y a plein de gens cools. Ouai Stéphane, Victor Solf, Silly Boy Blue, Chien Noir. Voyou a sorti aussi un titre. Il a l’air d’être parti sur des trucs plus instrumentaux. Il y a un côté très Brésil old school. Brésil orchestra. Il va bientôt sortir un EP qui s’appelle Mu.
LFB : Après la sortie ton EP Demain sera superbe, quels sont tes futurs projets ?
RAMÓ : J’ai pas mal de morceaux. D’ailleurs tout à l’heure on se fait une session d’écoute avec Séverin et Goulwen (Le Moigne) qui manage RAMO. Je leur ai envoyé une quinzaine de morceaux pour la suite. J’ai hâte d’entrer de nouveau en studio.
LFB : Une quinzaine de morceaux, tu te projettes sur un format plus long. Un album ?
RAMÓ : Je pense peut-être à un album. Mais je pense aussi à essayer d’y intégrer des choses qui ne sont pas que des chansons. Peut-être avec des mouvements de paroles. Je ne sais pas trop. Je réfléchis au format. En ce moment on a le temps d’interroger les formes. J’aimerais bien arriver à ce que ce ne soit pas qu’une concaténation de chansons. D’ailleurs Oklou dans Galore y est bien arrivée. Tu es bercé. À la fois tu as de chansons mais tu es dans un environnement. Il a des temps forts et des temps de respiration. Ça m’inspire. Je ne sais pas si je vais y arriver ou si ce sera le propos finalement recherché.
LFB : La tendance actuelle va plus sur les écoutes segmentées. Le concept album n’a pas le vent en poupe malheureusement.
RAMÓ : On n’écoute plus la musique de la même manière. On a aussi beaucoup plus de choses à écouter. L’offre est vaste. On peut zapper facilement. Je ne vais pas révolutionner les interviews en disant que le streaming a changé notre manière d’écouter la musique. Mais n’empêche, c’est vrai [Rires]. En tout cas je suis assez fan de ces moments où on ne va justement pas aller chercher que l’efficacité. On va essayer d’enrichir le morceau par un environnement. Peut-être des morceaux qui ne sont pas des morceaux forts. Qui ne seront peut-être pas des morceaux chantés. Il n’y aura peut-être même que des boings. Il faut arriver à tout décanter.
Et puis après il y a tout ce que je t’ai dit. Des espèces d’élans ou d’envies qui me parle. Mais il faut arriver à le faire. Une fois que tu as dit « j’aime bien les albums qui ont une super intro », « j’aime bien quand on mélange les formats – les trucs longs et les trucs courts » ou « j’aime bien avoir des phases d’ambiance » il faut que tu arrives à le faire. Parce que tu peux essayer des trucs et te rendre compte que c’est nul. Par ce que tu peux être doué pour certaines choses mais pas pour d’autres. Et puis il faut qu’il y ait une cohérence. C’est super de mettre une grosse phase de respiration mais elle doit s’intégrer avec ce qu’il y a autour.
On en revient à il y a ce que tu imagines pour les morceaux que tu es en train d’écrire et ensuite leurs vies. Comment vont-ils s’agencer entre eux ? Lesquels vont arriver au bout du processus de création et lesquels vont disparaitre ?
LFB : Il faut essayer, c’est sûr. Et puis peut-être attendre l’accident qui va débloquer ou réorchestrer le tout.
RAMÓ : C’est ça. Il faut rester ouvert et empathique avec le morceau [Rires]